29 Nov

Le Limoges du photographe Fabrice Variéras

Fabrice Variéras, Limoges remarquable, La Geste, 2021

J’apprécie depuis plusieurs années le travail photographique de Fabrice Variéras, que ce soit à la faveur de ses publications ou de ses expositions. Cette année, il livre aux éditions La Geste un bel ouvrage grand format de près de 240 pages, intitulé Limoges remarquable. On pourrait s’étonner que cet artiste né à Tulle et amoureux de la Corrèze décide de consacrer une série photographique à Limoges, mais c’est la ville où il travaille et vit depuis plus de vingt ans, au lycée Gay-Lussac que l’on retrouve dès la couverture avec les clochetons de sa chapelle jésuite ou avec sa façade la nuit ; et puis Limoges n’est heureusement pas la propriété des Limougeauds ! Il est même particulièrement intéressant d’observer le regard que peut porter sur elle quelqu’un qui n’en est pas originaire. D’ailleurs, dès les premières pages (car il écrit aussi, avec un ton plutôt gouailleur), Variéras saisit fort justement l’âme limougeaude, entre humilité et fierté rentrée, tant on a rabaissé l’indigène au fil des décennies, en inventant par exemple le mot « limogeage ».

Fabrice l’arpenteur promène son objectif dans de nombreux quartiers, y compris périphériques, des lieux emblématiques aux moindres recoins méconnus ou oubliés, et livre de belles photos en noir et blanc ou en couleur, selon l’inspiration et le rendu. Son travail sur les lumières et les ombres, les couleurs, les ciels et les eaux, le jour et la nuit, les reflets, la neige ou la pluie parfois si présente, permet de brosser des tableaux originaux, parfois éphémères, de Limoges, et en fait une ville de beautés, de mystères, pleine d’attrait. Il a incontestablement su en saisir l’intimité, les gloires et la poésie, mais aussi les aspects les plus prosaïques et quelques laideurs – en particulier architecturales – jusqu’à une voiture brûlée au bas d’un immeuble de banlieue, le spleen d’un caddie renversé, ou un panneau publicitaire de grande surface. Le géographe qu’il est ne laisse en effet rien passer des tares ou des bienfaits de l’urbanisation. Tout ici est subjectif, chacun appréciant ou non ce qu’il nous révèle et se confrontant à son regard de photographe expérimenté. Après tout, les couchers de soleil peuvent être beaux et faire rêver aussi bien au-dessus d’une Z.U.P. qu’au-dessus de la cathédrale.

Presque tout Limoges est donc saisi ici, avec ses monuments et ses espaces tutellaires : la cathédrale, les églises, l’hôtel de ville, les ponts – avec leurs arches, leurs piles, leurs pavés séculaires -, la rue de la Boucherie, les Halles, le Verdurier, les gares (et l’on connaît la tendresse particulière de Fabrice Variéras pour celle des Bénédictins), les parcs et jardins et leurs arbres et bancs publics, parfois noyés par une crue, le vaste cimetière de Louyat, les murs colorés ou qui s’effritent, les colombages retrouvés, les octrois de jadis. Tout cela confronté à l’électrique et à la modernité : entremêlement de fils de trolleys, voies de chemin de fer, architecture du palais des sports, de la BFM, objets hétéroclites dignes d’un inventaire à la Prévert, le tout ponctué de tags et d’inscriptions publicitaires et vieilles enseignes ; accompagné aussi d’une pointe d’humour photographique, de clins d’oeil et de quelques jeux de mots. Si la prise de vue et les procédés sont plutôt classiques, un peu de flou, d’humidité, ou certains angles introduisent de la fantaisie.

Dans la ville de Fabrice Variéras, les êtres humains ne tiennent pas la première place, même si on les devine, plutôt de dos ou passant, à pied, à vélo ou en canoë, attendant le bus, discutant sur un banc, ou jouant à la pétanque sur les bords de Vienne. Limougeauds depuis de nombreuses générations ou de passage, ils contribuent cependant à faire de Limoges autre chose qu’une « belle endormie ». Chacun sait en effet que c’est à la fois une ville de solidarités, de sociabilités, qui s’expriment aussi bien dans les confréries et les syndicats, les bandes de jeunes, le travail (Variéras montre quelques assiettes de porcelaine), les associations, les clubs de sport, les cérémonies religieuses, une ville de luttes sociales et de résistance. Le photographe s’amuse à saisir les évolutions et les contrastes, des vitraux aux tags, des vieilles statues aux mannequins des boutiques, mais aussi des gourmandises des Halles ou de la Frairie des Petits Ventres aux boucheries halal. Fabrice Variéras réussit ainsi à nous montrer l’immortalité et les variations infinies d’une ville qui nous est chère. Son pari est donc réussi.

03 Nov

Knock ou le Triomphe de la médecine

Le 14 décembre 1923, Jules Romains produit la pièce Knock ou le Triomphe de la médecine à la Comédie des Champs-Élysées. Louis Jouvet a conçu la mise en scène de la pièce et qu’il joue le rôle principal, le docteur Knock. Le comédien, dont le grand-père était originaire de Cosnac en Corrèze, fut baptisé à Brive-la-Gaillarde en 1888. Romains déclare alors au Figaro : « Knock, qui voudrait être la, ou plus modestement, une comédie de la médecine moderne, n’a rien d’une inoffensive plaisanterie ni d’une satire légère. Ce ne sont ni les petits travers ni les ridicules extérieurs des médecins d’aujourd’hui qui sont raillés. Ne vous attendez ni à des pointes, ni à des mots, ni à de menues égratignures. N’espérez pas davantage un tableau malicieux du monde médical actuel, rehaussé d’allusions transparentes. Non, c’est plus grave que cela. Je ne crois pas qu’un médecin puisse assister à Knock sans avoir, en sortant, une petite méditation intérieure, ni sans se poser quelques questions inquiétantes. Et je ne crois pas qu’un client des médecins, fût-ce le plus satisfait et le plus soumis, puisse assister à Knock sans éprouver un plaisir soulagement et de secrète revanche ». Le formidable Louis Jouvet se révèle dans cette pièce et donne plus de 1 500 représentations devant un public enthousiaste. Devant ce triomphe théâtral, le comédien décide en 1933 de transposer la pièce au cinéma. Elle est adaptée par Roger Goupillères avec Louis Jouvet dans le rôle-titre. La mise en scène, sacrifiant à la formule cinématographique, consentit quelques extérieurs: un village qui n’est point de carton, son marché achalandé en clients cocasses, ses logis aux seuils usés, caressés d’une lumière qui ne doit rien aux volts des « sunlights », mais tout aux rayons du soleil» analyse Jean Laury dans Le Figaro du 7 novembre 1933. L’historien Jean-Marc Ferrer écrit : « Uzerche (en Corrèze, NdA) accueille le tournage et Louis Jouvet y séjourne pour l’occasion. Tombant sous le charme de la ville, plusieurs témoignages attestent qu’il y revint régulièrement, s’installant alors au fameux Hôtel Chavant. »[1]

 

[1] Pays d’Uzerche rayonnement d’une ville-paysage, Les Ardents Editeurs, 2008, p. 122.