02 Juin

Forêt limousine

 

Arboretum de La Jonchère (c) L. Bourdelas

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, au début du XXème siècle, la forêt limousine avait considérablement reculé. « Un guide de 1890 assure qu’entre Gentioux et Pigerolles, il n’y avait à cette époque qu’ « un seul arbre, un chêne très vieux et rabougri, dans toute la région. » Il était célèbre dans tout le pays, et connu sous le nom « d’arbre à cocu ».  Mais elle a aujourd’hui regagné beaucoup de terrain perdu, notamment sur les hauteurs. Eliane Palluet, professeur à l’Ecole forestière de Meymac, indique que « si localement (Plateau de Millevaches, bordure nord-est du département de la Corrèze), les résineux dominent nettement le paysage, les deux tiers de la surface occupée par la forêt limousine sont composés de feuillus (hêtres, chênes, châtaigniers, etc.). »

Le châtaignier, jadis travaillé par les feuillardiers (activité ayant décliné après la dernière guerre mondiale) et recherché comme bois d’œuvre (cercueils, charpentes), occupe encore 13% de la surface boisée, généralement en dessous de 700 mètres d’altitude, abondant à l’ouest de la région, dans « la châtaigneraie limousine ». Le chêne pédonculé a progressé sur l’ensemble du Limousin en s’installant sur les terres abandonnées par l’agriculture – aidé par le magnifique et coloré geai des chênes, oiseau planteur friand de glands. La chênaie limousine représente environ 40% de la surface forestière régionale. Le hêtre apparaît au-dessus de 500 mètres, souvent associé au chêne ; mais n’étant plus vraiment utilisé comme combustible, il n’occupe que 6% à peu près de la forêt.

Au sud-est de la région essentiellement, le pin sylvestre couvrait, au début du XXIème siècle, 54 000 hectares. Dans les reboisements, on lui a préféré l’épicéa commun, en particulier dans les parties les plus élevées et fraîches. Mais à la fin du XXème siècle, c’est le douglas vert qui est devenu la première essence de reboisement – son bois est recherché pour la construction et la menuiserie.

Il est évident qu’aujourd’hui, la forêt et l’arbre participent de l’attractivité touristique de la région. Lorsque Christian Beynel, professeur d’histoire et géographie à Limoges, consacre une thèse à la forêt et à la société de la montagne limousine à la fin des années 1990, il cite, parmi ses exemples de valorisation, l’arboretum de La Jonchère, dont le succès « a donné aux responsables de cette municipalité l’idée de mettre en valeur ce massif à des fins touristiques. L’école forestière de Meymac a réalisé au printemps 1996 un parcours de découverte, les essences sont présentées par des panneaux. La signalétique est essentielle ainsi que la confection d’un guide, car reconnaître des essences rares, surtout d’arbres adultes n’est pas toujours aisé. »

Lorsqu’au milieu du XIXème siècle, Henri Alexandre Flour de Saint-Genis décrit la Haute-Vienne, il précise qu’ « à mesure que les montagnes s’abaissent et s’étendent vers l’ouest, elles se couvrent de forêts ; on voit sur leurs crêtes et les penchants les plus élevés le bouleau et le hêtre ; viennent ensuite le charme et le chêne qui demandent une exposition moyenne. Le châtaignier occupe ordinairement les coteaux. »  Quant à Matthieu, le libraire parisien réfugié en Creuse dans le roman Une lointaine Arcadie de Jean-Marie Chevrier, lorsqu’il escalade Le Puy, près de La Faye, où « la forêt avait repris possession des lieux », il embrasse au sommet le Berry au nord, le Bourbonnais vers l’est, l’Auvergne au sud et vers l’ouest « la vue était arrêtée par une forêt immense qui se perdait dans les replis ombrageux ». Enfin, dans Miette de Pierre Bergounioux, cette description corrézienne : « L’arbre a conquis les vallons, gravi les pentes, coiffé les sommets. Les hauteurs ont perdu leur nuance gris-bleu – le noir épais des vieilles photographies. Elles portent le vaste manteau des forêts, d’un vert sombre, profond, immuable »

On pourrait multiplier les exemples littéraires qui montrent que depuis longtemps, la forêt, l’arbre, sont en partie constitutifs du paysage limousin. Ils sont sources d’inspiration des poètes et des écrivains du Limousin, dans leur riche diversité. A les lire, on pourrait presque écrire sans exagérer que ce sont même des marqueurs identitaires de cette littérature néanmoins ouverte sur l’universel. Ainsi, lorsque Jean-Pierre Thuillat concocte en 1980 un dossier sur les poètes d’Occitanie d’expression française et occitane pour la revue Poésie 1, il publie notamment un poème de Georges-Emmanuel Clancier intitulé « Arbre mon univers », dans lequel l’auteur du Pain noir écrit : « Arbre je crois en toi », un véritable manifeste. Dans le poème suivant, « Terre secrète », il poursuit : «Mon pays de crépuscule est là/Derrière l’arbre de tous les jours ». Un autre grand écrivain limousin, Alain Galan, a livré une possible clef du mystère limousin : autant que de bois, ce pays impossible où les chemins ne mènent nulle part, serait celui des lisières.

Je dois mentionner Jean Nesmy, de son vrai nom Henri Surchamp (1876-1959), qui fut un homme des bois et en nourrit son œuvre : il appartenait à une famille terrienne et accomplit ses études au collège de Brive, puis à l’Institut national agronomique, avant d’entrer à l’administration des Eaux et Forêts. Il fut un apôtre du retour à la terre. Connu dès avant la Première Guerre mondiale, collaborateur de revues littéraires, il est l’auteur de romans publiés chez Plon ou Grasset. Il publie à Paris en 1927 Les Quatre saisons de la forêt et La féérie des bois. Le premier ouvrage est superbe, avec 66 illustrations gravées sur bois de G. Dardaillon. Primé et salué par la critique, ce texte est poétique, beau et lyrique. En 1929, A l’ombre des châtaigniers met en scène des Limousins avec beaucoup de justesse. Dans les Contes limousins, Jean Nesmy rend hommage aux châtaigniers, qui « sont pour le promeneur le relais d’ombre après l’étape à la lumière ; pour le poète, le lieu le plus exquis pour y mener son rêve ; pour le paysan, l’arbre à pain qui toujours fait crédit, et jamais ne se lasse et jamais ne demande (…) Ce sont pourtant leurs bois qui font par-dessus tout la douceur limousine, la douceur limousine plus douce qu’aucune autre douceur. »

 

26 Mai

En 1969, j’étais vraiment dans la lune!


