De l’armistice du 22 juin 1940 jusqu’au 11 novembre 1942, le Limousin est en zone non occupée mais soumis au gouvernement de Philippe Pétain ; il est ensuite envahi comme le reste de la France.
En décembre 1940, l’écrivain Henri de Montherlant – déjà auteur des pièces L’Exil (1914-1929) et Pasiphaé (1936) est de passage à Limoges pour une conférence ; il en profite pour affirmer combien il est acquis au gouvernement de Vichy1.
La lecture de la revue pétainiste Notre Province2, où écrit la « fine fleur » de la littérature régionale, permet de se faire une idée de quelques activités théâtrales. Ainsi des conférences données par les « Soirées limousines », souvent à la salle Berlioz, comme celle de Paul Hazard, académicien, historien et essayiste, à propos de Giraudoux (1942) ou de l’écrivain René Benjamin, Prix Goncourt 1915, grand conférencier, intitulée : « Deux lions du théâtre André Antoine et Jacques Copeau » (1943). Claude Farrère prononce au Cercle Bugeaud une allocution sur l’héroïsme en littérature où il est question de Corneille, Racine et Musset (1943).
La revue indique qu’à l’occasion du rassemblement à Limoges, au début de l’été 1942, de 7 000 jocistes – membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne –, qui traversent la ville en cortège, fanfare du cercle Saint-Pierre en tête, après la messe et devant les autorités civiles et religieuses, une pièce est jouée et dansée au grand stade devant « d’innombrables spectateurs ». Pour que la jeunesse ne passe pas, de Jean Lorraine, est empreinte de régionalisme, avec un hommage à la Vienne et au Limousin.
Le 7 février 1941, Le Populaire du Centre devient L’Appel du Centre, à conotation pétainiste. Le parcourir permet de constater que les représentations théâtrales se poursuivent, notamment à Limoges. Ainsi, en 1941, le Cirque-Théâtre municipal accueille-t-il par exemple Le Cid de Corneille, Ces dames au chapeau vert d’après le roman de Germaine Acremant, publié en 1921, déjà adapté deux fois au cinéma, Le bourgeois gentilhomme de Molière, la tournée du Théâtre des deux ânes, avec Pierre Dac, Mady Berry et d’autres, ou Georges Dandin de Molière interprété par les Jeunes comédiens de Paris et Jean Témerson, acteur de théâtre et de cinéma très populaire depuis 1936, bientôt déchu de sa nationalité car juif. Ces comédiens jouent également Un jeune homme pressé, vaudeville de Labiche, et Les Boulingrin, de Courteline. Le gala Pierre Blanchar propose Pêcheur d’ombres de Jean Sarment ainsi qu’une soirée poésie. En avril 1941, le Topaze de Pagnol est programmé, avec Félix Oudart, Yolande Laffon et Arnaudy, tous trois habitués du grand écran. A l’automne, les Limougeauds peuvent applaudir Gabrielle Robine et Robert Vidalin, de la Comédie-Française, dans Aimer de Paul Géraldy et Un caprice de Musset, à la salle Berlioz, ou le comique Rellys au Cirque-Théâtre dans Qué coup de mistral ! A Noël 1941, Roger Monteaux, de la Comédie-Française, est dans Primerose, sansdoute la comédie de Gaston Arman De Caillavet et Robert De Flers. Cette année 41, Robert Margerit, qui écrit beaucoup dans L’Appel du Centre, rend hommage à Jules Claretie à l’occasion de son centenaire et à l’ancienne chambre de commerce, 7 rue du Général Cérez à Limoges, Paul de Stoecklin propose une conférence à propos du « Théâtre, d’Alexandre Dumas père à Edmond Rostand. »
L’année suivante, les représentations se poursuivent. Le Cirque-Théâtre accueille Charlotte Corday, comédie en trois actes de Pierre Drieu La Rochelle, par le Théâtre des Quatre Saisons. A l’époque, l’auteur est incontestablement à la mode chez les collaborateurs : il a effectué le voyage à Berlin, est ami d’Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne et dirige la NRF. On peut encore voir Tovaritch de Jacques Deval, d’après son film sorti en 1935, avec Suzy Primet Fernand Fabre – il y est question d’argent, de russes blancs et de l’URSS, un spectacle « comique et satirique » selon le journal. A la salle Berlioz, Saint-Granier et René Sarvil,du Théâtre de 10 heures, proposent Humour de France, une revue de l’actualité – du moins ce que l’on peut en dire !
