30 Sep

Les gares de Limoges

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(c) Laurent Bourdelas, 2013

 

 

            Grâce à la mobilisation des élus locaux, la Compagnie ferroviaire privée du Paris-Orléans est chargée de l’exploitation de la ligne reliant Limoges à la capitale. En 1856, le premier service voyageurs est ouvert entre la ville et Argenton-sur-Creuse. Deux ans après, la première gare en dur est achevée, œuvre de Pierre Louis Renaud – deux tours carrées flanquent le bâtiment central en pierre, orné de sculptures. L’emplacement choisi pour la nouvelle infrastructure est celui occupé par la Maison-Dieu (une léproserie) jouxtant un ancien monastère bénédictin. Non loin, l’ancien Champ de mars occupé par le 9e Régiment de Chasseurs, transformé par la suite en champ de foire et lieu d’expositions diverses, se mue en Champ de Juillet (en hommage aux Trois Glorieuses) en octobre 1831. En 1858, le paysagiste Eugène Bühler est chargé de le réaménager complètement afin de permettre la création d’une promenade publique – le quartier évolue encore dans les années qui suivent. De la gare d’Orléans – tel qu’on l’appelle alors – jusqu’à Paris, il faut compter douze heures de trajet. De plus en plus fréquentée, le trafic s’intensifiant, la gare est agrandie en 1891 et divers aménagements réalisés jusqu’au début du XXème siècle.

La décision de création de la ligne Limoges – Angoulême fut décidée en 1845, mais le lancement des études n’eut lieu qu’en 1853. Le premier train arriva en gare des Charentes (dans le faubourg Montjovis) le 26 avril 1875, et la gare fut reliée à la gare des Bénédictins en 1894. La Compagnie des Charentes y avait installé dépôt de locomotives et gare à marchandises.

Dès 1908, le ministre des Travaux Publics, Louis Barthou, juge la gare existante indigne d’une ville comme Limoges et juste après l’armistice de 1918, la ville de Limoges et la Compagnie du Paris-Orléans signent l’accord de construction d’une nouvelle gare, en surélévation au-dessus des voies, faite de béton, d’acier et de calcaire, confiée à l’architecte Roger Gonthier (1884-1978), associé à l’ingénieur-en-chef Jullien. Les travaux, financés par la municipalité, le conseil général et la Compagnie du Paris-Orléans, complétés par le réaménagement du Champ de Juillet, durent de 1924 à 1929 – elle est inaugurée le 2 juillet, après avoir essuyé bien des critiques. Son campanile haut de 57 mètres surplombe la ville (et lui donne l’heure avec ses quatre horloges aux chiffres romains) ; les vitraux de Francis Chigot (1879-1960), décorés de châtaignes, de feuilles de chênes et de glands, la parent et éclairent un hall de près de 4 000 m2 ; la coupole de 26 mètres de haut (surmontée par un magnifique dôme) lui confère un aspect de cathédrale industrielle vouée aux transports modernes ; enfin, diverses statues d’Henri-Frédéric Varenne (1860-1933) y célèbrent les provinces desservies par la Compagnie (Limousin, Bretagne, Touraine et Gascogne), l’émail, la porcelaine, l’agriculture, et le commerce. Si certains virent dans la gare, au moment de son inauguration, avec quelque exagération, un « bloc de saindoux que les charcutiers exposent dans les vitrines à Noël », Limoges-Bénédictins est devenue emblématique de la ville, avec ses cuivres vert-de-grisés et les Limougeauds y sont attachés, à tel point que lors de l’incendie de 1998, beaucoup vinrent sur place. L’auteur de ces lignes – qui a financé ses études en étant contrôleur à la S.N.C.F. – n’est pas loin de penser que c’est une des plus belles gares de France ; il en veut pour preuve que Chanel l’a choisie en 2009 pour servir de décor à la publicité pour son célèbre N° 5, avec la comédienne Audrey Tautou. Auparavant, les jeunes cheminots cégétistes de mai 68 avaient orné le campanile d’un drapeau rouge de 5 x 4 mètres, et l’image était devenue le symbole des événements dans la ville.

19 Sep

Limoges dans la 1ère moitié du XIXème siècle et son ancrage à gauche

C’est toujours le négoce et le commerce de détail qui occupent la première place dans la ville et en fournissent l’essentiel des notables (avec les hommes de Robe, il est vrai), tandis que le bâtiment accompagne le développement urbain.