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1969, je vais entrer au Cours Elémentaire 1ère année de l’école primaire de la Monnaie, le long des voies de chemin de fer. Nous avons quitté le quartier de la cathédrale, là-bas, au-dessus de la Vienne, pour nous rapprocher de la gare des Bénédictins, et du dépôt des trains que conduit mon père. J’ai perdu mes copains de maternelle et, au mois de juin, on m’a ouvert le ventre pour m’y enlever je ne sais pas trop quoi. Peut-être que c’est cette année que nous sommes partis à Bidart, au Pays Basque, voir tous les bateaux, tous les oiseaux. J’y perdais systématiquement mon maillot de bain dans les vagues et j’avais peur de manger du saucisson d’âne, parce que moi, j’aime bien les ânes. C’est aussi cette année, que nous sommes partis quelques jours à La Gaillardie, la belle propriété d’un colonel à la retraite, ami de ma grand-mère Rose. Nous allions avec Patricia et les chiens faire de grandes promenades à travers la campagne limousine. C’était un an après les grèves où papa déploya le grand drapeau rouge au sommet du campanile de la gare. Je croyais que c’était uniquement grâce à lui que tous les travailleurs de France avaient obtenu une quatrième semaine de congés payés. Au transistor posé sur le frigo, j’écoutais, avec maman, des chansons auxquelles je ne comprenais rien : Ob-la-di, Ob-la-da ou Sympathy for the devil. On roulait en Ami 6 et le président avait de gros sourcils. Les gens criaient : « Pompidou, des sous ! ».

1969, une année qui va révolutionner le monde. Dans le petit magasin papeterie librairie de la rue Aristide Briand tenu par une dame vénérable qui passe le plancher à l’encaustique et vend les crayons à l’unité, c’est l’apparition soudaine d’un objet magique : le Bic 4 couleurs, qui nous permet de « changer de couleur d’encre sans changer de stylo » ! Jusque là, dans nos classes de garçons, on écrivait au porte-plume, avec deux couleurs d’encre : bleu et rouge. On s’évertuait à bien tracer nos lettres sur les lignes et les carreaux, sans faire de tâches, et l’on utilisait des buvards pour sécher nos exercices. Au tableau, le maître écrivait chaque matin la « morale » du jour : « Je dois respecter ma famille et mes camarades ». De l’autre côté de la rue, l’église Saint Paul Saint Louis – église de mission en terre cheminote – élevait sa triste façade sans clocher vers le Ciel. Le Bic 4 couleurs, c’est un peu comme Le Métèque que chante alors Georges Moustaki. Un véritable arc-en-ciel ! Un étranger ! Un objet ludique : 4 mines ! Du rouge, du bleu, du vert, du noir ! Très vite, nous allons nous amuser à faire claquer les poussoirs. Et puis c’est super : c’est du plastique, c’est gros dans la main ; rien à voir avec le bois fin du porte-plume. Voilà, en 69, le grand évènement, c’est le stylo Bic 4 couleurs. Enfin, il n’y a pas que cela ! Il y a aussi l’arrivée à la maison de Tex, un croisé de beagle et d’épagneul breton, posé par mes parents sur la table en formica de la cuisine le jour de ma fête, où il fit pipi en me voyant. On pouvait difficilement faire plus, cette année-là, pour me surprendre. Joe Dassin se promenait Aux Champs Elysées, Jacques Brel à Vesoul et Michel Delpech du côté de l’Île de Wight. Dans notre ancienne Indochine, l’armée américaine massacra plusieurs centaines de vietnamiens dans le village de My Lai, au sud du Viêt Nam, mais ça, je n’en savais rien. Le lieutenant William Calley a tué des petits enfants comme moi, qui n’ont jamais eu de Bic 4 couleurs, et Richard Nixon l’a gracié. Bientôt, au collège, j’aurai pour amie Marie-Christine, aux longs cheveux noirs et brillants, aux yeux noirs subtilement bridés, dont la mère, venue d’Indochine, tenait un restaurant asiatique près de chez nous. Mon père n’était pas du genre hippie, ni à écouter Led Zep ou les Bee Gees, mais plutôt Sinatra.

Pendant qu’il allait chercher au dépôt son train de fer bruyant et sentant l’acier chaud, d’autres hommes revêtirent leurs combinaisons blanches avec la bannière étoilée – celle-là même que portaient les massacreurs du Viêt Nam – et des casques en forme de bocaux à poissons rouges, et ils embarquèrent dans une fusée comme celle de Tintin à Cap Canaveral. Parce que le grand jeu, désormais, entre la Russie et l’Amérique, se déroulait dans l’espace, où, à notre grand étonnement, on envoyait des tas de choses et d’êtres vivants que j’essayais d’apercevoir la nuit en clignant des yeux : des spoutniks avec leurs drôles d’antennes, des chimpanzés, des chiens, Youri Gagarine. Je m’imaginais qu’il y avait plein d’objets de métal en orbite, peut-être même des Bic 4 couleurs ! Ma mère fredonnait C’est extra et sur l’écran vacillant d’une énorme poste de télévision, on vit en noir et blanc s’allumer les moteurs de Saturn V, puis le décollage dans une colonne de flammes, la disparition de la fusée. Les types de la station de contrôle. Et puis l’alunissage. Je crois bien que je les ai vraiment vus, cette nuit-là, debout sous le cerisier du jardin, en fixant la boule ronde à 384 402 kilomètres de là. Bien sur, ils étaient tout petits, alors je ne sais pas si c’était vraiment eux. J’avais mon Bic 4 couleurs dans la poche et la lune ressemblait un peu à Hô Chi Minh.

17 Mai

La passerelle du Chinchauvaud à Limoges

Cette poétique passerelle assure pour les piétons la continuité de la rue du Chinchauvaud, coupée par la voie ferrée.

Elle fut construite après la mise en service de la gare Montjovis (1875) et de la ligne d’Angoulême, au-dessus de la voie (en « fer à cheval »), qui relie cette gare des Charentes à celle des Bénédictins.

La gare de Limoges-Bénédictins a 90 ans – Le train et le Limousin

L’histoire de la gare des Bénédictins a déjà été faite sur ce blog, mais je vous propose, en ce temps anniversaire, quelques images (que vous pouvez agrandir en cliquant dessus) ainsi que quelques lignes à propos du train en Limousin… Sauf précisions, les photos sont issues de la photothèque de Paul Colmar et ont été publiées dans notre livre Limoges années 1950 1960 1970 (Geste Editions).

Plan de la gare et du quartier, 1937 (BNF)

Le Buffet de la gare est une vieille institution. Sur cette photographie, un banquet – masculin ! – de 1950. On admirera le triptyque peint par Varenne en décor. Aujourd’hui, malheureusement, le buffet est fermé et il manque un panneau peint.

Dans les années 1960, le bassin du Champ de Juillet accueille une barque pour les marins d’eau douce et une carriole tirée par un âne promène les enfants sages. Des jardiniers municipaux facétieux dessinent les parterres de fleurs en forme de papillons. On flirte sur les bancs publics.