En 1943, au Cirque-Théâtre, Henri Deltour, du Théâtre de la Porte Saint-Martin, est dans Britannicus de Racine et Denis d’Inès, de la Comédie-Française, qui a commencé en 1905 au Théâtre Antoine, est annoncé dans L’Avare de Molière qu’ila joué à Chaillot. Le célèbre (certains écrivent : « omniprésent »3) comique troupier Bach vient à plusieurs reprises, par exemple dans Le crime du Bouif, d’André Mouëzy-Éon et Georges de La Fouchardière. Dans L’Appel du Centre, le 21 septembre 1943, un certain Roger L. écrit : « Véritable débauche de théâtre celle fin de mois: tournées Rasimi, Baret et gala M. Lamy. Et rien que des spectacles gais. Foin de la mélancolie, neurasthénie, et hypocondrie. Toutes les variétés de ronds de cuir, en trois actes, samedi et dimanche, au Cirque-Théâtre. Courteline joué par les tournées Rasimi, c’est Messieurs les RondsdeCuir. La province — Limougeauds, il s’agit de nous — va avoir la primeur d’une comédie excessivement spirituelle (c’est le programme qui parle). Marcel Lamy et Georges Grey viennent samedi et dimanche créer au Théâtre Berlioz Tierce à Cœur, dont l’auteur est MarcGilbert Sauvajon, qui écrivit l’Amant de Paille. Pour mercredi 29 enfin, toujours au Théâtre Berlioz, les tournées Baret offrent La Souris, de Pailleron. La saison commence. Cette avalanche d’œuvres gaies me fait penser à des choses tristes. Tout cela sent trop l’automne, la rentrée, les jours qui s’écourtent. » Il est certain que fin 43, à Limoges, on peut « penser à des choses tristes »… A la fin de l’année, Nadia Dauty est à l’affiche de Madame sans gêne de Victorien Sardou et Emile Moreau. Le Théâtre Berlioz propose Un ange passe de Pierre Brasseur avec Pierre Feuillère et Nena Vido, Attends-moi, « comédie excessivement gaie » avec Madeleine Robinson (galas Marcel Lamy), tandis que le Théâtre des enfants de Paris livre au Cirque-Théâtre Le petit chaperon rouge sauvé par 3 petits cochons. Il est question, le 31 décembre, du couvre-feu (généralisé par la Wehrmacht dans les territoires occupés) qui nécessite le début des représentations à 20h 30 précises.
Le théâtre continue à Limoges début 44, avec, au Cirque-Théâtre en février, Le Misanthrope de Molière par la Compagnie du Regain, « troupe exceptionnelle » qui a déjà joué On ne badine pas avec l’amour de Musset. En mars, c’est Cinna de Corneille. La compagnie, a été fondée en 1941 par Christian Casadesus, comédien, dans le but de présenter des spectacles artistiques en province, patronnée par le Ministère de l’Education nationale, elle présente six spectacles par an.
En Corrèze, c’est la revue Corrèze, émanant de la Commission départementale d’action et de propagande régionalistes, avec sa couverture conçue par Jean Margerit et ayant pour secrétaire générale Marcelle Prat-de Jouvenel (l’épouse de Bertrand de Jouvenel), qui porte la « bonne parole » maréchaliste. Sur plusieurs numéros, on peut y lire Le mystère de Saint-Etienne d’Obazine, pièce d’Eusèbe Bombal publiée en français et en occitan. Elle présente une initiative à Bort-les-Orgues, où Marcel Delpeuch, âgé de 19 ans, est à l’origine de la création de la maison des jeunes – la première fondée sous l’Occupation. Il s’agit de « redresser l’esprit français ». Parmi d’autres activités, y compris sportives, le théâtre a sa place ; ainsi, le Dr Lavialle fait répéter des pièces – « le théâtre moderne en particulier est fort en honneur »4.
