06 Juil

Le roman de Franck Bouysse, Né d’aucune femme, chez La Manufacture de livres.

Ce n’est pas pour rien que Dostoïevski est cité (avec Emerson et Kafka) en exergue du roman de Franck Bouysse : « Ce n’est pas devant toi que je me suis prosterné, mais devant toute la douleur humaine. » En nous faisant partager le chemin de croix de Rose, vendue par son père misérable à un propriétaire de forge[1], l’écrivain aborde à nouveau la thématique du mal. De même que le Russe, arrêté par le tsar et condamné à quatre ans de bagne en Sibérie, avait découvert les couches populaires brimées, le romancier français envisage la souffrance particulière d’une adolescente captive devenant femme asservie, en Limousin, pour atteindre une réflexion universelle. Et même intemporelle, car les choses, si elles sont situées aux abords de la Vézère, rivière corrézienne, ne sont pas exactement datées. Peut-être la fin du XIXe siècle, ou le début du XXe, avant l’hécatombe de 14 dont il était question dans Glaise, le précédent roman. Mais c’est ici l’envers de la Belle époque. Pauvreté limousine, pauvreté universelle, comme celle racontée par Pierre Michon dans Les Onze lorsqu’il évoque « les Limousins de malheur » semblables aux « nègres d’Amérique ». De quoi faire songer au « Temps des métairies », le premier tome du Pain noir de Georges-Emmanuel Clancier, situé lui aussi en Limousin, chez les paysans pauvres, dont les premières lignes disaient : « La mère dit un conte comme cela où des parents trop miséreux abandonnent leurs enfants (…) Qu’est-ce que c’est la misère ? Il y avait une immense forêt dans ce conte et un géant, comment donc ? Ah ! un ogre, il mangeait les enfants. Ne plus penser à cela ! Se cacher de nouveau sous les draps, mais il y fait noir : si l’ogre aussi allait s’y tapir ? » C’est cela que raconte Franck Bouysse : un conte très sombre où l’ogre tant redouté de nos enfances est réellement venu se tapir dans la chambre de Rose, dans ses draps, à qui il va faire subir le pire, avec la complicité d’une vilaine femme, bien pire que la fée Carabosse. Un ogre absolu, en quelque sorte, un vampire à la Bram Stocker, chasseur d’homme comme le comte Zaroff, un ogre dont la forge maléfique sert à faire disparaître l’adversaire, comme un Vulcain diabolique annonciateur d’autres crémations à venir – Bouysse se rapproche ici de Shakespeare associant dans Hamlet la figure de Vulcain et celle du diable. Le roman frôle d’ailleurs l’épouvante, le fantastique, la maison de maître où Rose est prisonnière faisant parfois vaguement songer aux Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe. « J’aurais voulu quitter la maison, en être capable, partir à travers les bois… » écrit Rose, confrontée à la présence fantomatique de l’épouse du propriétaire des lieux. Persiste alors en nous, tout au long de cette lecture, le duo tragique interprété par Nick Cave et Kylie Minogue, Where The Wild Roses Grow, avec cette première phrase : « They call me The Wild Rose »…

La religiosité est présente dans cet ouvrage, et l’on peut dire qu’il est habité par le péché, la monstruosité, la violence absolue, jusqu’à la négation des corps, le meurtre, l’infanticide, la tentation du suicide, le mal – qui tient les uns et les autres dans ses rets enchevêtrés –, la folie, le désespoir et le remords. Le père de Rose est une figure possible de Judas, ne pouvant supporter d’avoir livré le Christ pour trente deniers et finissant par se pendre. Le romancier s’inscrit là dans une tradition littéraire que l’on ferait volontiers aller de saint Augustin à Camus, ici peut-être aussi à Bernanos, avec un prêtre recevant l’histoire de Rose écrite dans des cahiers. Dans le Journal d’un curé de campagne, le curé d’Ambricourt médite à propos de l’idée « du mal lui-même, cette énorme aspiration du vide, du néant. » Onésime le paysan racle « la merde », les rêves sont « vides de rêves » et le cœur ne semble être que la « dérisoire métaphore d’un sentiment diffus, empêché, parce que, quelque interprétation qu’on en fasse, le cœur n’est pas d’or, il sert à peu de choses, pour ne pas dire à rien. » Franck Bouysse, après Louis Guilloux, évoque un « sang noir » et « le goût vivant du sang mort dans [l]a bouche ». Dès lors se pose la question, sans doute également importante dans Né d’aucune femme, de la rédemption (d’autres utiliseraient peut-être l’expression à la mode « résilience »). Est-elle possible ? L’incontestable suspense de ce roman y conduit-il, ou conduit-il à la déchéance absolue ? Et par où pourrait-elle advenir, cette rédemption ? De l’amour salvateur, malgré tout ?

Des mots, peut-être. Encore et toujours. Rose a besoin d’écrire ce qui lui est arrivé, elle dit : « la seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire » et elle invente un nouveau verbe : « écrier ». Génie, un autre personnage, a besoin de l’entendre, comme le prêtre va vivre son existence avec ce texte douloureux. Et le grand ordonnateur de ce livre puissant et vibrant – à l’image des chevaux qui y sont mis en scène –, qui a laissé plonger son inspiration au plus profond de l’humain puis remonter vers la lumière, c’est Franck Bouysse dont l’écriture, sans être aussi lyrique que dans Plateau, demeure stylistiquement parfaitement maîtrisée (avec un usage remarquable des variations des temps des verbes et de la syntaxe selon les locuteurs), poétique (littéralement, par exemple lorsqu’Edmond s’exprime) et originale (sachant dire aussi l’animal, une constante chez cet auteur). C’est lui qui, comme Rose, dit, à propos des mots, « je les respire, les mots-monstres et tous les autres. » Il nous les fait respirer, et après l’avoir lu, nous respirons mieux.

 

[1] Au même moment et dans un tout autre style, Roselyne Bachelot raconte chez Plon dans Corentine l’histoire de sa grand-mère bretonne vendue à sept ans par ses parents à un marchand de chevaux de Roudouallec.