Les arbres de la place Maison-Dieu, en contrebas de la gare, sont bien alignés et une statue de faune – depuis disparue – agrémente les lieux. Dans leur prolongement, le bâtiment du centre de tri des P.T.T. Au centre de la photographie, au débouché de la rue Aristide Briand (la plus longue de la ville) : le store bleu du bar-restaurant « La baleine bleue », jadis très visité par les cheminots. Non loin, à l’arrière, la silhouette grise et sans clocher de l’église Saint-Paul Saint-Louis, construite en 1907 et ornée, comme la gare, de vitraux de Chigot.

Sur la gauche, les entrepôts. En hauteur, la cathédrale et le quartier de la Cité. Un train qui part vers le tunnel traversant la ville en direction du sud et le panache de fumée de la locomotive à vapeur. A droite, l’avenue de la gare (Charles de Gaulle), ses hôtels (celui du Faisan, par exemple), restaurants, bars et commerces.  Au bout de celle-ci, la place Jourdan. En haut à droite, l’Hôtel-de-Ville.

 

En 1956, la gare des Bénédictins est pavoisée pour le centenaire de l’arrivée du train à Limoges, et l’on accueille les vieilles machines. Le 2 juin 1856, le premier train, un convoi de marchandises en provenance d’Argenton-sur-Creuse, était en effet arrivé en gare de Limoges –à l’époque une simple baraque de planches. La gare photographiée a été construite en 1929.

A gauche, l’hôtel du Faisan (1928).

Le Capitole était un train reliant Paris-Austerlitz à Toulouse par la ligne Paris-Toulouse qui circula de 1960 jusqu’au début des années 1990. Première relation ferroviaire régulière à 200 km/h en France, il est longtemps resté l’un des fleurons du rail français.

 

En mai 1968, les cheminots CGT en grève font réaliser par une couturière de la cité des Coutures un drapeau rouge qui est accroché au campanile. (c) J.M. Bourdelas

Un trolleybus CB.60 dans la boucle du terminus de la ligne 5 à la Gare des Bénédictins dans les années 150. La ligne 5 reliait la gare à la rue François Perrin. Un moyen propre et pratique de se déplacer à travers la vive, très populaire chez les Limougeauds.

A la fin des années 1960, on a accroché des panneaux modernes « arrivée » et « départ », mots qui étaient pourtant déjà bien visibles sculptés dans la façade. Les voitures stationnent sur l’esplanade et une station de taxis attend les clients. Quant à l’horloge du campanile – haut de 67 mètres – elle donne l’heure aux habitants et aux voyageurs qui ont pris l’habitude de jeter un regard vers l’un des quatre cadrans de quatre mètres de diamètre. On remarque que figure un IIII et non un IV. Certains ont dit que les aiguilles ont eu longtemps deux minutes d’avances pour presser les voyageurs.

La gare des Bénédictins a été inaugurée en juillet 1929 ; c’est une œuvre de l’architecte Roger Gonthier. Sur la photographie, on découvre le mobilier et les structures Art Déco en bois massif, les guichets, la consigne. Ils restèrent dans le hall jusqu’en 1978. Les murs du hall, dans chaque angle, supportent quatre sculptures allégoriques réalisées par Henri-Frédéric Varenne, des caryatides représentant quatre provinces françaises : le Limousin, la Bretagne, la Gascogne et la Touraine, quatre provinces desservies par la compagnie du Paris-Orléans. Au-dessus du hall s’élève la coupole haute de 26 mètres.

Une fois franchi le contrôle, on débouchait sur les escaliers descendant vers les quais. Un kiosque à journaux leur faisait face.

L’entrepôt avait été construit à l’emplacement d’un stade. Il y avait encore l’économat S.N.C.F. et la cantine des personnels. A gauche, la rue Aristide Briand et l’église Saint-Paul Saint-Louis (sans clocher), construite en 1907 pour évangéliser les cheminots.

Champ de Juillet vers 1960.

Avenue de la gare vers 1965.

Piste d’éducation à la sécurité routière, Champ de Juillet vers 1975.

La gare, vers 2018 (c) L. Bourdelas

 

Fils de cheminot, j’aime particulièrement ce texte écrit dans les années 1920 par Jean-Richard Bloch, « Locomotives », paru dans son ouvrage Les chasses de Renaut, qui décrit l’arrivée du train à La Jonchère : « Le halètement de la machine n’a pas ici le son formé, arrondi qu’on lui prête de loin ; on est trop mélangé aux forces qui le suscitent ; il émane de nous-mêmes comme notre souffle propre. Son creux et sa précipitation expriment la violence terrible de notre marche. Le seuil de La Jonchère atteint, le terrain nous manque tout à coup : rampe de dix, à nouveau, mais en notre faveur. Nous nous lançons à corps perdu. La hâte devient frénétique. Un halo de lueurs se forme en avant de nous. Il monte et nous descendons ; nous l’atteignons, mais il nous attend maintenant trop haut pour nous. Nos proportions fondent sous les ombrelles de lumière qu’élargissent les interminables pylônes de béton. La majesté passe de nous à eux. Tout à l’heure, notre mouvement concentrait en lui une puissance souveraine. Voici que l’immobilité de ces grands lampadaires en hérite. Le calme l’emporte sur la furie. Cet express, qui tranchait la nuit comme un dieu, court à présent comme un rat, un rat à ras de terre. C’est en vain que le frein retrouve son crachement de bête venimeuse : notre entrée en gare a quelque chose de rabougri et de pelotonné. »

Dès le milieu du XIXème siècle, avec la Compagnie du Paris-Orléans, le train a contribué à façonner le Limousin, son développement économique et ses paysages. C’était un temps où l’on se réjouissait de l’arrivée de ce mode de transport. Ainsi, à Brive, en 1860, l’inauguration donna lieu à une cérémonie et des festivités sur le site de la gare et en ville, sur l’estrade installée au centre de la gare se succèdent les discours des officiels, notamment le préfet et Barthélemy Eyrolles, maire de Brive, avant la bénédiction de l’évêque de Tulle, devant une foule estimée à 20 000 personnes. En Creuse, Guéret était également au centre d’un véritable nœud ferroviaire. Le Limousin était quadrillé par les rails qui conduisaient voyageurs, marchandises et bestiaux à destination de toute la France, il était quadrillé de « stations » et de gares. Qui ne sait que celle de Limoges-Bénédictins, œuvre de l’architecte Roger Gonthier, avec les magnifiques verrières à motifs végétaux de Francis Chigot, les diverses statues qui l’ornent – mais pourquoi celle de la Gascogne montre-t-elle ses fesses ? – parfois décriée lors de son inauguration en 1929, est considérée aujourd’hui comme l’une des plus belles de France et, parfois, du monde ? C’est en tout cas l’avis du magazine Vanity fair et c’est pour cette raison que Jean-Pierre Jeunet l’a choisie comme point de départ de son film publicitaire pour le n°5 de Chanel, avec Audrey Tautou.

