26 Oct

Notes pour l’histoire du théâtre en Limousin (9) André Antoine un Limougeaud directeur d’un célèbre théâtre parisien

André Antoine photographié par Charles Reutlinger, vers 1900

André Antoine naît à Limoges le 31 janvier 1858, dans une famille de condition modeste. Aîné de six enfants, il arrête l’école très jeune, travaille à la Librairie Firmin-Didot puis à la Compagnie du Gaz à Paris. Il accomplit ensuite son service militaire en Tunisie de 1878 à 1883. Se passionnant très tôt pour le théâtre, il échoue à un examen du Conservatoire. Dans ses Souvenirs, il écrit : « Mes premières impressions de théâtre datent de Ba-ta-clan, où ma mère me conduisait parfois, avec certaines cartes vertes, que je vois encore ; pour cinquante centimes, on avait droit à une place et à des cerises à l’eau de vie ! Heureux temps ! On y jouait de petites comédies, des opérettes (…) Dans ce Marais que nous habitions, il y avait aussi le Théâtre Saint-Antoine, boulevard Richard-Lenoir, minuscule scène (…) Mais ce furent certaines représentations, à Beaumarchais, qui firent sur ma cervelle de gosse la plus profonde impression ; j’y revois très bien Taillade, jouant l’ancien répertoire de Frédérick Lemaître, des mélos étonnants ». Il est figurant sur scène le soir après son travail, ce qui lui permet d’apprendre les classiques du répertoire dans les coulisses. Après avoir beaucoup lu (les livres des bouquinistes assidument visités), fréquenté les peintres et vu bon nombre de pièces, il devient comédien dans une troupe d’amateurs.

La Vie limousine illustrée du 1er mai 1914 (n°1) consacra un petit article aux « Débuts d’Antoine » :

« Antoine était pauvre alors, trimant pour un maigre salaire chez un agent d’affaires de la rue des Bons-Enfants. Il y frottait le parquet, astiquait des plaques de cuivre, et, tout en colportant chez les clients et les victimes des feuilles de papier timbré, — recouvrements, contentieux, — rêvait déjà théâtre. Il confiait ses aspirations et ses regrets à un gamin de son âge, appelé Wisteaux, qui devait plus tard se faire connaître sous le nom de Mévisto.

– Veux-tu venir au Théâtre-Français?

lui dit Wisteaux.

– Mais je n’ai pas le sou, s’écria Antoine.

– Il ne s’agit pas de donner de l’argent, mais d’en toucher.

– Comment cela?

 

– On a besoin de deux figurants pour la première de Jean Dacier[1] ; je connais le régisseur, nous allons nous présenter.

– Tu crois qu’on nous prendra?

– Pourquoi pas ? Nous ne sommes pas plus mal tournés que les autres.

– Et nous verrons Coquelin[2] ?

– Non seulement nous le verrons, mais nous pourrons lui parler.

C’est ainsi qu’Antoine qui est originaire de Limoges, fut admis à débuter chez Molière. »

 

Autodidacte, il désire innover et rompre avec les normes bourgeoises du théâtre alors apprécié (notamment le théâtre de boulevard, Dumas fils, Victorien Sardou…) et fonde en 1887 le « Théâtre Libre » (nom inspiré de Théâtre en liberté d’Hugo), au départ d’inspiration naturaliste – c’est d’ailleurs un proche de Zola, qu’il adapte  – ouvert à de nouveaux dramaturges, y compris étrangers comme le Suédois August Strindberg.