Histoire de La Jonchère et de son arboretum (7)

Linteau de l’ancien collège (L. Bourdelas)

La place de l’église (c) Paul Colmar

Place et statue Denis Dussoubs à Limoges

 

Le  XIXème siècle et le début du XXème

Un monument de La Jonchère – le collège – a accueilli, dans sa jeunesse, un hôte illustre : Denis Dussoubs, né à Saint-Léonard-de-Noblat en 1818. Construit dès la publication de la loi Falloux, ce grand édifice connaît ses heures de gloire de 1830 à 1845. Le maître d’œuvre, et futur directeur de l’établissement, le « vénérable » curé Chassaing (curé à La Jonchère de 1828 à 1840) fait édifier le bâtiment et ses dépendances avec les pierres provenant de la partie ruinée et non reconstruite de l’église Saint-Maurice, alors décrite « comme une grange en désolation ». Ce collège brille par la qualité de son enseignement et par la renommée de ses précepteurs, tel Léon de Jouvenel (philosophe, baron, député conservateur, président du conseil général de la Corrèze, maire de Varetz, opposant à Napoléon III). Denis Dussoubs en est un des plus célèbres élèves. Michel Laguionie a précisé, à propos de son frère et lui : « Soucieux de pourvoir ses neveux d’une solide instruction, l’oncle Gaston les mit en pension au collège (…) Disciple de Voltaire, l’oncle ne tenait pas les religieux en grande estime, mais l’établissement était réputé dans toute la région, pour la qualité de son enseignement. »[1] Devenu avocat fort renommé, partisan à Limoges de la révolution de 1848, il meurt le 2 décembre 1851 d’une balle dans la tête sur les barricades parisiennes, lors du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, alors qu’il remplaçait son frère Marcellin, député démocrate socialiste, malade. Gérard Dumont précise qu’alors qu’il était collégien à La Jonchère, celui-ci « afficha sa vivacité d’esprit en démasquant un mystificateur qui jouait les fantômes dans le cimetière. »[2] Denis Dussoubs avait également étudié au lycée de Limoges, puis à la Faculté de droit de Paris. Le collège ne survécut cependant point à un scandale, « dont les héros – précise encore Laguionie – étaient un prêtre-professeur et une jeune cuisinière. Dans un débarras, ces deux personnages se livraient aux jeux innocents de l’amour. Pour leur malheur, un élève, passant par là, avait collé un œil sur un trou que formaient des planches disjointes. Tous ses condisciples, invités par lui, étaient venus assister à ces tableaux on ne peut plus vivants ! »

En 1847, Jean Bonnaud édifia, à côté de l’église, les halles couvertes, démolies en 1925 et remplacées par la salle des fêtes.

[1]                      La vie généreuse et pathétique de Denis Dussoubs, Lucien Souny, 1989, p. 17.

[2]                      G. Dumont, La Jonchère-Saint-Maurice d’hier et pour demain », auto-édition, 2012, p. 482. Il indique : « De nos jours, l’ancien collège subsiste toujours, transformé en logements et commerces. De la grisaille de ses murs émerge encore une inscription latine qui témoigne de son passé : « has edocendae juventuti fecit aedes Chassaing rector Parochiae, anno domini Mdcccxxx » «  Chassaing, curé de la Paroisse, a fait édifier ce bâtiment pour servir à l’éducation de la jeunesse, l’an du Seigneur 1830 ».

30 Juin

Histoire de La Jonchère et de son arboretum (6)

(c) L. Bourdelas

Temps révolutionnaires à La Jonchère

En février 1790, M. de Léobardy du Vignaud, trésorier de France du bureau des finances de la Généralité de Limoges, est nommé (premier) maire de La Jonchère (il fut ensuite administrateur du district de Bellac et juge de paix de Laurière). M. Raby du Chéron et M. Raby des Bastilles sont nommés échevins et M. Gérardin procureur syndic. M. de Valeyze est élu secrétaire-greffier[1]. Une garde nationale de la paroisse, constituée de cinquante volontaires, est constituée. Le 14 juillet, on se réunit avec tambour et drapeau pour prêter le serment à la loi et au roi. On dit la messe sur un autel en planches construit sur la place de Laurière[2].

