26 Nov

Musique à Limoges (1)

Accordéon - Les Accordéonistes de La Brégère 01-1 (sn - sed)

Les accordéonistes de La Brégère (c) L. Bourdelas, P. Colmar, Limoges années 1950, 1960, 1970, Geste Editions

En 1910, Léon Roby fonde l’Ecole de Musique et de Déclamation, qui devient en 1934 l’Ecole Nationale de Musique de Limoges. Il en reste le directeur jusqu’en 1945 – de même qu’il était le directeur artistique de la Société des Concerts du Conservatoire, fondée en 1920. Il existe à Limoges des professeurs particuliers de musique, donnant des cours à domicile ; L’Union dispense des cours de musique et de chant : les jeunes y apprennent le solfège, « on leur donne des leçons de violon, méthodiques et bien graduées ». Il y a encore des fabricants et marchands d’instruments comme les Lagueny, luthiers, facteurs de pianos ou éditeurs de musique. Certains musiciens ou chanteurs font de belles carrières. C’est le cas de Robert Béchade (Robert Raff), chef d’orchestre et violoniste aussi bien aux Etats-Unis qu’au Moulin Rouge. Marc Langean – de son vrai nom Jean Marcland – remarqué au Bœuf sur le toit, signe la musique de nombreux films, parmi lesquels : Napoléon, Si Paris nous était conté, Razzia sur la chnouf, Maigret tend un piège… Né en 1903 (disparu en 1964), il crée un orchestre de jazz à Limoges – les Odd Boys Band – dès le milieu des années vingt. Passé par le conservatoire pour le piano classique, c’est un autodidacte pour le jazz, qu’il interprète au clavier ou à la batterie. On le voit jouer avec Ray Ventura ; médecin, il se consacre à la musique en rentrant de captivité à la Libération. Il accompagne Jacques Hélian et André Dassary, puis dirige une maison d’édition. C’est un théoricien du jazz qui publie des articles sur le sujet dans la presse limousine et donne même une conférence musicale avec son orchestre à l’invitation de l’Association littéraire et scientifique du Limousin qui aurait vivement intéressé et peut-être inspiré Charles Sylvestre.

Divers orchestres, chorales et sociétés participent à la vie musicale limougeaude. Ainsi de la Chorale des Dames de l’Union, qui chante en ville mais également à l’occasion de divers déplacements. Dans les années cinquante se produit l’orchestre de l’U.F.O.L.E.A. composé exclusivement d’instituteurs (il disparaît en 1973) ; tout comme Les Petits Chanteurs du Limousin ; la chorale A cœur Joie est fondée en 1967. Des harmonies « professionnelles » existent aussi, comme celle des cheminots.

Il y a aussi des kiosques à musique depuis le début du siècle, comme au Champ de Juillet. Les harmonies aiment y jouer, comme L’Union musicale, fanfare créée en 1907, qui devient en 1936 la Fanfare municipale de Limoges. Dix ans plus tard, c’est la naissance de l’Union Harmonique Municipale, devenue en 1994 l’Harmonie Municipale de Limoges. Celle-ci dispose de sa propre école de musique. En 1922, le jeune tailleur Pierre Desnoyers décide – avec quelques amis – d’animer le carnaval de Limoges en créant une fanfare : les Gueules Sèches. Les musiciens installent leur siège au Petit Paris, rue du Général Du Bessol, où ils n’hésitent pas à lever le coude avec les clients les soirs de répétition. On joue à Limoges mais également à travers le département et parfois plus loin. Dans les années 30, les musiciens revêtent leur célèbre costume noir à liseré jaune, chapeau haut de forme à plumet rouge, puis ils suivent le déménagement du bar du Petit Paris qui s’installe avenue Garibaldi et devient hôtel du Petit Paris. A la Libération, les Gueules Sèches défilent à travers les rues de la ville : ils marchent vers le succès qui est grandissant et même international (de l’Espagne à l’Allemagne). En 1972, le cinquantième anniversaire réunit beaucoup de spectateurs au Palais des Expositions. En 1991, les Gueules Sèches ouvrent à leur tour une école de musique.

Avec la construction par Pierre Sonrel d’un théâtre moderne en 1963, à la place du Cirque-Théâtre ouvert en 1919, place Stalingrad, alternent opéras et opérettes. La capacité maximale de la salle à l’excellente acoustique est de 1484 places ; elle possède un plafond mobile que l’on peut descendre afin de réduire la jauge à 939 places. Les professeurs du Conservatoire – qui a abandonné le palais de l’Evêché pour rejoindre le centre-ville – forment l’orchestre du Grand-Théâtre. Depuis son inauguration, le bâtiment a accueilli plus de 2 millions de spectateurs, dans 3 000 représentations. A la fin des années 60, plus de 400 élèves fréquentent le Conservatoire. Au début du 21ème siècle, c’est un établissement municipal à vocation régionale ayant bénéficié d’une extension et d’une rénovation complète de ses locaux rue Fitz-James ; il accueille environ 2 000 élèves par an, dans une atmosphère agréable et studieuse. On y enseigne le solfège et la pratique instrumentale de plus d’une trentaine d’instruments (y compris traditionnels), le chant, la danse et le théâtre – parmi les professeurs d’art dramatique : Jean Pellotier, acteur de grand talent à la silhouette dégingandée au théâtre et dans des téléfilms, puis Michel Bruzat, metteur en scène de talent, directeur du théâtre de La Passerelle. Complémentairement au Conservatoire, des cours sont donnés dès les années 1970 dans les centres culturels municipaux – en particulier de guitare à Jean Gagnant (environ 350 adultes inscrits en 1981-82).

On danse aussi à Limoges ; ainsi, en 1948, note-t-on l’existence de dancings qui existaient depuis quelques années (on dansait au Régent sous l’Occupation) : au Central-Hôtel, à la Taverne du Lion d’Or, à l’hôtel Jeanne d’Arc, à celui du Faisan (où débarquent les rugbymen le dimanche en fin d’après-midi après leur match) ; au café Le Sully (passage Mermoz, rue Jules Guesde, où se produit le jazzman Jean-Marie Masse), au Globe (place Haute-Vienne), à La Coupole (place de la République), au Cyrano (idem), à la brasserie Luc (idem). Dans les années 1950 (et parfois dans les années 60), des orchestres font la joie des jeunes danseurs en costumes ou en jupes, du samedi soir et du dimanche après-midi dans de nombreux lieux de tailles différentes dont l’entrée est généralement payante: ainsi au cirque-théâtre municipal, avec les musiciens sur la scène et les danseurs sur la piste circulaire au centre de la salle ; dans les salons de la préfecture, où l’ambiance est un peu plus guindée ; au Cercle de L’Union et Turgot, dans un magnifique immeuble du boulevard de Fleurus ; dans ces lieux, les jeunes danseuses parfois adolescentes sont chaperonnées par leurs mères. On danse encore à l’hôtel de la Paix place Jourdan (où les odeurs émanant des cuisines réveillent les papilles) ; au-dessus du centre de tri place Maison-Dieu ; à l’étage du bistrot Le Tabarin, rue Aristide Briand, non loin de la passerelle ferroviaire en fer en contrebas de l’école du Grand Treuil ; aux Mutilés, une belle petite salle à l’étage d’un café de la rue Montmailler ; à la salle Saint-Aurélien, rue Dupuytren ; à l’étage encore du Cheval blanc, rue de Nexon ; Chez Vitrat, une guinguette en bord de Vienne route du Palais, où les clients n’hésitent pas à quitter la terrasse ou la piste pour aller faire quelques brasses dans la rivière ; aux Pâquerettes, route d’Aixe ; ou bien encore aux Lilas, où le chef d’orchestre René Louis fait des prouesses. Parmi les orchestres : l’Alhambra, dirigé par un artisan peintre en bâtiment ; celui de Nicolas Ferrero ; celui encore de Canero. De nombreux musiciens animent donc la vie de la ville mais progressivement, c’est en boîtes de nuit que les jeunes vont aller danser dans les années 70 et après – vers 1981, l’une d’elle Le Number One, dans le quartier de la cathédrale, accueille même les jeunes adolescents le mercredi et le samedi après-midi en ne proposant que des boissons sans alcool. Quelques bars continuent cependant à inviter des orchestres live ; parmi eux : Le Royalty, place de la République. A la fin des années 90, les Anciennes Majorettes de la Baule, rue Haute-Vienne, devient l’épicentre des soirées limougeaudes, avec diverses animations (musicales, théâtrales, poétiques) et expositions. L’écrivain-poète Michel Houellebecq vient fredonner ses œuvres extraites de Rester vivant & autres textes et l’on y croise les chanteurs, musiciens ou artistes, en représentation à Limoges, après leur spectacle. Le ravivol, sorte de punch maison, y connaît un succès mérité.

