29 Mar

Emailleuses de Limoges

Le journal m’invite, aujourd’hui, à évoquer des femmes, et j’aurais pu parler de toutes les femmes d’exception que j’ai pu fréquenter, parentes, enseignantes, amies, artistes, femmes engagées, dire tout ce qu’elles m’ont apporté car je sais bien, comme l’a écrit Daniel Pennac, qu’ « il faut beaucoup de femmes pour réussir un homme »[1]. Il me fallait toutefois choisir une thématique, et j’ai voulu rendre hommage – sans être exhaustif – à des émailleuses, femmes, artistes, limousines, dont on peut voir les œuvres dans les musées et sur internet.

On peut ainsi se souvenir d’Henriette Marty, fille de l’émailleur Alexandre, engagée par l’atelier Camille Fauré aux lendemains de la 1ère Guerre mondiale, l’une de ces femmes de talent, au caractère bien trempé. Elle réalise avec son père de petits vases flammés (« spécialité limougeaude ») et givrés (granuleux, de couleur gris bleuté), estampillés « Fauré Marty Limoges ». Attirée par la modernité, l’innovation, elle fait des recherches sur l’émail en relief. Chaque forme de vase employée par Henriette Marty est associée au nom d’une commune limousine ; ainsi, au Musée des Beaux-Arts de Limoges, peut-on admirer un splendide vase Art déco, dans une tonalité rose framboise, dont le profil ovoïde correspond à l’appellation Eybouleuf. L’un des autres superbes vases acquis par le musée a été présenté à l’Exposition coloniale de 1931, son décor se déploie en courbes imbriquées, déclinant plusieurs tons de bleu. Elle produit aussi des coupes, des bonbonnières et avec son père, obtient le Grand prix de l’Exposition des Premiers artisans de France en 1935.

A la fin des années 20, Fauré, qui eut sa boutique au 31 de la rue des Tanneries, recruta l’émailleuse Lucie Dadat (1908-1991), ancienne couleuse de porcelaine, qu’il laissa libre dans sa création. J’aime particulièrement l’un de ses vases Grands Rouges, avec un décor cubiste, et l’un de ses vases boules en émail bleu à décor en éventail du début des années 30. Fauré fit aussi appel à d’autres émailleuses, comme Marcelle Decouty-Védrenne, qui réalisa des petites pièces, puis des vases, surtout des florals. L’historien Michel Kiener a très bien raconté cette histoire.

Parmi les émailleuses formées à l’active Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges, on songe à Jeanne Soubourou (1879-1968), élève du peintre Charles-Théodore Bichet. Aquarelliste, elle réalise des œuvres à caractère religieux, des paysages et de beaux bouquets de fleurs (hortensias, anémones), bien sûr très colorés. Elle est remarquée en 1926 pour ses champlevés et participe au renouveau de l’émail contemporain aux côtés de Léon Jouhaud. Le B.A.L. possède l’une de ses magnifiques plaques, sobrement titrée Paysage (années 50), où les toits briques et bleus d’un village surgissent entre les arbres verts et les collines bleues. Marguerite Sornin (1883-1974), attirée par les arts primitifs, ouverte à toutes les formes de création, qui réalisa des broches « cabochons », de beaux pendentifs, des paysages, des scènes religieuses. Juliette Euzet (1902-1987), formée aussi par Bichet, passe chez Camille Tharaud, Camille Fauré et crée un atelier d’émail avec son époux Jean-Marie où elle se laisse inspirer par ses voyages pour œuvrer à des paysages reconstruits sur un mode rythmique. Elle réalisa également des bijoux, comme des broches au décor floral géométrisé.

Toutes ses femmes, maîtrisant parfaitement l’art de l’émail, ont contribué à la renommée de Limoges et de sa production.

 

[1] Aux fruits de la passion, Gallimard, 1999.