Juste avant la Révolution, en février 1789, Jean Richard (salué pour son éloquence), âgé de 40 ans, issu d’une famille de cultivateurs de Bersac, est nommé curé de la paroisse. Il assiste à l’assemblée du clergé pour la nomination des députés aux Etats Généraux. En 1791, il est prêtre réfractaire (et reçoit la protection de Gérardin et de Valeyze). C’est un certain Gabriel Lafont qui lui succède, mais les paroissiens le mettent en quarantaine et rappellent son prédécesseur qui organise un lieu de culte à la Tantolie. Raby des Bastilles, maire de la commune, tente de l’intimider, ainsi que ses fidèles, avec des hommes de la garde nationale. En 1793, le prêtre est finalement obligé de s’exiler en Espagne. Le 5 mars, le Registre de la Commune de La Jonchère donne une liste de « suspects », privés de particule pour l’occasion : la citoyenne Jeanne Brie, veuve Savignac, et son fils Léonard (en 1794, elle fut conduite en charrette à Limoges puis à la Conciergerie) ; Guillaume Léobardy, la citoyenne Catherine Verthamont son épouse et Thérèse, leur fille ; Léonard Gérardin et son épouse Anne Gay Delage ; la citoyenne Pierre Valize (90 ans), Magdeleine Valeize (80 ans) et Marguerite Valeize (72 ans). Le 24 novembre, les cloches de l’église sont descendues pour être fondues à Limoges et faire des canons pour la défense de la République. Le 30 novembre, on plante un arbre de la liberté avec feu de joie place de l’église, et l’on fait brûler les titres de rentes dues aux Sgr de Vaux et au Sgr du Vignaud. Le 17 décembre, des commissaires révolutionnaires font un discours anticlérical à l’église et renversent des croix sur leur chemin. Durant la Terreur révolutionnaire, un certain Raby du Sirieix, lieutenant criminel à Limoges, fut emprisonné pour « faits d’aristocratie ». Deux membres de cette famille, Joseph et Pierre-Louis Raby du Sirieix, de La Jonchère, émigrèrent en 1791[3]. En 1794, le tribunal criminel de la Haute-Vienne condamne François Rivière, instituteur à La Jonchère, pour avoir recelé des effets nationaux provenant de la maison des enfants émigrés de Françoise de Brie, veuve Savignac.[4] La même année, on ordonne de détruire des tours au Vignaud, car elles sont considérées comme des emblèmes féodaux. Notons que le 26 août 1796, le presbytère fut vendu comme bien national au sieur Raby (le maire ?), pour la somme de 1 440 livres[5]. Une autre personnalité de La Jonchère connut un destin particulier. Martial de Savignac, né au château de Vaux en 1758, prêtre réfractaire de la paroisse de Vaiges, en Mayenne, devint aumônier des chouans à la demande de Jacques Bruneau de La Mérousière, avant de rejoindre le chef chouan Michel Jacquet dit Taillefer. Le jour de Pâques, 27 mars 1796, Martial de Savignac dit la messe à Bazougers devant toute la division. Les Bleus[6] parurent. Le curé se trouva au milieu des combats, jusqu’au moment où deux hommes le dégagèrent et le conduire à l’écart. Malgré les avertissements qu’on lui donna alors de s’éloigner, il revint le 29 avril à Bazougers pour son ministère. Mais il fut surpris dans un verger, lisant son bréviaire, arrêté et conduit à Meslay, puis à Laval. Ses amis, aidés même par des patriotes qui admiraient le curé de Vaiges, mirent tout en œuvre pour sauver sa vie. Un premier jugement, le 7 mai 1796, porta la peine à 15 ans de fers. Des témoins étaient venus déposer que le prêtre leur avait sauvé la vie, et lui-même jura qu’il n’avait eu d’autre désir que de procurer la paix, d’arrêter l’effusion du sang et qu’il n’avait prêché que le pardon. Le général républicain Chabot ordonna la révision du procès, qui fut cassé, et le 9 mai 1796 fut formée une nouvelle commission militaire devant laquelle Martial de Savignac parut sans illusions. En entendant la sentence de mort à 5 heures du soir, il ne dit que ces mots en levant les yeux au ciel : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum[7]. Il fut fusillé le mardi 10, à midi, sur la place du Gast à Laval[8]. Ses deux frères, Léonard et Joseph de Savignac avaient participé à l’expédition de Quiberon. Organisé afin de prêter main-forte à la Chouannerie et à l’armée catholique et royale en Vendée, le débarquement des émigrés espérait soulever tout l’Ouest de la France afin de mettre fin à la Révolution française et de permettre le retour de la monarchie. Il fut repoussé le 21 juillet 1795 et échoua. Les frères Savignac furent fusillés le 28 août et le 1er septembre 1795, parmi  748 autres condamnés. Leur mère Françoise de Brie de Soumagnac (1724-1801) fut emprisonnée à Limoges[9].

Lorsque les derniers religieux furent sortis de l’abbaye de Grandmont, Mgr d’Argentré fît distribuer aux paroisses du diocèse les reliques et les reliquaires de son trésor. Une partie des richesses qui le composaient, a pu, grâce à leur éparpillement sur tous les points du diocèse, échapper au vandalisme révolutionnaire. Ainsi furent réservées pour La Jonchère des reliques de deux compagnons de saint Maurice, martyrs, sans reliquaire.[10]

Un document publié par Jacques de Léobardy indique qu’une épidémie a tué trente personnes dans la force de l’âge à La Jonchère, entre septembre 1796 et janvier 1797. En 1797, la récolte des foins et des blés s’est levée sans une goutte d’eau. L’été 1798 est particulièrement sec et les fontaines n’ont plus d’eau. La même année, la récolte de châtaignes est particulièrement abondante et en décembre 1799, on cueille encore des roses dans le jardin du Vignaud[11].

[1]                      Peut-être s’agit-il de Pierre Candide de Valeyze, né vers 1736 et mort après 1793, fils de Pierre (chirurgien) mentionné comme « milicien, tailleur d’habits Chez-Brouillaud » ? (source : site Geneanet).

[2]                      J. de Léobardy, Une histoire de famille, auto-édition, Lavauzelle-Graphic (Panazol), 1998, p. 112.

[3]                      B.S.A.H.L., t. 75, 1934, p.31.

[4]                      B.S.A.H.L., t. 45, 1897, p. 539.

[5]                      A. Lecler, Dictionnaire historique…, déjà cité, p. 393.

[6]                      Républicains.

[7]                      Ô Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit.

[8]                      « Martial de Savignac », dans Alphonse-Victor Angot, Ferdinand Gaugain, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, Goupil, 1900-1910.

[9]                      A. Lecler, Dictionnaire historique…, déjà cité, p. 395.

[10]                    B.S.A.H.L., t. 60, 1910, p. 437.

[11]                    Une histoire de famille, déjà cité, p. 132.

23 Juin

Histoire de La Jonchère et de son arboretum (5)

Le Vignaud, par L. Bourdelas

Le Vignaud, ancienne carte postale (c) P. Colmar

La croix des prisonniers, par L. Bourdelas

 

 

Des Temps modernes à l’Ancien Régime

Un bas-relief – anonyme –, provenant d’une chapelle aujourd’hui démolie, a été logé dans une muraille au Vignaud. Il représente la Nativité et date probablement du XVIème siècle. La Vierge est représentée à genoux, les mains jointes, cheveux flottants sur les épaules. Elle adore l’Enfant divin, étendu tout nu sur une claie d’osier. En face d’elle, saint Joseph, à la barbe opulente et frisée, relève son manteau de la main gauche et tient de la main droite un objet cylindrique, sans doute une chandelle. Le bœuf et l’âne, minuscules, sont au second plan. Le fond de la scène est occupé par un massif de rochers où se déroule un tableau champêtre. Un jeune berger vêtu d’un bliaud court, coiffé d’un capuchon, tend le bras droit vers le ciel, des moutons paissent ou dorment. Sur la gauche, un autre berger, un adolescent, est assis et porte un doigt à ses lèvres. Il regarde le groupe de la Sainte Famille[1].