19 Nov

Des baleines à Limoges

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(Ambroise Paré)

Je me suis toujours demandé pourquoi il y avait une « impasse de la baleine » proche des voies de chemin de fer et ouvrant sur la rue Aristide Briand – l’ancienne route d’Ambazac chère à Georges-Emmanuel Clancier – à Limoges. Il n’était pas de notoriété publique, en effet, que l’une d’elle ait bouché le port du Naveix, au bas de la cathédrale. Alors ? Ouvrons le second volume de l’Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques, dédiés et présentés à Monsieur Lenoir, Conseiller d’Etat, Lieutenant Général de Police, &c., par une société de gens de lettres, de savants et d’artistes, imprimé chez Panckoucke, libraire, Hôtel de Thou, rue des Poitevins, à Paris, en 1783, avec approbation et privilège du Roi, et feuilletons cet ouvrage rare jusqu’à la page 503, pour lire avec intérêt l’article intitulé « Fanons de baleine. (Art de couper les) ». L’article V est consacré aux « Ustensiles du coupeur de baleine ». On est légitimement surpris par la mention d’un travail des fanons dans des ateliers de Limoges, en provenance des pêches des mers du Nord ou du Brésil : « on met à tremper dans l’eau les fanons[1] pendant dix à douze heures, pour les disposer à la cuisson par un commencement de ramollissement. » L’ouvrier fixe ensuite le fanon grâce à un étau et utilise un couteau spécial, à deux manches, précisément décrit dans l’article. « Pour peu que l’ouvrier ait d’adresse et d’habitude, le coupage des fanons s’expédie assez vite (…) il suit exactement les fibres longitudinales et coupe jusqu’à deux mille et deux mille cinq cents brins par jour ; c’est dans cette exactitude à suivre invariablement le fil de chaque fibre, que consiste l’habileté d’un coupeur de baleine. S’il s’en détourne par un mouvement faux, la coupe du brin est gâtée, et le brin n’a plus la même solidité et la même souplesse. » Ensuite, il faut laisser durcir à nouveau, et racler les restes d’épiderme. « A Limoges, les raclures se vendent pour garnir les couchettes des enfants. » Avec les brins coupés, on fait des paniers, on monte des parapluies. Précision qui a son importance : « on coupe la baleine à Paris, à Limoges et à Rouen. » Messieurs Ardent, Pétiniaud et Grelet font à Limoges « un commerce considérable de baleine. » Il est d’ailleurs signalé que l’on vend à la livre, selon un tarif particulier, les brins ou la baleine. Doit-on en conclure qu’il s’agit ici de leur chair et de leur graisse ? Et que l’on transportait jusqu’à Limoges, en sus des fanons, des morceaux de baleine venus de littoral ?

Je reçois cette précision de Michel Laguionie: « J’ai une autre version, que je tiens de quelques vieux habitants de la rue A.B. : Il paraît qu’au début du XXe s. (avant ou juste après la Grande Guerre) la dépouille d’un gros cétacé fut exposée sur la plate-forme d’un wagon, sur la voie, juste en bas de l’impasse et livrée pendant une dizaine de jours à la curiosité publique. L’odeur des chairs en putréfaction mit brutalement un terme à ce. spectacle. Je crois me souvenir que le fait avait été confirmé par un articulet, publié au début des années 60 dans Limoges-Magazine (la première version de Limousin-Magazine). »

 

[1] Lames cornées qui garnissent la mâchoire supérieure.

28 Oct

Le Centre International de Documentation, de Recherche et d’Edition (CIDRE) Raymond-Queneau de Limoges

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                            Le 30 janvier 1989, à l’initiative de Mary-Lise Billot (alors étudiante), de Marc Bruimaud (critique d’art) et de Marcel Troulay (Directeur des Services Documentaires de l’Université de Limoges), se crée, au sein de la Bibliothèque Universitaire du Campus de Vanteaux, le CIDRE Raymond-Queneau, fonds d’archives unique comprenant la reproduction quasi intégrale (environ 30 000 feuillets) de l’ensemble des dossiers (recherches, notes et manuscrits) du père de Zazie, mis à disposition des chercheurs et critiques du monde entier par Jean-Marie Queneau, fils de l’écrivain, et les Éditions Gallimard

Durant presque sept ans, avec l’aide des professeurs Jean-Claude Vareille et Ellen Constans, le Centre accueille en résidence des dizaines d’universitaires, organise trois colloques (deux sur l’œuvre de Queneau, un sur celle de Georges Perec), des ateliers d’écriture oulipiens, des spectacles théâtraux et musicaux, des conférences, des expositions, un Salon Annuel des Revues Littéraires, et prend en charge un important programme de publications spécialisées : trois ouvrages de référence (Queneau aujourd’hui, Queneau encyclopédiste ? et le monumental Dictionnaire des personnages de Raymond Queneau de Pierre David), une revue (Lectures de Raymond Queneau (cinq numéros), avec les Presses Universitaires du Limousin), une collection de plaquettes inédites, (la Petite Bibliothèque Quenienne (sept volumes), avec les Éditions Sixtus de Didier Mathieu). Un temps, il coordonne même le tome 2 des Œuvres Complètes de l’auteur pour la Bibliothèque de la Pléiade.

Au sommet de sa productivité et de son rayonnement, il disparaît, victime d’un fonctionnement coûteux et d’une absence de convention financière durable entre les Services de l’État et les Collectivités Locales. En 2003, les archives autographes sont transférées à Dijon (Université de Bourgogne). Elles peuvent désormais être consultées sur place ou en ligne (www.queneau.fr).

