17 Mai

La gare de Limoges-Bénédictins a 90 ans – Le train et le Limousin

L’histoire de la gare des Bénédictins a déjà été faite sur ce blog, mais je vous propose, en ce temps anniversaire, quelques images (que vous pouvez agrandir en cliquant dessus) ainsi que quelques lignes à propos du train en Limousin… Sauf précisions, les photos sont issues de la photothèque de Paul Colmar et ont été publiées dans notre livre Limoges années 1950 1960 1970 (Geste Editions).

Plan de la gare et du quartier, 1937 (BNF)

Le Buffet de la gare est une vieille institution. Sur cette photographie, un banquet – masculin ! – de 1950. On admirera le triptyque peint par Varenne en décor. Aujourd’hui, malheureusement, le buffet est fermé et il manque un panneau peint.

Dans les années 1960, le bassin du Champ de Juillet accueille une barque pour les marins d’eau douce et une carriole tirée par un âne promène les enfants sages. Des jardiniers municipaux facétieux dessinent les parterres de fleurs en forme de papillons. On flirte sur les bancs publics.

Les arbres de la place Maison-Dieu, en contrebas de la gare, sont bien alignés et une statue de faune – depuis disparue – agrémente les lieux. Dans leur prolongement, le bâtiment du centre de tri des P.T.T. Au centre de la photographie, au débouché de la rue Aristide Briand (la plus longue de la ville) : le store bleu du bar-restaurant « La baleine bleue », jadis très visité par les cheminots. Non loin, à l’arrière, la silhouette grise et sans clocher de l’église Saint-Paul Saint-Louis, construite en 1907 et ornée, comme la gare, de vitraux de Chigot.

Sur la gauche, les entrepôts. En hauteur, la cathédrale et le quartier de la Cité. Un train qui part vers le tunnel traversant la ville en direction du sud et le panache de fumée de la locomotive à vapeur. A droite, l’avenue de la gare (Charles de Gaulle), ses hôtels (celui du Faisan, par exemple), restaurants, bars et commerces.  Au bout de celle-ci, la place Jourdan. En haut à droite, l’Hôtel-de-Ville.

 

En 1956, la gare des Bénédictins est pavoisée pour le centenaire de l’arrivée du train à Limoges, et l’on accueille les vieilles machines. Le 2 juin 1856, le premier train, un convoi de marchandises en provenance d’Argenton-sur-Creuse, était en effet arrivé en gare de Limoges –à l’époque une simple baraque de planches. La gare photographiée a été construite en 1929.

A gauche, l’hôtel du Faisan (1928).

Le Capitole était un train reliant Paris-Austerlitz à Toulouse par la ligne Paris-Toulouse qui circula de 1960 jusqu’au début des années 1990. Première relation ferroviaire régulière à 200 km/h en France, il est longtemps resté l’un des fleurons du rail français.

 

En mai 1968, les cheminots CGT en grève font réaliser par une couturière de la cité des Coutures un drapeau rouge qui est accroché au campanile. (c) J.M. Bourdelas

Un trolleybus CB.60 dans la boucle du terminus de la ligne 5 à la Gare des Bénédictins dans les années 150. La ligne 5 reliait la gare à la rue François Perrin. Un moyen propre et pratique de se déplacer à travers la vive, très populaire chez les Limougeauds.

A la fin des années 1960, on a accroché des panneaux modernes « arrivée » et « départ », mots qui étaient pourtant déjà bien visibles sculptés dans la façade. Les voitures stationnent sur l’esplanade et une station de taxis attend les clients. Quant à l’horloge du campanile – haut de 67 mètres – elle donne l’heure aux habitants et aux voyageurs qui ont pris l’habitude de jeter un regard vers l’un des quatre cadrans de quatre mètres de diamètre. On remarque que figure un IIII et non un IV. Certains ont dit que les aiguilles ont eu longtemps deux minutes d’avances pour presser les voyageurs.