Il monte alors quelque 150 pièces en dix ans. Il poursuit dans la même voie en créant le Théâtre Antoine après avoir dirigé l’Odéon en 1896, qu’il retrouve de 1906 à 1914. Il donne une nouvelle importance au metteur en scène (la locution « mise en scène » ne date d’ailleurs que de 1874) et à la troupe plus qu’à la « vedette ». Avec lui, les comédiens doivent vivre leurs personnages, il veut libérer le jeu d’acteur pour aller vers plus de simplicité et moins d’artifice. De même qu’il modernise décors (à l’époque on jouait devant des toiles peintes sans unité avec la pièce) et costumes. Il réfléchit à une scène visible par tous les spectateurs, y compris les plus mal placés. Il sait utiliser l’éclairage, avec des jeux de lumière jamais vus, adoptant même l’obscurité pour la salle. La présence de vrais morceaux de viande pour Les Bouchers de Fernand Icres le 19 octobre 1888 fait scandale : l’action se déroulant dans une boucherie, Antoine avait, par souci de réalisme, suspendu à des crocs deux vraies carcasses de moutons écorchés.

A partir de son installation, en 1897, dans la salle des Menus-Plaisirs, le Théâtre Antoine devient à la mode.

Féru de cinéma, il accepte, en 1914, la proposition de la SCAGL (Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres) et de la firme Pathé visant à le faire accéder à la réalisation de films. De 1915 à 1922, André Antoine adapte au cinéma des œuvres, de la littérature ou du théâtre. Les différentes techniques cinématographiques qu’il utilise lui permettent, là aussi, d’être un novateur.

Antoine meurt le 19 octobre 1943 au Pouliguen. Il repose au cimetière de Camaret-sur-Mer.

En 2009, les éditions Du Lérot (16 140) ont réédité Mes souvenirs, ouvrage publié par André Antoine en 1921, alors qu’il est âgé de soixante-trois ans – une édition captivante établie et annotée par Patrick Besnier, qui montre les débuts d’Antoine, son travail et constitue une belle galerie de portraits.

 

En septembre 1900, on peut lire ceci dans Limoges illustré : « La représentation du Théâtre Libre, organisée par M. de Chirac, a été pour tous les spectateurs une désillusion profonde. Au lieu d’œuvres vraiment intéressantes, il nous a été servi de petites et de grosses malpropretés, d’autant plus difficilement acceptables qu’elles sont pour la plupart dépourvues de tout esprit. »

 

[1] Drame de Charles Lomon représenté à la Comédie-Française en avril 1877.

[2] Coquelin aîné (1841-1909) interprétait Jean Dacier. Premier Prix de Comédie du Conservatoire de Paris, Sociétaire de la Comédie-Française, c’est une célébrité du théâtre d’alors. C’est lui qui créa le rôle de Cyrano de Bergerac au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1897.

 

 

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (8) Le cirque-théâtre municipal de Limoges

A gauche et à droite: photothèque Paul Colmar. Au centre: collection L. Bourdelas

 

Le Cirque de Limoges est un « cirque stable » bâti en 1925. Les travaux avaient commencé en 1911, mais ils avaient été ralentis par la guerre. Son architecte est Émile Robert. La coupole se trouve à 18,75 mètres au-dessus de la piste, d’un diamètre de 13 mètres. Le cirque dispose de 1 860 places assises. L’intérieur est décoré de toiles marouflées (collées sur les parois) de David Widhopff (une partie d’entre elles est conservée au Musée des Beaux-Arts). Cet ensemble se répartit entre la salle qui comprend quinze panneaux historiés dont treize fixés à son pourtour, au faîte des gradins, et l’entrée qui en présente huit. Au total, la surface peinte est impressionnante : quelques 150 m² sans compter, dans la salle, les panneaux ornementaux décorés de guirlandes feintes que scandaient des colonnettes dorées ainsi que la frise ponctuée d’étranges mascarons. Cette composition monumentale, commandée à la fin de 1923, datée de 1924 et livrée au cours de l’été 1925, évoque un monde chimérique et réel où grouillaient acrobates, personnages mythologiques et de la commedia dell’arte, types sociaux truculents et cocasses, évocations de songe…[1] Né en 1867 à Odessa (Crimée), David Ossipovitch Widhopff avait intègré l’Académie royale des beaux-arts de Munich après avoir été diplômé de l’Académie impériale d’Odessa. À l’âge de 20 ans, il arriva à Paris puis partit diriger une école d’art au Brésil, avant de revenir s’installer à Montmartre. « Widhopff fut loué tant pour la diversité de ses moyens d’expression qui lui permettaient de manier à la fois le crayon pour des dessins subtils et la brosse pour de larges compositions vigoureuses, que pour sa physionomie expressive qui associait conquête de la couleur et humour. »

En 1928, la salle est aménagée afin qu’elle puisse aussi recevoir des spectacles de théâtre.