 

Marc Bruimaud

20 Oct

1955, une « année-théâtre » à Limoges…

04-A - Théâtre 02-1 - Cirque-Théâtre - façade - Photothèque Paul Colmar

Le cirque-théâtre (c) Paul Colmar

Lire Le Populaire du Centre de l’année 1955 – où écrit avec talent la critique Gabrielle Soulier – permet de se rendre compte de l’activité théâtrale foisonnante et variée à Limoges et en Limousin au 20ème siècle. On constate ainsi qu’en janvier, la salle des fêtes de la Maison du Peuple accueille le Club amateur artistique pour un spectacle avec des comiques, des comédiens, des clowns et d’autres artistes (avec une séance gratuite pour les pauvres). Au cirque-théâtre, Pierre Brasseur, Jacques Varennes, Hélène Baron, le jeune José Artur et Yvonne Roussel se produisent dans Kean d’Alexandre Dumas. A la mi-janvier, on annonce le 2ème Festival d’art dramatique de Bellac. On donne Le Malade imaginaire au cirque-théâtre, L’Anglais tel qu’on le parle de T. Bernard. Place de la République est inaugurée la Brasserie du Théâtre par Raoul François. La troupe de Jean Dorsannes fait une tournée avec Les Vignes du Seigneur de Robert de Flers et Francis de Croisset (adaptée au cinéma avec Fernandel trois ans plus tard) dans un but de vulgarisation théâtrale. En février, Le Grenier de Toulouse présente L’Illusion comique de Corneille au cirque-théâtre. La Compagnie du Centre-Ouest présente Un inspecteur vous demande, une pièce policière de J.B. Priestley à Chateauponsac, Bessines, Saint-Sulpice-les-Feuilles, Bussière-Poitevine, Saint-Junien puis Saint-Yrieix-la-Perche. Limoges reçoit Lestelly, Gina Manes, Henri Marchand et la troupe du Palais-Royal pour une comédie, La Bêtise de Cambrai, signée Jean de Létraz. Le même mois, les tournées France-Monde proposent La Maison de la nuit de Thierry Maulnier, avec Michel Vitold, Pierre Vanek, Robert Bazil : c’est un succès. En mars, Maurice Clayaud de l’Odéon et une certaine Bernadette Laffon sont à l’affiche du Bourgeois gentilhomme au cirque-théâtre. La comédienne Marie-Rose Carlié, « ravissante de fraîcheur et d’aisance » déclame des poèmes au cinéma Le Paris, à l’occasion d’un concert des J.M.F. Au printemps, Jean Valcourt, de la Comédie Française, interprète L’Impromptu de Versailles de Molière avec la Compagnie Jean Deninx ; Jean Richard se produit dans Demeure chaste et pure d’Axehod (tournées France-Monde). Le Grenier de Toulouse revient avec Malatesta d’H. de Monterlant, avec André Thorent. Mais au Lycée Gay-Lussac aussi, on fait alors du théâtre ! A l’occasion de la fête de l’établissement, M. Chatelain, professeur de grammaire, dirige les élèves qui jouent Le commissaire est bon enfant, pièce en un acte de Courteline et Les Fourberies de Scapin de Molière ; le soir : Une pièce de Chambertin, de Labiche. Jean-Marie Rousseau est à la régie et il semble bien que l’on se produise dans la vénérable chapelle. En mai, ce sont les élèves de la promotion sortante de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Bellevue qui s’amusent à interpréter Monsieur de Pouceaugnac de Molière. A la Maison du Peuple, dans le cadre de la foire-exposition, le groupe théâtral André-Bernier propose Les Trois jours heureux, comédie de Claude-André Puget. En juin, au cirque-théâtre municipal, François Périer et Marie Daems jouent Le Ciel de lit de Jan de Hartog dans une mise en scène de Pierre Fresnay. Le Populaire du Centre propose à ses lecteurs la vie de Jean Marais en feuilleton… L’Alliance française organise à la Maison du Peuple une conférence dialoguée par Gilbert Gil et Blanchette Brumoy sur Courteline, puis ils interprètent La Peur des loups, Le Gora, La Lettre chargée et Monsieur Badin. La grande affaire théâtrale en juillet, c’est Bellac ! Le festival – dirigé par messieurs Cluzeau et Moreau – invite, par un temps magnifique, Jean-Pierre Giraudoux, fils de l’écrivain. La Comédie du Centre-Ouest, composée de « moins de 30 ans » (son élément le plus actif étant André Steiger et le décorateur Georges Osterberger) interprète La Farce des joyeuses commères de Shakespeare, avec une musique originale d’Yves Claoue, devant un millier de personnes ; Mariana Pineda de Lorca – représentation enregistrée par la Radio Télévision Française – appréciée par 1 200 spectateurs. Le bulletin de liaison des Amis du Festival de Bellac, Les Tréteaux du Centre-Ouest voit le jour cette année-là, avec la participation de Jean Blanzat, Robert Margerit, Georges-Emmanuel Clancier, Bernard de Vergèze et d’autres. Le même mois est inauguré un théâtre de verdure au Château des Bayles à Isle, par Robert Laucournet et Léon Betoulle. Ce même été 55, un Cercle Musique Théâtre est créé pour le développement de la musique populaire et des spectacles en général, pour un théâtre d’avant-garde ; trop souvent, précisent les fondateurs dans le journal, « on entend dire que Limoges est une ville morte ou sans activité artistique valable ». En octobre, au Paris, a lieu le début de saison des J.M.F. avec Le jeu de l’amour et du hasard par la Compagnie Henri Doublier.  La Comédie du Centre-Ouest joue Kleist et Brecht dans plusieurs départements du Centre-Ouest, dont la Haute-Vienne et la Creuse. Le même mois, le Cirque Théâtre accueille La main passe de Feydeau dans une mise en scène de Jean Meyer (décors de Cocteau) avec Jean Marchat et Jacqueline Delubac.

1955 à Limoges, c’est aussi – surtout ? – l’année Jean Vilar. En effet, en octobre, au Cirque Théâtre, avec le parrainage de l’U.N.E.S.C.O., le T.N.P. propose Don Juan (avec Vilar dans le rôle principal, Daniel Sorano dans celui de Sganarelle, Monique Chaumette dans celui d’Elvire) ; Macbeth ; L’Etourdi. Le public, composé d’adultes et d’adolescents, est nombreux et enthousiaste. Vilar déclare que « le T.N.P. qui joue à Limoges est le même que vous pourriez applaudir à Chaillot (…) l’accueil que nous a réservé la population limousine a ravi mes camarades et moi. Quelle foule compréhensive, vivant avec nous ce Don Juan de notre immortel Molière (…) L’Etourdi, c’est pour nous une création mais Limoges mérite un tel honneur, nous avons retrouvé ici le même engouement qu’à Paris ou encore à l’étranger où, vous le savez, nous sommes particulièrement choyés. » La troupe est reçue par le maire Léon Betoulle et d’autres personnalités à l’occasion d’une réception à la Taverne du lion d’or.

En novembre, les comédiens des Trois Baudets sont sur les planches du Cirque Théâtre qui accueille également Les Carnets du major Thompson de Pierre Daninos, mis en scène par Yves Robert. Les Galas France-Monde proposent une comédie policière de Jean-Pierre Conty : Affaire vous concernant. Mais surtout, le 19 novembre, s’appuyant sur le succès de la venue du T.N.P., Léon Betoulle peut annoncer la construction d’un nouveau théâtre par la ville.