La radiale Paris – Limoges – Brive – Toulouse constitua avec sa voie double (très tôt électrifiée), une des artères majeures du réseau ferré national. Le Limousin devint même, dans les années 1960, l’une des premières régions françaises à bénéficier des débuts de la grande vitesse. L’emblématique Capitole et, dans une moindre mesure, les ETG / RTG (considérés comme les ancêtres du TGV) qui circulaient sur les liaisons transversales – assurant des relations d’envergure comme Genève (ou Turin) – Lyon – Bordeaux, ou Vichy – Nantes – s’inscrivaient dans l’épopée du chemin de fer moderne. 1967 marqua la naissance du premier train européen « à grande vitesse » circulant à 200 km/h en vitesse commerciale ; le Capitole (du nom de la célèbre place toulousaine) annonçait le désir de modernité de la SNCF avec un matériel roulant très confortable et l’affichage de ses ambitions ; le « design » et la nouvelle livrée rouge s’affirmèrent dans le paysage. La capitale limousine peut alors se targuer, bien plus que Toulouse, de figurer parmi les cinq villes les mieux desservies de France depuis Paris, avec une vitesse commerciale des liaisons supérieure à celle qui concerne des métropoles telles que Lille, Strasbourg, Marseille, Grenoble et bien d’autres. Le Capitole obtient le label Trans Europ Express (TEE) en 1970 et entre alors dans le cercle fermé et prestigieux des grands trains européens. Nous sommes nombreux à conserver la nostalgie de cet âge d’or du train en Limousin et de regretter les rendez-vous manqués qui suivirent. Dans la France modifiée par la métropolisation et la mondialisation, la région a progressivement perdu de son importance dans le réseau ferroviaire. En 2003, le gouvernement Raffarin lâche le projet d’une ligne à grande vitesse sur l’axe Paris Orléans Limoges Toulouse (POLT). Par la suite, c’est celui d’une Ligne à Grande Vitesse entre Limoges et Poitiers qui est enterré, après une intense mobilisation des opposants et le constat par l’Etat des contraintes budgétaires. Pourtant, comme l’écrit le géographe Pascal Desmichel, « le Limousin est toujours au cœur des plans de circulation dans l’Europe du Sud-Ouest [et il affirme] l’évident rôle potentiel de carrefour de l’espace limousin. »

Alors, quel est l’avenir ? En 2017, Carlos et Manuel Diaz, deux entrepreneurs du numérique originaires de Limoges, dont l’un est installé à San Francisco, ont déclaré qu’avec la LGV, les politiques avaient un train de retard et milité en faveur d’un projet radicalement moderne : « Il y a un centre de recherche qui se créé à Toulouse » (…) un Hyperloop sur la ligne Paris-Toulouse, on est en plein milieu, ça peut changer complètement le visage et le paysage économique de la Région ». Dans son concept initial, porté par Elon Musk, l’Hyperloop consiste en un double tube surélevé dans lequel se déplacent des capsules transportant des voyageurs et/ou des marchandises[1]. On constate que le projet, qui nécessite de relever un certain nombre de défis techniques, ne peut que séduire les amateurs de science-fiction – enfin réalisée – et ferait basculer autoroutes et aéroports dans le passé. L’Hyperloop serait en effet un moyen de transport capable de concurrencer l’avion par sa grande vitesse en s’affranchissant du principal problème du voisinage des aéroports : la nuisance aérienne (bruit mais aussi pollution). Au moment où j’écris ces lignes, une des entreprises qui développent Hyperloop a annoncé qu’elle allait commencer la construction en février 2018 d’une piste d’essai à Toulouse. Reste à savoir si ce nouveau mode de transport pourra desservir notre région comme il se doit. Et comme, selon France Inter, il n’est « pas question pour les passagers d’être collés à leur siège comme un pilote d’avion de chasse, le but c’est que cela reste confortable, l’accélération sera plutôt aux alentours d’un G, proche de ce que l’on peut ressentir dans des montagnes russes », j’espère pouvoir l’emprunter dans mes vieux jours, si mon cœur ne défaille pas.

 

[1]                      Selon ses promoteurs, un tel système installé entre le centre de Los Angeles et le centre de San Francisco permettrait de relier les deux villes en moins de 30 minutes, soit le parcours de 551 kilomètres à plus de 1 102 km/h, plus rapide qu’un avion.

08 Mai

L’histoire des bouchers du Château de Limoges présentée à la chapelle Saint-Aurélien à Limoges

(c) tous droits réservés

 

Laurent Bourdelas publie l’Histoire des bouchers du Château de Limoges chez La Geste – Signature exceptionnelle à la chapelle Saint-Aurélien, rue de la Boucherie à Limoges, samedi 11 juin de 15 à 18 h – Les lecteurs du blog « Ici c’est Limoges » sont les bienvenus!

 

Voilà plus de trente ans, depuis Jean Hévras, qu’un ouvrage d’importance n’était pas paru à propos des bouchers de Limoges. L’écrivain et historien Laurent Bourdelas, médiéviste de formation, spécialiste de l’histoire de Limoges mais également de la culture et de la littérature des 19e et 20e siècles, a décidé d’y travailler de la manière la plus complète possible. Il a été aidé en cela par la Confrérie Saint-Aurélien, qui a mis à sa disposition des archives inédites – c’est d’ailleurs le 1er syndic, Pierre Lamige, qui signe la préface. Un livre bienvenue après l’incendie qui a durement atteint la rue de la Boucherie et montré combien les Limougeauds y étaient attachés et plus largement tous ceux qui chaque année assistent à la Frairie des Petits-Ventres.

L’auteur raconte l’histoire des bouchers depuis l’Antiquité jusqu’à leur départ de la rue. C’est à la fois l’histoire d’une corporation artisanale, celle d’une confrérie religieuse, une histoire sociologique, architecturale et politique, mais aussi une histoire littéraire et artistique. En effet, l’historien publie une anthologie de textes d’écrivains régionaux et nationaux s’étant inspirés des lieux, de même qu’il évoque les artistes (peintres et photographes) ayant fait de même. De nombreux encadrés ponctuent l’ouvrage, comme ceux consacrés aux surnoms des bouchers, à leur accueil des chefs d’Etat, à leurs tombes au cimetière de Louyat, etc. L’ensemble est accompagné par une iconographie exceptionnelle.

 

Avant-Propos

Du côté de ma famille maternelle, un grand-oncle boucher à Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Il nous reste quelques photographies en noir et blanc, des années 1930 ; belle boutique, homme à moustache décidé, avec son tablier taché de sang. Mythologie de grand saigneur. Et puis mes grands-parents, Rose et Marcel, arrivés du Nord à Limoges au moment de l’Exode de 1940, cavistes place des Bancs, à deux pas de la rue de la Boucherie où la viande était encore pendue aux crochets de fer. Ma mère Françoise, toute petite alors, s’en souvient encore. Plus tard, elle m’amena à la Frairie des Petits Ventres renaissante.