Au XVIe siècle,  la Réforme trouva en Limousin des adeptes convaincus et des martyrs; tel un malheureux vicaire de La Jonchère, Guillaume du Dognon, qui fut brûlé en 1555, au pilori de la place des Bancs à Limoges.[2]

A La Jonchère, au XVIIe siècle, les sieurs de Valèze, qui paraissent avoir rempli des offices de plume, tiennent aussi journal des événements importants ou curieux de la contrée. Mais leur œuvre, restée manuscrite, est mal connue.[3]

Pailler évoque l’existence d’une prison à « La Croix des Prisonniers » et observe, en 1921, qu’il ne reste « qu’un amas de pierres surmontées d’un magnifique calvaire en granit que la famille de Léobardy a fait édifier sur l’emplacement. »

Les vieux documents nous livrent parfois de savoureuses informations, ainsi la mention de « M. Christophe Rivière de Traymond, prêtre en 1749, curé en 1750, d’un caractère violent, emporté, inquiet, chicanneur, de mauvaise foy en affaires, ahi (sic) et craint dans sa paroisse. »[4]

La paroisse de La Jonchère entretenait un milicien. Le 6 février 1756, Pierre Chardon, cardeur, s’engage pour servir pendant six ans de milicien pour la paroisse, moyennant la somme de cent vingt livres.

Pailler a consacré un chapitre de sa petite monographie à l’organisation de la charité à La Jonchère. Depuis au moins le règne de Louis XIV, il existait un « conseil, ou bureau de charité » d’une dizaine de membres choisis par les notables de la paroisse, examinant famille par famille la situation de tous les pauvres qui lui étaient signalés « et attribuait à chacun d’eux, non pas une aumône uniforme, mais un secours qui allait jusqu’à le nourrir complétement, si besoin était. »

Notons qu’une native de La Jonchère fut l’une des « Demoiselles de Saint-Cyr » : Marie Françoise de Savignac-Vaux, née le 9 novembre 1763, jusqu’au 17 juillet 1775, date à laquelle elle mourut[5]. La Maison royale de Saint-Louis était un pensionnat pour jeunes filles créé en 1684 à Saint-Cyr (actuelle commune de Saint-Cyr-l’École, Yvelines) par le roi Louis XIV à la demande de Madame de Maintenon qui souhaitait la création d’une école destinée aux jeunes filles de la noblesse pauvre. La mère de Marie Françoise, Françoise de Brie-Soumagnac, dont nous reparlerons, avait été pensionnaire de 1733 à 1743, ainsi que ses sœurs.

[1]                      Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t.78, 1939, p. 142.

[2]                      B.S.A.H.L., t. 52, 1903, p. 47.

[3]                      B.S.A.H.L., t. 34, 1887, p. 36.

[4]                      Chartes, chroniques et mémoriaux pour servir à l’histoire de la marche et du Limousin, publiés par Alfred Leroux, et feu Auguste Bosvieux, Tulle, 1886, p. 435.

[5]                      « Les Demoiselles de Saint-Cyr », liste du département de la Haute-Vienne, site des Archives départementales des Yvelines. Et site Geneanet.

17 Juin

La Jonchère et son arboretum (4): l’église

La Fête-Dieu (c) P. Colmar

(c) L. Bourdelas

(c) L. Bourdelas – La nef 

(c) L. Bourdelas – La crèche

(c) L. Bourdelas – Le coq du clocher

(c) L. Bourdelas – le vitrail de Jeanne d’Arc

(c) L. Bourdelas – Décor

(c) L. Bourdelas – Détail du bénitier

 

L’église a été détruite au XIIe siècle, mais fortement remaniée dès le XIIIe siècle et restaurée au XIXe. Elle dispose d’une nef unique de deux travées à faux transept et d’une abside polygonale.

L’intérieur. – Un porche en arc brisé neuf supporte un clocher neuf, désaxé par rapport à la nef. Les murs de la première travée sont garnis d’arcs de décharge brisés, avec quart-de-rond au départ de la voûte. A l’Ouest, les piliers sont engagés dans la maçonnerie et présentent des chapiteaux cachés en partie, avec des crochets à la corbeille. A l’Est, les piliers sont formés d’un pilastre rectangulaire et d’une colonne ronde engagée du type de Nieul. Le chapiteau est commun au pilastre el à la colonne. Les corbeilles sont sculptées, au Nord, de crochets-boules et de crochets fleur-de-lis, au Sud, de crochets-boules. Les tailloirs sont moulurés d’un cavet, d’un filet, d’un boudin et d’un filet. La voûte d’ogives est neuve. Il y a une fenêtre, sans caractère, au Sud. Dans la deuxième travée, il y a des crochets-boules sur les chapiteaux, au Nord, des crochets-boules et des crochets fleurs-de-lis, au Sud. Fenêtre au Nord et fenêtre au Sud. Après cette travée, on trouve de chaque côté une chapelle voûtée en berceau brisé transversal et éclairée par une fenêtre. Ces chapelles, qui sont modernes, constituent une sorte de transept. Le chœur, moderne, est voûté de six ogives, rayonnantes retombant sur des culots. C’est le système de l’abside de Bonlieu (Creuse), mais avec des nervures au lieu d’arêtes. L’entrée de cette abside est intéressante. Elle est formée d’un doubleau de section rectangulaire qui retombe sur des colonnes engagées. Les chapiteaux de ces colonnes paraissent anciens ; leur style indique le XIe siècle ou le début du XIIe siècle. Les pilastres doubles, en équerre, qui sont adossés aux colonnes et font raccord avec la nef, sont du XIIe siècle et sculptés de crochets-boules de la même époque que ceux de la nef. Les bases des colonnes sont anciennes. Elles sont montées sur un très haut soubassement. Les bases des pilastres sont de même hauteur. Il y a eu certainement une voûte du XIIIe siècle à laquelle faisait suite une abside romane moins large que la nef et que l’abside moderne actuelle a remplacée.

