01 Mai

Théâtre à Limoges (5): L’échappée belle

En 1973, Charles Caunant, limougeaud d’origine, revient vers sa ville natale ; il est comédien, producteur à F.R.3 et il a la volonté de créer un café-théâtre inspiré du Café de la gare de Romain Bouteille. Il trouve une suite de caves médiévales 11 rue du Temple et convainc le propriétaire, Bernard de Fombelle, d’accueillir son projet. D’octobre 1975 à février 1977, 35 personnes donnent bénévolement de leur temps pour assainir, assécher, aménager le lieu. Toutes les économies de Caunant sont dépensées dans l’entreprise soit 50 000F de l’époque pour un théâtre de cent places. Le 9 février 1977, L’Echappée Belle est inaugurée, régie par une association dont le président d’honneur est Serge Moati, le réalisateur du Pain noir (dans lequel Caunant joue) et le vice président Serge Solon, directeur des programmes F.R.3 Bordeaux. Parmi les responsables et parrains : Jacques Rabetaud, professeur et comédien, Jean-Charles Prolongeau, artiste et céramiste, alors animateur de foyers socio-éducatifs, Georgette Bretenoux, Jean Dalbru, Georges Chatain, journaliste, Pierre Juglass, libraire. La salle propose des spectacles, du théâtre, des concerts (variétés, jazz), des expositions. S’y produisent Romain Bouteille, Marianne Sergent, Patrick Font et Philippe Val, Jean Pierre Sentier, Christian Pereira, les chanteurs Michel Sohier, Charles Elie Couture, Jacques-Emile Deschamps, Marie France Descouard, Françoise Rabetaud et Dominique Desmons, et bien d’autres. Charles Caunant écrit ‘’Mourir Bronzé’’, ‘’La caissière est mélomane’’, ‘’Le Festival du bref ’’. Patrick Jude, plasticien et professeur aux Arts Deco crée les affiches des spectacles. Un vent de liberté et de fraternité souffle dans la cave où se retrouvent artistes de renommée nationale et créateurs locaux comme Max Eyrolle et sa sœur Andrée. Jusqu’au docteur Henri Pouret, figure de la bourgeoisie limougeaude, qui viendra donner un jour une conférence sur l’art. L’Echappée Belle devient l’endroit underground fréquentés par les lycéens, les enseignants, les créateurs et spectateurs de tout poil attirés par l’esprit des lieux, éclairé à l’étincelle des poètes pour reprendre l’image de Pierre Desvaux fondateur de ‘’La Compagnie Chpeuneuneu’’.  L’entreprise portée par la passion des bénévoles cessa faute de soutiens financiers qu’elle n’a d’ailleurs jamais voulu demander. Charles Caunant avait ouvert une voie inédite à Limoges. Il vit désormais à Sète et reste en contact avec quelques amis fidèles comme Marc Wilmart qui fut un soutien personnel et médiatique important dans l’aventure de l’Echappée Belle dont la naissance fut annoncée à la fin de l’année 1973 dans un court métrage qu’ils cosignèrent. Il fut diffusé sur ce qui devint F.R.3 après l’éclatement de l’O.R.T.F. en 1975. Le film de 12 minutes avait pour titre : On ferme pour cause de réouverture.  Ce survol de la vie culturelle de la capitale régionale commençait par un poème sur Limoges en voix off de Charles Caunant sur des images d’entrée du Capitole en gare des Bénédictins :

Limoges ma ville

            Avec sa gare toujours bien limogesque

            Ses trolley-bus bien limogineux

            Ses maisons limogestes

            Ses bars si joliment limogeouillés

            Ses librairies bien limogeardes

            Ses cinémas limogiques

            Son théâtre bien limogéum

            Ses limougeauds tranquillement limoginés.

            Mes amis, là-dessus tout limogifs

            De me revoir si limogieux

            Et cette absente là-dessous

            Si complètement limogingue

            Que Limoges à la fin c’est à faire

            Limogir d’envie les images de l’autre Epinal,

            Qu’à Limoges après tout c’est

            Tellement

            Tellement

            Tellement limogiaque

            De revenir chez soi.

           

01 Avr

Marie-Noëlle Agniau au théâtre de La Passerelle le vendredi 6 avril

 

(c) L. Bourdelas

Vendredi 6 avril à 20 heures précises, L’Arbre à Trucs et le Bottom théâtre (Tulle) proposent une soirée consacrée à l’écrivain et poète Marie-Noëlle Agniau au théâtre de La Passerelle de Michel Bruzat à Limoges.

Née en 1973, Marie-Noëlle Agniau fait partie des voix contemporaines de la poésie française, dont l’œuvre est régulièrement saluée par la critique (France Culture, etc.). Elle publie régulièrement en revue et recueil, chez des éditeurs français et belges. En 2004, elle commence chez l’éditeur Yves Perrine, la « petite œuvre », vaste poème ininterrompu. Elle a participé à de nombreuses lectures publiques et festivals poétiques.

En première partie de soirée, l’auteur lit des extraits de Mortels habitants de la terre, recueil paru chez L’Arbre à paroles (Belgique) dans la collection « If ». Vertigineuse réflexion sur notre monde technologique, c’est aussi et surtout un bouleversant récit, où la pensée chemine main dans la main avec le cœur. Où la poésie, comme chez Nietzsche, est déjà pure philosophie. Pur avenir. Beauté.

En deuxième partie, le Bottom théâtre (Corrèze) propose une mise en espace de Boxes, autre texte de Marie-Noëlle Agniau paru chez Gros Textes, par Fabrice Henry, comédien et metteur en scène, avec l’actrice Romane Ponty-Bésanger. Ce spectacle avait été proposé à Aubazine dans le cadre de la manifestation « Ouvrez les guillemets ». Boxes est un récit poétique fort, plein d’émotions, qui fait passer du rire aux larmes, à hauteur de petite fille puis d’adolescente, qui fait « l’apprentissage de la rature » : de la vie et de l’écriture.

Représentation unique. 13 et 10 euros. Réservations vivement conseillées au 05 55 79 26 49.

