21 Mar

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (15): l’Occupation

De l’armistice du 22 juin 1940 jusqu’au 11 novembre 1942, le Limousin est en zone non occupée mais soumis au gouvernement de Philippe Pétain ; il est ensuite envahi comme le reste de la France.

En décembre 1940, l’écrivain Henri de Montherlant – déjà auteur des pièces L’Exil (1914-1929) et Pasiphaé (1936) est de passage à Limoges pour une conférence ; il en profite pour affirmer combien il est acquis au gouvernement de Vichy1.

La lecture de la revue pétainiste Notre Province2, où écrit la « fine fleur » de la littérature régionale, permet de se faire une idée de quelques activités théâtrales. Ainsi des conférences données par les « Soirées limousines », souvent à la salle Berlioz, comme celle de Paul Hazard, académicien, historien et essayiste, à propos de Giraudoux (1942) ou de l’écrivain René Benjamin, Prix Goncourt 1915, grand conférencier, intitulée : « Deux lions du théâtre André Antoine et Jacques Copeau » (1943). Claude Farrère prononce au Cercle Bugeaud une allocution sur l’héroïsme en littérature où il est question de Corneille, Racine et Musset (1943).

La revue indique qu’à l’occasion du rassemblement à Limoges, au début de l’été 1942, de 7 000 jocistes – membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne –, qui traversent la ville en cortège, fanfare du cercle Saint-Pierre en tête, après la messe et devant les autorités civiles et religieuses, une pièce est jouée et dansée au grand stade devant « d’innombrables spectateurs ». Pour que la jeunesse ne passe pas, de Jean Lorraine, est empreinte de régionalisme, avec un hommage à la Vienne et au Limousin.

Le 7 février 1941, Le Populaire du Centre devient L’Appel du Centre, à conotation pétainiste. Le parcourir permet de constater que les représentations théâtrales se poursuivent, notamment à Limoges. Ainsi, en 1941, le Cirque-Théâtre municipal accueille-t-il par exemple Le Cid de Corneille, Ces dames au chapeau vert d’après le roman de Germaine Acremant, publié en 1921, déjà adapté deux fois au cinéma, Le bourgeois gentilhomme de Molière, la tournée du Théâtre des deux ânes, avec Pierre Dac, Mady Berry et d’autres, ou Georges Dandin de Molière interprété par les Jeunes comédiens de Paris et Jean Témerson, acteur de théâtre et de cinéma très populaire depuis 1936, bientôt déchu de sa nationalité car juif. Ces comédiens jouent également Un jeune homme pressé, vaudeville de Labiche, et Les Boulingrin, de Courteline. Le gala Pierre Blanchar propose Pêcheur d’ombres de Jean Sarment ainsi qu’une soirée poésie. En avril 1941, le Topaze de Pagnol est programmé, avec Félix Oudart, Yolande Laffon et Arnaudy, tous trois habitués du grand écran. A l’automne, les Limougeauds peuvent applaudir Gabrielle Robine et Robert Vidalin, de la Comédie-Française, dans Aimer de Paul Géraldy et Un caprice de Musset, à la salle Berlioz, ou le comique Rellys au Cirque-Théâtre dans Qué coup de mistral ! A Noël 1941, Roger Monteaux, de la Comédie-Française, est dans Primerose, sansdoute la comédie de Gaston Arman De Caillavet et ‎Robert De Flers. Cette année 41, Robert Margerit, qui écrit beaucoup dans L’Appel du Centre, rend hommage à Jules Claretie à l’occasion de son centenaire et à l’ancienne chambre de commerce, 7 rue du Général Cérez à Limoges, Paul de Stoecklin propose une conférence à propos du « Théâtre, d’Alexandre Dumas père à Edmond Rostand. »

L’année suivante, les représentations se poursuivent. Le Cirque-Théâtre accueille Charlotte Corday, comédie en trois actes de Pierre Drieu La Rochelle, par le Théâtre des Quatre Saisons. A l’époque, l’auteur est incontestablement à la mode chez les collaborateurs : il a effectué le voyage à Berlin, est ami d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne et dirige la NRF. On peut encore voir Tovaritch de Jacques Deval, d’après son film sorti en 1935, avec Suzy Primet Fernand Fabre – il y est question d’argent, de russes blancs et de l’URSS, un spectacle « comique et satirique » selon le journal. A la salle Berlioz, Saint-Granier et René Sarvil,du Théâtre de 10 heures, proposent Humour de France, une revue de l’actualité – du moins ce que l’on peut en dire !