 

Plan du Cirque-Théâtre et programme. Collection L. Bourdelas

 

La Vie limousine salue comme il se doit l’inauguration de ce nouveau lieu de spectacle dans un article qui fourmille de précieuses informations : « Enfin ! « les trois coups sont frappés, Le Cirque inauguré, vient de devenir nôtre ». – Et l’on n’entendra plus la scie vieillie mais toujours lancinante : Ouvrira, – N’ouvrira pas, — Ra, — Ra pas.

Mais que ceux qui se montrèrent impatients veuillent se bien rappeler que la guerre, la maudite guerre, est passée par là aussi. — Commencé, en effet, sous la municipalité d’Antony, en 1909-10, le Cirque municipal se terminait sous la municipalité Betoulle de 1910 à 14, avec M. Blanc comme architecte, lorsqu’ « il y eut la guerre ». Et dès lors commencent les tribulations qui viennent de se terminer fort heureusement en cette -, véritable apothéose que fut l’ inauguration du 16 octobre.

Tout d’abord, les travaux furent repris par la municipalité pour enrayer une menace de chômage. Puis les travaux sont encore arrêtés : le Cirque a été réquisitionné pour y loger les réfugiés venus d’un peu partout à Limoges. Ensuite, il est occupé par les services du ravitaillement, et cela a bien duré jusqu’en 1920.

Cette première crise passée, une autre commence. La municipalité ne peut pas songer à exploiter elle-même le Cirque, et se préoccupe de trouver un directeur responsable. On sollicite des offres de divers côtés, et un instant même on fut près d’aboutir : un projet de convention était déjà établi, prêt à signer, lorsqu’au dernier moment on ne put plus s’entendre. De palabres en palabres, on était arrivé en octobre 1922, et le Cirque était toujours en instance d’achèvement lorsque commencèrent les négociations avec le sympathique directeur du Théâtre municipal, M. Cazautets. D’une part, la municipalité savait à qui elle avait affaire, et M. Cazautets pouvait, d’autre part, évaluer en connaissance les risques de l’entreprise qu’il assumait. Sur ces bases de confiance et de sympathies réciproques, l’accord fut vite conclu, sans modifier ou presque le projet de convention déjà élaboré par la mairie. M. Cazautets devenait concessionnaire du Cirque municipal suivant un bail à loyer, moyennant une somme annuelle de 60.000 francs. On estimait en outre, à 240.000 francs,

Vision fugitive

Et bientôt démentie! (air d’Hérodiade)

la somme nécessaire à l’achèvement du Cirque, et M. Cazautets versait immédiatement cette somme à la ville, qui devait la lui rembourser, par annuités, au prorata du loyer, sans intérêts. Mais on avait compté sans la crise du change, la baisse du franc, la hausse des salaires et du coût des matériaux. D’autre part, on n’avait prévu qu’un cirque, et l’on eut l’heureuse idée de faire ce qu’on a si bien réalisé : « le seul établissement en France pouvant donner dans la même salle, tous les genres de spectacles (théâtre, music-hall, cirque, cinéma, voire même grande salle de conférences ou de réunion). — D’où, deux conséquences :

1° Le bâtiment, construit d’abord pour un cirque, devait être transformé presque complètement : il fallait une scène, à établir dans le ciment armé de l’ enceinte primitive, et cela donna le cauchemar à nos architectes; il fallait un plancher sur la piste primitive pour y loger le parterre ou les fauteuils, et ce plancher devait être amovible comme les sièges pour pouvoir, à l’ occasion, user de la place en tant que piste ; — il fallait transformer, du même coup, à peu près toute l’installation du chauffage.

