04 Mar

Une exposition du peintre limougeaud Pierre Jarraud au Canada

La Galerie d’art Urbania, 112, rue Saint-Paul, Québec, accueille des oeuvres de Pierre Jarraud à la mi mars 2018.

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Pierre Jarraud

Parler d’un peintre, parler d’un ami.

 

Pearl Buck a écrit quelque chose de très juste : « peindre est un état d’âme et non pas une réalité, c’est introduire l’idéal dans l’art. »[1] Il me semble que cela correspond à la manière dont peignait Pierre, qui – d’abord passionné par Pissarro et Dali – avait commencé ses premières peintures à l’huile à treize ans. De la 6ème à la 1ère, il suivit deux heures de cours du soir pour apprendre à dessiner et à peindre. Né à Limoges en 1941, il étudia au Lycée Gay-Lussac, comme d’autres qui allaient devenir artistes ou écrivains (Georges-Emmanuel Clancier, pour ne citer que lui, y était déjà passé), puis poursuivit ses études pendant trois ans à l’École Nationale d’Arts Décoratifs de la ville avant de rejoindre l’École Nationale des Beaux-Arts de Saint-Etienne.

Nous nous sommes rencontrés en 1983, alors qu’il exposait à la galerie Contraste de Claude Bensadoun à Limoges : j’ai aimé à la fois sa peinture et l’homme, dont je suis devenu l’ami jusqu’à sa précoce disparition, en ce triste mois de janvier 1997. Signe du destin : il était familier de l’Oise, dont ma famille maternelle était originaire et même du petit village où j’avais passé nombre de mes vacances d’enfant. Il exposait ainsi régulièrement à Compiègne et reçut le Prix de la ville de Pierrefonds, dont il peignit à la Turner le château restauré par Viollet-le-Duc – la bâtisse où, à dix ans, je me rêvais chevalier. Par la suite, j’eus le plaisir de rencontrer Lucette, son épouse, puis sa fille Charlotte – que l’on retrouve en regardant ses tableaux (Les cheveux courts et leur tendre gravité, l’érotisme discret de La dormeuse).

Depuis les débuts, la peinture de Pierre Jarraud est multiple. Limousin, attaché à la campagne du nord de la Haute-Vienne, il sait appréhender le mystère des rivières, comme la Brame, leurs reflets, le sombre des bois, les silhouettes des chênes, les taillis, la blancheur discrète et modeste des façades de fermes, des toits rouges, des clôtures, la puissance des vaches limousines, les ombres bleues des prairies et des lisières ou le jaune profond des fonds de prés, l’étang calme au crépuscule, le feu d’artifice des iris, des hortensias ou du mimosa – entremêlements subtils de légèreté, de lumière et de couleurs, dont les parfums capiteux semblent exhaler de la toile, ô Baudelaire. Mais amoureux aussi de l’Atlantique, du Croisic à La Tremblade, il sait saisir le mouvement des vagues, les accords du ciel et de l’eau, des nuages et des mâts, des maisons de pêcheurs et des chalutiers, dans un impressionnisme renouvelé à l’aune du contemporain. Huile et toile mouillées aux embruns. Le poète déjà l’écrivait : « … La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme (…) Tu te plais à plonger au sein de ton image… »[2] Lorsque Jarraud peint La mouette, se fondant ailes écartées dans le paysage de rochers et d’eau, il peint aussi l’albatros, c’est-à-dire le poète et l’artiste.

Pierre Jarraud, c’est aussi – surtout ? – le peintre de la poupée, la poupée sous toutes ses formes mais avec des aspects féminins très marqués, dans des mises en scène savamment étudiées, qui transforment l’objet en créature ambigüe et font du tableau une œuvre souvent érotique, dans un jeu permanent entre l’inanimé et le vivant, dont l’humour n’est pas exclu. Pierre avait d’abord photographié les poupées, souvent parce qu’il les trouvait pathétiques, abimées, cassées, solitaires, avant de décider de les prendre pour modèles. « J’ai donc peint cette poupée – me disait-il – dans toutes les postures… Sans arrière-pensée. Sans besoin d’aller plus loin, au début. Mais il y avait une attirance inexplicable. » Les historiens, les psychanalystes, ont étudié la poupée et le rapport qu’entretiennent les hommes avec elle, à travers les âges et les cultures, pour souligner combien elle déborde de significations et d’usages variés, en perpétuel renouvellement – ludique, rituel, esthétique, magique. Jarraud a su se les approprier, les croiser, renouant avec la plus haute Antiquité car, chez les Grecs, la korè était à la fois la poupée et la jeune fille, et chez les Romains, la pupilla était aussi la prunelle, le miroir de l’œil. Plonger son regard dans les yeux ronds des poupées du peintre, dans le maquillage charbonneux de ses midinettes, c’est se regarder et se chercher soi-même. C’est savoir, aussi, que toute Amazone possède sa « contrepartie avec ombre », tout comme nous. Complexité de l’humain, de la vie, du désir et de l’amour.

Celui qui me confiait avoir « toujours aimé Dali, Chagall, Magritte et les surréalistes en général », fit évoluer sa peinture et une métamorphose s’opéra insensiblement, transformant les poupées en petites filles ou même en femmes. L’œuvre s’ouvrit à d’autres influences et sur d’autres thèmes, historiques, fantaisistes, fantastiques – un chat se substituant à la tête d’un buste (Lumière d’en haut), un autre observant une poupée volant comme un petit oiseau (Effet de manche), des jeunes filles ou des fées en ombrelles se balançant au rebord d’une oreille. Le rêve, l’imagination et la maîtrise du peintre, celle de la couleur et du dessin triomphaient, les tableaux se faisaient encore moins statiques, épousaient une modernité sans toutefois oublier la poésie. La Méditerranée, l’histoire, faisaient leur apparition. Avec La timide florentine, Jarraud rendait hommage à la fois à ses prédécesseurs de la Renaissance, à Modigliani, se souvenait de Catherine de Médicis et s’ouvrait au présent brûlant comme un regard bleu qui foudroie.

J’aimais visiter Pierre Jarraud dans son atelier de Condat-sur-Vienne, près de Limoges, échanger avec lui, à propos de la peinture, bien entendu, mais aussi de la poésie, de la photographie – qu’il pouvait utiliser comme point de départ à l’une ou l’autre de ses créations – de la musique et de la chanson. J’aimais cet artiste et son univers multiple, référencé, en perpétuelle évolution, dont l’œuvre faisait l’objet d’expositions en France et à l’étranger. J’aimais découvrir la toile en cours sur le chevalet, écouter glisser les poils du pinceau, regarder le jeu des couleurs sur la palette, humer le parfum des tubes.

J’aimais notre amitié. Ses tableaux toujours m’accompagnent et jamais son souvenir ne s’efface.

 

 

Laurent Bourdelas

Le 7 février 2018

 

 

[1] Impératrice de Chine, LGF, 1992.

[2] C. Baudelaire, « L’homme et la mer », Les Fleurs du Mal.