21 Mar

Le monde du vin aussi touché par le coronavirus, Loïc Pasquet témoigne…

Loïc Pasquet, le vigneron de Landiras qui produit Liber Pater, m’a prévenu jeudi qu’il était tombé malade dimanche, il reste à son domicile et son état s’est amélioré depuis… C’est l’occasion de recueillir son témoignage sur ce virus, cette maladie et son regard sur cette nouvelle société qui pourra découler de cette épreuve qui va toucher beaucoup de Français.

Loïc Pasquet dans son chai en juillet dernier © JPS

Jean-Pierre Stahl : « Bonjour Loic, comment ça va depuis ce message que vous m’avez envoyé jeudi « salut Jean-Pierre, je l’ai attrapé, ce con! » ?

Loïc Pasquet:  « Ca va beaucoup mieux depuis hier, j’ai eu les premiers symptômes dimanche, j’ai appelé le 15 et ils m’ont dit que c’était les symptômes du Covid 19, mais ils ne testent plus, si tu n’es pas un patient fragile ou ayant des problèmes de santé, sauf si tu as d’énormes symptômes… »

« Mais c’est un truc qui ne m’était jamais arrivé, quelque chose que tu ne connais pas, que tu n’as jamais eu. J’étais à Miami la semaine dernière, je pense que c’est là que je l’ai chopé, ou alors à Roissy-Charles-de-Gaulle. Dimanche, je me sentais fiévreux, mais sans trop de fièvre, nez bouché, yeux gonflés, tu tousses beaucoup, tu as l’impression que tu as les poumons qui se chargent, en glaires et tu n’arrives pas à recracher…Dans la nuit de mercredi à jeudi, je me suis mis à tousser énormément et à cracher énormément, et j’ai pu mieux respirer depuis… »

JPS: « Qu’est ce que vous ressentez par ailleurs, quel est votre quotidien et vis à vis de vos proches ? »

Loïc Pasquet: « Je suis énormément fatigué, je me lève à 11h le matin, c’est un truc qui ne m’arrive jamais, oui ça puis ça épuise énormément.Tu tournes au ralenti, je n’ai envie de rien faire. C’est pas la forme, mal aux jambes, mal aux reins, diarrhée, mais pas énormément de fièvre, c’est un truc à la con. Pour ceux qui sont fragiles, il faut qu’ils restent chez eux. Moi, je pense que je suis un cas non comptabilisé, quand ils te disent qu’il y a plus de 12 000 cas confirmés, si ça tombe il y en a 10 fois plus. Mais bon, on tombe malade, cela ne veut pas dire qu’on va mourir, mais on va se soigner… »

« Concernant ma famille, ma hantise est que ma femme tombe malade en même temps. Car comment on va faire avec nos deux gamines de 5 et 3 ans. On ne peux pas les donner aux grand-parents. Je n’ai jamais pensé que j’allais mourir, mais si je devais aller à l’hôpital et ma femme aussi, comment feraient les gamines… ? »

Loïc Pasquet avec ses amphores contenant son futur millésime 2018 en juillet dernier © JPS

JPS : « Et pour votre travail au quotidien à la vigne, où en étiez vous et comment allez-vous faire ? »

Loïc Pasquet : « Dans les vignes, il n’y a quasiment plus personne qui bosse, tout le monde est presque à l’arrêt. Tu ne peux pas reprocher aux gens de penser à leur santé, c’est humain. Moi j’ai deux salariés qui continuent, je fais tout par téléphone, ils connaissent leur travail. On n’était pas en retard. Le problème c’est que jeudi tout va avoir débourré, et la température pourrait tomber dans la nuit de mercredi à jeudi à 0°, il va falloir que je mette en route les machines « anti-gel ». Concernant les produits phytosanitaires, il n’y a plus de stock, moi il me reste un peu de cuivre. Je pense que ça va durer jusqu’à la mi-juillet cette histoire, c’est un virus, c’est un algorithme, c’est mathématique. Donc si tu ne traites pas, tu auras du mildiou. Ça tombe mal en ce moment, si cela s’était passé en été, cela aurait été différent. »

JPS : « Vous qui êtes connu du monde entier, quelle vision avez vous aujourd’hui des bouleversements qui devraient être opérés après cette épreuve et cette épidémie ? »

Loïc Pasquet : « La Chine redémarre, c’est le point positif. J’espère qu’on prendra la mesure de ce qui se passe, qu’on va revenir de l’agriculture intensive et de l’exploitation de la planète à outrance.Il faudra se poser des questions: est-il nécessaire d’avoir des fraises ou des tomates en décembre ? »

« Par ailleurs, est-ce qu’on va être capable de reproduire des médicaments, des masques en France ? Ma fille a eu la grippe en janvier, elle n’a pas eu d’antibiotique, la Chine était à l’arrêt. On est devenu trop, interdépendant.

Au niveau économique, il va y avoir non seulement des morts physiques mais économiques, quand tu n’as pas de trésorerie, tu fais comment ? Tout va être reporté sur septembre… »

« En tout cas il faut relocaliser, repartir autrement. Il faudra aussi se reposer la question sur la pollution en Chine et dans le monde, chez nous aussi avec les produits phytosanitaires,  elle fait 2,5 millions de morts alors que le coronavirus un peu plus de 3000 en Chine, officiellement.

« Et puis surtout, on a compris que notre système d’hôpitaux était complètement à genou.  On a trop fait dans l’économie de bouts de chandelles, on ne voulait pas débourser ici 40 millions, aujourd’hui ce sont des milliards qui doivent être sortis. C’est la faillite du système. L’Europe a 70 ans et on n’a réussi qu’à en faire une Europe commerciale et financière. C’est un échec. On voit maintenant qu’il n’y a pas d’Europe sanitaire, fiscale et sociale ».

« Bref un tout cohérent qui permette d’avoir une identité et faire face ensemble. La gestion a montré ce « chacun pour soi » et « sauve qui peut » ! La preuve avec le nombre de morts par pays. On voit bien que les systèmes hospitaliers ne sont pas les mêmes. Comment se fait-il qu’en Allemagne on a en pourcentage 0,2% de morts dus au coronavirus, qu’ils ont 25 000 lits en soins intensifs avec assistance respiratoire, et qu’en Italie cela monte à 8% des gens atteints ! »

JPS : « Effectivement, les soignants sont aujourd’hui en première ligne, qu’est-ce qu’ils vous inspirent ? »

Loïc Pasquet : « Je trouve que ce qu’ils font est fabuleux ! J’espère que l’Etat ne les oubliera pas et saura les remercier. Ils prennent des risques pour eux, pour leur famille pour nous soigner. Si je suis immunisé, je pourrais aller dans les hôpitaux les aider, je suis prêt à les aider si je peux à l’accueil ou ailleurs, mais bien évidemment ce n’est pas moins qui vais intuber les gens… »

« C’est pour les soignants un sacerdoce. On les applaudit tous les soirs à 20h avec les petites. On pense à eux, j’espère qu’on ne les oubliera pas. On va s’accrocher. Pour moi, c’est fait. »

On souhaite à Loïc Pasquet, ainsi qu’à tous les malades, un prompt rétablissement et on pense bien fort à nos personnels soignants, médecins, infirmières et aide-soignantes, qui aussi peuvent être touchés, et qui sont sur le front du coronavirus. Merci à eux. Et surtout #RestezChezVous, on voit encore trop d’attitudes irresponsables. Il n’y a que comme cela qu’on pourra aider nos soignants et tout le monde.