En Corrèze, il y a aussi des maquisards. En 1942, Dante Sauveur Gatti, âgé de dix-huit ans, fils d’un anarchiste italien, les rejoints. C’est à cette époque qu’il lit Henri Michaud, Antonio Gramsci, Tchouang-Tseu, Niels Böhr. En 1943, il est arrêté à Tarnac et condamné à mort. Gracié en raison de son jeune âge, il est emprisonné à Tulle, puis envoyé à Bordeaux où il est travailleur forcé à la construction de la base sous-marine. Transféré sur le littoral de la Baltique, il s’en évade et revient en Limousin où il combat avec Georges Guingouin. Il sera par lasuite journaliste, poète, écrivain, dramaturge, metteur en scène, scénariste et réalisateur5.
En avril 1944 a lieu à Bellac, devant la foule, un grand hommage à Jean Giraudoux, disparu le le 31 janvier de la même année. Le dramaturge, devenu directeur littéraire chez Gaumont, avait écrit L’Apollon de Bellac, Sodome et Gomorrhe et La Folle de Chaillot durant l’Occupation. Philippe Henriot, de triste mémoire, secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande du gouvernement Laval, est représenté par M.Falleur, son délégué régional. L. Alfonsi, délégué départemental, futur directeur de la propagande de la Milice Française, est également présent. Il évoque « Giraudoux, le charmeur limousin ». Franck Delage, qui collabore à Notre Province, professeur agrégé de lettres, responsable de la bibliothèque municipale et président de la Société archéologique et historique du Limousin, prononce un discours à l’Hôtel de Ville. Le metteur en scèneJean Dorsannes propose la lecture d’extraits d’Ondine, avec un décor du peintre Aimé Vallat. L’écrivain Charles Silvestre est également présent. Notre Province publie des témoignages de Jean Cocteau (avec un dessin de Giraudoux sur son lit de mort), Marcel Jouahandeau, Charles Silvestre, Jeanne Labesse, L. Alfonsi, Marcel-Pierre Rollin, romancier, journaliste et critique littéraire et Raymond Millet, réalisateur, écrivain et journaliste.
Remarquons aussi que si, en zone occupée, l’ordonnance du 8 juillet 1942 interdit aux Juifs – déjà obligés de porter l’étoile jaune – l’accès à la plupart des établissements publics, comme les théâtres, des enfants sont accueillis dans les maisons de l’OSE – l’Œuvre de secours aux enfants – y compris en Limousin (environ 300 enfants de zéro à seize ans en Haute-Vienne). Dans la pédagogie adaptée qui y est mise en œuvre, inspirée par le pédagogue autrichien Ernst Papanek, des conférences et des discussions sont notamment organisées, ainsi que des représentations théâtrales dont les jeunes sont eux-mêmes les acteurs6.
L’évolution de la guerre en Limousin, région durement frappée, fait que les théâtres s’arrêtent au printemps 1944. A Limoges, libérée le 21 août, il faut attendre novembre pour aller applaudir au Cirque-Théâtre Galilea, une légende tragique en quatre actes de Renaud de Jouvenel, proche du Parti Communiste Français. Le Populaire du Centre qui reparaît annonce « Pierre Brasseur et sa troupe FFI. » Selon le site de l’ANACR d’Objat, « le Front National, groupe de Résistants français communistes, fondé en mai 1941, était le maître d’oeuvre de cette pièce. Nous ne savons pas quand elle a été jouée ni où ont eu lieu ces représentations si ce n’est que c’est dans la région de Brive au vu la liste des commerçants et industriels qui ont aidé à financer. » Galilea (Gilberte Rodrigue) est la métaphore de la France d’abord soumise à un dictateur, Kranar (Philippe Ancellin) puis libérée par la résistance des habitants. Brasseur interprète un fou, « la voix irréelle de la vérité ».
1 J.L. Garet, « Montherlant sous l’occupation », in: Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°31, juillet-septembre 1991. pp. 65-74.
2 Conservée au Pôle patrimoine de la Bfm de Limoges.
3 Philippe d’Hugues, « Ce haïssable théâtre filmé », 1895, revue d’histoire du cinéma, n°15, 1993. pp. 55-64.
4 Corrèze, avril-mai 1942, n°4, p. 151.
5 Dictionnaire biographique Le Maitron, en ligne.
6 S. Zeitoun, « Accueil des enfants juifs étrangers en France et leur sort sous l’Occupation », in : Accueil et formation des enfants étrangers en France de la fin du XIXe siècle au début de la Deuxième Guerre mondiale
Actes de la journée d’étude organisée par la SIHFLES à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte Dorée, Paris le 7 mai 2010, p.123-144.