 

 

15 Oct

Jean Villegoureix et Philip Gaffet, auteurs limougeauds

Numérisation_20171015 - Copie

 

Faisant suite au dernier article publié sur ce blog, Michel L., un ami, me faisait remarquer que Jean Villegoureix avait jadis publié un recueil chez Rougerie. Je viens de retrouver la critique que j’avais publiée à ce sujet dans la revue L’Indicible frontière en 2005. Etant donné que dessous se trouve également une critique d’un livre d’un autre poète limougeaud, Philip Gaffet (toujours bien vivant!), signée Marie-Noëlle Agniau, je vous la livre également (cliquer pour agrandir).

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08 Oct

Limoges, ville littéraire

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Agnès Clancier, romancière

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Joseph Rouffanche, poète

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Marie-Noëlle Agniau, poète et philosophe

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J’ai montré dans mon ouvrage Du pays et de l’exil, paru en 2008, combien le Limousin était, depuis l’Antiquité, une terre d’écriture formidablement créatrice, où sont nés et se sont installés des romanciers, des poètes, des auteurs dramatiques, des diaristes et des revuistes, de langue occitane et de langue française, qu’ils soient très connus – « médiatiques » – ou plus discrets. C’est bien le cas à Limoges. Si je renvoie à la lecture de mon essai pour les périodes antérieures, je souhaite évoquer ici quelques figures littéraires limougeaudes de la deuxième partie du XXème siècle.

Les poètes ont été nombreux à Limoges et le sont encore ; nous ne pouvons en citer ici que quelques-uns. Certes, il y eut les sonnets classiques du chanoine Charles Chalmette, mais après Georges Fourest, immortel auteur de La Négresse blonde (1909) et du Géranium ovipare (1925), avocat qui préféra Le Chat Noir aux tribunaux, les deux grandes figures tutélaires sont sans doute Georges-Emmanuel Clancier – G.E.C. –, dont j’ai déjà parlé plus haut, devenu « parisien », poète reconnu édité par Gallimard, et Joseph Rouffanche (né en 1922 à Bujaleuf, professeur à Limoges). Le premier, habité par le « désir de vivre en poésie », écrit une œuvre « du minéral, de l’eau, des nuages, du ciel », qui chante l’être aimé et le souvenir de l’enfance, la révolte, « un lyrisme inspiré par la mémoire et le contemporain. » Le second, reconnu plus tardivement, sans doute parce que resté à Limoges, a publié notamment chez Seghers et Rougerie. En 1984, il a cependant obtenu le prestigieux Prix Mallarmé et, au début du XXIème siècle, la Ville de Limoges – en la personne de Monique Boulestin, première adjointe chargée de la lecture publique et députée et en présence de ses amis – lui a rendu un chaleureux hommage à la Bibliothèque francophone multimédia. Divers colloques universitaires (auxquels je renvoie pour une étude plus approfondie) ont été consacrés à ce lyrique poète de l’émerveillement auquel ont rendu hommage Clancier, Soupault ou Bachelard. Parmi les autres poètes limougeauds de la génération suivante : Hervé Anglard, à la fois auteur inventif (dans les styles mais aussi dans la forme, les recherches en lino et typo) et éditeur ; le rocker et bibliophile Gérard Frugier, auteur notamment de Poison soleil – recueil salué par Maurice Carême et Pierre Boujut – (1974), puis d’un très beau Forge noire, à la fois lyrique et surréaliste ; Alain Lacouchie, poète et plasticien, qui n’a de cesse de dénoncer la violence humaine, tout en chantant aussi l’amour, sait attacher du prix aux petites choses et petits êtres, tout en croyant inlassablement à la force rédemptrice de l’écriture – la sienne ayant un style à la fois affirmé et inventif. Il est l’un des animateurs de la revue de poésie Friches (créée en 1983 par l’arédien Jean-Pierre Thuillat, et les poètes limougeauds Pascale Michelon, Jean-Pierre Nivôse et moi-même). Jean Mazeaufroid (1943-2001), sans doute avant tout peintre et plasticien, a réfléchi à la présence matérielle des mots, à la relation entre l’écriture et la peinture (bannières et banderoles au début des années 70, module trame-chaîne occupant toute la toile). Il a participé, suite à 1968, à la création du groupe Textruction, avec notamment Georges Badin, Duchêne, Jassaud et Vachey. J’inscris mon propre travail poétique dans la génération née après 1960 : travail sur le lieu, méditation sur l’Homme, écriture en vers libres mais aussi en fragments de prose, d’inspirations diverses, notamment picturales et musicales ; lien avec la photographie ; travail sonore avec la mise en ondes (par exemple sur France Culture), accompagnements par des musiciens traditionnels (comme le Bagad Nozeganed de Port-Louis), créations optophoniques d’après mes œuvres par le collectif Wild Shores ou par Alan Stivell. L’avocat Philip Gaffet écrit des poèmes dans un style néo-lyrique, océanique, entre joie élémentaire et angoisse. Autre poète limougeaud : le comédien puis réalisateur de films Damien Odoul, que la poésie accompagne depuis l’adolescence. Quatre de ses recueils de poèmes ont été publiés, Dix-neuf pour rien, Faux HaÏku d’un occidental pas très orthodoxe, Poèmes du milieu, 1 à 39 et Poèmes du milieu, 40 à 88. Marie-Noëlle Agniau (1973), est auteur d’ouvrages philosophiques ou poétiques comme le percutant et en partie autobiographique Boxes (également adapté sur scène au Théâtre de La Passerelle) où elle livre un apprentissage de la rature. Néo-lyrisme contemporain, épiphanies, sensations au sens rimbaldien, ruminations bibliques, travail constant sur l’enfance et, au printemps 2014, publication de Capture, textes en prose poétique inspirés par Limoges et le Limousin, où elle invente en contrepoint du mot « limogeage » le verbe « enlimousiner ». L’association Pan !, animée par Jean Gilbert et Guillaume Marvier, deux professeurs de philosophie, s’est aussi inscrite dans le paysage poétique de Limoges en réfléchissant et en invitant le temps d’un mini festival des « Phénomènes Artistiques Non !dentifiés », au carrefour de la poésie sonore et de l’art contemporain, y compris musical. Divers artistes y sont associés. Sylvain Courtoux (1976) – au carrefour de divers genres – est publié par Al Dante ; ainsi, dans Consume rouge, il « se met en scène comme membre d’un espace poétique régi selon des règles sociétales proches de celles en vigueur dans tous les secteurs sociaux-professionnels. » Un cd de musique bruitiste accompagne le texte.