2° Qu’étaient devenus, à travers ces transformations successives, les pauvres petits 240.000 francs prévus pour l’achèvement du Cirque? Ils s’étaient tout naturellement enflés eux aussi jusqu’à atteindre le coquet total de 700.000 francs que M. Cazautets à avancés à la ville, qui doit les lui rembourser. Mais le même M. Cazautets, désireux de justifier la confiance mise en lui et de meubler luxueusement une salle qui devait être splendide, y a mis pour 350.000 francs de décors, accessoires, et meubles divers qui sont sa propriété, sans compter les aménagements qui s’imposent encore pour le cinéma et le cirque proprement dit, comme pour l’amélioration de l’acoustique. Mais si la municipalité de Limoges et le directeur M. Cazautets ont droit, ainsi que leurs collaborateurs, architectes, entrepreneurs, de tout ordre, et artistes de la décoration, à toutes nos félicitations, ils se sont acquis aussi des droits à notre appui constant. Il faut aller au Cirque, et y revenir : on ne s’en lassera pas. »

  

Collection Paul Colmar

            Au Cirque, on donne aussi bien Polyeucte « dont la grandiloquence cornélienne remplit sans effort la salle »[2], que Province du limougeaud Edouard Michaud, proposée par L’Ecole de Limoges, cercle littéraire très actif, « un succès, un évènement et une surprise (…) applaudissements nombreux et enthousiastes »[3]. On peut même assister à des « piécettes » enlevées interprétées par des amateurs à l’occasion du gala de la presse ou assister des conférences comme celle de M. Duviols, professeur agrégé de lettres au lycée Buffon à Paris, à propos de « Don Juan, sa légende, ses incarnations »[4] ou de Me Charrière, avocat, sur « Le comique de Courteline ». La saison 1929-1930, pour ne citer qu’elle, les spectateurs peuvent assister à Topaze[5], Marius[6], Rose-Marie[7], Tip-toes[8], etc. et les scolaires à Cyrano de Bergerac[9] et l’Aiglon[10].

Manifestation d’agriculteurs devant le Cirque-Théâtre (c) P. Colmar

 

 

[1] Site Géoculture – y compris les informations sur le peintre.
[2] La Vie limousine, 25 novembre 1925.
[3] Idem, 25 décembre 1925.
[4] Résumé complet dans La Vie limousine du 25 février 1929.
[5] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 octobre 1928.
[6] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 mars 1929.
[7] Il s’agit sans doute de l’opérette jouée à Broadway en 1924 sur une musique de Rudolf Friml et de Herbert Stothart et du livret de Otto Harbach et d’Oscar Hammerstein II.
[8] Tip-Toes, comédie musicale américaine des frères George et Ira Gershwin, créée à Broadway en 1925.
[9] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 28 décembre 1897.
[10] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 15 mars 1900.

08 Oct

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (7) La question du théâtre municipal de Limoges

L’adjudication d’une partie des locaux de l’annexe du théâtre de Limoges a lieu le jeudi 14 décembre 1905 à l’hôtel de ville. Elle a donné les résultats suivants : le premier lot, comprenant un magasin et plusieurs appartements, sis au deuxième étage, a été adjugé à M. Tharaud, négociant, au prix de 2 510 francs. La mise à prix était de 1 800 francs. Le deuxième lot, comprenant les locaux du premier étage et plusieurs appartements au deuxième, a été loué par le Cercle d’études commerciales au prix de 2 020 francs, sur la mise à prix de 2 000 francs.

Avec l’augmentation de la population limougeaude, le théâtre municipal s’avère trop petit dès 1880 environ. Dans Le Limousin littéraire du 9 mai 1886, on signale néanmoins que la salle « est entièrement remise à neuf » (M. Duriez est le directeur). Pourtant, « au début du XXe siècle, il focalisait les critiques : « dans un état lamentable (murs effrités, escaliers vermoulus) », « peu confortable, dépourvu de toute sécurité », « acoustique déplorable, fournaise pestilentielle, scène trop exigüe »… »[1].

