22 Mar

Caviste à Fronsac et à Paris, Thomas Noël a « décidé de fermer pour ne pas participer à la propagation du virus »

Une semaine après l’annonce de la fermeture des commerces par le Premier Ministre, Thomas Noël caviste à Fronsac mais aussi à Paris, me confie son état d’esprit, sa décision de fermeture, pas facile à prendre car il n’a pas droit à des aides, comme d’autres cavistes d’ailleurs en France. Il revient aussi sur sa passion et espère des jours meilleurs pour tous. Il est ce mois-ci en focus dans la rubrique « le vigneron du mois »

Alexandra et Thomas Noël lors de l’ouverture du © Wine Shop à Fronsac en juillet 2019

Jean-Pierre Stahl: « Bonjour Thomas Noël, comment ça va ? Cela fait une semaine qu’Edouard Philippe a annoncé la fermeture samedi à minuit de tous les commerces non-alimentaires, cafés et restaurants, avec cette précision apportée le lundi suivant que les cavistes pouvaient rester ouverts s’ils le souhaitaient » ?

Thomas Noël : « On fait aller… Entre ce qu’on a le droit de faire et ce que l’on fait, c’est deux choses différentes. A titre personnel, j’ai décidé de ne pas être un point de relais de propagation du virus pour la santé de nos concitoyens… »

JPS : « C’est une décision sage… »

Thomas Noël : « Economiquement non, éthiquement oui, une décision que je ne regrette pas. Je suis super passionné de ce que je fais depuis longtemps, tant à Paris avec la Maison des Millésimes qu’à Fronsac avec le Wine Shop que je tiens avec mon épouse Alexandra. Au final grâce à Fronsac, cela va être un instinct de survie, en étant moins dépendant de Paris. »

JPS : « Comment cela se passe-t-il au niveau des aides ? »

Thomas Noël : « Cela change toutes les 5 minutes, mais aux dernières nouvelles, comme nous avons le droit d’être ouvert, nous n’avons pas le droit aux aides, tant à titre personnel qu’au niveau des salariés pour bénéficier du chômage partiel, donc c’est la double peine.

Mais qu’est-ce que l’économie par rapport à la santé, la question ne se pose pas, car si on n’est plus là, l’économie n’existe plus non plus, la santé doit primer avant tout. »

JPS : « A Paris, il y avait déjà une baisse ces dernières semaines ? »

Thomas Noël : « Avant l’annonce du Premier Ministre, je dois dire que c’est une cave pérenne et qui fonctionne bien, l’emplacement au 137 boulevard Saint-Germain est pas trop mal, mais nous avons subi la succession d’événements entre les attentats, les gilets jaunes et le coronavirus, cela a créé un climat d’anxiété, on n’est pas très serein et là où on est placé on voit ce qui se passe très très vite. Evidemment avant l’épisode du coronavirus, j’avais été impacté par ces autres événements, mais c’est une cave qui existe depuis 12 ans, ce qui fait qu’on a les reins solides, mais c’est beaucoup plus dur ces dernières années. »

JPS : « Il y a eu aussi le Bordeaux bashing, comment l’avez-vous ressenti ? »

Thomas Noël : « Depuis 12 ans, 80% des ventes que je fais, ce sont des vins de Bordeaux. Le Bordeaux bashing, je l’ai vécu à Paris, mais je n’ai pas vu spécialement de renforcement du Bordeaux bashing en mettant en avant des vignerons comme Olivier Techer avec Gombaude Guillot ou les frères Todeschini avec Mangot. Il y a beaucoup de gens qui se remettent du bashing, beaucoup qui gomment les excès que Bordeaux a pu faire par le passé. Il y a encore beaucoup de gens qui consomment du Bordeaux et qui me prennent des 24 bouteilles de Bordeaux. Bordeaux n’est pas forcément le plus pollueur, le plus impropre de tous les vignobles, il a eu une image injuste entretenue par les médias, entre Bordeaux et les pesticides, c’est vraiment très lourd et c’est handicapant… »

JPS : « Et vous avez aussi créé votre cave à Fronsac…le Wine Shop »

Thomas Noël : « On habite à Fronsac depuis 8 ans. L’histoire a été une belle rencontre avec la famille Ponty. Comme on avait un peu de temps, on a décidé d’ouvrir une cave avec tous les coups de coeur que j’ai eus en 18 ans de dégustations. C’est comme cela que j’ai pu avoir des allocations de Dujac (Morey Saint Denis), Ramonet (Chassagne Montrachet) ou Gangloff (Condrieu), je n’avais pas envie que cela ne soit disponible que dans les beaux quartiers de Paris ou dans les grands palaces. Beaucoup de vignerons ont joué le jeu pour m’octroyer ces allocations, d’un point de vue humain et éthique c’est très intéressant, 2 mois après avoir ouvert on avait ainsi des Gangloff à disposition à Fronsac. Ce sont donc mes 600 vins préférés au même endroit, c’est vraiment ma cave perso idéale, on trouve des vins de toute la région, des vins « nature », « bio », en « biodynamic », des vins plus traditionnels, bref tout ce qui est bon et sain.

JPS : « Alors, comment on s’occupe en ce moment ? »

Thomas Noël : « On s’occupe avec la réalisation d’un joli catalogue, on a beaucoup de demandes, on fait parvenir ce catalogue avec beaucoup de réservations. Les gens se montrent solidaires et comptent remplir leur cave. Pour l’instant je mets de côté et ils viendront chercher quand cela ira mieux. Après on peut ouvrir sur rendez-vous de manière exceptionnelle comme un « drive », on prépare une commande, il n’y a pas de contact les gens ne touchent pas les bouteilles en boutique, on se salue de loin, je fais quelques livraisons aussi avec toutes les précautions. Finalement à Fronsac, on va faire un bon mois de mars. C’est le projet d’une vie, on espère que l’aventure va continuer, avec la solidarité dont les gens font preuve envers le Wine Shop, on pourra redémarrer solidement dans 2 mois, je trouve cela extrêmement touchant. vraiment, c’est mon projet et celui de mon épouse, on est deux, je kiffe et j’ai hâte de réouvrir car il y a de  bonnes bouteilles que je vais encore rentrer. »