Jusqu’à la moitié du siècle, l’industrie limougeaude est surtout celle du textile, dont les manufactures sont installées sur les bords de Vienne (notamment autour du pont Saint-Martial ou aux Casseaux) pour bénéficier de la force hydraulique. On tisse aussi beaucoup à domicile, parfois près de seize heures par jour. La production dépasse celles de Nantes et Cholet et s’exporte vers les Antilles. On vend des vêtements de coton et de laine, des couvertures, du calicot et du cachemire. Des teinturiers indépendants ou liés aux entreprises apportent leur contribution. Vingt-cinq fabriques de flanelles et droguets emploient en 1844 près de huit cents hommes, deux cents femmes et cinq cents enfants. La manufacture de chapeaux d’Etienne Jouhaud utilise une machine à vapeur. Mais l’activité, qui emploie des personnels peu qualifiés et peu payés, décline face à la concurrence du Nord, de l’Est et de Normandie. En 1852, mille huit cents ouvriers et artisans travaillent dans le secteur de la chaussure ; plus de cinq cents personnes dans la saboterie. D’autres sont employées par des brasseries, diverses fabriques, et même dans une usine à gaz. Vers la même époque, Limoges abrite près de quatre mille cinq cents ouvriers de la porcelaine, travaillant notamment dans les manufactures de François Alluaud, de la veuve Tharaud, de Michel & Vaslin, de Jean-Baptiste Ruaud et de Jean Pouyat. Le secteur des ateliers de décoration est en pleine expansion. Ainsi l’Américain David Haviland fait-il décorer ses propres modèles, inspirés du goût des Etats-Unis, principaux importateurs, avant de créer une entreprise assurant la totalité des phases de fabrication.

C’est le bois des flottages sur la Vienne (activité remontant au moins au XIIème siècle) qui alimente d’abord les fours : ceux-ci sont arrêtés en amont du pont Saint-Etienne, au Naveix, par un ramier. En 1855, les flottages atteignent 107 000 stères. La rivière est (en dehors de l’hiver et du plein été) encombrée en permanence et de multiples conflits apparaissent entre riverains et marchands de bois. Progressivement, le bois est remplacé dans les fours à porcelaine par le charbon, apporté par le train à partir de 1856. Le flottage du bois décline rapidement et prend définitivement fin en 1897.

Philippe Grandcoing – à qui l’on doit une très fine et essentielle étude de la ville au milieu du siècle : La Baïonnette et le Lancis, Crise urbaine et révolution à Limoges sous la Seconde République – note, à propos de la période : « ville ouvrière, Limoges l’est assurément […] mais ne conviendrait-il pas mieux de parler de ville où prédomine l’élément populaire ? ». Il indique également que la bourgeoisie est dominante mais socialement composite. La ville est en pleine croissance, attirant des migrants de diverses conditions sociales, issus des campagnes et de plus loin encore ; elle dépasse 40 000 habitants au milieu du siècle (55 000 en 1870). Tous les secteurs de Limoges voient d’ailleurs leur population augmenter. L’historien remarque encore que l’existence de quartiers singuliers « n’émerge guère des archives » – à part peut-être celui « des ponts » et de la Boucherie – et qu’un peu partout maisons bourgeoises et immeubles populaires se font face, sans que les deux « catégories sociales », par ailleurs elles-mêmes diverses, se connaissent véritablement.

Néanmoins, la ville change : agrandissement du champ de foire, aménagement du Champ de Juillet et de l’avenue du même nom, ouverture d’un abattoir, construction du Pont-Neuf et de l’avenue le reliant à Limoges, nouvelle route d’Aixe (aujourd’hui Baudin), avenue du Crucifix (Garibaldi) reliant la place Tourny à la route de Paris, avenue de la Gare, théâtre place Royale (de la République), Palais de Justice néo-classique de Vincent-Marie Boullé (1846), halle place de la Motte (1852). En 1806, le cimetière de Louyat est mis en service à l’extérieur de la ville, ce qui permet la fermeture de treize des quinze cimetières urbains. Dans leur très bel et opportun ouvrage Des funérailles de porcelaine, Jean-Marc Ferrer et Philippe Grandcoing ont évoqué la particularité de l’art de la plaque funéraire en porcelaine de Limoges au XIXème siècle – époque où l’on processionne toujours pour la fête des morts ou les obsèques et qui voit l’apogée de la tombe individuelle – : « dans sa richesse et sa diversité, l’art des porcelainiers limougeauds reflète non seulement une attitude collective […] mais aussi le rapport personnel que chacun entretient avec la mort et les disparus. » Le maire François Alluaud (1778-1866), porcelainier et franc-maçon, prend une part active aux modifications urbanistiques.