Limoges est aussi une ville de romanciers : il y a la génération du « tournant du siècle ». Raymond d’Etiveaud, juriste et critique littéraire, écrit des romans qui font parfois songer à Maupassant. A partir de 1925, Robert Adeiléria, blessé lors de la guerre, fondateur du Cercle d’escrime de Limoges, publia des romans historiques. Le médiéviste Septime Gorceix professeur à Paris et à Gay-Lussac, il publia de nombreux et foisonnants écrits. André Thérive (1891-1967), agrégé de lettres, ancien combattant de 14-18, est critique littéraire, romancier et essayiste – c’est l’un des fondateurs du populisme, qui prend le peuple comme un sujet de fiction en prônant un retour au naturalisme. Il devint malheureusement un écrivain collaborationniste. Jean-Marie-Amédée Paroutaud, avocat, professeur, écrivit divers textes dont un captivant roman kafkaïen : La Ville incertaine. Il y a encore Georges-Emmanuel Clancier, on l’a vu, mais aussi sa parente Agnès Clancier, certes née à Bellac en 1963, mais aussi ancienne élève du collège Donzelot puis du lycée Gay-Lussac et de l’E.N.A., haut-fonctionnaire, publiée par Gallimard ou Arléa. Le briviste Robert Margerit (1910-1988), qui habitait à Thias (Isle), dans l’ancienne demeure d’Émile Montégut, autrefois critique de La Revue des Deux Mondes, fit ses études secondaires à Limoges et y travailla, devenant même rédacteur en chef du Populaire du Centre. En 1951, déjà salué par Julien Gracq, il reçoit le Prix Renaudot pour Le Dieu nu. Son grand œuvre est sans nul doute La Révolution, ouvrage très documenté (et sans doute le mieux écrit) auquel il voua douze années de son existence, une grande fresque sur terre et sur mer, une épopée racontant les aventures de quelques personnages de fiction fréquentant les grands acteurs de cet évènement. Robert Giraud qui – lui – fut résistant, passa son enfance et sa jeunesse à Limoges, où il écrivait des poèmes, avant de gagner Paris où il devint écrivain des rues, de la nuit et des clochards, lexicographe spécialiste de l’argot, pote de Doisneau, auteur d’un magnifique Vin des rues. C’était aussi l’ami d’Antoine Blondin, que l’on croisait de temps à autre à Limoges, entre la capitale et Linards. En 1991, Michel Rigaud, professeur à la Faculté de médecine de Limoges, publia un très beau et court roman intitulé Bergame, inspiré par l’anorexie. Dominique Périchon, enseignant et critique de jazz, a publié un amusant Motus, bien écrit. Patrick Mialon, critique d’art, enseignant, écrivain, a écrit des livres profonds et référencés. Anne Lagardère, professeur en classes préparatoires au lycée Gay-Lussac, a écrit plusieurs romans d’une grande subtilité qui savent dire l’humain. Nicolas Bouchard, Franck Bouysse, Joël Nivard, Serge Vacher (disparu en 2013), Franck Linol, Aude Courty ou Maud Mayeras écrivent – chacun dans leur propre style – des polars ou des thrillers. Avec Reflex, roman au suspense haletant et cinématographique, paru en 2013 chez Anne Carrière, Maud a connu un grand succès public. Parmi les écrivains français il faut citer : le briviste Pierre Bergounioux, dont on lira le témoignage ci-dessous, et Eric Faye (né à Limoges en 1963), lauréat du Grand prix de l’Académie française, qui fit ses études secondaires au lycée Auguste Renoir (notamment de russe), puis à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille – il travaille chez Reuters. Spécialiste d’Ismail Kadaré, il est l’auteur de romans, essais, nouvelles, récits de voyages – son écriture est à la fois dense, belle et invite à la réflexion.

Même si l’essentiel est le travail d’écriture des auteurs, la poésie et la littérature sont promues depuis la Libération par des associations, des personnalités, des institutions diverses – comme le Centre régional du livre en Limousin-ALCOL (Association limousine de coopération pour le livre), créé en 1987, à qui l’on doit notamment « Géoculture », un site qui met en regard auteurs, artistes et territoire). Des manifestations éphémères ou plus pérennes ont été organisées. L’ancienne bibliothèque municipale, rue Turgot, accueillit des expositions et même des lectures – en particulier du temps de sa conservatrice Marie-Madeleine Erlevint. La Bibliothèque francophone multimédia conçue par l’architecte Pierre Riboulet sur le site de l’ancien hôpital général  lui a succédé en 1998 : « équipement phare des bibliothèques de Limoges, le site du centre-ville déploie ses collections sur 15 000 m2, dans un espace clair, aéré, où les couleurs chaudes du bois sont mises en valeur par l’éclairage naturel zénithal. Un jardin d’hiver assure la liaison architecturale entre le bâtiment conservé de l’ancien hôpital général de Limoges et le nouveau bâtiment. » Elle accueille diverses manifestations et expositions. D’autres bibliothèques, municipales ou non, ponctuent la ville. Des librairies ont joué, jouent parfois encore, un rôle d’animation littéraire et culturelle, ne serait-ce qu’en organisant des signatures et des rencontres avec des auteurs. C’est ainsi ce que voulut faire Régine Deforges (qui avait habité rue des Arènes pendant la Seconde Guerre mondiale), en ouvrant La Gartempe place de la République : « c’était en 1965. Ma présence a duré même pas un an, parce que j’ai été tout de suite en conflit avec les autres associés qui estimaient que les choix littéraires de cette librairie étaient trop d’avant-garde, etc. ! Du coup, je suis repartie à Paris. » Certains s’en souviennent pourtant encore, comme Alain Lacouchie, alors jeune poète, qui y présenta son premier recueil Familières, qui reçut un excellent accueil. Le poète était issu, me confie-t-il, « du groupe « Art et Poésie », une union libre de poètes, de peintres et de musiciens. Jeunes et insouciants. Le trio fondateur : « Polo » Barillier et moi à la poésie, David Ranz (fils d’un couple de réfugiés espagnols) à la guitare flamenco. Et puis Mireille Garcin, Bernard Chauvaud, etc. Et puis, nous ont rejoint d’autres poètes, des musiciens, des élèves des Arts Déco. Pour s’intégrer dans le groupe, pas besoin de carte d’adhérent : il suffisait de fréquenter les mêmes bistrots que nous (« L’Aurélien » – où il était possible de passer un après-midi entier à discuter autour d’un seul café !… -, « L’Orient » ou « Le Central ». Parfois, nos jabots se gonflaient de façon assez ridicule : nous étions des « vedettes », car nous nous donnions en spectacle ! Sur une scène, à l’invitation d’une association, les « peintres » créaient un décor à base de chevalets, de tentures et de têtes de mort. Quelques jeunes filles, en vêtements moulants, exécutaient des mouvements langoureux (de danse ?) pendant que, d’un air pénétré, inspiré, voire dramatique, nous tentions de lire des textes de vrais poètes (Eluard, Aragon, Cocteau, Perse, Char, Reverdy, Prévert, etc. et les classiques, de Villon à Hugo ou Baudelaire), et, pourquoi pas !?, les nôtres…Et, souvent, les salles étaient pleines ! Deux souvenirs marquants : une lecture, devant les jeunes filles de l’Ecole Normale d’Institutrices ! Et à leur invitation ! […] Le second souvenir : dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Limoges, sous les ors de la République, à l’invitation d’une association, nous nous sommes offerts à un très nombreux public aux côtés de Joseph Rouffanche, du Club des Poètes de Paris (avec Maurice Ronet), et même de René Lacotte, éminence grise de la poésie qui, depuis sa « chaire » des « Lettres françaises », distribuait les bons et les mauvais points aux poètes de l’hexagone […]  En ce qui nous concernait, nous étions comme à la fête foraine, les yeux brillants, un peu enivrés d’un bonheur de pacotille : « Le jour de gloire est arrivé ».  […] au début des années 70, l’équipe que nous formions avec Polo (Barillier), David (Ranz) et Jean (Mazeaufroid – qui était plus âgé que nous, était instituteur et déjà marié etc. ce qui, parfois, marquait une grande différence !) s’est éparpillée : Polo s’est marié et est rentré au Popu, David est parti à Paris pour tenter de vivre de sa musique, Jean s’est donc tourné vers la recherche plastique et moi j’étais à Brive, mais toujours (et peut-être le seul des quatre) en relation avec Rouffanche. »