Mobilier. — Il ne présente pas grand intérêt. A noter cependant un vieux saint Jean-Baptiste en bois.

L’extérieur. — A l’Ouest, la porte est de style roman limousin à trois voussures. Il n’y a point d’encadrement à l’archivolte. Les chapiteaux ne sont pas sculptés.

L’élévation sud présente, à la deuxième travée, un reste intéressant du vieux mur roman dans lequel une fenêtre en plein cintre, très étroite et peu ébrasée indiquerait le XIe siècle. Le mur est en moellons avec pierres d’appareil à l’alentour des contreforts. L’élévation Nord présente la même fenêtre et aussi des baies carrées bouchées actuellement, lesquelles ont pu servir de fenêtres de guet pour un chemin de ronde. Il n’y a pas de contreforts en bon état de ce côté, alors qu’il y en a au Sud.

Une cloche, bénite en 1806 par M. Rogues, curé de La Jonchère, fut placée sous l’invocation de Saint Maurice et de Sainte Anne. Elle eut pour parrain M. Joseph de Léobardy de Mazan ; la marraine fut dame Marie-Pauline Chaud de la Roderie, son épouse, de la paroisse de La Jonchère. Elle fut fondue avec les fonds et selon le désir de défunte dame Marie-Anne Baillot du Queyroix, épouse de Paul Chaud de la Roderie, chevalier de Saint-Louis, mousquetaire de la garde du Roi, ses père et mère.

Dans la nuit du 8 au 9 juin 1792, la grille de la fenêtre de la sacristie est forcée et sont volés le ciboire, le soleil d’argent (où était le Saint Sacrement et qui aurait coûté 700 livres), l’enseigne (80 livres), les nappes de l’autel, les boîtes des saintes huiles et deux croix « dont une avait un morceau de la vraie croix ».

En 1884, au cours de déblais pratiqués derrière l’église, dans un terrain sur lequel, dit-on, se prolongeait autrefois le chœur, on a trouvé, pliées dans des lambeaux d’une étoffe grossière, un grand nombre de pièces d’argent d’un très bas titre et soixante ou quatre-vingts deniers d’or, agneaux d’or et royaux en parfait état de conservation, paraissant tous appartenir au règne de Charles VII.

André Lecler, dans son Dictionnaire historique et géographique de la Haute-Vienne, Limoges, 1920-1926, a publié la liste des prêtres de La Jonchère qu’il a pu retrouver.

On note aussi la présence, à l’entrée de l’église, d’un petit bénitier – avec deux anges – et d’un tronc – avec figure de Christ – pour offrandes en bronze, ensemble qui provient des productions de Ducel et du Val d’Osne. Il fut offert par Mignon, administrateur du Val d’Osne, propriétaire du château de Walmath, voisin, pour le mariage de sa fille.

Sources : Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t.72, 1927, p.21 ; t.78, 1939, p. 136 à 143 ; t. 32, 1885, p. 316. J. de Léobardy, Une histoire de famille, auto-édition, Lavauzelle-Graphic, 1998, p. 119. E-monumen-net.

12 Juin

Histoire de La Jonchère et de son arboretum (3)

(c) L. Bourdelas

Vitrail représentant saint Maurice, à l’église.

 

Au cœur du Moyen Âge

Au XIIème siècle, les sources font mention de la prévôté ecclésiastique de la Jonchère. Le fils d’un dénommé Aumone obtient en 1188 de la part de l’évêque Sébrand Chabot (1178-1197) la charge de «prévôt » (même si les institutions d’Église ont le plus souvent opté pour le terme de « maire ») afin de coordonner l’exercice de ses exploitations agricoles sur son domaine de la Jonchère. Peut-être est-ce de cette période que date la fondation de la paroisse – durant tout l’Ancien Régime, c’est en effet l’évêque qui nomma l’intégralité des prêtres de Saint Maurice. En 1702, l’évêque de Limoges est toujours titulaire de la châtellenie de La Jonchère.[1] Parfois, elle bénéficie des largesses d’un prélat ; ainsi, à sa mort en 1272, l’évêque de Limoges Aimeric de La Serre, précise-t-il, dans son long testament, qu’il laisse vingt-cinq livres à l’église pour la bâtisse et son ornement, et la même somme pour « l’hôpital ».[2] Les évêques de Limoges vinrent d’ailleurs souvent à La Jonchère où ils avaient leur résidence d’été.

Les archives concernant la justice épiscopale – et parfois ses manquements – au XIVème siècle, permettent de découvrir quelques anecdotes. Ainsi un notaire public de la Jonchère, Guillaume de la Place, avait le tort de « aconseiller appeler les gens qui soy disoient grevés » par le sénéchal de l’évêque : on le met à l’amende; il en appelle : on l’arrête, et on le jette dans un cachot. Il est vrai que ce notaire avait dit au sénéchal tenant l’assise « qu’il ne feroit pour lui mes comme pour un renart », et qu’avec ses complices il avait de nuit battu et navré un homme ; c’était en somme (au dire de l’évêque) un scélérat, et d’ailleurs on ne l’avait point fait renoncer à son appel. Une autre fois, c’est le bailli de l’évêque à la Jonchère qui défend d’exécuter un individu condamné à la potence, et le fait «ramener et donner pour mari à une pucelle qui le requist, et le li bailla sanz en fere punition ni justice » ; mais le fait est trop « général et obscur » pour que l’évêque prenne la peine d’y répondre.[3]