En 1943, au Cirque-Théâtre, Henri Deltour, du Théâtre de la Porte Saint-Martin, est dans Britannicus de Racine et Denis d’Inès, de la Comédie-Française, qui a commencé en 1905 au Théâtre Antoine, est annoncé dans L’Avare de Molière qu’ila joué à Chaillot. Le célèbre (certains écrivent : « omniprésent »3) comique troupier Bach vient à plusieurs reprises, par exemple dans Le crime du Bouif, d’André Mouëzy-Éon et Georges de La Fouchardière. Dans L’Appel du Centre, le 21 septembre 1943, un certain Roger L. écrit : « Véritable débauche de théâtre celle fin de mois: tournées Rasimi, Baret et gala M. Lamy. Et rien que des spectacles gais. Foin de la mélancolie, neurasthénie, et hypocondrie. Toutes les variétés de ronds de cuir, en trois actes, samedi et dimanche, au Cirque-Théâtre. Courteline joué par les tournées Rasimi, c’est Messieurs les Ronds­de­Cuir. La province — Limougeauds, il s’agit de nous — va avoir la primeur d’une comédie excessivement spirituelle (c’est le programme qui parle). Marcel Lamy et Georges Grey viennent samedi et dimanche créer au Théâtre Berlioz Tierce à Cœur, dont l’auteur est Marc­Gilbert Sauvajon, qui écrivit l’Amant de Paille. Pour mercredi 29 enfin, toujours au Théâtre Berlioz, les tournées Baret offrent La Souris, de Pailleron. La saison commence. Cette avalanche d’œuvres gaies me fait penser à des choses tristes. Tout cela sent trop l’automne, la rentrée, les jours qui s’écourtent. » Il est certain que fin 43, à Limoges, on peut « penser à des choses tristes »… A la fin de l’année, Nadia Dauty est à l’affiche de Madame sans gêne de Victorien Sardou et Emile Moreau. Le Théâtre Berlioz propose Un ange passe de Pierre Brasseur avec Pierre Feuillère et Nena Vido, Attends-moi, « comédie excessivement gaie » avec Madeleine Robinson (galas Marcel Lamy), tandis que le Théâtre des enfants de Paris livre au Cirque-Théâtre Le petit chaperon rouge sauvé par 3 petits cochons. Il est question, le 31 décembre, du couvre-feu (généralisé par la Wehrmacht dans les territoires occupés) qui nécessite le début des représentations à 20h 30 précises.

Le théâtre continue à Limoges début 44, avec, au Cirque-Théâtre en février, Le Misanthrope de Molière par la Compagnie du Regain, « troupe exceptionnelle » qui a déjà joué On ne badine pas avec l’amour de Musset. En mars, c’est Cinna de Corneille. La compagnie, a été fondée en 1941 par Christian Casadesus, comédien, dans le but de présenter des spectacles artistiques en province, patronnée par le Ministère de l’Education nationale, elle présente six spectacles par an.

En Corrèze, c’est la revue Corrèze, émanant de la Commission départementale d’action et de propagande régionalistes, avec sa couverture conçue par Jean Margerit et ayant pour secrétaire générale Marcelle Prat-de Jouvenel (l’épouse de Bertrand de Jouvenel), qui porte la « bonne parole » maréchaliste. Sur plusieurs numéros, on peut y lire Le mystère de Saint-Etienne d’Obazine, pièce d’Eusèbe Bombal publiée en français et en occitan. Elle présente une initiative à Bort-les-Orgues, où Marcel Delpeuch, âgé de 19 ans, est à l’origine de la création de la maison des jeunes – la première fondée sous l’Occupation. Il s’agit de « redresser l’esprit français ». Parmi d’autres activités, y compris sportives, le théâtre a sa place ; ainsi, le Dr Lavialle fait répéter des pièces – « le théâtre moderne en particulier est fort en honneur »4.

