Marc Bruimaud (c) Serge
Avant d’habiter à Limoges, Marc Bruimaud, né à Vierzon la même année que la Vème République, a vécu à Châteauroux. Dix années à lire des comics Marvel, regarder des séries TV et des cartoons, peut-être pour échapper à l’ennui environnant. Un univers familial prolétaire, un père cheminot – mais un drôle de cheminot qui n’aimait pas les communistes et aurait voulu être légionnaire. Raciste, semble-t-il, misogyne, homophobe, traitant sa femme « comme une chienne », tout encombré de son fils. Fêlure. « Mon père se trouvait plus jeune que la moyenne. À la fin, il avait l’air d’un vieux déchet. » C’est extrait d’un texte paru dans la revue Métèque (n°2, avril 2015). L’adolescence à Limoges, du côté du Vigenal et du Puy-La-Rodas, c’est le temps de la Science-Fiction (Dick, Ballard, Malzberg, il y a pire!), de la musique de films, du punk et de la participation à divers fanzines. La fin des années 70 le voit découvrir Queneau et Pérec, devenir pataphysicien, émule de Jarry, OuLiPien. Je me souviens de l’aventure du CIDRE Raymond Queneau dont il a déjà été question sur ce blog… (CIDRE, ALCOOL pour le Centre Régional du Livre, certains avaient l’acrostiche amusant, à cette époque) – aventure qui, malheureusement, ne fut pas pérenne. Dommage queceux qui tenaient les cordons de la bourse aient laissé filé cette opportunité! Pour ma part, je me souviens d’un captivant colloque sur Queneau. Bruimaud s’est ensuite adonné à la critique littéraire et cinématographique, a collaboré à des ouvrages comme Le Dictionnaire de la Mort chez Larousse ou celui de la Méchanceté chez Max Milo, ce qui n’étonne guère lorsque l’on suit sa férocité sur les réseaux sociaux. On annonce un essai consacré à Damiano aux éditions Jacques Flament. L’écrivain et critique s’est aussi essayé à l’art contemporain, au cinéma, à la mystification littéraire (sous le nom de Guy (ou Guylaine) Misty)… mais c’est sa créativité littéraire qui attire le plus l’attention depuis quelques années et, finalement, le fait s’échapper de l’underground.Nul doute que ceux qui s’intéressent à la littérature (lecteurs, critiques, libraires…) doivent d’urgence – comme on dit – le lire!
Les éditions Jacques Flament publient en 2015, dans leur collection « Côté court Littérature », un petit livre de Marc Bruimaud, à couverture noire, d’une cinquantaine de pages, une nouvelle si l’on veut, intitulé : Makolet. Une histoire dont le narrateur n’est pas forcément celui que l’on croit, du moins au début. Un texte qu’on lit d’une traite et dont la critique aurait peut-être pu s’appeler « le freak, c’est chic ». Après tout, dans La monstrueuse parade (Freaks), Tod Browning mettait en scène, en 1932, un nain amoureux d’une belle trapéziste, Cléopâtre. Bruimaud, lui, raconte l’histoire tragique d’un nain, lui-même fasciné par la trajectoire d’un autre nain mondialement célèbre : l’acteur français Hervé Villechaize, bien connu des cinéphiles pour ses rôles dans L’homme au pistolet d’or ou L’île fantastique. Le narrateur ne le cite pas, mais on le reconnaît très vite. Surtout à sa mort : un suicide par balle après avoir regardé Le Magicien d’Oz (une histoire d’orpheline apeurée, vous vous souvenez ?). C’est sa compagne, la rousse et pulpeuse Kathy Self, qui le trouva baignant dans son sang. Cette mort surprend le narrateur : Hervé avait tout pour être heureux et imposer le respect aux autres. Oui, mais il était nain. Il y a un autre acteur disparu dans le livre : celui qui lui donne son titre. Macaulay Culkin, qui joua dans Maman j’ai raté l’avion (1990). Un gamin malheureux dont les parents voulaient récupérer l’argent. Dont la sœur Dakota est plus tard morte écrasée par un chauffard, à Los Angeles. Et dont une rumeur persistante a annoncé la mort à New York. Peu importe qu’elle soit fausse, elle parle d’un gosse malheureux. Comme celui dont il est question dans Makolet : un enfant abandonné par sa mère parce qu’il était nain, un orphelin chez les Sœurs : « à un moment de leur vie, on a pas voulu d’eux. Ca, ça dépasse tout le reste. » Un enfant très seul et différent. Qui souffre en permanence. Et, plus tard, un jeune, un adulte, frustré sentimentalement et sexuellement. Que Sarah, la jeune fille qui lui fait la charité de ses visites, ne peut contenter, pas plus que la femme qui tient le sex shop où il se rend parfois. Alors, il devient acteur porno chez Marc Dorcel, ce qui lui permet d’éprouver du plaisir, mais aussi de finir par croire que les actrices qui doivent jouer avec lui pour permettre la réalisation de films bizarres l’aiment vraiment. La désillusion vient de Rita, qui lui fait éprouver avec violence combien elle le méprise… Raconter la suite du livre de Marc Bruimaud serait priver le lecteur du plaisir du suspens de sa lecture. Mais il y est question d’un autre garçon triste, parce que loin de ses Antilles : Désiré. Avec qui le nain se lie à la vie, à la mort. L’intérêt de ce livre est multiple, c’est presque une prouesse en si peu de pages : intrigue originale, style agréablement cinématographique, moments « pornographiques », polar… Et il s’agit aussi d’un ouvrage qui aborde la question de l’écriture – qui écrit, comment, pourquoi ? On en revient au début de ces lignes. A la fêlure de l’enfance, précise dans Makolet comme dans le texte Mon père. Celle qui nourrit, depuis toujours, bon nombre d’écritures. « Mon père disait aussi : « Si t’arrêtes pas, je vais te foutre DÉ-HORS ».