Fin 1969, le journaliste (et poète) Georges Chatain, qui avait été en classes préparatoires au lycée Gay-Lussac, choisit Limoges pour créer avec quelques amis un hebdomadaire – Axes –, qui envisage l’actualité régionale d’une manière différente des quotidiens locaux, accordant plus de place à l’investigation et à la culture. Quelques journalistes des autres journaux y collaborent sous des pseudonymes, comme Serge Joffre. Malheureusement, l’aventure ne dure pas mais Chatain – qui vit près d’une écluse romantique sur la Creuse – devint journaliste free lance, collaborant par exemple à L’Echo du Centre ou au Monde, écrivant quelques beaux livres et co-réalisant de captivants documentaires, sur Raoul Hausmann ou Willy Ronis. Il a également publié plusieurs recueils de poèmes, dont le dernier, Poésie-Journal, le place d’emblée parmi les vrais poètes limousins.

Exista aussi à Limoges Limousin Magazine, et diverses déclinaisons, dirigé par René Dessagne, qui accueillit des plumes lestes et libres, comme celles de Bernard Cubertafond, Pascal Antoine, Alain Galan.

Dans les années 1970, un passionné de science-fiction, Daniel Fondanèche (aujourd’hui universitaire à Paris), organise diverses manifestations à Limoges, avec peu de moyens mais beaucoup d’ardeur et l’enthousiasme du public : émissions sur Radio-Limoges, avec Charles Conan, chroniques et même nouvelles dans La Montagne et Le Miroir du Centre, organisation, en 1973, d’un festival du film de science-fiction au Lido, cinéma de Michel Friedman ; et puis, à l’occasion du 4ème Congrès national de la Science Fiction, du 16 au 22 mai 1977, avec près de 500 participants venus du Québec, de Belgique, de Suisse et d’Espagne, expositions (timbres sur l’espace et tableaux), mise en scène d’une pièce de Ray Bradbury, concerts à L’Echappée Belle, colloque universitaire, signatures dans une librairie – avec couverture de la presse nationale, dont A2, avec une émission des Bogdanoff ! Les prix remis à cette occasion étaient en porcelaine : trois plaques en relief de Roch Popelier représentant l’obus lunaire de Méliès touchant son but. Une enveloppe et un tampon P.T.T. « 1er jour » furent même créés pour l’occasion, représentant le campanile de la gare des Bénédictins décollant comme une fusée et une tasse en porcelaine avec deux petits martiens.

Diverses revues ont existé à Limoges : Limoges illustré, La Revue limousine, Le Lien, La Vie limousine ou la pétainiste Notre Province. René Rougerie a animé de 1955 à 1971 Réalités Secrètes, de très haute tenue, puis d’autres, une fois installé à Mortemart. Au milieu des années 70, Marc Bruimaud créée une revue-fanzine, Le caméléon déshydraté : de format A4, photocopié, comptant une trentaine de pages, il est aussi animé par Didier Rouvery, Jean-Luc Faucher, Pascal Ribier, Alain Roblin et Yann Sence. Avec un objectif modeste, annoncé dès le 1er éditorial : « permettre aux artistes inconnus de toute la galaxie de pouvoir faire diffuser leurs œuvres inégales et variées, en regard de textes d’auteurs plus confirmés qui n’avaient rien à prouver. » On y trouva des nouvelles, des poèmes, des dessins, critiques et reportages, avec un goût prononcé pour le fantastique, la science-fiction et… le château de Châlucet, aux portes de Limoges, alors lieu d’expéditions nocturnes et enfumées de la jeune génération.

Toponymie cognition/intervention, revue dirigée par Jacques Bonnaval, paraît pour la première fois en 1979. Critiques et plasticiens y collaborent, dans un esprit d’avant-garde : Jean Mazeaufroid, Patrick Mialon (Réseaux factices et itinéraires du futile), Jean-Claude Mazoux, Jean-François Demeure, Jacques Philhoulaud, Pierre Teisserenc, Rémy Pénard, Georges Chatain et Ramon Aguillela. Max-Alain Grandjean proclame, avec SLIPSLIPSLIPSLIPSLIPSLIP qu’il faut « privilégier, dans le domaine de la peinture, le matériau à l’image ». En 1980, Charles Le Bouil – autre figure inscrite dans le paysage littéraire d’alors – enquête sur la poésie sonore internationale.

De 1980 à 1987, Rémy Pénard fait paraître 23 numéros du Sécateur, espace de création et d’échanges entre écrivains, poètes et plasticiens. Il souhaite alors créer « une collection au service de la coordination et de la recherche pour une objectivité culturelle en province ». En décembre 1982, il organise « Poètes/Ecrivains », manifestation sur l’écriture contemporaine et les publications dites marginales. Il mène diverses actions dans le cadre du C.E. de Renault Véhicules Industrielles, comme la réalisation pour le restaurant d’entreprises de nappes où sont imprimés des poèmes. Le Sécateur a publié de nombreux artistes et auteurs de qualité et des quatre coins de l’hexagone et même d’ailleurs. Il portait le nom de l’outil de travail de Pénard dans les haies : « chaque volume est formé de fragments réunis comme le fagot de bois qui résulte de la taille. »

Autres lieux de création littéraire, de dessin, d’expression d’une culture jeune (et parfois potache) dans les années 60 à 80, les journaux lycéens, paraissant de manière d’abord informelle. Ainsi, au lycée Gay-Lussac : Le Gay-Luron, Expression, Sciences infuses, Le Détecteur littéraire ou L’Echo du cancre.

En 1985, je crée à Limoges la revue d’art et de critique Analogie, imprimée par la Faculté des Lettres de Limoges, grâce à l’amicale complicité des doyens Valadas et Vareille. Elle accueille des textes littéraires et poétiques, de petits essais, des critiques diverses, des peintres, plasticiens et photographes – de Limoges, du Limousin et d’ailleurs (par exemple un inédit de Vladimir Nabokov). Avec des partenaires comme les librairies Page & Plume (Epoux Chaumard puis Maud Dubarry) et Anecdotes (la revue s’occupe à l’époque du directeur Jean-Marie Pontvianne, au début des années 1990, de la programmation culturelle de la librairie), ou le Festival des Francophonies et le Théâtre de La Passerelle, elle se veut aussi lieu libre et parfois irrévérencieux de rencontres, d’échanges, d’activisme culturel, organisant plusieurs colloques à propos de la poésie, des conférences (Elisabeth et Robert Badinter en 1989), des expositions, des spectacles musicaux, théâtraux, poétiques. Elle édite des œuvres littéraires et théâtrales (Jean-François Biardeaud, Dominique Papon, Bernard Cubertafond, Philippe Labonne…) et produit une émission sur Radio Trouble-Fête. Elle participe avec d’autres à la défense du Ciné-Union, de l’ancien hôpital, de la forteresse de Châlucet. En 2001, elle mue (sur idée conjointe avec Claude Bensadoun) en belle revue typographiée par René Salsedo, très vite reconnue nationalement : L’Indicible frontière, qui publie divers auteurs francophones, des textes bilingues (comme William Bronk traduit par Bernard Noël), des études littéraires (comme celle consacrée à André Beucler), des critiques et diverses œuvres de plasticiens. Nous continuons – jusqu’en 2007 et l’arrêt – à organiser diverses manifestations, comme un salon des revues avec rencontres d’auteurs, concerts, lectures publiques et théâtre (tout fut raconté dans le n° 9-10, « L’Amour à la plage »).