23 Mar

Limoges, une ville de théâtre (4): les centres culturels municipaux

Henri-Louis Lacouchie et sa petite-fille Aurélie

(c) Alain Lacouchie

 

La Ville de Limoges propose elle-même, à partir de 1970, une programmation culturelle et des ateliers, avec ses centres culturels et sociaux : le principal étant avenue Jean Gagnant, les autres étant le Centre Jean-Macé et le Centre Jean-Le Bail ; c’est Henri-Louis Lacouchie qui en est le premier directeur, jusqu’en 1980. C’était un peintre, ancien instituteur détaché la Fédération des Œuvres Laïques, metteur-en-scène d’au moins 40 pièces, marqué par les spectacles vus à Paris avec les plus grands comédiens et par ses rencontres avec Jean Vilar au T.N.P. de Chaillot – et avec Jean-Paul Sartre, Jean-Louis Barrault, Roger Planchon, Laurent Terzieff, parmi d’autres – ou par la découverte du travail d’Ariane Mnouchkine à La Cartoucherie. Il n’est donc pas anodin que le sénateur-maire de Limoges ait sollicité cette personnalité, jusqu’à ce qu’il acceptât. Néanmoins, l’inauguration, à Jean Gagnant, tourna au cauchemar, comme il me l’a confié : « le jour de la réception des travaux, en présence des responsables de toutes les activités présentes sur le Centre, une voix s’élève : « Et la salle de spectacles ? » Effectivement, dans une telle maison, c’est le lieu central, le cœur des activités et cette visite était donc capitale. Le groupe des officiels se dirige donc vers la grande salle : au premier regard, elle est magnifique, impressionnante. C’est alors que le préfet Lambert (qui devait mesurer plus d’1m.80) a l’idée (saugrenue ?) de s’asseoir … Cette manœuvre lui étant impossible, car ses genoux ne rentrent pas entre les deux rangées de fauteuils, il pousse un cri d’indignation ! Scandale ! Le maire, l’architecte et quelques autres « personnalités » se précipitent et ne peuvent que constater le drame. Il y aura procès, bien sûr ; et travaux ! Deux ans de travaux afin de tout démolir et de tout reconstruire (avec une trentaine de places en moins), les gradins étant en ciment. Mais l’épilogue de cette histoire a été dramatique pour moi : comment, en effet, faire fonctionner un tel établissement sans cette salle, comment attirer du public dans ce lieu si   nouveau et encore inconnu des Limougeauds ? La difficulté était majeure. »[1] « Lors de l’ouverture du Centre Jean-Gagnant, le personnel était très réduit : un concierge, une secrétaire et moi, le directeur (…) Mais il fallait impérieusement, un animateur, un véritable animateur : après de nombreuses démarches, et grâce à l’aide efficace du secrétaire général (Monsieur Tourong), j’ai enfin obtenu la personne qu’il me fallait : Jacques Benaud. Avec lui, j’ai pu construire de vrais programmes – même si je me dois de préciser que, dès le départ, nos moyens étaient réduits au point que j’étais même obligé de réaliser les affiches et les prospectus, au sous-sol, en sérigraphie … avec l’aide du concierge ! » Progressivement, les activités se sont mises en place, sous la houlette d’Henri-Louis Lacouchie, qui raconte que les ateliers étaient le cœur du centre : « cinéma amateur, photo, modelage, émaux, tissage, gymnastique volontaire (gros succès !), karaté, langues étrangères (Allemand, italien, arabe, etc.) ». Un ciné-club fut créé, « nous avons pu entrer en possession d’un projecteur professionnel. Le programme était choisi, bien sûr, parmi les chefs d’œuvre du cinéma mondial. Avec, aussi, après le film, des discussions avec l’animateur. » Des expositions, dont certaines sont restées dans les mémoires limougeaudes, ont très vite été proposées au public : « le C.C.S.M. est un lieu de culture pour tous, d’éducation populaire. Il n’est pas un sanctuaire pour une élite « avertie ». Il doit absorber tous les domaines susceptibles d’informer ou divertir l’ensemble de la population. Les sujets des expositions ont donc  été très variés : la peinture, la sculpture, les arts en général pont été la matière principale. Mais aussi des formes intéressantes de l’habileté et l’ingéniosité de quelques passionnés. Nous avons donc présenté, aussi, par exemple, des expositions sur les poissons ou sur … les trains. Mais les expositions les plus marquantes étaient des expos photos et, bien entendu, des expos de peinture : des expos personnelles d’artistes connus dont beaucoup d’artistes parisiens classiques ou d’avant-garde, expos qui permettaient de présenter au public un panorama aussi complet que possible. Et, en fin d’année, comme des graines prêtes à germer, étaient exposées les productions de la PAP, envahissant les deux salles de leurs œuvres originales et colorées, au grand plaisir des enfants… et à l’émerveillement des parents. » Après les deux ans de travaux pour réhabilitation de la salle, les activités s’y sont succédées très rapidement. « Le public a tout de suite été au rendez-vous. Il est vrai que les spectacles étaient très attrayants : musique classique avec des orchestre et des solistes (par exemple l’orchestre symphonique de Toulouse avec, en fond de scène, une immense tapisserie de Lurçat, une pièce qui faisait partie d’une exposition au Centre, en parallèle) ; Jacques Higelin ou Marianne Sergent… » Lacouchie a également créé une première troupe théâtrale : « par chance, j’ai eu le plaisir de constater le ralliement d’acteurs professionnels souvent issus de la radio. Par exemple, Jean Pellotier professeur d’art dramatique au Conservatoire de Limoges. Mais j’ai pensé qu’il me fallait conserver cette idée d’éducation populaire. Parallèlement à cette troupe, donc, j’ai créé deux autres groupes : Les Patarêves (pour un perfectionnement des acteurs amateurs) et Le Petit Chien (pour l’initiation). La gestion de ces trois troupes (qui s’ajoutait au travail ordinaire d’un directeur de centres culturels) demandait un énorme investissement. Je faisais, en effet, toute la mise en scène, les décors (conception et réalisation !), les costumes (conception) et, bien sûr j’assurais la direction des répétitions. Mais c’est un travail qui a payé. Nous avons présenté à Limoges et dans sa région quelques chefs d’œuvres qui ont marqué (Gogol, Molière, Brecht, Obaldia, Audiberti, Anouilh et combien d’autres !).» Des conférences assurées par une centaine de reporters-aventuriers qui sont venus personnellement présenter autant de pays constituent le Festival « image et voyage ». Henri-Louis Lacouchie crée aussi, inspiré par le travail de son épouse institutrice et par celui d’Arno Sters, la Petite Académie de Peinture destinée aux enfants, dans des locaux désaffectés de l’Ecole du Boulevard Saint-Maurice :  « il y avait là des salles où on pouvait faire tomber de la peinture par terre, avec des murs recouverts de contreplaqué sur lesquels étaient accrochés des grandes feuilles de papier de toutes les couleurs. A la disposition des enfants, des couleurs à l’eau, des pinceaux, des éponges et … un tablier à toute épreuve pour chaque enfant. Pas de thème imposé, bien sûr. En général, ils produisent des souvenirs et  des vues de la vie courante. L’ensemble produit était d’une variété surprenante : chaque enfant révélait ainsi sa propre personnalité  grâce à ce moment de liberté créatrice. Au rythme d’une séance d’une heure trente par semaine, un nombre impressionnant d’enfants a pu ainsi s’exprimer (aidés, s’ils le demandaient, par des moniteurs – souvent des étudiants de l’école des Beaux-Arts ; aidés, pas dirigés). Les réunions mensuelles avec les parents ont montré la portée de cette initiative. Je n’ai qu’un regret, c’est que l’expérience si originale, populaire efficace ait été abandonnée. » Jean Gagnant accueillit dès le début des spectacles de jazz, d’abord en liaison avec Jean-Marie Masse et le Hot-Club, par exemple le Festi-Jazz. Tous les grands noms de ce style musical sont passés par le centre – comme Lionel Hampton, par exemple. « Une anecdote typique : pour une soirée, nous avions programmé Claude Bolling, alors au sommet de son art. Masse m’avait malicieusement glissé dans l’oreille que, ce jour-là, Claude Bolling aurait 41 ans. J’ai donc fait confectionner un magnifique piano en nougatine et, à la surprise générale, à l’entracte, je suis monté sur scène avec ma nougatine et je la lui ai offerte. Emotion générale : le secret avait été bien gardé ! Bolling, fou de joie et dans un moment d’euphorie a décidé d’assurer seul, au piano, toute la deuxième partie : quelle séance inoubliable ! » Henri-Louis Lacouchie conclue : « en fin d’année, c’était la fête des ateliers. Le Centre était alors transformé avec leurs productions. C’était la fête des adhérents, des enfants et de tous les parents. Il y avait une atmosphère indescriptible de kermesse. C’était un jour heureux. C’est ainsi qu’en quelques années seulement, avec imagination et travail, nous avons construit un centre culturel extrêmement complet répondant à un besoin de culture riche et simple à la portée de tous. L’abondance des adhérents et des visiteurs atteste de la réussite du projet du maire de Limoges. Le nombre de retraités assidus aux réunions atteste, lui aussi, de ce succès. Chaque semaine, plusieurs centaines d’aînés se retrouvaient au C.C.S.M. »

