22 Sep

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin. Le XIXe siècle, suite (5).

 

Marie Colombier contre Sarah Bernhardt, un scandale

 

 

Edouard Manet Portrait de Marie Colombier @ wikipédia

 

Anne Marie Thérèse Colombier est née à Auzances, en Creuse, sur les terres verdoyantes et vallonnées de la Combraille, entre Auvergne et Limousin, le 28 novembre 1844[1]. Fille d’un officier réfugié en France nommé Pablo Martinez, elle rejoint sa mère à Paris à l’âge de sept ans. À quinze ans, elle part pour la Belgique avec le fils de l’artiste lyrique Maria Malibran et prend des leçons d’Art dramatique avec le Directeur du Théâtre de La Monnaie à Bruxelles, Jean-Baptiste Quélus (Adolphe Grognier). De retour en France en 1862, elle entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique dans la classe de Regnier où elle obtient en 1863 un 1er prix de tragédie et un 2ème prix de comédie.

Marie Colombier débute au Théâtre du Châtelet le 26 mars 1864 dans le rôle de Paolo dans La jeunesse du Roi Henri. En 1870, elle est repérée par George Sand qui la fait embaucher pour jouer sa pièce L’Autre dont le rôle principal est tenu par Sarah Bernhardt, au Théâtre de l’Odéon. En 1880, Sarah Bernhardt l’emmène pour une tournée théâtrale de huit mois aux États-Unis et au Canada, qui finit mal, les relations s’étant dégradées au cours des sept mois de vie commune, Sarah ayant refusé de payer ses appointements à Marie au retour. Marie Colombier en tire deux pamphlets : Voyage de Sarah Bernhardt en Amérique en 1881, puis Les Mémoires de Sarah Barnum en 1883. Sylvie Jouanny, dont il faut lire l’ouvrage qui évoque cette affaire et analyse les écrits de la comédienne-femme de lettres, évoque un « réalisme satirique » avec lequel Marie Colombier ridiculise la grande comédienne[2] ;  il s’agit bien de livres à charge. Le scandale est énorme, la presse et quelques hommes de lettres s’en donnent à cœur-joie. Octave Mirbeau, proche de Sarah Bernhardt, provoque en duel le préfacier du livre, Paul Bonnetain, et le blesse légèrement. Sarah Bernhardt entraîne son fils et le poète Jean Richepin dans une expédition punitive pour saccager l’appartement de Marie Colombier, rue de Thann. Dans la presse, cela donne : « Une après-midi froide et brumeuse de la fin de décembre 1883, le quartier aristocratique qui avoisine le parc Monceau était mis en émoi par une rumeur éclatante. Une horde de malfaiteurs, déguisés en gens du monde, s’étaient introduits dans une maison de la rue de Thann, trompant la vigilance du concierge, et, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire (est-ce assez Gaboriau?) avaient saccagé le coquet entresol habité par une actrice bien connue dans le monde artistique et littéraire, Mme Marie Colombier. »

On peut découvrir cela avec intérêt dans l’Affaire Marie Colombier Sarah Bernhardt Pièces à conviction paru en 1884 à Paris. On y lit par exemple aussi ce témoignage de Marie : « Je n’ai jamais fait allusion qu’avec une discrétion absolue à toutes ces blessures intimes. Aujourd’hui, l’on m’accuse de trahir l’amitié, et les moralistes en appellent à l’opinion ; que celle-ci prononce ! Oui, des années, de longues années durant, j’ai été la camarade, la confidente, l’amie dévouée de celle pour qui on me prête aujourd’hui une haine de peau-rouge. Longtemps mon amitié s’est montrée infatigable, comme celle que l’on a pour une sœur d’adoption. Pour Sarah, j’ai lassé mes relations, combattu les hostilités, courtisé la critique, employant sans mesure les amis que m’avait valu le hasard de brillants débuts. A l’époque où l’artiste était discutée, niée, la femme détestée, je l’ai défendue, aidée sans compter, affrontant les quolibets sur ma naïveté, bravant la calomnie. J’ai mis bien du temps à renoncer à cette camaraderie, dont ma simplicité faisait tous les frais, me bouchant les yeux pour ne pas voir qu’on me prenait pour dupe… La question des gros sous ! »

Marie Colombier est condamnée pour « outrage aux bonnes mœurs» en 1884, le livre est retiré de la vente bien qu’il ait déjà connu 92 éditions en France. Elle renonce peu à peu au théâtre et publie plusieurs romans et plusieurs volumes de ses mémoires, avant de disparaître en 1910.

 

[1] Eléments biographiques sur le site wikipédia, qui livre quelques pistes bio-bibliographiques.
[2] L’actrice et ses doubles, Figures et représentations de la femme de spectacle à la fin du XIXe siècle, Droz, 2002.

 

Le 9 novembre 1862, Le Grelot, Journal hebdomadaire de Limoges, annonce qu’on élève, place Fitz-James, une grande baraque sur la façade de laquelle se lit déjà : « Folies parisiennes ». Et plus bas : « Chemin de la Croix. » « Est-ce une épigramme? Pas le moins du monde, car la sublime Folie de la Croix que donne la troupe de M. Bachenet (ainsi se nomme le directeur), est la représentation en tableaux vivants du drame qui a régénéré le vieux monde. Aux tableaux plastiques que figurent les artistes de M. Bachenet, d’après les tableaux de nos grands maîtres, sont joints différents exercices : danses, poses, trapèzes, suspensions éthéréennes , etc., etc. Une belle pantomime, dans le genre de celles de Debureau , terminera chaque soirée. M. Bachenet, l’émule du célèbre funambule, remplit le rôle de Pierrot. Il va sans dire que les Folies parisiennes de la place Fitz-James ne sont pas de celles qui blessent la morale, et que la fille la plus modeste peut sans rougir les montrer à sa maman. »

 

A propos du jeune premier

 

L’autre jour, un monsieur dont les larges épaules

Incommodaient très fort deux ou trois spectateurs,

Se plaignait que quelques acteurs

Sont… Comment dirons-nous?… Un peu mûrs pour

[leurs rôles,

Mûrs, c’est le mot. Il est lâché. Ma foi, tant pis!

Je suis un peu de cet avis,

N’en déplaise à Monsieur Bessière.

Le gros homme, en parlant, troublait la salle entière.

Or, à ce moment,

Justement,

Le débutant nouveau venait d’entrer en scène,

Et, grâce à ce monsieur, on l’entendait a peine.

– D’ailleurs, se trouvaient là bon nombre de gens

[durs

D’oreille. — « Paix ! le diable vous emporte !

Cria quelqu’un, assis tout auprès de la porte.

On n’a pas tous les jours des acteurs de la sorte.

Ce sont des fruits peut-être un peu trop mûrs.

Mais, s’ils ne TOMBENT pas, qu’importe ! »

 

VOX DE TURBA, Le Grelot, Journal hebdomadaire de Limoges, 28 décembre 1862