Le 31 décembre 1906, dans un article du Courrier du Centre consacré aux débats à propos du budget au conseil municipal de Limoges (présenté par J.B. Marquet), on peut lire quelques propos intéressants à propos du théâtre, signés par un certain A.M. – même si l’argumentaire évoque en partie la musique. Après le départ d’Emile Labussière, le nouveau maire est François Chénieux, chirurgien, « républicain progressiste », situé à droite.  C’est un « humaniste cultivé lisant les auteurs latins comme les avancées littéraires de son époque. Ayant beaucoup voyagé en Europe et en Afrique, c’était un conteur admiré au cercle Turgot. Ses poèmes étaient pleins de charme comme celui de «Vision du couchant sur le Nil » écrit en 1906 lors d’un voyage en Égypte. »[2]

« Votre rapporteur ne s’affecte pas de la décision prise par le conseil d’Etat et qui a trait à la non-édification du cirque, car lui-même s’était permis quelques critiques de la même nature que celles formulées par le conseil d’Etat. Ce n’est, en effet, que respectueux des délibérations des conseils antérieurs, et soucieux de voir aboutir enfin les projets élaborés par ses devanciers qu’il s’est rallié à l’édification de ce monument; et, messieurs, il m’a été permis de constater que beaucoup parmi vous partageaient mon sentiment à ce sujet. Peut-être commettons-nous une erreur, et, certainement, si l’on envisage la chose au point de vue de l’esthétique, il n’est pas douteux qu’à la sortie de la gare, un cirque en planches bornant l’horizon, détruisant la perspective des boulevards aboutissant à l’hôtel de ville est d’un très mauvais effet. A un autre point de vue, cette décision entraînera une perte de travail, travail sur lequel comptait une partie de notre population. Mais je ne pense pas qu’il soit dans vos intentions d’abandonner dans l’emprunt la somme affectée à l’édification du cirque ; je vous demande, au contraire d’en faire état en partie pour l’agrandissement du théâtre. Vous donnerez ainsi satisfaction au travail; vous en donnerez une non moins grande au public, à ce public qui aime le théâtre, et qui ne peut y avoir accès faute de places en rapport avec ses moyens. Ici, messieurs, je vous dois une explication de laquelle découlera la reprise d’une proposition que je vous présentai en son temps, c’est-à-dire lors de la discussion de la subvention théâtrale. Je fus l’adversaire acharné de cette subvention, à tel point que quelques critiques s’étant mépris sans doute sur les motifs de ma protestation, prétendirent et écrivirent même que je n’aimais pas le théâtre. Ils préjugeaient mal, et si j’avais eu quelque goût pour la polémique, si je n’avais craint de les encombrer de ma prose je leur aurais dit, qu’habitué pendant de longues années de l’odorant et confortable « poulailler », j’avais fait là mon éducation théâtrale sans pose, bien entendu, avec les moyens dont je disposai à ce moment. De ce superbe point de vue si bien disposé à la propagation des maladies, fussent-elles pestilentielles, j’ai pu constater que, même avec la subvention, on ne pourrait donner aucune satisfaction au public et, quelle que soit la subvention que vous accordiez, je persiste à penser que nous faisons surtout des mécontents. Un moyen s’offre donc de satisfaire la population limousine : c’est d’agrandir le théâtre de créer un grand nombre de places dites populaires, à un prix abordable pour les familles. Que se passe-t-il en ce moment, vu l’exiguité de notre théâtre ? Une grande partie de la population, désireuse d’assister à une représentation, les familles surtout, se présentent au guichet pour prendre des places et invariablement, on leur répond : « II ne reste plus à prendre que des fauteuils, des loges ou des balcons ». Ce qui prouve, une fois encore, que malgré la subvention, serait-elle décuplée, vous n’accorderiez qu’une faible satisfaction à ce public qui seul en supporte la contribution. Donc l’agrandissement du théâtre s’impose, soit par une transformation partielle, soit par une réédification générale.  Eh bien Messieurs ! Il ne suffit pas de détruire la cage, il faut aussi élever l’oiseau qui doit y chanter. Permettez-moi cette figure peut-être banale, mais qui reproduit bien l’expression de ma pensée. En effet, si pour une scène et une salle comme celles que nous possédons, l’orchestre est suffisant, il n’en sera plus de même lorsque vous aurez un plus grand espace.