Au début des années 1980, la députée communiste Ellen Constans, adjointe du maire Louis Longequeue, décida de créer un salon du livre (celui de Brive existant depuis 1973) : « Lire à Limoges ». Installé désormais sous un chapiteau sur le parking du Champ de Juillet, il accueille chaque printemps divers auteurs et people, des stands associatifs, des rencontres et débats, des animations à destination des scolaires, et reçoit la visite d’un public nombreux. Monique Boulestin, députée socialiste et adjointe d’Alain Rodet, l’a dynamisé. En 1985, dans La fête des ânes, l’éditeur René Rougerie s’en démarqua en critiquant avec virulence ce type de manifestation. En 2014, c’est à l’occasion de ce salon que le nouvel adjoint à la culture Philippe Pauliat-Defaye (centre-droit) prononça son premier discours. D’éphémères salons de la revue ont existé dans les années 1980 puis 2000, organisés notamment par ALCOL puis par L’Indicible frontière (revues, petits éditeurs, expositions, lectures et concerts, théâtre), au Pavillon du Verdurier. L’association « Art et collection » animée par le libraire ancien Frédéric Bazin (librairie Livresse, longtemps installée à Limoges, aujourd’hui à Brive), organise régulièrement un marché aux livres anciens et d’occasion place de la République et, chaque automne, un salon réunissant de nombreux libraires anciens au Palais des expositions. L’éditeur Le bruit des autres (poésie, théâtre) a également été à l’initiative de plusieurs « rentrées buissonnières » automnales réunissant auteurs et éditeurs. Au début du XXIème siècle, grâce à la complicité d’auteurs de polars, de la cave L’hydropathe, de la librairie Page et Plume, réunis sous l’enseigne des « picrates », s’est mis en place Vins noirs, qui accueille en juin rue Haute-Vienne des auteurs de romans policiers et des vignerons. On constate donc que la vie littéraire est particulièrement active à Limoges, d’autant plus que des éditeurs s’y sont progressivement installés : Didier Mathieu (lui-même auteur), qui y anima Sixtus-Editions (livres d’artistes, catalogues d’exposition) dans les années 1980-90 ; ou, à la suite de René Dessagne puis de Lucien Souny (ancien libraire du Plaisir du texte, rue Jules Guesde) : Culture & Patrimoine en Limousin, Les Ardents Editeurs (maison dirigée par l’historien Jean-Marc Ferrer), les Presses Universitaires de Limoges, pour ne citer qu’eux.

La presse locale fait son possible pour accompagner les diverses parutions ou manifestations littéraires. Dans les années 1980, Dominique Papon anima l’excellente émission littéraire « Télécriture » sur France 3 Limousin, où il invita de nombreux auteurs, n’hésitant pas, par exemple, à interviewer Bernard Cubertafond… dans son lit à l’occasion de la sortie de L’Amour Flo.

A suivre!

24 Sep

Les éditions Du Lérot (Tusson, Charente) éditent le poète limougeaud Georges Fourest

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Yannick Beaubatie – professeur de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages dont Comment peut-on être Limousin? – mériterait de recevoir, en grandes pompes, bien entendu, la médaille d’honneur de la ville de Limoges, tant il fait pour faire connaître l’oeuvre (et la vie) de l’un de ses enfants: le poète Georges Fourest (1864-1945). Beaubatie comme Fourest – et, dois-je ici le confesser ? comme moi – sont des ennemis acharnés des agélastes qui, par définition, nous ennuient. Formé sur les bancs du lycée Gay-Lussac à Limoges, étudiant en droit à Toulouse puis Paris, Georges Fourest n’exerça jamais sa profession d’avocat, se disant « « avocat… loin la Cour d’appel». Un homme donnant une pièce à son fils lorsqu’il avait une mauvaise note en mathématiques ne peut pas être complètement mauvais! Fourest fréquenta les cercles symbolistes et décadent, ainsi que le célèbre Chat Noir. Il est l’auteur d’une oeuvre poétique d’inspiration… rabelaisienne, où se distinguent La Négresse blonde (1909)et Le Géranium ovipare (1935), notamment édités par José Corti.

Yannick Beaubatie est incontestablement le meilleur connaisseur de Fourest – dont une rue de Limoges porte le nom. Il établit et présente l’édition d’un superbe recueil qui vient de paraître chez l’éditeur Du Lérot, à Tusson en Charente, que se doit de commander tout amateur de Fourest, de poésie, de littérature limousine et française, tout bibliophile: Vingt-deux épigrammes plaisantes imitées de M. V. Martial, chevalier romain par un humaniste facétieux (1912), remarqué dès sa parution par Pierre Mille dans le journal Le Temps. Les titres de quelques poèmes indiqueront assez bien de quoi il est question: « Sur un pédéraste qui masturbait ses mignons » ou « Sur Lesbia ». L’ensemble se poursuivant par Dix épigrammes nouvelles non moins gaillardes que les précédentes.

Pour tout dire, on aime autant – sinon plus – l’introduction de Yannick Beaubatie (Quand Georges Fourest instaurait la loi martiale) que les épigrammes coquins du Limougeaud qui préférait « le départ des champs » au Chant du départ. Son érudition est grande et son style particulièrement agréable. Il est intarissable et ne peut être pris à défaut sur la littérature et la poésie de la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Il connaît tout de l’étymologie fourestienne, sait éclairer son oeuvre par sa jeunesse et sa vie, nous livre une captivante analyse à propos du puritanisme dans l’art (servi par ceux qui n’hésitent pas à désigner Flaubert et Baudelaire aux foudres de la Justice) auquel s’opposent ceux qui veulent « Déchirer le voile ». On sort de là heureux d’avoir réfléchi et appris avec plaisir.

Quand au recueil en lui-même, dont il faut couper les pages à l’ancienne, il est particulièrement beau et agréable au toucher ce qui, finalement, le ramène au sujet des épigrammes.