En Corrèze, il y a aussi des maquisards. En 1942, Dante Sauveur Gatti, âgé de dix-huit ans, fils d’un anarchiste italien, les rejoints. C’est à cette époque qu’il lit Henri Michaud, Antonio Gramsci, Tchouang-Tseu, Niels Böhr. En 1943, il est arrêté à Tarnac et condamné à mort. Gracié en raison de son jeune âge, il est emprisonné à Tulle, puis envoyé à Bordeaux où il est travailleur forcé à la construction de la base sous-marine. Transféré sur le littoral de la Baltique, il s’en évade et revient en Limousin où il combat avec Georges Guingouin. Il sera par lasuite journaliste, poète, écrivain, dramaturge, metteur en scène, scénariste et réalisateur5.

En avril 1944 a lieu à Bellac, devant la foule, un grand hommage à Jean Giraudoux, disparu le le 31 janvier de la même année. Le dramaturge, devenu directeur littéraire chez Gaumont, avait écrit L’Apollon de Bellac, Sodome et Gomorrhe et La Folle de Chaillot durant l’Occupation. Philippe Henriot, de triste mémoire, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement Laval, est représenté par M.Falleur, son délégué régional. L. Alfonsi, délégué départemental, futur directeur de la propagande de la Milice Française, est également présent. Il évoque « Giraudoux, le charmeur limousin ». Franck Delage, qui collabore à Notre Province, professeur agrégé de lettres, responsable de la bibliothèque municipale et président de la Société archéologique et historique du Limousin, prononce un discours à l’Hôtel de Ville. Le metteur en scèneJean Dorsannes propose la lecture d’extraits d’Ondine, avec un décor du peintre Aimé Vallat. L’écrivain Charles Silvestre est également présent. Notre Province publie des témoignages de Jean Cocteau (avec un dessin de Giraudoux sur son lit de mort), Marcel Jouahandeau, Charles Silvestre, Jeanne Labesse, L. Alfonsi, Marcel-Pierre Rollin, romancier, journaliste et critique littéraire et Raymond Millet, réalisateur, écrivain et journaliste.

Remarquons aussi que si, en zone occupée, l’ordonnance du 8 juillet 1942 interdit aux Juifs – déjà obligés de porter l’étoile jaune – l’accès à la plupart des établissements publics, comme les théâtres, des enfants sont accueillis dans les maisons de l’OSE – l’Œuvre de secours aux enfants – y compris en Limousin (environ 300 enfants de zéro à seize ans en Haute-Vienne). Dans la pédagogie adaptée qui y est mise en œuvre, inspirée par le pédagogue autrichien Ernst Papanek, des conférences et des discussions sont notamment organisées, ainsi que des représentations théâtrales dont les jeunes sont eux-mêmes les acteurs6.

L’évolution de la guerre en Limousin, région durement frappée, fait que les théâtres s’arrêtent au printemps 1944. A Limoges, libérée le 21 août, il faut attendre novembre pour aller applaudir au Cirque-Théâtre Galilea, une légende tragique en quatre actes de Renaud de Jouvenel, proche du Parti Communiste Français. Le Populaire du Centre qui reparaît annonce « Pierre Brasseur et sa troupe FFI. » Selon le site de l’ANACR d’Objat, « le Front National, groupe de Résistants français communistes, fondé en mai 1941, était le maître d’oeuvre de cette pièce. Nous ne savons pas quand elle a été jouée ni où ont eu lieu ces représentations si ce n’est que c’est dans la région de Brive au vu la liste des commerçants et industriels qui ont aidé à financer. » Galilea (Gilberte Rodrigue) est la métaphore de la France d’abord soumise à un dictateur, Kranar (Philippe Ancellin) puis libérée par la résistance des habitants. Brasseur interprète un fou, « la voix irréelle de la vérité ».

