Je vous propose aujourd’hui un petit parcours à travers le centre-ville de Limoges, mais pas n’importe lequel ! Nous allons mettre nos pas dans ceux des habitants qui décidèrent, à la suite de Robespierre, de célébrer l’Etre Suprême. Si vous le voulez bien, nous allons d’abord nous rendre place Jourdan, qui porte elle-même le nom du célèbre soldat de la Révolution. Et nous allons imaginer qu’une machine à remonter le temps nous ramène en 1794. Je ne sais pas trop à quoi peut bien ressembler une telle machine, mais on peut toujours essayer. Voilà, ça y est, nous sommes le 20 Prairial – c’est-à-dire le 8 juin de cette année-là.
Dès le lever du soleil, dans la fraîcheur très matinale, les tambours et la musique parcourent Limoges dont les maisons sont décorées de banderoles tricolores, couvertes de branches et de guirlandes pour rappeler « les idées simples de la nature ». Les différentes «sections » – Egalité, Liberté, Union – se regroupent place de la Fraternité (actuelle place Jourdan). Leurs doyens d’âge ouvrent la marche, le front ceint de palmes, accompagné par de jeunes garçons portant une branche de chêne et des jeunes filles tenant des corbeilles de fleurs. D’autres enfants les accompagnent, ainsi que les adultes interprétant hymnes et chants guerriers. Sur la place arrivent également de jeunes canonniers, les membres de la Société populaire, des vétérans armés de piques. Des statues figurent les ennemis de la félicité publique : l’athéisme (défendu par les Hébertistes), l’ambition, l’égoïsme, la discorde et la fausse simplicité, qualifiés de « seul espoir de l’étranger ». Deroche, le maire, prononce un discours à la gloire de l’Être suprême, puis met le feu aux effigies, tandis que l’on crie : « Vive la République ! »
Le cortège se reforme, passe sous l’arc de la place Tourny, rebaptisée « de la Fraternité» et la musique et les chants reprennent de plus belle ; on se dirige vers la place de la Motte, on redescend par la rue du Clocher, la place Saint-Martial, on repart vers la rue du Consulat, la Boucherie, et l’on prend la direction de l’ancien évêché, puis on revient vers la ville, on emprunte la promenade de la Révolution (boulevard Gambetta aujourd’hui), pour arriver place de la Montagne, le jardin d’Orsay, où s’élève une motte de terre couverte de gazon, «majestueux autel de l’Être suprême », au pied de laquelle est écrit, sur des panneaux : «Son temple est l’univers ». Le maire s’avance vers la montagne et proclame : « Dieu de la nature, entends nos voix, reçois nos vœux, liberté, égalité, fraternité parmi nous et parmi nos frères de toutes les nations ! » La foule répète trois fois, les garçons agitent leurs branches de chêne et les filles lancent leurs fleurs. Un roulement de tambour annonce la fin de la cérémonie.
Vous voyez que les machines à remonter le temps ont du bon ! Lorsque vous passerez place Jourdan, vous vous souviendrez peut-être de ces Limougeauds tout heureux de défiler pour les valeurs d’une idée alors neuve : la République.