 

Un scarabée émaillé d’Yvette Linol (c) Y. Linol

 

J’avais envie  d’évoquer d’autres femmes émailleuses – mon propos, comme toujours, n’a pas de finalité exhaustive ; j’y exprime simplement mes goûts, mes intérêts, en toute subjectivité. Je pourrais, bien entendu, ajouter le nom de Léa Sham’s, dont j’apprécie beaucoup l’œuvre (en particulier Notre-Dame de la Pleine Lumière à la cathédrale de Limoges) et qui se forma à l’atelier Fauré.

J’ai eu la chance, une ou deux fois, de rencontrer, chez eux à Mortemart, l’éditeur René Rougerie et son épouse, Marie-Thérèse Régerat (disparue en 2011), qui était à la fois dessinatrice et émailleuse, et fit ses études à l’ENAD. En 1970, elle publia Langage de l’émail et accompagna par ses illustrations divers recueils publié par René. En 1966, à l’occasion d’une exposition, Le Monde salua ses « fort beaux émaux, dont un émail champlevé réalisé à la manière des maîtres anciens. » Son magnifique Troupeau des nuits, que l’on peut admirer au musée des Beaux-Arts de Limoges, est particulièrement inspirant et poétique, avec ses beaux animaux nocturnes, comme le hibou et la chauve-souris, dans des tonalités de bleu, mauve, vert et rouge. J’aime particulièrement le contempler dans l’atmosphère si particulière de la « nuit au musée ».

Autre ancienne élève de l’ENAD : Joëlle Comes, née à Bordeaux en 1945. Son père fonctionnaire est muté à Limoges et la famille s’y installe en 1956. Elle y étudie cinq ans,  notamment avec M.M. Euzet pour l’émail et Colombier pour la porcelaine. Elle obtient le diplôme de peintre sur porcelaine puis celui d’émailleur d’art décerné pour la première fois à Limoges. Après cinq ans d’études elle travaille dans l’entreprise de porcelaines Léclair en tant qu’émailleur puis très vite exerce ses talents chez Fauré. Elle termine sa carrière comme artisan émailleur et ses œuvres figurent dans de nombreuses collections. Elle a signé de très beaux vases, des bouquets et des portraits, de très beaux émaux d’après des dessins collés et gouachés de son mari Jean-Pierre Comes, également artiste. C’est elle qui, à la demande de Sanfourche, a réalisé les derniers émaux de l’artiste.

Même si elle a décidé de ne se consacrer (avec talent) qu’à la peinture depuis 1987, j’avais aussi envie de rappeler l’activité d’émailleuse d’Yvette Linol – la mère de Franck, l’écrivain bien connu. Elle aussi fréquenta l’Ecole des Arts Décoratifs de Limoges dont elle sortit major de sa promotion, avec le 1er prix en peinture et dessin. Sa première exposition, parrainée par Georges Magadoux, a lieu à Limoges en 1977 ; elle participe ensuite à diverses autres, notamment à l’occasion de la regrettée Biennale internationale de l’émail, mais aussi à Sarlat, ailleurs en France et à l’étranger. J’aime beaucoup une photo d’elle prise par Joris Linol où, souriante et le doigt levé, elle est entourée par les coléoptères, qu’elle créait en émail, car la matière des carapaces de ces insectes lui en avait inspiré l’idée. Parmi eux, un cerf-volant de presque deux mètres de haut ! Un travail original et virtuose, subtilement coloré, fantastique dans l’esprit. Mais elle savait aussi réaliser des émaux cloisonnés abstraits, toujours en recherche pour la matière et les couleurs – les gris, les turquoises, les violets. Ainsi de sa « Composition », mystérieuse et douce, qui reçut le prix de la Ville de Limoges à la Biennale 1978.

(Articles publiés aussi dans Le populaire du Centre)

02 Mar

Aux Nouvelles Galeries de Limoges

Roger Pougeas, directeur adjoint des Nouvelles Galeries, avec son épouse Marie Bourdelas, hiver 1929-1930, devant la fontaine gelée de l’Hôtel de Ville de Limoges.