La tradition rapporte qu’un sac[4] de La Jonchère aurait eu lieu, sans qu’on puisse le dater avec certitude. Certains évoquent Edouard de Woodstock, le Prince Noir, supputant l’intrusion permise aux soudards du côté de la rue de la Trahison, qui porterait ainsi fort bien son nom. Il est vrai que depuis son arrivée en Aquitaine en 1355, jusqu’à son retour définitif en 1371, Edouard organisa pendant seize ans une suite de chevauchées, tant contre ses adversaires en dehors de ses provinces que contre quiconque osait contester son autorité sur ses terres. Le sac de la Cité de Limoges, en août 1370, dont l’évêque l’avait trahi, demeura dans les mémoires – d’autant plus que Froissart y dénombra 3 000 victimes, là où il n’y en eut peut-être que dix fois moins. L’abbé Pailler cite des Ephémérides écrits en 1830 par de Léobardy, où celui-ci écrit : « Le Prince Noir, à la tête d’une armée victorieuse, se rue sur le Limousin, au travers duquel il se fraie un passage, au milieu des décombres et dans le sang (…) il dirige sa marche vers Grammont, dont les immenses trésors tentent sa cupidité. Il ruine, en passant, Saint-Sylvestre ». Déduction de l’abbé : « il n’est pas téméraire de penser que Juncheria qui n’était éloignée que de quelques kilomètres de Grammont, à laquelle la reliait une vaste chaussée, ait subi le sort de sa riche voisine. » Toujours selon lui, lors de travaux de construction au sud du champ de foire des porcs, on découvrit « des débris d’habitations, pierres noircies par le feu, briques, débris de poutres calcinées », sans que l’on puisse dater le sinistre.

Le pouillé du diocèse de Limoges renseigne sur les vicairies (église ou chapelle succursale dans une paroisse que dessert un vicaire) créées à La Jonchère : «  Vicairie fondée par Bonne Arnaude, demoiselle, et ses prédécesseurs, avant 1355 [Dans la chapelle du château du Vignaud]. Autre, par noble Jean Joudrineau ou Jourdaneau, sieur du Verger, appelée de Peyrefolle. — A l’autel de saint Jean Baptiste ou de saint Giles. — P. Curé confère. Charles du Vignaud, écuyer, sieur dudit lieu, 1562. Jeanne de Nespoux, tutrice de Pierre et de Jacques, 1564, 1569. Perière, comme seigneur du fief du Vignaud, 1629. Noble Guillaume Joudrenaud, damoiseau, sieur du Vergier, 1497. [Autre, dite Malese, dans la chapelle du château du Vignaud. — P. Evêque. Autre, par Pierre de Folle, fondée dans la chapelle du château du Vignaud]. Vicairie fondée par Pierre Boudelli, damoiseau de la ville de La Jonchère, du consentement de sa fille, Marguerite Boudela et de Jean Joudrinaudi, damoiseau, son gendre, pour un prêtre séculier, son parent, ou de sa femme, le 28 mai 1458. Signé Bordas. Spiritualisée en 1497 [Appelée Les Vignauds]. — Chapelle du grand cimetière. — A l’honneur de la Sainte-Vierge et saint Maurice. A l’autel de saint Jacques et saint Michel. — P. Curé doit conférer dans quarante jours; ce temps expiré, l’évêque; héritiers et successeurs présenteront. Charles du Vignaud, écuyer, sieur de Bacheleries, 1567, 1569. Le service était transféré dans la chapelle du château du Vignault, lorsque Périère, président au présidial de de Limoges, nomma, en qualité de seigneur de ce fief, 1670. Noble Guillaume Joudrenaud ci-dessus, 1497. Autre, par M. Pierre de Alvernia. — A l’autel de saint Eloi. — P. Blaise de La Marche, damoiseau, sieur de Pierrefole, 1471. »[5]

En 1510, on trouve trace d’une maladrerie à La Jonchère, vraisemblablement destinée aux lépreux, prieuré ou aumônerie sous l’invocation de la Sainte Vierge, auquel l’évêque aurait pourvu dès 1371.[1]

Le chanvre étant alors un produit de première nécessité pour les populations (textile, mais aussi voiles, cordage), on en cultivait partout en Limousin. Ainsi à La Jonchère, où un contrat passé en 1579 entre un propriétaire et un métayer mentionne que ce dernier pourra « semer un lopin contenant six couppées de chanvre à lever où lesdites parties l’ont limité » ; un autre contrat stipule en 1575 que le métayer pourra faire une quartellée de chanvre dans un certain verger, pour son usage[2].

[1]                      B.S.A.H.L., t. 55, 1905, p. 23.

[2]             R. Chanaud, « Chanvre et chènevières en Limousin et Marche, une culture marginale mais omniprésente (XVIe-XIXe siècles)», in Paysage et environnement en Limousin de l’Antiquité à nos jours, sous la direction de P. Grandcoing, PULIM, 2010, p. 130 et 132.

[1]                      B.S.A.H.L., t.45, 1897, p. 565.

[2]                      B.S.A.H.L., t.4, 1852, p. 133.

[3]                      B.S.A.H.L., t. 31, 1883, p. 368.

[4]                      Saccage, pillage d’une ville.

[5]                      J. Nadaud, « Pouillé historique du diocèse de Limoges », manuscrit de 1775, B.S.A.H.L., t. 53, 1903, p. 298.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11 Juin

Parution du Dictionnaire des rues de Limoges aux Editions Mon Limousin

Patrick Modiano, qui sait ce que veut dire arpenter une rue, a affirmé, dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature : « À mesure que les années, passent, chaque quartier, chaque rue d’une ville, évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. » Pour ma part, j’avais écrit à propos de la rue Aristide Briand, ma « rue d’enfance », qu’ « il semblerait que l’on puisse être traversé par une rue autant ou à mesure qu’on la traverse. »[1] Avant elle, il y avait eu la rue Raspail – entre le Château et la Cité –, mais c’est bien l’ancienne route d’Ambazac, aux parfums mêlés de fleurs de cerisier et d’amours adolescentes, que j’eus en partage avec Georges-Emmanuel Clancier, qui fut et demeure mon artère vitale, de la gare des Bénédictins au Bois de La Bastide, avec l’école de La Monnaie et l’église Saint-Paul Saint-Louis. Même si d’autres rues comptèrent ensuite pour moi – comme la rue de la Boucherie ou le square Jean-Marie Masse, qui me rappelle mes années Hot Club.

