26 Oct

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (8) Le cirque-théâtre municipal de Limoges

A gauche et à droite: photothèque Paul Colmar. Au centre: collection L. Bourdelas

 

Le Cirque de Limoges est un « cirque stable » bâti en 1925. Les travaux avaient commencé en 1911, mais ils avaient été ralentis par la guerre. Son architecte est Émile Robert. La coupole se trouve à 18,75 mètres au-dessus de la piste, d’un diamètre de 13 mètres. Le cirque dispose de 1 860 places assises. L’intérieur est décoré de toiles marouflées (collées sur les parois) de David Widhopff (une partie d’entre elles est conservée au Musée des Beaux-Arts). Cet ensemble se répartit entre la salle qui comprend quinze panneaux historiés dont treize fixés à son pourtour, au faîte des gradins, et l’entrée qui en présente huit. Au total, la surface peinte est impressionnante : quelques 150 m² sans compter, dans la salle, les panneaux ornementaux décorés de guirlandes feintes que scandaient des colonnettes dorées ainsi que la frise ponctuée d’étranges mascarons. Cette composition monumentale, commandée à la fin de 1923, datée de 1924 et livrée au cours de l’été 1925, évoque un monde chimérique et réel où grouillaient acrobates, personnages mythologiques et de la commedia dell’arte, types sociaux truculents et cocasses, évocations de songe…[1] Né en 1867 à Odessa (Crimée), David Ossipovitch Widhopff avait intègré l’Académie royale des beaux-arts de Munich après avoir été diplômé de l’Académie impériale d’Odessa. À l’âge de 20 ans, il arriva à Paris puis partit diriger une école d’art au Brésil, avant de revenir s’installer à Montmartre. « Widhopff fut loué tant pour la diversité de ses moyens d’expression qui lui permettaient de manier à la fois le crayon pour des dessins subtils et la brosse pour de larges compositions vigoureuses, que pour sa physionomie expressive qui associait conquête de la couleur et humour. »

En 1928, la salle est aménagée afin qu’elle puisse aussi recevoir des spectacles de théâtre.

 

Plan du Cirque-Théâtre et programme. Collection L. Bourdelas

 

La Vie limousine salue comme il se doit l’inauguration de ce nouveau lieu de spectacle dans un article qui fourmille de précieuses informations : « Enfin ! « les trois coups sont frappés, Le Cirque inauguré, vient de devenir nôtre ». – Et l’on n’entendra plus la scie vieillie mais toujours lancinante : Ouvrira, – N’ouvrira pas, — Ra, — Ra pas.

Mais que ceux qui se montrèrent impatients veuillent se bien rappeler que la guerre, la maudite guerre, est passée par là aussi. — Commencé, en effet, sous la municipalité d’Antony, en 1909-10, le Cirque municipal se terminait sous la municipalité Betoulle de 1910 à 14, avec M. Blanc comme architecte, lorsqu’ « il y eut la guerre ». Et dès lors commencent les tribulations qui viennent de se terminer fort heureusement en cette -, véritable apothéose que fut l’ inauguration du 16 octobre.

Tout d’abord, les travaux furent repris par la municipalité pour enrayer une menace de chômage. Puis les travaux sont encore arrêtés : le Cirque a été réquisitionné pour y loger les réfugiés venus d’un peu partout à Limoges. Ensuite, il est occupé par les services du ravitaillement, et cela a bien duré jusqu’en 1920.

Cette première crise passée, une autre commence. La municipalité ne peut pas songer à exploiter elle-même le Cirque, et se préoccupe de trouver un directeur responsable. On sollicite des offres de divers côtés, et un instant même on fut près d’aboutir : un projet de convention était déjà établi, prêt à signer, lorsqu’au dernier moment on ne put plus s’entendre. De palabres en palabres, on était arrivé en octobre 1922, et le Cirque était toujours en instance d’achèvement lorsque commencèrent les négociations avec le sympathique directeur du Théâtre municipal, M. Cazautets. D’une part, la municipalité savait à qui elle avait affaire, et M. Cazautets pouvait, d’autre part, évaluer en connaissance les risques de l’entreprise qu’il assumait. Sur ces bases de confiance et de sympathies réciproques, l’accord fut vite conclu, sans modifier ou presque le projet de convention déjà élaboré par la mairie. M. Cazautets devenait concessionnaire du Cirque municipal suivant un bail à loyer, moyennant une somme annuelle de 60.000 francs. On estimait en outre, à 240.000 francs,