C’est toujours Philippe Grandcoing qui analyse et montre comment Limoges accueille avec joie la révolution de février 1848, comment aussi la bourgeoisie, notamment l’avocat démocrate socialiste et franc-maçon Théodore Bac, prend les choses en mains. Progressivement un antagonisme social oppose cependant les ouvriers (qui se regroupent notamment dans la Société populaire) à cette bourgeoisie et la ville entière bascule dans l’émeute le 27 avril, au lendemain des premières élections au suffrage universel qui se déroulent sous tensions et confèrent la victoire en dehors de Bac, à des républicains modérés élus par les paysans du département. L’essentiel du peuple qui se révolte et cherche à s’armer est néanmoins encadrée par les leaders socialistes – même si certains éléments populaires plus violents échappent à leur influence, en particulier les Naveteaux armés de leurs gaffes, qui ne sont pas sans rappeler les piques des sans-culottes de 1793 et effraient les bourgeois. Le comité qui se met en place ne l’est que très temporairement puisque le 18 mai, trois mille hommes de troupe entrent dans la ville pour mater la rébellion. La répression judiciaire frappe ensuite les émeutiers, à l’exception notable de Théodore Bac. A partir de ce moment, semble-t-il, et à l’occasion de divers scrutins locaux et nationaux, deux camps s’opposent désormais à Limoges : républicains conservateurs face aux républicains plus avancés ; de plus, la ville s’ancre nettement à gauche, en élisant des représentants démocrates socialistes. C’est parmi les porcelainiers que sont recrutés les principaux cadres du mouvement (milieu où se sont développé l’action syndicale et le mouvement coopératif).

La résistance au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, en décembre 1851, est pourtant quasi nulle à Limoges, même si, durant le Second Empire, la contestation sociale et politique réapparaît régulièrement, jusqu’à 1871 qui voit l’apparition d’une éphémère « commune de Limoges » (au cours de laquelle un officier est tué). Philippe Grandcoing écrit fort justement que « Limoges « ville rouge » n’est pas simplement une construction mentale forgée de l’extérieur […] Il s’agit aussi d’une image intériorisée par une grande partie des habitants […] devenue réalité politique, les amenant à conformer leurs attitudes à cette représentation de leur cité. »

09 Sep

La fin de la Révolution à Limoges

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Napoléon, 1er Consul, par Antoine-Jean Gros (Musée national de la légion d’honneur)

 

Le 26 juin 1794, Jourdan est victorieux à la bataille de Fleurus, entre Charleroi et Namur, contre les coalisés. A l’annonce de celle-ci, Limoges s’enthousiasme. A peine un mois plus tard, c’est la chute de Robespierre qui se répand par le bouche-à-oreille et l’on se presse d’en féliciter les organisateurs. Progressivement, la Terreur prend fin et l’on ouvre les sordides cachots. Le culte reprend (mais la célébration nocturne de Noël reste interdite) et c’est la fin de la Constitution civile du clergé ; au printemps 1795, les réfractaires reviennent et célèbrent le culte à domicile. La vie politique se teinte de monotonie sous le Directoire. Elu au conseil des Anciens, Jean-Baptiste Jourdan fait voter la loi sur la conscription, qui établit le service militaire obligatoire pour tous les célibataires âgés de 20 à 25 ans, puisque « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie. » Mais les appelés renâclent, l’insoumission atteignant en Haute-Vienne près de 50%, les jeunes gens trouvant refuge dans les bois et la gendarmerie étant assez peu zélée pour les retrouver.

