Patrick Modiano, qui sait ce que veut dire arpenter une rue, a affirmé, dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature : « À mesure que les années, passent, chaque quartier, chaque rue d’une ville, évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. » Pour ma part, j’avais écrit à propos de la rue Aristide Briand, ma « rue d’enfance », qu’ « il semblerait que l’on puisse être traversé par une rue autant ou à mesure qu’on la traverse. »[1] Avant elle, il y avait eu la rue Raspail – entre le Château et la Cité –, mais c’est bien l’ancienne route d’Ambazac, aux parfums mêlés de fleurs de cerisier et d’amours adolescentes, que j’eus en partage avec Georges-Emmanuel Clancier, qui fut et demeure mon artère vitale, de la gare des Bénédictins au Bois de La Bastide, avec l’école de La Monnaie et l’église Saint-Paul Saint-Louis. Même si d’autres rues comptèrent ensuite pour moi – comme la rue de la Boucherie ou le square Jean-Marie Masse, qui me rappelle mes années Hot Club.
Modiano a donc raison et l’on peut ajouter qu’à ces souvenirs personnels, intimes, la dénomination des rues offre la transmission officielle, citoyenne, historique et contribue à tracer le portrait d’une ville et des édiles qui l’ont dirigée. C’est bien ce que le présent ouvrage nous montre. A la tradition populaire, artisanale…, s’est adjointe la volonté politique : plus d’un siècle de gauche, le socialisme municipal, l’affirmation syndicale, la franc-maçonnerie[2], la Résistance, ont laissé leur empreinte. Et la municipalité de droite élue en 2014 n’a pas été en reste dans ce travail de mémoire – elle qui a aussi fait graver le nom des « morts pour la France » au pied du monument aux morts de 1914-18, baptisé un pont Georges Guingouin et un boulevard Robert Maloubier en souvenir de résistants ou honoré la mémoire du gendarme Arnaud Beltrame.
Le dictionnaire de Lucas Destrem – jeune géographe limougeaud – témoigne de l’amour de celui-ci pour sa ville natale et de sa réflexion à propos des motivations culturelles et politiques qui sous-tendent l’aménagement des territoires, et des différents enjeux qui y sont liés. Intéressé par la néo-toponymie (argumentaires et stratégies de la dynamique de dénomination des lieux aux XXe et XXIe siècles) et la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel, il livre ici une véritable et captivante histoire illustrée de notre ville, qui invite le lecteur à une déambulation érudite et plaisante. Le nom des rues de notre ville et leur histoire participent de l’identité limougeaude et offre des repères au moment-même où le Limousin s’efface au profit de la Nouvelle Aquitaine. Il est rassurant que les nouvelles générations s’y intéressent.
[1] Des champs de fraises pour toujours, L’Harmattan, 2004, p. 31.
[2] M. Laguionie, Petit Dictionnaire maçonnique des rues du Limousin, Le Puy Fraud Editeur, 2011.