La gare des Bénédictins a été inaugurée en juillet 1929 ; c’est une œuvre de l’architecte Roger Gonthier. Sur la photographie, on découvre le mobilier et les structures Art Déco en bois massif, les guichets, la consigne. Ils restèrent dans le hall jusqu’en 1978. Les murs du hall, dans chaque angle, supportent quatre sculptures allégoriques réalisées par Henri-Frédéric Varenne, des caryatides représentant quatre provinces françaises : le Limousin, la Bretagne, la Gascogne et la Touraine, quatre provinces desservies par la compagnie du Paris-Orléans. Au-dessus du hall s’élève la coupole haute de 26 mètres.

Une fois franchi le contrôle, on débouchait sur les escaliers descendant vers les quais. Un kiosque à journaux leur faisait face.

L’entrepôt avait été construit à l’emplacement d’un stade. Il y avait encore l’économat S.N.C.F. et la cantine des personnels. A gauche, la rue Aristide Briand et l’église Saint-Paul Saint-Louis (sans clocher), construite en 1907 pour évangéliser les cheminots.

Champ de Juillet vers 1960.

Avenue de la gare vers 1965.

Piste d’éducation à la sécurité routière, Champ de Juillet vers 1975.

La gare, vers 2018 (c) L. Bourdelas

 

Fils de cheminot, j’aime particulièrement ce texte écrit dans les années 1920 par Jean-Richard Bloch, « Locomotives », paru dans son ouvrage Les chasses de Renaut, qui décrit l’arrivée du train à La Jonchère : « Le halètement de la machine n’a pas ici le son formé, arrondi qu’on lui prête de loin ; on est trop mélangé aux forces qui le suscitent ; il émane de nous-mêmes comme notre souffle propre. Son creux et sa précipitation expriment la violence terrible de notre marche. Le seuil de La Jonchère atteint, le terrain nous manque tout à coup : rampe de dix, à nouveau, mais en notre faveur. Nous nous lançons à corps perdu. La hâte devient frénétique. Un halo de lueurs se forme en avant de nous. Il monte et nous descendons ; nous l’atteignons, mais il nous attend maintenant trop haut pour nous. Nos proportions fondent sous les ombrelles de lumière qu’élargissent les interminables pylônes de béton. La majesté passe de nous à eux. Tout à l’heure, notre mouvement concentrait en lui une puissance souveraine. Voici que l’immobilité de ces grands lampadaires en hérite. Le calme l’emporte sur la furie. Cet express, qui tranchait la nuit comme un dieu, court à présent comme un rat, un rat à ras de terre. C’est en vain que le frein retrouve son crachement de bête venimeuse : notre entrée en gare a quelque chose de rabougri et de pelotonné. »

Dès le milieu du XIXème siècle, avec la Compagnie du Paris-Orléans, le train a contribué à façonner le Limousin, son développement économique et ses paysages. C’était un temps où l’on se réjouissait de l’arrivée de ce mode de transport. Ainsi, à Brive, en 1860, l’inauguration donna lieu à une cérémonie et des festivités sur le site de la gare et en ville, sur l’estrade installée au centre de la gare se succèdent les discours des officiels, notamment le préfet et Barthélemy Eyrolles, maire de Brive, avant la bénédiction de l’évêque de Tulle, devant une foule estimée à 20 000 personnes. En Creuse, Guéret était également au centre d’un véritable nœud ferroviaire. Le Limousin était quadrillé par les rails qui conduisaient voyageurs, marchandises et bestiaux à destination de toute la France, il était quadrillé de « stations » et de gares. Qui ne sait que celle de Limoges-Bénédictins, œuvre de l’architecte Roger Gonthier, avec les magnifiques verrières à motifs végétaux de Francis Chigot, les diverses statues qui l’ornent – mais pourquoi celle de la Gascogne montre-t-elle ses fesses ? – parfois décriée lors de son inauguration en 1929, est considérée aujourd’hui comme l’une des plus belles de France et, parfois, du monde ? C’est en tout cas l’avis du magazine Vanity fair et c’est pour cette raison que Jean-Pierre Jeunet l’a choisie comme point de départ de son film publicitaire pour le n°5 de Chanel, avec Audrey Tautou.

