André Antoine photographié par Charles Reutlinger, vers 1900
André Antoine naît à Limoges le 31 janvier 1858, dans une famille de condition modeste. Aîné de six enfants, il arrête l’école très jeune, travaille à la Librairie Firmin-Didot puis à la Compagnie du Gaz à Paris. Il accomplit ensuite son service militaire en Tunisie de 1878 à 1883. Se passionnant très tôt pour le théâtre, il échoue à un examen du Conservatoire. Dans ses Souvenirs, il écrit : « Mes premières impressions de théâtre datent de Ba-ta-clan, où ma mère me conduisait parfois, avec certaines cartes vertes, que je vois encore ; pour cinquante centimes, on avait droit à une place et à des cerises à l’eau de vie ! Heureux temps ! On y jouait de petites comédies, des opérettes (…) Dans ce Marais que nous habitions, il y avait aussi le Théâtre Saint-Antoine, boulevard Richard-Lenoir, minuscule scène (…) Mais ce furent certaines représentations, à Beaumarchais, qui firent sur ma cervelle de gosse la plus profonde impression ; j’y revois très bien Taillade, jouant l’ancien répertoire de Frédérick Lemaître, des mélos étonnants ». Il est figurant sur scène le soir après son travail, ce qui lui permet d’apprendre les classiques du répertoire dans les coulisses. Après avoir beaucoup lu (les livres des bouquinistes assidument visités), fréquenté les peintres et vu bon nombre de pièces, il devient comédien dans une troupe d’amateurs.
La Vie limousine illustrée du 1er mai 1914 (n°1) consacra un petit article aux « Débuts d’Antoine » :
« Antoine était pauvre alors, trimant pour un maigre salaire chez un agent d’affaires de la rue des Bons-Enfants. Il y frottait le parquet, astiquait des plaques de cuivre, et, tout en colportant chez les clients et les victimes des feuilles de papier timbré, — recouvrements, contentieux, — rêvait déjà théâtre. Il confiait ses aspirations et ses regrets à un gamin de son âge, appelé Wisteaux, qui devait plus tard se faire connaître sous le nom de Mévisto.
– Veux-tu venir au Théâtre-Français?
lui dit Wisteaux.
– Mais je n’ai pas le sou, s’écria Antoine.
– Il ne s’agit pas de donner de l’argent, mais d’en toucher.
– Comment cela?
– On a besoin de deux figurants pour la première de Jean Dacier[1] ; je connais le régisseur, nous allons nous présenter.
– Tu crois qu’on nous prendra?
– Pourquoi pas ? Nous ne sommes pas plus mal tournés que les autres.
– Et nous verrons Coquelin[2] ?
– Non seulement nous le verrons, mais nous pourrons lui parler.
C’est ainsi qu’Antoine qui est originaire de Limoges, fut admis à débuter chez Molière. »
Autodidacte, il désire innover et rompre avec les normes bourgeoises du théâtre alors apprécié (notamment le théâtre de boulevard, Dumas fils, Victorien Sardou…) et fonde en 1887 le « Théâtre Libre » (nom inspiré de Théâtre en liberté d’Hugo), au départ d’inspiration naturaliste – c’est d’ailleurs un proche de Zola, qu’il adapte – ouvert à de nouveaux dramaturges, y compris étrangers comme le Suédois August Strindberg.
Il monte alors quelque 150 pièces en dix ans. Il poursuit dans la même voie en créant le Théâtre Antoine après avoir dirigé l’Odéon en 1896, qu’il retrouve de 1906 à 1914. Il donne une nouvelle importance au metteur en scène (la locution « mise en scène » ne date d’ailleurs que de 1874) et à la troupe plus qu’à la « vedette ». Avec lui, les comédiens doivent vivre leurs personnages, il veut libérer le jeu d’acteur pour aller vers plus de simplicité et moins d’artifice. De même qu’il modernise décors (à l’époque on jouait devant des toiles peintes sans unité avec la pièce) et costumes. Il réfléchit à une scène visible par tous les spectateurs, y compris les plus mal placés. Il sait utiliser l’éclairage, avec des jeux de lumière jamais vus, adoptant même l’obscurité pour la salle. La présence de vrais morceaux de viande pour Les Bouchers de Fernand Icres le 19 octobre 1888 fait scandale : l’action se déroulant dans une boucherie, Antoine avait, par souci de réalisme, suspendu à des crocs deux vraies carcasses de moutons écorchés.
A partir de son installation, en 1897, dans la salle des Menus-Plaisirs, le Théâtre Antoine devient à la mode.
Féru de cinéma, il accepte, en 1914, la proposition de la SCAGL (Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres) et de la firme Pathé visant à le faire accéder à la réalisation de films. De 1915 à 1922, André Antoine adapte au cinéma des œuvres, de la littérature ou du théâtre. Les différentes techniques cinématographiques qu’il utilise lui permettent, là aussi, d’être un novateur.
Antoine meurt le 19 octobre 1943 au Pouliguen. Il repose au cimetière de Camaret-sur-Mer.
En 2009, les éditions Du Lérot (16 140) ont réédité Mes souvenirs, ouvrage publié par André Antoine en 1921, alors qu’il est âgé de soixante-trois ans – une édition captivante établie et annotée par Patrick Besnier, qui montre les débuts d’Antoine, son travail et constitue une belle galerie de portraits.
En septembre 1900, on peut lire ceci dans Limoges illustré : « La représentation du Théâtre Libre, organisée par M. de Chirac, a été pour tous les spectateurs une désillusion profonde. Au lieu d’œuvres vraiment intéressantes, il nous a été servi de petites et de grosses malpropretés, d’autant plus difficilement acceptables qu’elles sont pour la plupart dépourvues de tout esprit. »
[1] Drame de Charles Lomon représenté à la Comédie-Française en avril 1877.
[2] Coquelin aîné (1841-1909) interprétait Jean Dacier. Premier Prix de Comédie du Conservatoire de Paris, Sociétaire de la Comédie-Française, c’est une célébrité du théâtre d’alors. C’est lui qui créa le rôle de Cyrano de Bergerac au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1897.