Je ne prétends pas que nos artistes soient insuffisants comme valeur, mais ils le seront certainement comme nombre et à part quelques exceptions, il ne vous sera pas permis de composer l’orchestre nouveau avec les seuls artistes que vous posséderez à Limoges. Aussi messieurs, j’émets le vœu que la proposition que je vous soumettais l’an dernier soit mise à l’étude sans délai. C’est, je crois, l’un des moyens les meilleurs de faire revivre à Limoges la musique, cet art si apprécié, et qui cependant paraît bien délaissé. Les causes nous les rechercherons plus tard.

Ces conclusions de l’honorable rapporteur, qui traduisent avec un certain humour non dépourvu de charme l’impression personnelle de M. J.-B. Marquet, seront aussi les nôtres.

Il ne nous déplaît pas de voir un membre de la municipalité, autrefois hostile à la subvention théâtrale, convenir loyalement, après expérience faite, que la population limousine aime le spectacle, même tel que peuvent le lui offrir des directions dont les ressources sont pourtant limitées.

Cela, nous le savions, et c’est ce qui motiva la campagne entreprise par nous, il y a deux ans, en faveur du théâtre, campagne qui eut pour résultat de faire ouvrir des portes fermées depuis trop longtemps, à la grande satisfaction du public en général, et de ceux mêmes ou tout au moins de plusieurs de ceux qui continuent à se dire les adversaires irréductibles de notre scène.

Ces derniers se sont facilement convaincus, en maintes occasions, qu’en dépit des conditions forcément modestes dans lesquelles peuvent avoir lieu les représentions d’opéra-comique ou d’opérette, l’initiative hardie d’un directeur rempli de bonne volonté est heureusement secondée par ceux qu’il prétend intéresser et distraire.

Les salles sont en général bien garnies et les recettes sont assurées.

Voilà pourquoi, à défaut d’une proposition ferme ayant pour objet la reconstruction du théâtre, ce qui entraînerait notre ville à des sacrifices que son budget ne lui permet pas, hélas ! en dépit du « bon état de ses finances », que doit constater tout rapport qui se respecte, — et celui de M. Marquet est de ce nombre. — voilà pourquoi, disons-nous, le projet d’agrandissement du théâtre est de ceux dont, nous voudrions voir la réalisation prochaine.

Nous n’avons pas à développer les motifs nombreux qui militent en sa faveur. M. Marquet les a exposés en bons termes; nous nous bornerons donc, sans nous faire trop d’illusions, d’ailleurs, à joindre nos vœux à ceux du rapporteur, bien inspiré dans la circonstance. »

 

 Salle Berlioz, Rêve de Valse – matinée gratuite – foule (05.11.1911) – Photothèque P. Colmar

 

Quelques travaux sont finalement effectués en 1908 et 1911. Après la construction du Cirque-Théâtre, il devient la salle Berlioz, détruite en 1953 après une longue période de désaffectation.

[1] J.L. Dutreix et J. Jouhaud, Fêtes et spectacles à Limoges à la Belle Epoque 1900 1914, Editions Flânant, 2003, p. 112.
[2] P.  Vayre, « Trois directeurs de l’école de médecine de Limoges. Professeurs de clinique chirurgicale. Anciens internes des hôpitaux de Paris », Annales de chirurgie, Volume 129, n° 1, 2004, p. 52-56.