Du côté paternel, cette petite feuille quadrillée, calligraphiée à l’encre par mon père, enfant, rapportant une tradition colportée par sa grand-mère Jeanne : « Histoire de Limoges – La porte de l’église Saint Aurélien fut sculptée par Monsieur Delage, un des aïeux de Jean Bourdelas vers le XVIIIe siècle. » Malheureusement, nous n’en savons pas plus – le mystère n’en est que plus fécond. Enfin, en 1984, Jean Hévras, auteur du beau-livre Les bouchers de Limoges (Lucien Souny), m’écrivait cette dédicace : « Avec tous les bons souvenirs de jeunesse passés avec feu mon ami Bourdelas dans le vieux quartier du Pont Saint-Martial, « lou poun San Marceau » comme avait l’habitude de le dire les Ponticauds, Jean Hévras a l’espoir que son petit-fils Laurent Bourdelas apprendra à mieux connaître une communauté de six familles de bouchers qui ont, pendant des siècles, animé et senti avec foi et ardeur notre vieille cité limougeaude, si chère à tous ses habitants… » Je l’ai entendu puisque, à l’invitation de Pierre Lamige, son 1er syndic, j’ai rejoint la Confrérie Saint-Aurélien et me suis intéressé à mon tour à l’histoire des bouchers et de leur rue.

Depuis plusieurs années, les historiens travaillent sur ce qui a constitué l’identité du Limousin  et j’ai moi-même apporté ma pierre à l’édifice. Il me semble que l’histoire des bouchers de Limoges, de leur rue et de leur chapelle, a très largement contribué à l’identité de la ville, du Moyen Âge à nos jours. Comme j’essaie de le montrer en utilisant et en citant diverses sources (dont de nombreuses oubliées ou inédites), elle est à la croisée de la sociologie, de l’artisanat et du corporatisme, de la politique, de la religion et du goût des Limousins pour les ostensions, de l’architecture, de la gastronomie ; elle est au cœur du « sentiment d’appartenance » – celui des bouchers et de leurs familles d’abord, mais aussi des Limougeauds qui prennent plaisir à participer rituellement par milliers à la Frairie des Petits Ventres et se sont sentis affligés lorsqu’un incendie d’ampleur détruisit des immeubles de la rue. Celle-ci est aussi devenue, depuis les années 1970, l’une des « vitrines » touristiques de Limoges, l’un des endroits par lesquels elle se donne à voir. Le mythe a d’ailleurs nourri une abondante littérature spécifique dont je donne ici un aperçu fourni. De même qu’il a inspiré peintres et photographes. Face à l’abandon du quartier par les commerces de boucherie, au recul de la pratique religieuse, face aux revendications des « vegans », dont certains ont même voulu débaptiser la rue, face au sentiment diffus de se perdre dans une région trop grande et parfois même dans la mondialisation et la course en avant technologique, la construction et les efforts pour faire perdurer l’identité de ce quartier et donc de la ville, constituent un recours à l’échelle humaine.

 

En conclusion

J’aime assez cette phrase de Paul Claudel : « Une rue, c’est ce qui va quelque part. Ça marche de chaque côté de nous comme une procession. » Ensemble, avec cet ouvrage, nous avons processionné rue de la Boucherie, avec le souvenir de ceux qui l’ont habitée depuis des siècles, de ceux qui y ont travaillé, vécu, prié. Le souvenir, aussi, des animaux qu’on y a abattu pour nourrir les hommes, des chiens qui la gardaient, près des reliques d’un saint vénéré. Nous avons marché dans cette rue en compagnie d’historiens et d’écrivains qui en ont fait plus qu’une simple rue. Aujourd’hui, les anciennes familles, les anciens bouchers sont ailleurs, mais leur mémoire est demeurée vive, réveillée chaque année à l’automne par une fête qui fait vibrer les pierres et les cœurs. L’âme de la rue, on la perçoit dès que l’on pénètre dans la belle chapelle que la confrérie séculaire fait toujours resplendir. On la devine aussi, lors des ostensions, lorsque les cocardes, les bannières, les châsses sont sorties avec fierté.

La rue est restée la même dans les mémoires – c’est pourquoi elle attire autant de touristes – mais elle est aussi devenue autre au fil du temps, avec de nouvelles boutiques, des restaurants, un bar qui attire du monde sur sa terrasse face à la pietà… La rue de la Boucherie est bien vivante, c’est l’une des artères primordiales, où se confondent passé et présent pour irriguer la ville.

 

Table des matières

Préface de Pierre Lamige, 1er syndic de la Confrérie Saint-Aurélien

Avant-Propos

La boucherie au temps des Gaulois et des Romains

La boucherie gauloise

La boucherie dans la Gaule et le Limousin romains

Etymologie

Moyen Âge

Les bouchers de la Cité

Les bouchers de la ville du Château

Le consulat et la corporation des bouchers

La naissance de la confrérie Saint-Aurélien

La chapelle Saint-Aurélien, du Moyen Âge à nos jours

La chapelle Saint-Aurélien vue par Albert de Laborderie en 1882

Des Temps modernes au XIXème siècle

Transaction entre les bouchers de Limoges et les consuls (1535)

L’accueil d’Henri IV par les bouchers

Henri IV visite Limoges

Des halles et une rue

Une corporation rétive aux taxes

Le cadre de vie des bouchers

Dans la tourmente révolutionnaire

Les fêtes religieuses des bouchers

Noms et surnoms de bouchers

Dix-neuvième siècle et début du vingtième

Etre « de la rue »

L’évolution religieuse : une confrérie active face à l’anticléricalisme municipal

La Confrérie de Saint-Aurélien en 1923

1930, les fêtes du Millénaire

Spécialités culinaires de la rue de la Boucherie

Le Cercle Saint-Aurélien, entre corporatisme, religion et loisirs, de 1887 aux années 1960

L’inauguration du Cercle, dans l’esprit corporatiste

Le Cercle, siège du Syndicat de la boucherie

La charte coopérative du métier de boucher sous le régime de l’Etat Français de Philippe Pétain

Un local bien entretenu et un lieu de distraction

Mentions d’activités religieuses et charitables dans les archives du Cercle

Le pavillon frigorifique du Verdurier

L’abattoir de Roger Gonthier

Au cimetière de Louyat

La Confrérie Saint-Aurélien et la rue de la Boucherie des années 1960 aux années 2020

1973 : Sauver le quartier – le passage d’une rue de bouchers à une artère touristique

La tradition « immémoriale » de l’accueil des chefs d’Etat

1982 : La visite de François Mitterrand, président de la République

La destruction de la pietà

1ers syndics de la Confrérie de Saint-Aurélien

L’incendie du 17 février 2017

Une « figure obligée » : écrire sur les bouchers et leur rue

Un portrait à charge dans le Contribuable du 18 avril 1832, par Léon Dubois

Jules Clarétie, Journées de vacances, 1886

Un extrait de lettre d’Henri Alexandre Flour de Saint-Genis, écrite en août 1856

Un article de Victorine Vallat, 1899

La Rue de la Boucherie par Louis Bouty, 1901

Le Boucher, par Edouard Michaud, 1901

Extrait de Le Limousin par André Thérive, 1927

La Frairie des Petits Ventres par Bernard Cubertafond, 1987

Nicolas Bouchard, La Ville noire, 2006

Peindre et photographier la Boucherie et les ostensions

En conclusion

Références

Remerciements

23 Avr

Limoges, je me souviens (1)

L’église St-Paul St-Louis et l’école de la Monnaie vues des voies SNCF en gare des Bénédictins (c) L.B.