Les cours reprennent au collège (« Ecole centrale »), après que l’on ait recruté les professeurs en décembre 1796, ceux-ci ayant fourni « les attestations les plus authentiques de leurs bonnes mœurs et de leur attachement aux sentiments républicains ». Le 21 janvier 1797, on célèbre encore la mort du roi à Saint-Michel-des-Lions, en prononçant divers discours contre la tyrannie et en chantant quelques airs patriotiques. On fête la jeunesse, on fête les époux (malgré le mauvais temps d’avril), les vieux. Les chœurs et les musiciens de la société des spectacles animent les festivités. On apprend en avril la victoire de Napoléon Bonaparte en Italie, qui pousse le Piémont-Sardaigne et l’Autriche à se retirer de la Première Coalition : la municipalité de Limoges fait tirer les canons, la foule crie : « Vive la République ! Vive la Paix ! Vivent les braves Armées ! Vive Bonaparte ! » et l’on défile dans les rues. Place d’Orsay est élevée une pyramide de terre d’une quinzaine de mètres à la gloire de la victoire – l’histoire ne dit pas si l’on a utilisé la terre de la « montagne » précédente. Le 14 juillet, on ajoute des panneaux commémoratifs de la prise de la Bastille. Durant toute cette période révolutionnaire, Limoges semble friande de défilés et fêtes civiques en tous genres – sans doute beaucoup y participent-ils avec conviction, sans doute y éprouve-t-on aussi un peu de la joie à défiler ensemble comme du temps où les processions religieuses et les ostensions étaient autorisées. Ainsi de la cérémonie organisée à Saint-Michel, en septembre 1797, suite à la mort du général Hoche.

La ville est divisée en sept secteurs – le 7ème recoupant l’ancienne Cité, jusqu’au faubourg Saint-Etienne.

Le 9 novembre 1799 – 18 Brumaire –, c’est le coup d’Etat de Bonaparte, la fin du Directoire et le début du Consulat. La nouvelle parvient à Limoges trois jours après. Le 23 novembre, les autorités défilent à travers la ville, précédées de la musique, pour lire le message émanant des consuls. Le peuple crie : « Vive la République ! » Peu après, un directeur des contributions directes est installé dans le département, chargé d’organiser les finances publiques – la municipalité, quant à elle, est autorisée à créer un octroi. Seules demeurent les fêtes nationales commémorant les 14 juillet et 22 septembre. Les biens de la Société populaire sont mis en vente. Le 18 mars 1800, le premier préfet de la Haute-Vienne, Pougeard-Dulimbert, prend ses fonctions : « Le Premier Consul le veut, je viens prendre le poste où sa confiance m’appelle (…) Je viens éteindre ce qui pourrait rester d’ancienne haine et de souvenirs douloureux. Je viens réparer tout ce qui est encore réparable (…) C’est dans cette ferme résolution que j’entre dans la carrière (…) que Turgot a semée de si grands souvenirs. » Beaucoup de ceux qui ont survécu à la période révolutionnaire assistent à la cérémonie.

02 Sep

La fête de l’Être suprême à Limoges

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Dès le lever du soleil, dans la fraîcheur très matinale, les tambours et la musique parcourent Limoges dont les maisons sont décorées de banderoles tricolores, couvertes de branches et de guirlandes pour rappeler « les idées simples de la nature ». Les différentes « sections » – Egalité, Liberté, Union – se regroupent place de la Fraternité (actuelle Jourdan). Leurs doyens d’âge ouvrent la marche, le front ceint de palmes, accompagnés par de jeunes garçons portant une branche de chêne et des jeunes filles tenant des corbeilles de fleurs. D’autres enfants les accompagnent, ainsi que les adultes interprétant hymnes et chants guerriers. Sur la place arrivent également de jeunes canonniers, les membres de la Société populaire, des vétérans armés de piques. Des statues figurent les ennemis de la félicité publique : l’athéisme (défendu par les Hébertistes), l’ambition, l’égoïsme, la discorde et la fausse simplicité, qualifiés de « seul espoir de l’étranger ». Deroche, le maire, prononce un discours à la gloire de l’Être suprême, puis met le feu aux effigies, tandis que l’on crie : « Vive la République ! » Le cortège se reforme, passe sous l’arc de la place Tourny, rebaptisé « de la Fraternité » et la musique et les chants reprennent de plus belle ; on se dirige vers la place de la Motte, on redescend par la rue du Clocher, la place Saint-Martial, on repart vers la rue du Consulat, la Boucherie, et l’on prend la direction de l’ancien évêché, puis on revient vers la ville, on emprunte la promenade de la Révolution (boulevard Gambetta aujourd’hui), pour arriver place de la Montagne où s’élève une motte de terre couverte de gazon, « majestueux autel de l’Être suprême », au pied de laquelle est écrit, sur des panneaux : « Son temple est l’univers ». Le maire s’avance vers la montagne et proclame : « Dieu de la nature, entends nos voix, reçois nos vœux, liberté, égalité, fraternité parmi nous et parmi nos frères de toutes les nations ! » La foule répète trois fois, les garçons agitent leurs branches de chêne et les filles lancent leurs fleurs. Un roulement de tambour annonce la fin de la cérémonie.

C’est sur cette même place qu’est célébré l’anniversaire du 14 juillet.