Dès le lancement, en septembre 2010, de la démarche stratégique pour le web 2.0 à France 3 Lorraine, nous nous sommes posé la question de l’utilisation des réseaux sociaux. Plus précisément de l’usage éditorial de ceux sur lesquels nous avons choisi d’être le plus présents : Facebook et Twitter.
Nous n’avions pas de schéma déterminé pour tisser ces échanges avec les internautes. Des échanges qui étaient déjà, dans le principe, une nouveauté pour des journalistes. Et même pour certains une révolution culturelle. Bref c’est en marchant, parfois maladroitement, que nous avons appris à marcher.
Facebook est progressivement devenu le lieu de l’interaction à partir d’une série de pratiques qui se sont installées dans notre quotidien : météo à 6h30, teasing du site régional (2 à 4 en moyenne), appel à envoi de photos-météo, sollicitations de commentaires sur l’actualité pour nos inserts interactifs d’abord dans le JT de 19h (C’est vous qui le dites), puis à partir de septembre 2011 dans une émission dédiée (13avecVous) et depuis le 30 janvier 2012 dans le JT interactif de midi, le e1213. Mais dès le départ c’est un journaliste qui a eu la responsabilité de gérer et modérer cette communauté d’internautes et ses interactions avec la rédaction.
Tout cela peut encore évoluer, les préconisations actuelles de nos camarades parisiens étant légèrement différentes de nos pratiques actuelles.
Twitter nous a posé d’autres questions. Personnellement c’est un outil que j’ai toujours plus utilisé que Facebook, le voyant comme un lieu de veille tout autant que de diffusion d’informations là où Facebook me semblait surtout un lieu d’exposition (voire d’exhibition) dont on pouvait illusoirement penser qu’il était fermé, réservé à des amis et peu accessible au reste du monde. Je le pensais moins journalistiquement intéressant que Twitter. Réflexion paradoxale puisqu’après tout Twitter a été d’abord créé pour se raconter ! Au final c’est l’apparition des Pages de Facebook qui m’a permis de saisir leur intérêt pour notre média, à la fois comme lieu de diffusion de nos travaux (et pas seulement journalistiques) mais également comme un point de rencontre avec ces internautes dont il faut au quotidien les convaincre de venir nous visiter (5100 aujourd’hui, pour une page lancée en septembre 2010). Des internautes jeunes (le chiffre de 70% de 18-45ans restant une constante), loin du public type de France 3. Un nouveau public donc que je tente de cerner au mieux, y compris en le rencontrant (ce que nous ferons probablement à nouveau cet été) afin d’échanger avec lui IRL (in real life, dans la vraie vie), comme nous l’avons fait avec Josiane, une jeune mamie désignée « internaute France 3 Lorraine 2011 » en décembre dernier.
Twitter a d’abord été un outil personnel autant que professionnel que j’utilisais dès 2008 pour recueillir et diffuser de l’information et des états d’âmes sans cacher mon origine professionnelle. A une époque où l’outil, encore jeune, était en pleine expansion et n’offrait pas encore les fonctionnalités actuelles. Mais il me semblait qu’il pouvait provoquer un coup de fouet ludiquedans la vitesse de diffusion de l’information. Avec tous les risques potentiels qui se sont révélés souvent exacts par la suite lorsque des rumeurs ou des canulars ou des faits rapportés de façon imparfaite ont parfois été pris pour des informations avérées. Comme mes collègues (et notamment en Lorraine @RTLgrandest et @J_Beneteau qui ne twittent pas de la même façon que moi mais sont d’excellents connaisseurs de la Twittosphère) j’ai été confronté à ces situations pour lesquelles -mais n’est-ce pas notre rôle de journaliste ?- j’ai du batailler pour démêler le faux du vrai. Me demandant parfois si la chronophagie progressive de l’usage de ce réseau social méritait d’être aussi prégnante dans mon quotidien… Mais l’outil est addictif et surtout ludique, voire magique.
Imaginez la puissance avec laquelle vous jouez lorsque seul possesseur (au Monde ou localement, ou linguistiquement) d’une information vérifiée, vous êtes le premier à la diffuser. De façon instantanée grâce à Twitter. Les autres finissent par s’y habituer, faisant de vous celle ou celui qu’il faut suivre pour connaître tel ou tel type d’information. L’expression est apparue rapidement dans la sphère numérique : « personnal branding » : de personne lambda vous devenez une marque. De journaliste, vous incarnez votre média, parfois le remplacez, en valeur d’information numérique. Car ces informations, vous les diffusez en dehors de l’habituel cadre réglementaire : pas seulement à midi et à 19h, mais à n’importe quel moment du jour et de la nuit.