17 Sep

Glaise, le nouveau roman de Franck Bouysse à La manufacture de livres

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Pierre Demarty, Franck Bouysse (wikipédia)

Après Grossir le ciel et Plateau – ouvrage auquel va ma préférence –, beaux romans salués comme il se doit par la critique, les lecteurs, le monde du cinéma, et abondamment primés, l’écrivain limousin Franck Bouysse nous offre un nouvel opus qui, s’il ne clôt pas une « trilogie », s’inscrit dans une continuité, du moins d’inspiration et d’univers. La date de parution n’est pas anodine : 2017, c’est cent ans après « l’année terrible » de la Grande Guerre, qui marque par ailleurs un tournant dans le conflit, à la fois pour des raisons stratégiques et militaires, mais aussi parce que c’est celle de « la fatigue des peuples », pour reprendre l’expression si juste de Pierre Renouvin. On le sait, c’est aussi celle des mutineries. Mais la peur, la fatigue, l’incompréhension, les bouleversements provoqués par la guerre avaient commencé dès 1914. Cet horrible affrontement, au déclenchement absurde et fou, qui participe du « suicide » collectif européen raconté par le grand écrivain russe en exil Mark Aldanov, a déjà été le sujet de nombreux romans et recueils de poésie (sans parler des autres œuvres d’art). Certains ont fait le choix de l’aborder autrement qu’en racontant directement les combats, ce qui a été fait dès le début – à commencer par Le feu, d’Henri Barbusse, prix Goncourt 1916, ou les romans de Maurice Genevoix. Ainsi, en 2003, Philippe Claudel reçut-il le Prix Renaudot pour Les âmes grises (Stock). On se souvient que l’histoire se passe en décembre 1917 dans l’est de la France, dans un village à quelques kilomètres du front, sûrement près de Verdun, alors confronté au meurtre d’une fillette, Belle de Jour. Les personnages y sont des « âmes grises », partagées entre le bien et le mal.

Franck Bouysse place Glaise bien plus loin du front, en tout cas géographiquement, dans un endroit sauvage et beau du Cantal, dans la vallée de la Maronne : Saint-Paul (devenu aujourd’hui -de-Salers) – dominé par la Vierge sur un rocher –, le Puy Violent et leurs environs. Tout commence lors des dix-sept jours de la mobilisation qui se déroula en France du 2 au 18 août 1914. Beaucoup d’hommes dans la force de l’âge qui, jusqu’alors, vivaient et travaillaient la terre et élevaient les bêtes sur des bases établies depuis le néolithique, presque inchangées depuis lors (même si troublées, parfois, par d’autres guerres), à peine touchés par la révolution industrielle (ne voyant par exemple presque jamais d’automobile) sont violemment arrachés à leurs fermes et à leurs familles pour un acheminement par voie ferrée à destination de la frontière franco-allemande de l’époque. Chez les Lary, c’est Victor qui part, laissant son fils Joseph, sa femme Mathilde (épousée parce que c’était comme ça) et sa mère Marie, veuve déclinant, gardienne des titres de propriété enfermés dans un coffret qui ne la quitte pas depuis que son mari fut foudroyé. Dans la ferme d’à côté, Valette, mauvais homme à la main mutilée, rongé par l’alcool et l’ignominie, ne peut partir et le regrette, demeurant avec sa femme Irène, dure à la peine. C’est leur fils Eugène qui est mobilisé. Comme partout à travers l’Europe, cette société rurale totalement désorganisée doit survivre. Ce qui était difficile avec les hommes l’est encore plus sans eux. Les femmes prennent les rennes – c’est le début de leur véritable émancipation, comme le comprend Mathilde, qui enlève son alliance –, aidées par les plus jeunes, les vieux, les infirmes. Le vieux Léonard – mari d’une rebouteuse –, porteur lui-même d’un drame intime, soutient les Lary et participe à l’éducation à la vie du jeune Joseph, être lumineux qui fait de son mieux et tente d’échapper au fatum en sculptant des figurines dans la glaise – celle qui ailleurs sert de sépulture aux morts des tranchées. L’équilibre fragile qui recompose ce microcosme est dérangé par l’arrivée chez les Valette de la femme de son frère parti au combat, Hélène, bourgeoise citadine inapte à la vie à la ferme, et de sa fille – beauté solaire – Anna. Dès lors, tout est en place pour que Franck Bouysse noue le drame jusqu’au bout, maître d’œuvre de l’implacable (et haletante) tragédie, tel un Sophocle des temps modernes, utilisant jusqu’au foudre de Zeus, sa mortelle arme de poing, capable de lancer un serpent de feu, que lui avait confiée les fabuleux cyclopes. Les lieux dont il est ici question sont telluriques, l’orage menace en permanence (Stormy weather, chantera quelques années plus tard la chanteuse de blues Ethel Waters), la lave du volcan a migré dans le sang de certains personnages, souvent au bord de l’éruption. Ce que nous raconte l’écrivain semble de toute éternité, c’est ce qui nourrit l’humanité depuis toujours, la corrompt et la magnifie : le désir de possession, de domination, l’amour (tous les amours), la jalousie, les désillusions et les remords, le bien, le mal, la guerre. C’est aussi ce qui inspire ceux qui écrivent depuis les premiers temps, depuis la Bible. Le prêtre et Satan sont d’ailleurs bien présents dans le roman, même si c’est dans une scène cocasse.

Franck Bouysse dit avec un grand talent d’écriture la force des émotions et des sentiments, qui ne cesse de grandir tout au long du livre, surtout lorsqu’il est question de l’amour pur qui unit Anna et Joseph (même si un autre amour se développe en parallèle, plus énigmatique et poétique qui trouvera son cruel aboutissement à la fin). Il dit aussi la folie qui caractérise l’homme, au quotidien, jusqu’à la guerre. En cela, l’auteur de Glaise me fait penser à l’œuvre du cinéaste et philosophe Bruno Dumont – particulièrement lorsqu’il réalise P’tit Quinquin ou Ma Loute. Il n’est pas étonnant que les romans de Franck Bouysse intéressent les cinéastes – on espère que ceux qui l’adapteront sauront respecter à la fois sa subtilité et la poésie de ses écrits.

Car Bouysse, avec son écriture au cordeau, au lyrisme ici toujours affleurant mais contenu, est finalement un romancier-poète, au style très travaillé. S’il sait exprimer la vie et les sentiments des gens simples, il est encore un magnifique écrivain de la nature, entre David Vann, Pierre Bergounioux, l’autre briviste (pour les lignes sur la pêche, notamment), peut-être Giono (Deux cavaliers de l’orage, Gallimard, 1965), peut-être aussi Mark Twain, et le Cantal de Bouysse n’est sans doute pas si éloigné de la région de Yoknapatawpha inventée par Faulkner… Mais à trop chercher à comparer, on oublierait que Franck Bouysse est incomparable et que c’est cela qui fait de lui un véritable et très attachant écrivain. Sa vision de la nature n’est en rien idéalisée et les animaux de ce roman sont d’ailleurs souvent bêtes de somme et souffrantes, maltraitées, réquisitionnées et même empoisonnées, comme ce geai en cage dont on ne peut plus supporter qu’il crie le nom de l’absent. Seuls un chien et une mule bénéficient d’affection.

Une chose est certaine, lorsqu’on referme le livre, c’est que les 36 « enfants de Saint-Paul-de-Salers morts pour la France » à qui est dédié ce puissant roman et qui ont parfois inspiré le prénom ou le nom de l’un des personnages, bénéficient là d’un vrai monument, qui sait dire leurs souffrances et celles des leurs, dont les noms mériteraient aussi d’être mentionnés, comme cela est rarement le cas sur certains monuments aux morts de 14-18. Franck Bouysse leur rend d’une certaine manière – à sa manière d’écrivain – justice. Il a su les comprendre, au sens étymologique du mot, « saisir par l’intelligence, embrasser par la pensée ». Et livrer ainsi aux lecteurs un nouvel ouvrage qu’on n’oubliera pas de sitôt, qui dit comment, il y a un siècle, on assassina les jeunes hommes et détruisit un monde.

 

Laurent Bourdelas, 17/09/2017