 

  1. Je me souviens de l’école maternelle des Pénitents Blancs et de l’école primaire du Boulevard Saint-Maurice.
  2. Je me souviens de La Pantoufle moderne.
  3. Je me souviens du Bazar Mandonnaud et de la boîte-aux-lettres pour le Père Noël.
  4. Je me souviens du château-fort et des figurines dans la vitrine du coiffeur René Juge, rue Aristide Briand – et qu’il était descendant d’une famille de bouchers et un collectionneur de minéraux.
  5. Je me souviens du saumon servi au repas de ma communion solennelle par une dame qui avait cuisiné à la place de ma mère.
  6. Je me souviens que ma grand-mère me tricotait des vestes en laine qui me piquaient mais que je devais mettre pour aller manger chez elle.
  7. Je me souviens que nous criions « Pompidou des sous ! Pompidou des sous ! » en revenant de la classe du Cours Préparatoire le soir.
  8. Je me souviens que le 20 juillet 1969, Armstrong a fait son premier pas sur la Lune et prononcé cette phrase : « C’est un petit pas pour l’homme, mais un bond de géant pour l’humanité ».
  9. Je me souviens du boulanger qui nous livrait chaque matin avec sa 4L fourgonnette et qui me donnait souvent un croissant. Il avait un béret et il fumait.
  10. Je me souviens que l’on pouvait passer en voiture sur le pont Saint-Etienne.
  11. Je me souviens qu’il neigeait en hiver.
  12. Je me souviens que nous écrivions à la plume et à l’encre, que nos encriers étaient en porcelaine blanche, remplis par le maître avec une bouteille à bec, que nous utilisions des buvards roses et que nous n’avions pas le droit d’écrire au stylo bille.
  13. Je me souviens de A la grâce de Dieu.
  14. Je me souviens que nous avions été passer une journée d’été à Belle-Île avec le boucher de la rue Aristide Briand.
  15. Je me souviens avoir embrassé P., en revenant du lycée sous des trombes d’eau. Elle avait de longs cheveux blonds et portait une chemise blanche à manches longues et nous étions sous le pont de chemin de fer en métal qui enjambe la rue, à côté de la passerelle Montplaisir, au-dessus du dépôt S.N.C.F.
  16. Je me souviens que mon grand-père Marcel a cassé une assiette à carreaux bleus et blancs en coupant son steak.
  17. Je me souviens que mon chien Tex, un beagle croisé, a fait pipi sur la table de la cuisine en formica où mes parents l’avaient posé lorsqu’il m’a vu pour la première fois.
  18. Je me souviens que lorsque j’avais six ans, à La Gaillardie (Ladignac-le-Long), une nuit, nous sommes descendus avec Patricia et Liliane par le balcon contre lequel était posé une échelle, et nous sommes partis faire de la barque au milieu de l’étang.
  19. Je me souviens que mon père racontait avoir vu l’eau gelée à l’extrémité des lances des pompiers au moment de l’incendie des Nouvelles Galeries juste avant Noël 1963.
  20. Je me souviens que rue Jean Jaurès, je tirais un chien rouge en bois à roulettes et que je tenais la main de ma mère. Elle me montrait par le vasistas des boulangers travaillant dans un sous-sol.
  21. Je me souviens de la Maison du Fromage.
  22. Je me souviens que le père Dutertre, qui nous faisait l’Histoire Sainte, roulait très vite dans sa deux-chevaux et nous montrait des films de Tintin au patro, avec un projecteur 16 mm.
  23. Je me souviens du centre de réinsertion sociale de la rue des Augustins.
  24. Je me souviens des cours de natation avec un maître-nageur le samedi matin à la piscine d’hiver de Beaublanc.
  25. Je me souviens des boiseries installées au milieu du hall de la gare des Bénédictins.
  26. Je me souviens que mes grands-parents paternels nous ont offert notre première télévision en couleurs.
  27. Je me souviens qu’il fallait montrer ses mains et ses ongles propres à l’instituteur en arrivant à l’école.
  28. Je me souviens qu’un jour où nous passions devant le lycée Gay-Lussac sous la neige avec mon père, nous avons vu les élèves jouer aux boules de neige dans la cour et que mon père m’a dit que j’y serai un jour élève moi aussi.
  29. Je me souviens que le réveil de mon grand-père Eugène était sur le frigo et que même quand nous étions chez lui le dimanche, il sonnait la fin de sa sieste.
  30. Je me souviens que j’étais bon en calcul mental.
  31. Je me souviens que Bénédicte, qui portait un pull bleu clair, m’avait dit que je lui avais fait mal en lui tapant la poitrine par inadvertance et qu’une fille c’était sensible à cet endroit.
  32. Je me souviens que j’imitais les Wallace Collection en chantant Daydream avec un manche à balai en guise de micro lorsque j’avais sept ans. Ils étaient en photo tous les six sur le disque 45t avec une photo dans les tons roses et bleus.
  33. Je me souviens que je vomissais sur le trottoir en allant à l’école et que la charcutière à l’angle de la rue du Maupas et du boulevard de la Cité m’apportait un verre d’eau.
  34. Je me souviens des cures à La Bourboule : le brouillard, les gargarismes et l’eau chaude en fin d’après-midi.
  35. Je me souviens d’un panier d’oranges devant la crèche à la cathédrale de Limoges.
  36. Je me souviens des leçons de morale et des phrases que le maître écrivait au tableau pour commencer la matinée.
  37. Je me souviens qu’un soir où nous étions tous les deux, mon père a sorti un double 33t de jazz New Orleans et que nous avons dansé.
  38. Je me souviens que ma marraine m’avait offert pour Noël un château-fort à construire et qu’il me faisait penser à celui de Châlucet où nous allions nous promener avec mes parents.
  39. Je me souviens que j’aidais les autres élèves en orthographe et que j’aimais apprendre les poésies mais que les réciter me rendait malade.
  40. Je me souviens de la botte rouge des chaussures Barret, rue Ferrerie.
  41. Je me souviens que nous escaladions les deux plantureuses statues représentant la Vienne et le Taurion au Champ de Juillet.
  42. Je me souviens des crêpes à la Chandeleur, avec une pièce dans la main.
  43. Je me souviens qu’avec ma grand-mère Rose, nous jetions des noyaux de cerises par la fenêtre de son appartement Cours Gay-Lussac – là où nous nous installions aussi pour regarder le feu d’artifice du 14 juillet.
  44. Je me souviens que Jean-Eric faisait des maquettes d’avion lorsqu’il avait douze ans.
  45. Je me souviens du vendeur de châtaignes grillées devant les Nouvelles Galeries et de son four en forme de locomotive – il les servait dans des cornets en papier journal et elles brûlaient les doigts.
  46. Je me souviens des ânes qui faisaient le tour du bassin du Champ de Juillet.
  47. Je me souviens que ma première maîtresse de maternelle, à l’école des Pénitents Blancs, avait dessiné une machine à vapeur au tableau et que j’avais cru que c’était à mon intention car mon père était cheminot.
  48. Je me souviens de la messe des Rameaux à l’église Saint-Paul Saint-Louis et des filles habillées en blanc, avec des bandeaux dans les cheveux, qui tenaient des feuillages avec des guimauves.
  49. Je me souviens que mon père tirait de l’eau du puits pour arroser les plates-bandes fleuries qu’il avait entouré de pierres récupérées à la carrière du Chambon à Condat-sur-Vienne.
  50. Je me souviens de « La rentrée », une récitation extraite du Livre de mon ami d’Anatole France, dans laquelle j’avais découvert le mot « gibecière », que nous avait expliqué le maître.
  51. Je me souviens de la passerelle du Chinchauvaud, au-dessus de la ligne d’Angoulême.
  52. Je me souviens du club de sports La Saint-Antoine, où je jouais au tennis-de-table, et de son portail en fer bleu et blanc.
  53. Je me souviens que nous passions beaucoup de temps à la piscine des Casseaux et que nous passions sous l’eau entre les jambes écartées des filles.
  54. Je me souviens que ma mère ne travaillait pas pour s’occuper de moi et qu’elle a passé beaucoup de temps à me faire apprendre la leçon sur le château-fort en cinquième.