 

1 J.L. Garet, « Montherlant sous l’occupation », in: Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°31, juillet-septembre 1991. pp. 65-74.
2 Conservée au Pôle patrimoine de la Bfm de Limoges.
3 Philippe d’Hugues, « Ce haïssable théâtre filmé », 1895, revue d’histoire du cinéma, n°15, 1993. pp. 55-64.
4 Corrèze, avril-mai 1942, n°4, p. 151.
5 Dictionnaire biographique Le Maitron, en ligne.
6 S. Zeitoun, « Accueil des enfants juifs étrangers en France et leur sort sous l’Occupation », in : Accueil et formation des enfants étrangers en France de la fin du XIXe siècle au début de la Deuxième Guerre mondiale

Actes de la journée d’étude organisée par la SIHFLES à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte Dorée, Paris le 7 mai 2010, p.123-144.

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (14): Le futur mime Marceau de passage à Limoges

Marcel Mangel est né en 1923 à Strasbourg. Sa famille, d’origine juive polonaise, est évacuée comme le reste de la population strasbourgeoise au début de la Seconde Guerre mondiale. Elle part pour Périgueux, et Marcel poursuit ses études au lycée Gay-Lussac de Limoges. Le proviseur, Joseph Storck, est un Juste parmi les Nations, qui protège les élèves juifs. Marcel entreprend par la suite des études à l’Ecole des Arts Décoratifs où il obtient le prix du legs Masson en céramique, le premier prix d’émail, de portrait. Dans le même temps, il suit également des cours de déclamation au Conservatoire d’art dramatique de Limoges, avec, comme professeur de diction, Jean Dorsannes, un ancien comédien du Théâtre du Gymnase à Paris. Il entre dans la Résistance, où son frère Simon (le lieutenant Alain) joue un rôle important : « Une partie de mon travail consistait à faire traverser la frontière à de jeunes enfants juifs. Nous étions déguisés en boys scouts. A la moindre erreur, nous pouvions être pris. On ne pensait pas à cela. On était préparé à vivre, et non à être torturé. Grâce à mes dons en dessin, je contrefaisais des cartes d’alimentation avec un crayon correcteur pour les Français qui devaient être envoyés au Service de travail obligatoire en Allemagne : on changeait les dates pour Ie Service de travail obligatoire que les Allemands avaient décrété. Et, avec un des crayons de couleur de pastel rose, on imitait la couleur naturelle de la carte d’alimentation. On fabriquait également des fausses cartes d’identité (…) Je me souvenais d’une phrase de Victor Hugo parlant des généraux des campagnes napoléoniennes d’Italie : « Hoche sur l’Adige, Marceau sur le Rhin. » Comme j’étais né dans le Bas-Rhin, j’ai décidé de m’appeler Marcel Marceau.»1 En danger à Limoges, son père étant déporté et tué à Auschwitz, Marcel part pour Paris et devient moniteur d’art dramatique dans une maison d’enfants à Sèvres. Il intègre le cours Charles Dullin et devient le disciple, après Jean-Louis Barrault, d’Etienne Decroux, maître de mime.

 

 

 

 

1 Le Mime Marcel Marceau, entretien et regards avec Valérie Bochenek, Editions Somogy, 1996.

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (13): Robert Margerit analyse le théâtre des années 30

La saison théâtrale du début des années 30 vue par Robert Margerit (1)

Joseph Cazautets (c) P. Colmar

 

La crise théâtrale n’est pas seulement une répercussion de la crise économique que nous subissons actuellement; elle procède surtout de motifs autonomes. Dès que l’on parle de théâtre, il faut faire la distinction entre le théâtre à Paris et le théâtre en province. Les causes de la crise, à Paris, ne sont pas les mêmes que celles de la crise en province.