Vision fugitive

Et bientôt démentie! (air d’Hérodiade)

la somme nécessaire à l’achèvement du Cirque, et M. Cazautets versait immédiatement cette somme à la ville, qui devait la lui rembourser, par annuités, au prorata du loyer, sans intérêts. Mais on avait compté sans la crise du change, la baisse du franc, la hausse des salaires et du coût des matériaux. D’autre part, on n’avait prévu qu’un cirque, et l’on eut l’heureuse idée de faire ce qu’on a si bien réalisé : « le seul établissement en France pouvant donner dans la même salle, tous les genres de spectacles (théâtre, music-hall, cirque, cinéma, voire même grande salle de conférences ou de réunion). — D’où, deux conséquences :

1° Le bâtiment, construit d’abord pour un cirque, devait être transformé presque complètement : il fallait une scène, à établir dans le ciment armé de l’ enceinte primitive, et cela donna le cauchemar à nos architectes; il fallait un plancher sur la piste primitive pour y loger le parterre ou les fauteuils, et ce plancher devait être amovible comme les sièges pour pouvoir, à l’ occasion, user de la place en tant que piste ; — il fallait transformer, du même coup, à peu près toute l’installation du chauffage.

2° Qu’étaient devenus, à travers ces transformations successives, les pauvres petits 240.000 francs prévus pour l’achèvement du Cirque? Ils s’étaient tout naturellement enflés eux aussi jusqu’à atteindre le coquet total de 700.000 francs que M. Cazautets à avancés à la ville, qui doit les lui rembourser. Mais le même M. Cazautets, désireux de justifier la confiance mise en lui et de meubler luxueusement une salle qui devait être splendide, y a mis pour 350.000 francs de décors, accessoires, et meubles divers qui sont sa propriété, sans compter les aménagements qui s’imposent encore pour le cinéma et le cirque proprement dit, comme pour l’amélioration de l’acoustique. Mais si la municipalité de Limoges et le directeur M. Cazautets ont droit, ainsi que leurs collaborateurs, architectes, entrepreneurs, de tout ordre, et artistes de la décoration, à toutes nos félicitations, ils se sont acquis aussi des droits à notre appui constant. Il faut aller au Cirque, et y revenir : on ne s’en lassera pas. »

  

Collection Paul Colmar

            Au Cirque, on donne aussi bien Polyeucte « dont la grandiloquence cornélienne remplit sans effort la salle »[2], que Province du limougeaud Edouard Michaud, proposée par L’Ecole de Limoges, cercle littéraire très actif, « un succès, un évènement et une surprise (…) applaudissements nombreux et enthousiastes »[3]. On peut même assister à des « piécettes » enlevées interprétées par des amateurs à l’occasion du gala de la presse ou assister des conférences comme celle de M. Duviols, professeur agrégé de lettres au lycée Buffon à Paris, à propos de « Don Juan, sa légende, ses incarnations »[4] ou de Me Charrière, avocat, sur « Le comique de Courteline ». La saison 1929-1930, pour ne citer qu’elle, les spectateurs peuvent assister à Topaze[5], Marius[6], Rose-Marie[7], Tip-toes[8], etc. et les scolaires à Cyrano de Bergerac[9] et l’Aiglon[10].

Manifestation d’agriculteurs devant le Cirque-Théâtre (c) P. Colmar

 

 

[1] Site Géoculture – y compris les informations sur le peintre.
[2] La Vie limousine, 25 novembre 1925.
[3] Idem, 25 décembre 1925.
[4] Résumé complet dans La Vie limousine du 25 février 1929.
[5] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 octobre 1928.
[6] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 mars 1929.
[7] Il s’agit sans doute de l’opérette jouée à Broadway en 1924 sur une musique de Rudolf Friml et de Herbert Stothart et du livret de Otto Harbach et d’Oscar Hammerstein II.
[8] Tip-Toes, comédie musicale américaine des frères George et Ira Gershwin, créée à Broadway en 1925.
[9] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 28 décembre 1897.
[10] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 15 mars 1900.