 

 

17 Avr

A propos du théâtre amateur à Limoges en 1835

« Depuis longtemps, on voit avec plaisir l’artisan limousin chercher les amusements les moins bruyants et les plus capables de développer son intelligence. Au premier rang nous devons placer l’amour qu’il montre pour le théâtre. C’est avec une sorte de contentement qu’on a vu quelques-uns d’entre eux se réunir en société pour jouer la comédie, et parvenir à la jouer d’une manière très satisfaisante pour des amateurs (…) Nous n’oublierons pas que, si nous ne devons, dans leur salle, rien dire de capable de les décourager, nous leur devons des conseils au dehors ; et c’est pour cela que nous ne saurions trop leur recommander de profiter de leurs moments de loisir pour aller à ce théâtre [municipal], pourvu de plusieurs sujets distingués, y apprendre à jouer encore avec plus d’ensemble, à mieux dire la phrase, à ne pas confondre une sorte de hardiesse avec ce qu’on appelle aplomb dramatiquement parlant, et voir tout ce qui leur manque du côté de la tenue théâtrale.

Ce serait aussi avec peine que nous les verrions, se jetant dans les pièces à grands fracas, aller déterrer tous ces vieux mélodrames aussi mal digérés que mal pensés et mal écrits, capables enfin de corrompre le goût et de nuire à l’esprit : il existe tant de petites comédies, tant de petits vaudevilles pleins de sel et d’esprit qu’ils trouveront toujours à choisir.

(…)

Le conseil que nous donnons ici à nos artisans acteurs, nous nous le permettrons aussi à l’égard de nos acteurs militaires qui ont, de leur côté, établi un théâtre à la caserne.

(…)

Nous croyons devoir terminer cet article en rapportant le mieux qu’il nous sera possible les paroles d’un haut fonctionnaire qui a honoré l’un de ces théâtres de sa présence : J’aime à voir, disait cet homme respectable, j’aime à voir les ouvriers se délasser par de tels amusements : cela les détourne de ces jouissances grossières capables de nuire à leur santé et à leur intelligence ; et d’ailleurs ce sont des plaisirs desquels au moins leurs femmes et leurs jeunes enfants peuvent profiter. »

 

Annales de la Haute-Vienne, Journal administratif, politique, littéraire, commercial et agronomique, Feuille d’annonces et avis divers, vendredi 6 mars 1835.

05 Avr

Le credo limousin de l’écrivain Charles Silvestre

Né à Tulle en 1889, mort à Bellac en 1948, l’écrivain Charles Silvestre, distingué notamment par le Prix Fémina en 1926, puis un prix de l’Académie Française dix ans plus tard, sut chanter avec beaucoup de talent sa terre limousine dans de beaux textes ouverts à l’universel. A sa mort, Georges-Emmanuel Clancier le compara avec justesse à Giono, Robert Margerit prononça un discours au nom de la Société des Gens de Lettres et on lui rendit hommage des Nouvelles littéraires au Figaro littéraire (Jean Blanzat).

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Document fourni par Gérard Frugier

28 Mar

Dom Juan ou Le Festin de Pierre Un spectacle de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra

En 1991, j’avais aimé le Don Juan d’origine de Louise Doutreligne, ou la représentation improbable du Don Juan de Tirso de Molina par les Demoiselles du Collège de Saint-Cyr en l’an 1696, d’après Tirso de Molina et la correspondance de Madame de Maintenon, une pièce mise en scène comme toujours avec talent par Jean-Luc Paliès. Le beau spectacle de Jean Lambert-wild et de Lorenzo Malaguerra vient à nouveau de me réjouir, de manière différente. En 1957, dans le Bulletin hispanique, Charles-V. Aubrun écrivait, à propos de la pièce de Tirso de Molina, El burlador de Sevilla : « … le personnage se prête volontiers à une interprétation toute moderne : étranger dans un monde sans lois valables, il se damne en toute lucidité ; seul, il assume son destin. » La version proposée à L’Union est tirée, inspirée, à la fois par Molière, mais aussi par « le mythe de Don Juan », après « la lecture de mille et une versions littéraires, théâtrales et fantasques du mythe ». Et dans ceux qui ont réfléchi [à]et construit ce mythe, on songe aussi inévitablement à Albert Camus, dont on se souvient qu’il fit l’apologie de Don Juan dans Le Mythe de Sisyphe, faisant de lui un exemple de l’homme absurde, en tant que personnage séducteur, conquérant et acteur, qui vit dans l’accumulation d’un présent lucide sans espérer la promesse d’une éternité. « Il ne nourrit aucune espérance quant à l’au-delà, et il se contente d’accumuler le nombre de ses séductions, d’épuiser ses chances d’aventure et de vivre le plus intensément possible chaque instant. Camus considère que la séduction de Don Juan est libératrice. »[1]