La radiale Paris – Limoges – Brive – Toulouse constitua avec sa voie double (très tôt électrifiée), une des artères majeures du réseau ferré national. Le Limousin devint même, dans les années 1960, l’une des premières régions françaises à bénéficier des débuts de la grande vitesse. L’emblématique Capitole et, dans une moindre mesure, les ETG / RTG (considérés comme les ancêtres du TGV) qui circulaient sur les liaisons transversales – assurant des relations d’envergure comme Genève (ou Turin) – Lyon – Bordeaux, ou Vichy – Nantes – s’inscrivaient dans l’épopée du chemin de fer moderne. 1967 marqua la naissance du premier train européen « à grande vitesse » circulant à 200 km/h en vitesse commerciale ; le Capitole (du nom de la célèbre place toulousaine) annonçait le désir de modernité de la SNCF avec un matériel roulant très confortable et l’affichage de ses ambitions ; le « design » et la nouvelle livrée rouge s’affirmèrent dans le paysage. La capitale limousine peut alors se targuer, bien plus que Toulouse, de figurer parmi les cinq villes les mieux desservies de France depuis Paris, avec une vitesse commerciale des liaisons supérieure à celle qui concerne des métropoles telles que Lille, Strasbourg, Marseille, Grenoble et bien d’autres. Le Capitole obtient le label Trans Europ Express (TEE) en 1970 et entre alors dans le cercle fermé et prestigieux des grands trains européens. Nous sommes nombreux à conserver la nostalgie de cet âge d’or du train en Limousin et de regretter les rendez-vous manqués qui suivirent. Dans la France modifiée par la métropolisation et la mondialisation, la région a progressivement perdu de son importance dans le réseau ferroviaire. En 2003, le gouvernement Raffarin lâche le projet d’une ligne à grande vitesse sur l’axe Paris Orléans Limoges Toulouse (POLT). Par la suite, c’est celui d’une Ligne à Grande Vitesse entre Limoges et Poitiers qui est enterré, après une intense mobilisation des opposants et le constat par l’Etat des contraintes budgétaires. Pourtant, comme l’écrit le géographe Pascal Desmichel, « le Limousin est toujours au cœur des plans de circulation dans l’Europe du Sud-Ouest [et il affirme] l’évident rôle potentiel de carrefour de l’espace limousin. »

Alors, quel est l’avenir ? En 2017, Carlos et Manuel Diaz, deux entrepreneurs du numérique originaires de Limoges, dont l’un est installé à San Francisco, ont déclaré qu’avec la LGV, les politiques avaient un train de retard et milité en faveur d’un projet radicalement moderne : « Il y a un centre de recherche qui se créé à Toulouse » (…) un Hyperloop sur la ligne Paris-Toulouse, on est en plein milieu, ça peut changer complètement le visage et le paysage économique de la Région ». Dans son concept initial, porté par Elon Musk, l’Hyperloop consiste en un double tube surélevé dans lequel se déplacent des capsules transportant des voyageurs et/ou des marchandises[1]. On constate que le projet, qui nécessite de relever un certain nombre de défis techniques, ne peut que séduire les amateurs de science-fiction – enfin réalisée – et ferait basculer autoroutes et aéroports dans le passé. L’Hyperloop serait en effet un moyen de transport capable de concurrencer l’avion par sa grande vitesse en s’affranchissant du principal problème du voisinage des aéroports : la nuisance aérienne (bruit mais aussi pollution). Au moment où j’écris ces lignes, une des entreprises qui développent Hyperloop a annoncé qu’elle allait commencer la construction en février 2018 d’une piste d’essai à Toulouse. Reste à savoir si ce nouveau mode de transport pourra desservir notre région comme il se doit. Et comme, selon France Inter, il n’est « pas question pour les passagers d’être collés à leur siège comme un pilote d’avion de chasse, le but c’est que cela reste confortable, l’accélération sera plutôt aux alentours d’un G, proche de ce que l’on peut ressentir dans des montagnes russes », j’espère pouvoir l’emprunter dans mes vieux jours, si mon cœur ne défaille pas.

 

[1]                      Selon ses promoteurs, un tel système installé entre le centre de Los Angeles et le centre de San Francisco permettrait de relier les deux villes en moins de 30 minutes, soit le parcours de 551 kilomètres à plus de 1 102 km/h, plus rapide qu’un avion.