Après Makolet chez Jacques Flament, est paru La vie coule, des « récits sentimentaux » sans doute autobiographiques, rejoignant avec talent les auteurs d’auto-fiction. Si le titre trouve son origine dans une sorte de long poème concluant le livre (« Parce que, avec toi, la vie coule »), on songe aussi à la vie qui s’écoule (à défaut d’être toujours cool), c’est-à-dire au fameux tempus fugit, et à Héraclite. Marc Bruimaud est ici à la recherche du temps perdu (le thème de l’enfance affleurant d’ailleurs en permanence dans son texte), mais plus sous l’égide d’Annie Ernaux que de Marcel Proust.
Il est donc question de ses amours, de ses relations – parfois adultères – avec Marie, Dolores, Rosie, Emma, Minnie et quelques autres, avant « plus personne ». Elles sont racontées avec une sorte d’objectivité où les détails ont une importance certaine: marques, lieux, objets… nourrissent précisément le discours amoureux et lui confèrent une poésie faussement prosaïque, d’autant plus que l’écrivain aiment dérouler des listes qui deviennent des sortes de poèmes. Le texte est aussi enrichi – sans jamais peser – de nombreuses références au cinéma et à la littérature, mais aussi à la musique, notamment électronique. Le tout étant situé entre Limoges et Oléron. L’humour (involontaire?) ponctue aussi ces récits, lorsque le narrateur misanthrope devient féroce avec les autres ou lorsque son autodérision fait des ravages. Car, à le lire, une chose est certaine: le sexe « faible » n’est certainement pas celui des femmes, qu’il sait aimer et dont il connaît parfaitement l’intime géographie, tout en sachant se rendre parfaitement énervant, avec ses multiples névroses.
On note la présence de quelques « hasards objectifs » – parfois dissimulés sous l’appellation « anecdotes » – et l’ouvrage s’achève par un chapitre épistolaire lui donnant des allures de Liaisons dangereusescontemporaines. La vie coule, en effet, et le style de Marc Bruimaud aussi, qui donne envie de le lire du début jusqu’à la fin sans interruption, ce qui n’empêche pas de réfléchir avec lui à propos de la carte du tendre dans toute sa complexité, ses difficultés et ses plaisirs sans cesse recommencés.
L’auteur aime les petits livres objets, au graphisme étudié – avec des oeuvres de Pascal Leroux, s’intéresse à des « inutilités » qui ne le sont qu’en apparence, parfois aussi aux sentences de Jean-Claude Van Damme… faisant de l’anecdotique une oeuvre littéraire et poétique. Mais son grand oeuvre est vraisemblablement Le cycle de Catalpa, grande fresque romanesque en sept volumes – en cours de publication chez l’excellent éditeur Black-Out (Cliquer ici) – dont le narrateur désabusé vit entre le littoral amécicano-mexicain et l’île de Catalpa, ce qui n’empêche pas les escapades vers d’autres lieux. Il ne faut pas trop en dire ici pour ne pas déflorer les diverses énigmes – tout autant policières que littéraires – qui ponctuent l’histoire. Juste affirmer combien la lecture est plaisante, avec les stars hollywoodiennes que l’on y croise, plus ou moins sur le retour et en mal d’amour ou de considération, d’argent aussi, les musiciens, écrivains, artistes, sportifs, et même un producteur de séries Z et un critique littéraire plutôt imbu de lui-même. Un monde qui se délite, mystérieux et référencé, à la David Lynch. Et d’incomparables exercices littéraires – oui, oui, encore Queneau, d’une certaine manière. Un univers moite, vénéneux, comme un polar poisseux. Bruimaud fait son cinéma pour des lecteurs-spectateurs consentants. Mais l’intérêt du texte est amplifié par son édition. En effet, Fabrice Garcia-Carpintero fait de chacun des volumes de la saga une véritable oeuvre d’art (les deux magnifiques coffrets de Tijuana et Catalpa), accompagné d’illustrations ou de polaroïds de Pascal Leroux. Le lecteur bibliophile est ainsi pleinement comblé.
(c) Editions Black-out
Vous pouvez me faire confiance: plongez-vous dans les livres de Marc Bruimaud, écrivain de grand talent, fantaisiste et original – à l’écriture prolifique, semble-t-il – : cela fait un bien fou et change de ce que l’on peut lire par ailleurs sous la plume d’autres écrivains installés dans la région.