Modiano a donc raison et l’on peut ajouter qu’à ces souvenirs personnels, intimes, la dénomination des rues offre la transmission officielle, citoyenne, historique et contribue à tracer le portrait d’une ville et des édiles qui l’ont dirigée. C’est bien ce que le présent ouvrage nous montre. A la tradition populaire, artisanale…, s’est adjointe la volonté politique : plus d’un siècle de gauche, le socialisme municipal, l’affirmation syndicale, la franc-maçonnerie[2], la Résistance, ont laissé leur empreinte. Et la municipalité de droite élue en 2014 n’a pas été en reste dans ce travail de mémoire – elle qui a aussi fait graver le nom des « morts pour la France » au pied du monument aux morts de 1914-18, baptisé un pont Georges Guingouin et un boulevard Robert Maloubier en souvenir de résistants ou honoré la mémoire du gendarme Arnaud Beltrame.

Le dictionnaire de Lucas Destrem – jeune géographe limougeaud – témoigne de l’amour de celui-ci pour sa ville natale et de sa réflexion à propos des motivations culturelles et politiques qui sous-tendent l’aménagement des territoires, et des différents enjeux qui y sont liés. Intéressé par la néo-toponymie (argumentaires et stratégies de la dynamique de dénomination des lieux aux XXe et XXIe siècles) et la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel, il livre ici une véritable et captivante histoire illustrée de notre ville, qui invite le lecteur à une déambulation érudite et plaisante. Le nom des rues de notre ville et leur histoire participent de l’identité limougeaude et offre des repères au moment-même où le Limousin s’efface au profit de la Nouvelle Aquitaine. Il est rassurant que les nouvelles générations s’y intéressent.

[1] Des champs de fraises pour toujours, L’Harmattan, 2004, p. 31.

[2] M. Laguionie, Petit Dictionnaire maçonnique des rues du Limousin, Le Puy Fraud Editeur, 2011.

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09 Juin

La Jonchère et son arboretum (2)

La pierre branlante (c) L. Bourdelas

 

Une petite histoire de La Jonchère

 

           

            Aux origines

Situées au nord-ouest de l’arc du Taurion, La Jonchère et les environs sont le lieu d’un peuplement important pendant l’Antiquité. L’oppidum gaulois lémovice du « Chatelard », d’une superficie de 9 hectares (sur l’actuelle commune de Jabreilles-les-Bordes, au Maillorat) – Âge du fer 2, 450-25 av. J.C., apogée de la civilisation celtique –, et l’ensemble cultuel du Puy-de-Jouer (Saint-Goussaud) en sont les témoins. Avec ses 687 m d’altitude, le Puy de Jouer était un poste naturel d’observation et de surveillance grâce à l’importante trouée naturelle entre les monts d’Ambazac et les gorges abruptes du Taurion. Les Romains utilisèrent cette position en y installant, au carrefour des anciennes routes de Limoges à Argenton et de Limoges à Clermont, un centre de culte de hauteur, avec plusieurs temples et un monument identifié comme théâtre[1]. Les lieux étaient aussi sillonnés par un itinéraire de long parcours, axe économique reliant les mines d’étain de Bretagne à la Méditerranée. Un tronçon a été repéré en 1979 aux Grands et Petits Marmiers remontant vers Jabreilles et le Puy du Chatelard. Régionalement, cette voie était le seul accès aux gisements miniers du nord des Monts d’Ambazac et de Saint-Goussaud (Etain, cuivre, or). Selon l’abbé H. Pailler, qui écrivit en 1921 une sérieuse monographie à son sujet, La Jonchère « était une des villes les plus anciennes de la Basse-Marche », même si on ne connaît pas exactement la date de sa fondation[2]. Il fait part, toutefois, de la découverte sous l’ancien presbytère d’une fosse rectangulaire dans laquelle étaient « des ossements d’homme et de cheval, qui furent reconnus à l’examen remonter à l’époque gallo-romaine », et d’une « superbe urne funéraire du IVème ou Vème siècle » trouvée à Entrecolles, à quelques kilomètres de La Jonchère. Il mentionne également des « médailles, silex, pierres taillées dont l’origine gallo-romaine ne saurait faire de doute ». Nombre de caves spacieuses non datées existaient aussi. Sur le bord du sentier conduisant au sanctuaire de Sauvagnac se trouve la fontaine du sang, dont la légende attribue le nom au fait qu’un combat meurtrier aurait eu lieu entre Gaulois et Romains et que pendant plusieurs jours, de la fontaine aurait coulé du sang.

Lors de la christianisation, le pôle de peuplement autour de Jabreilles perdure. Une chapelle (détruite) dédiée à Saint Martin indique une paroisse « primitive » constituée vraisemblablement à l’époque mérovingienne. Cette entité territoriale ecclésiastique englobait les Billanges et La Jonchère – un  lieu de  culte privé existant peut-être déjà dans le bourg, le culte de Saint Maurice apparaissant dès le IVème siècle.  Avec la chapelle Saint Blaise des Petits Marmiers et Sainte-Anne des Grands Marmiers, la possibilité est réelle d’être en présence de sanctuaires liés à d’importants domaines fonciers comme c’est le cas de Feytiat ou de Salagnac[3]. L’administration carolingienne dote les comtes de supplétifs nommés les «vicaires ». Ceux-ci organisent et ordonnent la vie économique et cultuelle d’un espace géographique donné. La  Jonchère est alors intégrée dans la Vicaria de Salagnac (commune de Grand-Bourg (Creuse). Au début du XIème siècle, c’est la formation du Comté de la Marche par Boson le Vieux, dont les successeurs – plusieurs fois en conflit avec les vicomtes de Limoges – demeurent les titulaires, du moins jusqu’au mariage d’Almodis, attributaire du comté par son oncle Eudes dans les années 1095-1098, avec Roger de Montgomery[4]. Un siècle plus tard, c’est la famille de Lusignan qui devient la détentrice du comté et oscille entre les monarchies française et anglaise, jusqu’à l’entrée dans les possessions royales de France sous Philippe IV le Bel, soucieux d’accroître son pouvoir en Limousin, puis – suite à un échange opéré par son fils Charles IV le Bel – au sein de la Maison de Bourbon. La Jonchère – qui sera dite « ville » en 1508 – était le chef-lieu d’une châtellenie relevant de l’évêché de Limoges.