Le premier directeur a passé la main à Hubert Bonnefond sous la conduite duquel, pendant vingt-huit ans, les centres se développèrent et prirent leur rythme de croisière. En 2008, c’est son directeur-adjoint, Michel Caessteker, qui lui succède. Deux centres se sont ajoutés aux premiers : Jean Moulin, dans le quartier de Beaubreuil, et John Lennon – plus spécifiquement dédié au rock, au blues, au reggae. Aujourd’hui, les centres culturels municipaux accueillent près de 70 000 spectateurs chaque saison et organisent plus de 14  000 heures de cours chaque année. Une attention particulière est portée au jeune public avec des spectacles et animations adaptées. Leur programmation demeure d’une excellente qualité. Une des manifestations les plus importantes organisée par le Centre culturel Jean Gagnant est désormais le festival Danse-Emoi, biennale de danse contemporaine réputée, qui propose au public de découvrir le travail de créateurs reconnus sur la scène internationale et de jeunes chorégraphes tout en soutenant des créations originales. Le centre accueille également, tout au long de l’année, des expositions d’art plutôt contemporain.

[1]

Témoignage de décembre 2013. Les citations entre guillemets en sont toutes issues.

 

11 Mar

Théâtre à Limoges (3): Laruy et le Centre théâtral du Limousin

À partir de 1964, Jean-Pierre Laruy (pseudonyme de Jean-Pierre Lévy, 1941-1987), ancien étudiant en khâgne à Henri IV et en philosophie à La Sorbonne et élève de la rue Blanche est, avec Georges-Henri Régnier, le codirecteur du Théâtre du Limousin. Après plusieurs années de présence régulière en Limousin, l’équipe constituée autour des directeurs est devenue, à l’initiative du ministère de la Culture, une troupe nationale permanente. Georges-Henri Régnier, codirecteur, ayant été appelé à la direction du théâtre de Bourges (1972), Jean-Pierre Laruy est demeuré seul pour assurer, à Limoges, la direction du Centre Théâtral du Limousin devenu Centre dramatique national du Limousin, qu’il dirige jusqu’en 1983. Entre 1961 et 1983, Jean-Pierre Laruy met en scène quelque 80 spectacles, dans lesquels il peut aussi jouer (et même faire office de traducteur ou composer la musique, avec aussi Yves Desautard ou Pierre-Jean Leymarie) : Beckett, Claudel, Molière, Pirandello, Sartre, Marivaux, Sophocle, Tennessee Williams, Musset, Ionesco, Vitrac, Giraudoux, Balzac, Strindberg, Hugo, etc. La pièce La Mouche verte, qu’il a écrite avec Daniel Depland, a été éditée en 1981 par L’Avant-Scène théâtre. Les spectacles sont joués parfois au théâtre municipal de Limoges, au Centre culturel municipal Jean Gagnant et dans divers lieux du département (comme le parc Charles Sylvestre, à Bellac, qui accueille Pétronille tu sens la menthe, chansons de la période 1900-1930). La comédienne Andrée Eyrolle se souvient aussi : «On allait dans les villages, mais on ne se contentait pas de jouer, on restait huit jours au même endroit, on organisait des parades avec des tracteurs, on écoutait les gens, on inventait avec eux.» Laruy se produit encore au théâtre de la Visitation, rue François Chénieux à Limoges. La Visitation est une ancienne chapelle construite au XVIIIème siècle par Joseph Brousseau. Le couvent est devenu, à la Révolution, tribunal puis prison insalubre. Il abrite aussi durant les premières décennies du XIXème siècle la bibliothèque municipale, une école d’enseignement mutuel, et la pépinière départementale. L’armée s’y installe ensuite, ce qui n’empêche pas l’accueil de spectacles dans la chapelle. En dehors de ses propres mises en scène, Laruy invite d’autres artistes, comme Jean Alambre, auteur et chanteur, qui met en scène, en 1976 Le massacre des Primevères. Néanmoins, le nombre d’abonnés fléchit.