Le spectateur de L’Union est d’abord face à un décor imposant : une jungle tropicale et colorée – presque psychédélique – en tapisserie en point numérique d’Aubusson alliée à de la porcelaine de Limoges (escalier monumental, superbes souliers), une scénographie magnifique de Jean Lambert-wild et Stéphane Blanquet, réalisée avec le soutien de la fabrique Porcelaines de la Fabrique et l’entreprise Néolice. Les lumières de Renaud Lagier, le son de Nourel Boucherk, contribuent à rendre le lieu à la fois vivant, étouffant et inquiétant. A n’en pas douter, la moiteur menace. D’ailleurs, Dom Juan est malade, il tousse – l’ensemble est malsain. Est-ce une allusion à Hispaniola, où Tirso de Molina fut prêcheur ? A La Réunion où Jean Lambert-wild passa sa jeunesse et dont il voulut s’échapper ? Aux plantations de tabac dont quelques sacs décorent la scène, comme pour illustrer la fameuse tirade de Sganarelle, chez Molière, qui affirme que « le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. » ? On est heureux que l’artisanat d’art limousin soit mis à l’honneur, même si, à un moment, on s’amuse à casser le vase en porcelaine de Limoges comme jadis Molière cassa l’image du Limousin en le moquant sous les traits de Monsieur de Pourceaugnac.

Jean Lambert-wild et Catherine Lefeuvre ont quelque peu modifié l’ordre des dialogues de Molière, adapté le texte pour le rendre, en quelque sorte, plus dynamique. On retrouve avec plaisir, dans le rôle de Dom Juan, le clown blanc Gramblanc – personnage cher au directeur de L’Union – les cheveux orange comme ceux d’Alex DeLarge, le jeune délinquant obsédé par le sexe dans Orange mécanique de Stanley Kubrick (d’ailleurs, dans cette pièce comme dans le film, on fait apparaître un fauteuil roulant). Dom Juan serait-il un punk ? On le sait, il semble être un libertin – au sens du XVIIe siècle. Il s’agit de refuser la morale dogmatique, celle dispensée au nom d’un créateur dans lequel Dom Juan ne croit pas. Chez Molière, c’est dans la scène II de l’Acte V qu’il dénonce avec force l’hypocrisie, « un vice à la mode ». Ce fut aussi le combat du dramaturge dans Tartuffe. Une dénonciation ô combien d’actualité au fur et à mesure que se dévoilent les errements de certains au sein de l’Eglise contemporaine. Cependant, le  faux  libertin  est  la  réponse  de  Molière  à  la  censure  du  faux  dévot et le salut n’est pas non plus dans la posture d’Alceste, le faux misanthrope. L’étymologie grecque du mot hypocrite nous rappelle qu’il a un lien avec la comédie, la mauvaise conduite, et même le jeu d’acteur. Don Juan est aussi au centre de tout cela. Le décor lui ménage en hauteur une petite loge d’acteur où il peut se maquiller à loisir. Car c’est un noble débauché et dangereux – pour le malheur de son père qui lui reproche  de  ne pas  faire  preuve  des  qualités  intérieures  qu’exigeraient ses privilèges – qui utilise le mensonge pour séduire les femmes et circonvenir les hommes. Ce n’est qu’à ce prix qu’il peut devenir aimable. Et ses justifications philosophiques, dans son dialogue quasi socratique permanent avec Sganarelle – interprété avec puissance et avec un immense talent par Steve Tientcheu, grand comédien, laquais noir face à son maître blanc – ne sauraient finalement lui donner raison, puisqu’il fait souffrir ses conquêtes. Il est d’ailleurs ici armé de pistolets pétaradants et n’hésite pas à percer comme un ballon de baudruche le ventre d’Elvire enceinte, dont le costume sombre n’est pas sans rappeler à la fois celui de la veuve d’amour qu’elle est devenue et celui des femmes d’avant 1914, qu’essayaient de délivrer les « faiseuses d’anges » à l’aide de mortelles aiguilles à tricoter. Dom Juan le cruel absolu. Sganarelle résume : « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d’Epicure, qui ferme l’oreille à toutes les remontrances qu’on peut lui faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. » Certes, mais attention aux donneurs de leçons hypocrites : lorsque Dom Juan fait l’aumône à un pauvre hère, sous couvert d’humanisme, c’est Sganarelle qui le dépouille et le fait trépasser avec force hémoglobine.

Le mythe éternel nous est conté, la tragédie se joue. On nous l’annonce dès le début, par le costume-même de Sganarelle (un squelette omniprésent), par le squelette avec lequel joue Dom Juan, par le crâne qu’il essaie de cacher, par l’horloge aux aiguilles cassées car l’heure du trépas a déjà sonné, par la toux incessante – un cancer des poumons dû au tabac, peut-être, ou des accès de tuberculose tels qu’en connut Camus. La présence menaçante et fumeuse du Commandeur est suggérée, jusqu’à l’arrivée des spectres à la fin, qui portent le même costume que celui qu’ils vont emporter, signifiant par là que c’est bien lui l’artisan de son propre trépas. C’est une danse macabre permanente qui accompagne le séducteur amoral, comme celle que l’on peut voir sur les murs de l’église de Kernascléden, dans le Morbihan, comme celles chantées dans les gwerzioù bretonnes, notamment par Yann-Fañch Kemener, artiste ami de Jean Lambert-wild, qui disparut au moment de la préparation de la pièce. Le festin de pierre nous attend tous, ne l’oublions pas.

Mais on rit aussi, à ce spectacle tragique, devant le clown cynique et narcissique qui cabotine et cabriole, sautant avec souplesse sur les tables ou grimpant les escaliers comme Buster Keaton dans ses plus belles scènes. On s’amuse honteusement des mauvais tours qu’il joue aux femmes, goûtant ses artifices abjects, de la peur qu’il inflige à Sganarelle ou à ce chœur extraordinaire qui accompagne tout le spectacle : trois formidables musiciens et chanteurs suisses perchés – dans tous les sens du mot –, de la Compagnie de l’Ovale, avec leurs instruments de cirque et bizarres (la scie musicale), leur jeu burlesque désopilant. Après tout, les musiciens ont aussi souvent été inspirés par Don Juan, Glück, Gazzaniga ou le génial Mozart. Ici, on désacralise, entre disco, paillettes, et rock-jazz. De jeunes comédiens de l’Académie de L’Union sont associés à la création et se relaient pour interpréter les autres personnages.

Le spectacle est donc particulièrement réussi, beau et divertissant et nous fait réfléchir de belle manière aux grandes questions éternelles qui sont soulevées par le mythe donjuanesque, puisque la pièce jouée est éminemment philosophique. Liberté, liberté chérie, mais à quel prix ?

[1] R. de Diego, « Le « donjuanisme » de Camus », MuseMedusa Revue de littérature et d’art modernes

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