En province, et particulièrement à Limoges, le théâtre est avant tout lyrique, — le théâtre proprement dit n’étant guère représenté que par les tournées Baret, — et le théâtre lyrique attire toujours du monde, car le cinéma ne s’est pas encore emparé de ce domaine (à part quelques très rares films comme « Le Vagabond Roi »). Il se peut cependant que le public se lasse de certaines pièces trop souvent données, et je crois que le meilleur moyen de remédier à l’indifférence des spectateurs dans certains cas, comme pour Madame Butterfly par exemple, serait de renouveler le répertoire, non pas tant par des créations qu’en variant le choix des pièces.

Si le public boude parfois le théâtre, c’est qu’actuellement, avant de dépenser la somme assez importante que représentent une ou plusieurs places dans un établissement comme notre cirque, il est juste d’hésiter. Au lieu d’aller entendre vingt pièces dans la saison, beaucoup aiment mieux n’en entendre que dix, et les choisir de qualité, soit par les artistes auxquels on a fait appel, soit par leur rareté au répertoire. Madame Butterfly ne fait pas recette mais Le Trouvère attirera du monde. Pourquoi ? Parce que la première est souvent donnée, et la seconde rarement.

Par ailleurs, la crise théâtrale tient à la crise économique. L’argent devient difficile à gagner, on le dépense moins facilement ; et à cela nul remède tant que les plaies dont nous souffrons ne seront pas guéries… mais ceci est une autre histoire.

Au cours de cette saison, M. Cazautets, en directeur averti, a fait tout ce qui était humainement possible pour donner au public limousin des nouveautés susceptibles de l’intéresser, et il y a souvent réussi. Rappelons le succès des grandes soirées de gala avec M. Pedro La Fuente. En ce moment le succès ne semble plus répondre aussi sûrement à ses efforts. Mais c’est un fait que j’observe à peu près tous les ans depuis pas mal de temps. Vers le mois dé janvier, la salle du cirque semble délaissée de ses habitués. L’opérette ne jouit plus de la faveur première. Que faire ? Mais tout simplement, je crois, appel à un autre public : celui du théâtre proprement dit, celui des tournées Baret ; monter quelques pièces en vogue aux titres connus, avec de bonnes troupes qui seraient heureuses de venir de Paris, si j’en crois ce que me disait dernièrement une personnalité du théâtre parisien. Il est vraisemblable que bien des Limousins seraient satisfaits de voir à Limoges ce qu’ils n’ont pas toujours le loisir d’aller voir dans la capitale. Il me semble que l’on pourrait faire dans cette voie quelques essais.

La Vie limousine, 25 janvier 1933.

1 Journaliste et écrivain (1910-1988), Prix Renaudot pour Le Dieu nu (1951) et Grand prix du roman de l’Académie française pour La Révolution (1963-1968).

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (12): la radio

Gaston Charlet (c) Sénat

Media en plein développement dans les années 1930, la radio se voit investie par les gens de théâtre. C’est au début de 1926, grâce à l’alliance entre un afficheur publicitaire, M. Canet et un radio électricien, M. Lamoureux, qu’un premier poste émetteur T.S.F., « Radio Limoges », s’installe boulevard Montmailler, puis dans un grenier de la caserne Beaublanc avant de gagner le 2 de la rue Saint-Paul1. Les studios prenant place rue du Consulat, puis rue Adrien-Dubouché, boulevard Victor Hugo et enfin rue des Anglais. Au départ, on utilise un phonographe manuel pour la musique. La radio est gérée par une association qui compte 40 adhérents en 1927 et 3 000 en 1933 ! Son président est d’abord Georges Avryl (Gaston Charlet2), auteur de romans et de pièces radiophoniques, directeur de la Compagnie théâtrale L’Avant-Scène, qui devient la troupe régulière pour les émissions de théâtre radiophonique très prisées ; Georges Lagueny dirige le bulletin hebdomadaire des programmes Limoges-Radio ; le chef de station était Joly et le speaker, Jarraud. Parmi les intervenants : Lucien Dumazaud qui réalise des chroniques folkloriques. Dès 1927, la radio devient d’Etat et prend le nom de Radio Limoges P.T.T.