            Au début 1975, l’Etablissement Public Régional vote un crédit de 400 000 francs destiné à l’achat d’un matériel mobile permettant des actions d’animation culturelle itinérantes et régionales (460 places) ; ce sera la mission des Tréteaux de la terre et du vent, associés au Centre Dramatique du Limousin, dirigés par Hassan Geretly – d’origine égyptienne, diplômé des Universités de Bristol et de La Sorbonne, il est rentré en Egypte en 1982, où il a été assistant de Youssef Chahine, puis a fondé la compagnie théâtrale El Warsha – avec Daniel Hanivel pour secrétaire général. Pendant une semaine, les Tréteaux s’installent dans une ville limousine d’où rayonnent de multiples activités : parades, marionnettes, ateliers théâtre, spectacles. La troupe joue par exemple « Mistero Buffo » de Dario Fo ou « Village à vendre » de Jean-Claude Scant. Le public suit, en nombre, parfois enthousiaste, parfois dérouté : ainsi, du 26 janvier au 20 mars 1976, 15 000 habitants limousins assistent aux animations. Le Populaire du Centre se félicite : « A l’heure de la faillite, des économies galopantes, la bonne vieille faculté de résistance d’une région qui n’a encore point trop perdu de ses valeurs et de sa vérité, est sans doute un espoir. Il faudra qu’on le comprenne en haut-lieu. » Parmi les journalistes d’alors : Paul-Henri Barillier, devenu par la suite l’un des actifs animateurs de la vie culturelle limougeaude. L’aventure participe du mouvement d’alors « Vivre et travailler au pays », sans doute symbolisé par le combat des paysans du Larzac. Malheureusement, le Secrétariat à la culture n’aide pas l’entreprise qui se dissout et renaît plusieurs fois, obligeant à un perpétuel et difficile travail de remobilisation.

 Des troupes nouvelles apparaissent : le Théâtre de l’Evènement, créé par des militants cégétistes, le Théâtre de l’Ecale (né dans les milieux du P.S.U. et de la C.F.D.T.) et le Théâtre de la Fête (une équipe d’agit-prop qui réagit sur l’évènement).

04 Mar

Une exposition du peintre limougeaud Pierre Jarraud au Canada

La Galerie d’art Urbania, 112, rue Saint-Paul, Québec, accueille des oeuvres de Pierre Jarraud à la mi mars 2018.

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Pierre Jarraud

Parler d’un peintre, parler d’un ami.

 

Pearl Buck a écrit quelque chose de très juste : « peindre est un état d’âme et non pas une réalité, c’est introduire l’idéal dans l’art. »[1] Il me semble que cela correspond à la manière dont peignait Pierre, qui – d’abord passionné par Pissarro et Dali – avait commencé ses premières peintures à l’huile à treize ans. De la 6ème à la 1ère, il suivit deux heures de cours du soir pour apprendre à dessiner et à peindre. Né à Limoges en 1941, il étudia au Lycée Gay-Lussac, comme d’autres qui allaient devenir artistes ou écrivains (Georges-Emmanuel Clancier, pour ne citer que lui, y était déjà passé), puis poursuivit ses études pendant trois ans à l’École Nationale d’Arts Décoratifs de la ville avant de rejoindre l’École Nationale des Beaux-Arts de Saint-Etienne.

Nous nous sommes rencontrés en 1983, alors qu’il exposait à la galerie Contraste de Claude Bensadoun à Limoges : j’ai aimé à la fois sa peinture et l’homme, dont je suis devenu l’ami jusqu’à sa précoce disparition, en ce triste mois de janvier 1997. Signe du destin : il était familier de l’Oise, dont ma famille maternelle était originaire et même du petit village où j’avais passé nombre de mes vacances d’enfant. Il exposait ainsi régulièrement à Compiègne et reçut le Prix de la ville de Pierrefonds, dont il peignit à la Turner le château restauré par Viollet-le-Duc – la bâtisse où, à dix ans, je me rêvais chevalier. Par la suite, j’eus le plaisir de rencontrer Lucette, son épouse, puis sa fille Charlotte – que l’on retrouve en regardant ses tableaux (Les cheveux courts et leur tendre gravité, l’érotisme discret de La dormeuse).

Depuis les débuts, la peinture de Pierre Jarraud est multiple. Limousin, attaché à la campagne du nord de la Haute-Vienne, il sait appréhender le mystère des rivières, comme la Brame, leurs reflets, le sombre des bois, les silhouettes des chênes, les taillis, la blancheur discrète et modeste des façades de fermes, des toits rouges, des clôtures, la puissance des vaches limousines, les ombres bleues des prairies et des lisières ou le jaune profond des fonds de prés, l’étang calme au crépuscule, le feu d’artifice des iris, des hortensias ou du mimosa – entremêlements subtils de légèreté, de lumière et de couleurs, dont les parfums capiteux semblent exhaler de la toile, ô Baudelaire. Mais amoureux aussi de l’Atlantique, du Croisic à La Tremblade, il sait saisir le mouvement des vagues, les accords du ciel et de l’eau, des nuages et des mâts, des maisons de pêcheurs et des chalutiers, dans un impressionnisme renouvelé à l’aune du contemporain. Huile et toile mouillées aux embruns. Le poète déjà l’écrivait : « … La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme (…) Tu te plais à plonger au sein de ton image… »[2] Lorsque Jarraud peint La mouette, se fondant ailes écartées dans le paysage de rochers et d’eau, il peint aussi l’albatros, c’est-à-dire le poète et l’artiste.