 

[1]                      DIREN Limousin, Les sites protégés du Limousin, la Creuse, PULIM, 2002.

[2]                      La Jonchère-Sainte-Maurice ses origines, son histoire, Imprimerie-Papèterie A. Bontemps, 1921. Une partie de nos informations non explicitement sourcées proviennent de cet opuscule de 30 pages.

[3]                      Site internet de La Jonchère-Saint-Maurice.

[4]                      Collectif, Creuse, Christine Boneton, 2007, p. 30.

08 Juin

La Jonchère-Saint-Maurice et son arboretum: une série estivale exceptionnelle sur le blog Ici c’est Limoges!

(c) photothèque Paul Colmar (cliquer pour agrandir)

 

Tout l’été 2019, nous allons sortir de Limoges – la capitale limousine – pour aller nous promener à la campagne, dans un lieu charmant: La Jonchère, qui dispose d’un magnifique arboretum.

Je vous propose une petite Histoire de La Jonchère, nourrie par de multiples sources, souvent inédites. Je remercie vivement Maurice Masdoumier, qui me donna l’idée de ce travail, et M. Bernard Gérardin, qui m’a permis de travailler chez lui sur les archives familiales. Ma reconnaissance va également à Paul Colmar, qui me permet de puiser dans sa photothèque et à Dominique Papon, qui m’a donné l’opportunité de créer ce blog. Et je salue tous ceux qui ont déjà écrit à propos de ces lieux.

(c) L. Bourdelas

 

Situé à une trentaine de kilomètres de Limoges, au cœur du Limousin et de la région Nouvelle Aquitaine, la petite ville de La Jonchère-Saint-Maurice est également à moins de dix kilomètres d’Ambazac, connue notamment pour la châsse émaillée provenant du trésor de l’abbaye de Grandmont qu’abrite son église.

Ce territoire est marqué par l’empreinte de l’Histoire depuis des temps très anciens. Au XIXème siècle, le travail à l’amélioration de la race limousine, l’exploitation du kaolin, la création de pépinières, à l’initiative de dynamiques entrepreneurs et permises par ceux qu’ils employèrent – ouvriers et paysans -, donnèrent au bourg l’opportunité de se développer et d’acquérir une renommée. Une activité renforcée par l’arrivée du chemin de fer.

 Aujourd’hui, au beau milieu de la campagne limousine, La Jonchère-Saint-Maurice offre un cadre de vie et de visite très agréable. Les chemins de V.T.T. et de randonnée pédestre permettent de très agréables promenades.

Un attrait renforcé par la présence d’un magnifique arboretum fondé par Henri Gérardin et André Laurent, aujourd’hui propriété de l’Office National des Forêts. Il fait bon l’arpenter en toute saison, découvrir de magnifiques espèces d’arbres, mais aussi de végétaux et, avec un peu de chance, d’animaux – en particulier des oiseaux. Il est très agréable de s’asseoir sur le muret longeant l’étang et d’y méditer ou d’y lire. Un bon moyen de se souvenir d’ailleurs que l’arbre et la forêt sont des sources constantes d’inspiration pour les auteurs limousins.

 

 

Le nom de La Jonchère-Saint-Maurice

 

            Jonchaie, Joncheraie, Jonchère : substantif féminin. Le mot jonchière est attesté dès 1150 et signifie : « lieu où croissent les joncs ». En 1776, la jonchaie est aussi « l’endroit où croissent les joncs ». En 1808, la jonchère est la touffe de joncs. En 1926, la joncheraie est aussi « le lieu où poussent les joncs ». Le nom de jonc est donné à plusieurs plantes. Au sens strict, ce nom désigne les espèces appartenant au genre Juncus, dans la famille des Juncaceae. Le verbe joncher, que l’on rencontre déjà vers 1080 dans La Chanson de Roland, signifie d’abord : « parsemer de branchages, de feuillages ou de fleurs » – ce qui était fréquent, par exemple, dans les vastes pièces des châteaux médiévaux ou dans les chaumières au sol de terre battue. A partir de la fin du Moyen Âge, enfin, la jonchée est un petit panier de jonc dans lequel on fait égoutter le lait caillé et aussi le petit fromage de vache, chèvre ou de brebis fait dans ce panier.

En Limousin, la Junchéria est bien le pays des joncs. Même si certains l’ont fait dériver de junctio (réunion) parce que plusieurs voies importantes s’y croisaient. Le 7 juillet 1918, le conseil municipal de La Jonchère prit connaissance du vœu émis par La Chambre de Commerce de Paris, qui souhaitait qu’un complément de nom soit donné aux communes portant une dénomination identique. Cette modification permettrait de faciliter les transmissions postales et télégraphiques. Le conseil, après en avoir délibéré, jugea tout à fait opportun de répondre favorablement à cette demande, et décida qu’à l’avenir, la commune serait désignée sous le nom de La Jonchère-Saint-Maurice. Cette adjonction était liée au fait, qu’avant la guerre, la fête patronale se célébrait le jour de la Saint-Maurice, patron des soldats, et avait un grand relief auprès des communes avoisinantes. C’est par décret ministériel du 16 août 1919 que ce changement de nom fut autorisé[1].

 

[1]                      Site internet de La Jonchère-Saint-Maurice.

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