Bien sûr je force le trait. N’empêche. Il fut un temps où @jcdr (devenu @jcdrpro) incarnait France 3 Lorraine sur Twitter, alors même que @F3Lorraine n’existait pas. Ce qui finissait par poser problème à mes collègues comme à moi: comment et pourquoi un simple journaliste pouvait-il donner le sentiment aux internautes qu’à lui seul il faisait le travail de toute une rédaction ?
Puis le compte Twitter @F3Lorraine fut créé en août 2010. Sans savoir vraiment où je mettais les pieds. Sans savoir vraiment de quelle façon l’utiliser. Devait-il relayer mes tweets, devais-je relayer les siens ? Serai-je le seul à tweeter à partir de ce compte ou la rédaction entière devait-elle s’en emparer ? Et dans ce cas pour délivrer quel message, quels informations ? Etais-ce un outil pour la rédaction ou au-delà pour toute l’antenne régionale, services documentation et communication inclus ? Il n’y avait pas de mode d’emploi. Là aussi je l’ai créé en pratiquant.
Par exemple en associant la diffusion de messages sur Facebook avec la production de tweets. En systématisant dans les tweets l’utilisation de mots-clés (# : hashtags), un au moins (de géolocalisation) par message : #Lorraine. En modulant la taille des messages (maximum 140 caractères par tweet) en fonction de leur contenu : 80 caractères pour un message destiné à être relayé et commenté, 120 caractères s’il peut juste être relayé.
Mais jusqu’à présent, la question du choix du compte à utiliser pour la diffusion d’une information sur Twitter n’avait pas été tranchée.
Diffusion initiale par le compte personnel d’un journaliste puis reprise (=RT) par le compte de la rédaction, ou le contraire ?
Les deux ont leur intérêt, en fonction du contenu du message et de l’identité de celui qui le délivre. Mais qui France 3 Lorraine doit-il mettre en avant sur Twitter ? Ses journalistes dans leur individualité ou la rédaction comme un tout. Etant simple journaliste au sein de la rédaction, j’avais sur ce point atteint une limite. Sans légitimité hiérarchique, pas de possibilité de faire plus que suggérer -voire promouvoir- l’une des deux options.
Fraichement arrivé, avec une déjà longue pratique du web et de Twitter (@manudeshayes), Emmanuel Deshayes, notre nouveau rédacteur en chef a tranché. Et il a fait le choix du personnal branding.
En dehors des messages d’informations rédigés sur Facebook dont chacun génère un tweet que tout journaliste de la rédaction peut relayer s’il le souhaite auprès de ses abonnés, c’est à chaque journaliste de diffuser, sous son compte propre (un compte professionnel de préférence) les informations pertinentes et vérifiées dont il dispose et pour lesquelles il est précisément suivi par une partie (voire la majorité) de ses abonnés. Les tweets les plus importants seront alors relayés par @F3Lorraine, compte dont seule une poignée de journalistes désignés auront l’accès.
Quelques exemples.
Un journaliste sportif couvre un match, connait le nom de l’arbitre, constate qu’untel est remplacé ou expulsé dans le cours de la rencontre. Autant de tweets qu’il peut rédiger sur compte Twitter pro. Les internautes s’habituant à suivre ce compte Twitter de notre journaliste sportif afin de vivre les temps forts de ces rencontres.
Mais @F3Lorraine ne retwetera que le score à la mi-temps et à l’issue de la rencontre.
Même chose pour les journalistes chargés de la rubrique culturelle, politique ou européenne. Chacun fait vivre sur Twitter sa spécialité et est suivi pour cela. Le fait que @F3Lorraine relaye par un RT certains de leurs tweets valorisent ceux-ci tout autant que les journalistes eux-mêmes, apportant une dimension supplémentaire, celle de la validation éditoriale.
La décision est prise, il s’agit désormais de la mettre en pratique puis d’en tirer les enseignements pour, à terme, ajuster au mieux ce choix éditorial, qui reste pour l’instant de l’ordre de l’expérimentation.
Mais qui pourrait fort bien dans quelques mois devenir la règle à suivre.
Jean-Christophe Dupuis-Rémond / Rédaction Web France 3 Lorraine
Billet rédigé initialement sur mon blog pro Numelog