Pierre Jarraud, c’est aussi – surtout ? – le peintre de la poupée, la poupée sous toutes ses formes mais avec des aspects féminins très marqués, dans des mises en scène savamment étudiées, qui transforment l’objet en créature ambigüe et font du tableau une œuvre souvent érotique, dans un jeu permanent entre l’inanimé et le vivant, dont l’humour n’est pas exclu. Pierre avait d’abord photographié les poupées, souvent parce qu’il les trouvait pathétiques, abimées, cassées, solitaires, avant de décider de les prendre pour modèles. « J’ai donc peint cette poupée – me disait-il – dans toutes les postures… Sans arrière-pensée. Sans besoin d’aller plus loin, au début. Mais il y avait une attirance inexplicable. » Les historiens, les psychanalystes, ont étudié la poupée et le rapport qu’entretiennent les hommes avec elle, à travers les âges et les cultures, pour souligner combien elle déborde de significations et d’usages variés, en perpétuel renouvellement – ludique, rituel, esthétique, magique. Jarraud a su se les approprier, les croiser, renouant avec la plus haute Antiquité car, chez les Grecs, la korè était à la fois la poupée et la jeune fille, et chez les Romains, la pupilla était aussi la prunelle, le miroir de l’œil. Plonger son regard dans les yeux ronds des poupées du peintre, dans le maquillage charbonneux de ses midinettes, c’est se regarder et se chercher soi-même. C’est savoir, aussi, que toute Amazone possède sa « contrepartie avec ombre », tout comme nous. Complexité de l’humain, de la vie, du désir et de l’amour.

Celui qui me confiait avoir « toujours aimé Dali, Chagall, Magritte et les surréalistes en général », fit évoluer sa peinture et une métamorphose s’opéra insensiblement, transformant les poupées en petites filles ou même en femmes. L’œuvre s’ouvrit à d’autres influences et sur d’autres thèmes, historiques, fantaisistes, fantastiques – un chat se substituant à la tête d’un buste (Lumière d’en haut), un autre observant une poupée volant comme un petit oiseau (Effet de manche), des jeunes filles ou des fées en ombrelles se balançant au rebord d’une oreille. Le rêve, l’imagination et la maîtrise du peintre, celle de la couleur et du dessin triomphaient, les tableaux se faisaient encore moins statiques, épousaient une modernité sans toutefois oublier la poésie. La Méditerranée, l’histoire, faisaient leur apparition. Avec La timide florentine, Jarraud rendait hommage à la fois à ses prédécesseurs de la Renaissance, à Modigliani, se souvenait de Catherine de Médicis et s’ouvrait au présent brûlant comme un regard bleu qui foudroie.

J’aimais visiter Pierre Jarraud dans son atelier de Condat-sur-Vienne, près de Limoges, échanger avec lui, à propos de la peinture, bien entendu, mais aussi de la poésie, de la photographie – qu’il pouvait utiliser comme point de départ à l’une ou l’autre de ses créations – de la musique et de la chanson. J’aimais cet artiste et son univers multiple, référencé, en perpétuelle évolution, dont l’œuvre faisait l’objet d’expositions en France et à l’étranger. J’aimais découvrir la toile en cours sur le chevalet, écouter glisser les poils du pinceau, regarder le jeu des couleurs sur la palette, humer le parfum des tubes.

J’aimais notre amitié. Ses tableaux toujours m’accompagnent et jamais son souvenir ne s’efface.

 

 

Laurent Bourdelas

Le 7 février 2018

 

 

[1] Impératrice de Chine, LGF, 1992.

[2] C. Baudelaire, « L’homme et la mer », Les Fleurs du Mal.

25 Fév

Conférence à propos de Germaine Ribière à l’Espace Cité, Limoges mercredi 28 février 2018

Germaine Ribière est née à Limoges en 1917 dans une famille catholique. Dans ce portrait qui illustre le timbre, on retrouve la rondeur des joues de l’enfance mais on voit dans le regard une détermination sans faille. Cette détermination qui lors de la Seconde Guerre mondiale va la conduire à lutter très tôt contre les dangers du nazisme et à s’impliquer dans les réseaux Combat et Amitiés chrétiennes. (Phil-Ouest)

Germaine RIBIERE, 25 ans en 1942, une femme admirable Juste des Nations dès 1967, honorée d’un timbre de La Poste en 2017 au centenaire de sa naissance, cette grande Résistante est méconnue dans sa ville natale, Limoges. Son père était décorateur sur porcelaine, sa mère couturière pour enfants, place Blanqui. Une famille très croyante, un père soucieux des persécutions antisémites dès avril 1933.

Etudiante en philosophie, éprise de justice et s’interdisant la peur, Germaine RIBIERE fut capable de réaliser, à l’échelle nationale : sauvetage et camouflage d’enfants juifs et de familles, diffusion des Cahiers du Témoignage Chrétien, ainsi que d’innombrables missions d’agent de liaison entre les pôles de résistance de Lyon, Brive, Toulouse, Paris. Son parcours raconte l’engagement de jeunes femmes parmi les résistants chrétiens.

Au départ de la gare de Limoges, à Lyon, Paris, Poitiers, Limoges, Brive, Toulouse, Grenoble, en Suisse… on croisait Germaine RIBIERE partout où se jouait le sort des victimes de Vichy et des Nazis.

Déterminée, trouvant des solutions au jour le jour, forte de son « réseau de l’amitié ».

En 1953, on fit appel à elle pour l’affaire FINALY. D’une grande modestie, Mlle Ribière ne transigeait ni sur l’antisémitisme ni sur la cause des enfants. Infatigable, Germaine RIBIERE.

Conférence Espace Cité, mercredi 28 février 2018 de 18h à 19h30 2, rue de la Providence à Limoges, Entrée libre.

DANS LE CADRE DES CONFERENCES DU MUSEE DE LA RESISTANCE DE LA VILLE DE LIMOGES par Claude PENIN, professeur d’Histoire, retraitée E.N. membre de l’A.P.H.G. Association des Professeurs d’Histoire-Géographie.