En 1939, Jean Dorsannes, directeur théâtral de la station, est aussi professeur de diction et de déclamation à l’Ecole Nationale de Musique de Limoges3, après avoir été comédien du Théâtre du Gymnase à Paris, et interprété de grands rôles derrière le micro – comme Hamlet – depuis 1933. Durant la guerre, il reste à la radio, devenue « Limoges-National », qui ne propose aux auditeurs qu’un décrochage régional hebdomadaire de 25 minutes.

1 L.Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.
2 1902-1976. Avocat, membre de la SFIO, conseiller général socialiste du canton nord de Limoges en 1934-1940 et, en 1935, conseiller municipal et adjoint au maire socialiste Léon Betoulle. Résistant pendant la Seconde guerre mondiale, déporté, il fut député puis sénateur.
3 Où il eut plus tard le futur mime Marceau ou Michel Bruzat comme élève.

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (11): Régionalisme

Le théâtre s’est aussi épanoui, dans l’entre-deux-guerres, dans le milieu régionaliste. Samuel Gibiat l’a souligné, « le félibrige a constitué, pendant plusieurs années, un vecteur privilégié de cette lutte exemplaire pour une reconnaissance de l’identité culturelle régionale. »1 Les écoles félibréennes (parfois rivales) se développent notamment en Haute-Vienne et en Corrèze – l’école de Brive dès 1893 –, relayées à Paris par les associations d’originaires de la région.

Ainsi, le 15 août 1929, à l’occasion de la Fête de l’Eglantine, qui a lieu à Saint-Germain-les-Belles dans le sud de la Haute-Vienne, après d’autres communes les années précédentes, reprend-on la pièce de René Farnier qui connut précédemment le succès à Limoges lors de la Pentecôte 1928 : Lou gru que lèvo, un plaidoyer en faveur du retour à la terre qui enthousiasme près de 3 000 spectateurs2. C’est l’Eicola dau Barbichet, le plus ancien groupe folklorique limousin, qui l’interprète. Fondé à Limoges le 23 mars 19233 par trois fervents régionalistes : René Farnier, Jean Rebier et Albert Pestour, ce groupe d’art et de traditions populaires du Limousin, s’est attaché à défendre et à exalter la langue limousine par une troupe de théâtre populaire, jouant un répertoire en langue d’oc4. Pendant de très nombreuses années, l’Eicola dau Barbichet a été une troupe de théâtre itinérante qui a fait entendre la langue limousine à travers les textes écrits notamment par les fondateurs. Le groupe a également fait partie des fondateurs de la Confédération nationale des groupes folkloriques français et de la Fédération Limousin-Marche. Puis, la danse, les chants et la musique sont venus compléter la troupe de théâtre.

Le 25 décembre 1933, c’est au tour de l’Eglantino do Lemouzi – autre groupe traditionnel fondé cette année-même – d’annoncer une grande soirée régionaliste à Limoges. L’Eglantine du Limousin aime promouvoir la musique traditionnelle, mais aussi les gnorles, de l’occitan nhòrla –, blague ou histoire drôle souvent pleine d’esprit, parfois crue, se moquant des petits travers de chacun, en prose ou en vers.

 

1 « Le félibrige et l’identité limousine », Le Limousin, pays et identités, sous la direction de J.Tricard, P. Grandcoing et R.Chanaud, Pulim, 2006, p.239.
2 La Vie limousine du 25 septembre 1929.
3 La Sainte-Estelle, fête majeure de tous les félibres, qui s’est tenue à la Pentecôte en 1923 au Puy, a vu l’école s’affilier au Félibrige sous la présidence du Capoulié de l’époque, Marius Jouveau.
4 https://eicoladaubarbichet.jimdofree.com/