Germaine RIBIERE avait une amie de Limoges, Hélène DURAND, qui fit toutes ses études au Lycée de Jeunes Filles de la rue des Argentiers, aujourd’hui Lycée Léonard Limosin, puis fut, à partir de janvier 1942, professeur au lycée de Jeunes Filles de Poitiers. Elle était Jéciste, elle aussi. Elle faisait partie du « réseau de l’amitié » de Germaine RIBIERE, « la grande Résistante ». La conférence mettra l’accent sur le parcours de Germaine RIBIERE à Limoges, en Limousin et en Poitou.

21 Fév

Théâtre en Limousin (2)

04-C - République (pl de la) 703-4 - théâtre Berlioz - Photothèque Paul Colmar

Théâtre Berlioz, place de la République à Limoges (c) Paul Colmar

04-A - Théâtre 02-1 - Cirque-Théâtre - façade - Photothèque Paul Colmar

Cirque-Théâtre de Limoges (c) Paul Colmar

Le 6 décembre 1836, le conseil municipal de la ville (le maire étant Jean-Juge Saint-Martin) décide qu’un théâtre sera construit par l’architecte du département, Boullé – Sechan s’occupant du décor intérieur. Celui-ci est inauguré le 29 mars 1840 et c’est la création de la première troupe sédentaire (les différents directeurs, d’origines diverses, sont souvent accompagnés par une troupe permanente). L’historien Jean-Marc Ferrer, qui a étudié le fonctionnement de ce théâtre, a noté que si l’on y donne des comédies, des tragédies et des drames romantiques, le public semble préférer le lyrique : l’opéra, l’opéra-comique et l’opérette. Le public, irrégulier, est surtout populaire (l’élite ouvrière des typographes et porcelainiers, commis, étudiants et même « lorettes »), la « bonne société » se répartissant les places de premières (deux belles grandes loges étant réservées au maire et au préfet) – la bourgeoisie étant cependant peu assidue. 803 places accueillent les spectateurs parmi lesquels, aussi, des militaires en garnison à Limoges. Les ouvriers fréquentent également les cafés-concerts durant la seconde moitié de l’Empire.

Alain Corbin a aussi analysé l’activité théâtrale, notant que « de la fin de la Monarchie de Juillet jusqu’au triomphe de la IIIème République, l’activité théâtrale connut dans la région des fortunes diverses mais jamais elle ne fut très prospère. » Il indique qu’à Tulle, si plusieurs directeurs ont connu le succès de 1841 à 1846, les choses se gâtent ensuite. A Guéret (salle de 470 spectateurs) et Aubusson (« théâtre exigu et défectueux » de 360 places), ce n’est guère brillant non plus, les troupes ne connaissant jamais un grand succès ni en Creuse ni en Corrèze. A Saint-Léonard et Rochechouart, en Haute-Vienne, des cafetiers possèdent deux salles (la première de 280 places). Dans la région de Bellac, les artistes de passage se produisent dans les salles de mairie ou de café.

Suite à l’incendie, en 1909, du cirque en bois qui se trouvait place de la République, la municipalité de Limoges décide de faire construire un bâtiment en dur avec charpente en fer et en fonte. Les travaux durent de 1911 à 1919 et, après son ouverture, des peintures de David O.W. y sont installées. Le bâtiment fut rasé à la fin des années 1950 et remplacé par l’actuel Opéra-théâtre.

02 Fév

Marc Bruimaud, un écrivain cinématographique

Marc Bruimaud (c) Serge

Marc Bruimaud (c) Serge

Avant d’habiter à Limoges, Marc Bruimaud, né à Vierzon la même année que la Vème République, a vécu à Châteauroux. Dix années à lire des comics Marvel, regarder des séries TV et des cartoons, peut-être pour échapper à l’ennui environnant. Un univers familial prolétaire, un père cheminot – mais un drôle de cheminot qui n’aimait pas les communistes et aurait voulu être légionnaire. Raciste, semble-t-il, misogyne, homophobe, traitant sa femme « comme une chienne », tout encombré de son fils. Fêlure. « Mon père se trouvait plus jeune que la moyenne. À la fin, il avait l’air d’un vieux déchet. » C’est extrait d’un texte paru dans la revue Métèque (n°2, avril 2015). L’adolescence à Limoges, du côté du Vigenal et du Puy-La-Rodas, c’est le temps de la Science-Fiction (Dick, Ballard, Malzberg, il y a pire!), de la musique de films, du punk et de la participation à divers fanzines. La fin des années 70 le voit découvrir Queneau et Pérec, devenir pataphysicien, émule de Jarry, OuLiPien. Je me souviens de l’aventure du CIDRE Raymond Queneau dont il a déjà été question sur ce blog… (CIDRE, ALCOOL pour le Centre Régional du Livre, certains avaient l’acrostiche amusant, à cette époque) – aventure qui, malheureusement, ne fut pas pérenne. Dommage queceux qui tenaient les cordons de la bourse aient laissé filé cette opportunité! Pour ma part, je me souviens d’un captivant colloque sur Queneau. Bruimaud s’est ensuite adonné à la critique littéraire et cinématographique, a collaboré à des ouvrages comme Le Dictionnaire de la Mort chez Larousse ou celui de la Méchanceté chez Max Milo, ce qui n’étonne guère lorsque l’on suit sa férocité sur les réseaux sociaux. On annonce un essai consacré à Damiano aux éditions Jacques Flament. L’écrivain et critique s’est aussi essayé à l’art contemporain, au cinéma, à la mystification littéraire (sous le nom de Guy (ou Guylaine) Misty)… mais c’est sa créativité littéraire qui attire le plus l’attention depuis quelques années et, finalement, le fait s’échapper de l’underground.Nul doute que ceux qui s’intéressent à la littérature (lecteurs, critiques, libraires…) doivent d’urgence – comme on dit – le lire!

Les éditions Jacques Flament publient en 2015, dans leur collection « Côté court Littérature », un petit livre de Marc Bruimaud, à couverture noire, d’une cinquantaine de pages, une nouvelle si l’on veut, intitulé : Makolet. Une histoire dont le narrateur n’est pas forcément celui que l’on croit, du moins au début. Un texte qu’on lit d’une traite et dont la critique aurait peut-être pu s’appeler « le freak, c’est chic ». Après tout, dans La monstrueuse parade (Freaks), Tod Browning mettait en scène, en 1932, un nain amoureux d’une belle trapéziste, Cléopâtre. Bruimaud, lui, raconte l’histoire tragique d’un nain, lui-même fasciné par la trajectoire d’un autre nain mondialement célèbre : l’acteur français Hervé Villechaize, bien connu des cinéphiles pour ses rôles dans L’homme au pistolet d’or ou L’île fantastique. Le narrateur ne le cite pas, mais on le reconnaît très vite. Surtout à sa mort : un suicide par balle après avoir regardé Le Magicien d’Oz (une histoire d’orpheline apeurée, vous vous souvenez ?). C’est sa compagne, la rousse et pulpeuse Kathy Self, qui le trouva baignant dans son sang. Cette mort surprend le narrateur : Hervé avait tout pour être heureux et imposer le respect aux autres. Oui, mais il était nain. Il y a un autre acteur disparu dans le livre : celui qui lui donne son titre. Macaulay Culkin, qui joua dans Maman j’ai raté l’avion (1990). Un gamin malheureux dont les parents voulaient récupérer l’argent. Dont la sœur Dakota est plus tard morte écrasée par un chauffard, à Los Angeles. Et dont une rumeur persistante a annoncé la mort à New York. Peu importe qu’elle soit fausse, elle parle d’un gosse malheureux. Comme celui dont il est question dans Makolet : un enfant abandonné par sa mère parce qu’il était nain, un orphelin chez les Sœurs : « à un moment de leur vie, on a pas voulu d’eux. Ca, ça dépasse tout le reste. » Un enfant très seul et différent. Qui souffre en permanence. Et, plus tard, un jeune, un adulte, frustré sentimentalement et sexuellement. Que Sarah, la jeune fille qui lui fait la charité de ses visites, ne peut contenter, pas plus que la femme qui tient le sex shop où il se rend parfois. Alors, il devient acteur porno chez Marc Dorcel, ce qui lui permet d’éprouver du plaisir, mais aussi de finir par croire que les actrices qui doivent jouer avec lui pour permettre la réalisation de films bizarres l’aiment vraiment. La désillusion vient de Rita, qui lui fait éprouver avec violence combien elle le méprise… Raconter la suite du livre de Marc Bruimaud serait priver le lecteur du plaisir du suspens de sa lecture. Mais il y est question d’un autre garçon triste, parce que loin de ses Antilles : Désiré. Avec qui le nain se lie à la vie, à la mort. L’intérêt de ce livre est multiple, c’est presque une prouesse en si peu de pages : intrigue originale, style agréablement cinématographique, moments « pornographiques », polar… Et il s’agit aussi d’un ouvrage qui aborde la question de l’écriture – qui écrit, comment, pourquoi ? On en revient au début de ces lignes. A la fêlure de l’enfance, précise dans Makolet comme dans le texte Mon père. Celle qui nourrit, depuis toujours, bon nombre d’écritures. « Mon père disait aussi : « Si t’arrêtes pas, je vais te foutre DÉ-HORS ».

Après Makolet chez Jacques Flament, est paru La vie coule, des « récits sentimentaux » sans doute autobiographiques, rejoignant avec talent les auteurs d’auto-fiction. Si le titre trouve son origine dans une sorte de long poème concluant le livre (« Parce que, avec toi, la vie coule »), on songe aussi à la vie qui s’écoule (à défaut d’être toujours cool), c’est-à-dire au fameux tempus fugit, et à Héraclite. Marc Bruimaud est ici à la recherche du temps perdu (le thème de l’enfance affleurant d’ailleurs en permanence dans son texte), mais plus sous l’égide d’Annie Ernaux que de Marcel Proust.
Il est donc question de ses amours, de ses relations – parfois adultères – avec Marie, Dolores, Rosie, Emma, Minnie et quelques autres, avant « plus personne ». Elles sont racontées avec une sorte d’objectivité où les détails ont une importance certaine: marques, lieux, objets… nourrissent précisément le discours amoureux et lui confèrent une poésie faussement prosaïque, d’autant plus que l’écrivain aiment dérouler des listes qui deviennent des sortes de poèmes. Le texte est aussi enrichi – sans jamais peser – de nombreuses références au cinéma et à la littérature, mais aussi à la musique, notamment électronique. Le tout étant situé entre Limoges et Oléron. L’humour (involontaire?) ponctue aussi ces récits, lorsque le narrateur misanthrope devient féroce avec les autres ou lorsque son autodérision fait des ravages. Car, à le lire, une chose est certaine: le sexe « faible » n’est certainement pas celui des femmes, qu’il sait aimer et dont il connaît parfaitement l’intime géographie, tout en sachant se rendre parfaitement énervant, avec ses multiples névroses. 
On note la présence de quelques « hasards objectifs » – parfois dissimulés sous l’appellation « anecdotes » – et l’ouvrage s’achève par un chapitre épistolaire lui donnant des allures de Liaisons dangereusescontemporaines. La vie coule, en effet, et le style de Marc Bruimaud aussi, qui donne envie de le lire du début jusqu’à la fin sans interruption, ce qui n’empêche pas de réfléchir avec lui à propos de la carte du tendre dans toute sa complexité, ses difficultés et ses plaisirs sans cesse recommencés. 

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L’auteur aime les petits livres objets, au graphisme étudié – avec des oeuvres de Pascal Leroux, s’intéresse à des « inutilités » qui ne le sont qu’en apparence, parfois aussi aux sentences de Jean-Claude Van Damme… faisant de l’anecdotique une oeuvre littéraire et poétique. Mais son grand oeuvre est vraisemblablement Le cycle de Catalpa, grande fresque romanesque en sept volumes – en cours de publication chez l’excellent éditeur Black-Out (Cliquer ici) – dont le narrateur désabusé vit entre le littoral amécicano-mexicain et l’île de Catalpa, ce qui n’empêche pas les escapades vers d’autres lieux. Il ne faut pas trop en dire ici pour ne pas déflorer les diverses énigmes – tout autant policières que littéraires – qui ponctuent l’histoire. Juste affirmer combien la lecture est plaisante, avec les stars hollywoodiennes que l’on y croise, plus ou moins sur le retour et en mal d’amour ou de considération, d’argent aussi, les musiciens, écrivains, artistes, sportifs, et même un producteur de séries Z et un critique littéraire plutôt imbu de lui-même. Un monde qui se délite, mystérieux et référencé, à la David Lynch. Et d’incomparables exercices littéraires – oui, oui, encore Queneau, d’une certaine manière. Un univers moite, vénéneux, comme un polar poisseux. Bruimaud fait son cinéma pour des lecteurs-spectateurs consentants. Mais l’intérêt du texte est amplifié par son édition. En effet, Fabrice Garcia-Carpintero fait de chacun des volumes de la saga une véritable oeuvre d’art (les deux magnifiques coffrets de Tijuana et Catalpa), accompagné d’illustrations ou de polaroïds de Pascal Leroux. Le lecteur bibliophile est ainsi pleinement comblé.

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(c) Editions Black-out

Vous pouvez me faire confiance: plongez-vous dans les livres de Marc Bruimaud, écrivain de grand talent, fantaisiste et original – à l’écriture prolifique, semble-t-il – : cela fait un bien fou et change de ce que l’on peut lire par ailleurs sous la plume d’autres écrivains installés dans la région.

28 Jan

Une histoire du théâtre à Limoges et en Limousin (1)

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Augustoritum: en haut l’amphithéâtre, en bas, près de la Vienne, le théâtre (c) Musée B.A.L.

Doit-on remonter jusqu’à l’Antiquité dans un post sur le théâtre en Limousin ? Peut-être se souvenir que dans la ville gallo-romaine d’Augustoritum, deux monuments d’envergure étaient destinés aux divertissements. D’abord le grand amphithéâtre, au nord-ouest de la ville, visible de loin par les voyageurs. Il pouvait accueillir environ 25 000 spectateurs assis, ce qui le classerait au 4ème rang en Gaule. On ne sait malheureusement rien de précis sur les spectacles et les fêtes qui s’y déroulaient. Les archéologues ont néanmoins trouvé certains objets où sont représentés un lion, des gladiateurs. De l’autre côté de la ville, au débouché du pont et à l’entrée du cardo maximus, se situait le théâtre antique, d’un diamètre d’au moins 82 mètres. On imagine la population venant y applaudir l’atellane (courte farce), le mime ou la pantomime, la fabula.

Mais c’est au Moyen Âge, aux abords de la magnifique abbaye Saint-Martial de Limoges que se développe le théâtre. Ainsi a-t-on mention, en mai 1290 et juin 1302, de représentations de miracles dans le cimetière, près de la croix en pierre – les auteurs étant cadurciens. Il y a surtout les mentions du Sponsus ou Mystère des vierges sages et des vierges folles, drame liturgique anonyme bilingue (40 vers en occitan, 47 vers en latin) du 11ème siècle qui provient de l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Il semblerait que ce soit la première manifestation de la dramaturgie en langue vernaculaire. Le texte, s’inspirant de la parabole des vierges sages et des vierges folles (Evangile de Matthieu, XXV, 1-13), est composé de strophes de types variés, avec ou sans refrain, accompagnées d’un jeu de mélodies. Il montre les habitudes du milieu aquitain, partagé entre monde latin et monde occitan. Nadine Henrard a mené l’enquête à propos de ce spectacle inspiré de la parabole des dix vierges qui exhorte à la vigilance dans l’attente du Jugement ; elle note qu’il est « hasardeux » d’affirmer que le Sponsus a été représenté dans l’église, lors d’un office. Dans le drame, ce sont les mercatores (les marchands) qui s’expriment en langue vulgaire ; par ailleurs, « le Sponsus offre également la première diablerie du répertoire […] Cette intervention des diables suppose une forme de mise en scène et elle impliquait probablement l’utilisation d’un décor adéquat. » Après avoir été « redécouvert », le mystère fut interprété le 26 avril 1984 en l’église Saint-Michel-des-Lions de Limoges par l’ensemble Organum.

En 1743 à Limoges, un théâtre était installé dans une ancienne et vaste écurie près de la porte Montmailler. L’année suivante, des représentations étaient données dans une salle de l’hôtel de ville. En 1772, on a trace d’un projet avorté de construction d’une salle de spectacle par Turgot. Au début de 1784, la société d’amateurs présente une pièce de théâtre jouée par des membres de la bonne société limougeaude, parmi lesquelles des femmes. Le clergé s’en émeut mais il est accusé de fanatisme. On songe alors à la création d’une salle (par exemple au Collège royal), mais les avis divergent : y accueillir seulement théâtre et concerts ou envisager aussi un restaurant-brasserie, des salles de jeux, une bibliothèque. Finalement, rien n’aboutit. En 1775, un nommé Besse a aménagé un local rue Banc-Léger en vue de représentations scéniques. Celui-ci étant détruit par un incendie en 1790, Besse achète le couvent des Récollets Saint-François et y établit un théâtre de 525 places. Notons que pendant la Révolution, le goût pour la théâtralisation s’empare de la rue et les fêtes civiques se multiplient. La Société Populaire fait jouer des pièces à sujets militaires et patriotiques. En 1799, la ville de Limoges prend la salle Besse en location – en 1802, la troupe est dirigée par Hébert, à qui succède Nortier Duberneuil puis Mademoiselle Zelmer et Monsieur Beauval. En 1807, les départements de la Haute-Vienne, Corrèze, Dordogne, Charente et de la Vienne forme le 9ème arrondissement théâtral de France. Les 8 et 9 juillet, Madame et Monsieur François-Joseph Talma, comédiens de l’empereur, fort réputés, se produisent à Limoges. En 1813, dans un courrier au maire, le préfet écrit : « les spectacles sont nécessaires pour occuper les oisifs, imposer le goût des Beaux-Arts et de l’instruction, et surtout pour épurer et l’accent et la langue dans les pays où l’on parle un idiome corrompu ».