Andrée Jantaud et Jean Marais aux Nouvelles Galeries

L’écrivain Fernand Dupuy et Andrée Jantaud

 

C’est l’une des institutions commerciales de la ville, dont l’un des principaux attraits et atouts est qu’elle est située en plein centre-ville, entre la place de la République, le lycée Gay-Lussac et l’église Saint-Pierre. On a démonté il y a peu la « fresque » de cônes colorés contemporains très « sixties » qui ornait le mur jouxtant les escaliers de la place de la République et rappelait, sur l’emplacement de l’abbaye Saint-Martial, les  émaux du Moyen Âge.

 

L’un de mes premiers souvenirs d’enfance est de revoir, devant l’entrée du carrefour Tourny, le marchand de châtaignes grillées dont le four ressemblait à une locomotive, qui nous tendait les marrons brûlants dans des cornets de papier journal. Je me souviens aussi du plaisir que nous avions à découvrir, avant chaque Noël, le catalogue de jouets spécialement édité. Je sais aussi que la sœur de mon grand-père, Marie Bourdelas fut l’épouse de M. Pougeas, directeur adjoint des Nouvelles Galeries dans les années 1930.

 

Dès le XIXe siècle, des « grands magasins » et des magasins de nouveautés ouvrirent à Limoges, comme les « Grands magasins du Louvre » ou « La Ville de Paris », « Au printemps » ou « Au Bon Génie », « Au Grand bon Marché » ou « Au Sans Pareil ». On trouve aussi mention de plusieurs « bazars » (mot provenant du persan). En 1892, M. Lehmann, marchand de jouets, s’associe avec M.M. Canlorbe et Demogé pour ouvrir le « Grand Bazar de la Ville de Paris » à la place d’un ancien restaurant, « Le Faisan Doré », rue Porte-Tourny, place de la République et boulevard Carnot. On y vend des jouets, de la papeterie, des serviettes en cuir, de la chapellerie et une publicité d’octobre 1900 annonce l’inauguration des rayons « Modes, Lingerie et Confection Dames ». Comme l’entrée est libre, les chalands sont nombreux à venir « pour voir » et à se laisser tenter. Le 17 novembre 1904 sont inaugurés « Les Nouvelles Galeries », dirigés par M. Lambert, avec leur belle façade « Belle Epoque ». Il n’est pas facile, pour les petits commerces, de résister à ce succès !

 

En 1960, les Galeries voient leur belle façade disparaître sous un habillage de béton. Trois ans plus tard, dans la nuit du samedi 14 décembre, jour d’affluence avant Noël mais aussi jour de grand froid, un violent incendie se déclare et le magasin est dévasté (l’eau des lances des pompiers gèle…). La mairie installe des éléments préfabriqués place de la République pour que l’activité se poursuive. Il faudra attendre les années 64-65 pour un nouveau départ et une nouvelle architecture.

 

Les Galeries, c’était aussi « le troisième étage », avec le « snack », où on allait boire un pot en sortant d’une séance de cinéma place de la République, et surtout la librairie-disques-hi-fi, rayon photos, tenue avec élégance et compétence par Andrée Jantaud – elle-même artiste puisque violoncelliste et chanteuse lyrique admise au conservatoire de Paris. Elle organisa nombre de signatures avec des écrivains et des artistes de renom, comme Jean Marais, Patrick Poivre d’Arvor, Fernand Dupuy, Marcel Amont, Charles Dumont, Raymond Poulidor,Jean-Claude Boutier et tant d’autres. Et elle avait bien de la patience à supporter les collégiens ou lycéens qui adoraient s’asseoir au milieu des rayonnages pour lire leur b.d. préférée !

(Article paru aussi dans Le Populaire du Centre)

 

12 Fév

Sarane Alexandrian, pensionnaire au lycée Gay-Lussac en temps de guerre, dadaïste et résistant à la campagne

Photo extraite du site à visiter: http://www.sarane-alexandrian.com/SA_Fr/Presentation.html

 

Pendant la Seconde guerre mondiale, le lycée Gay-Lussac abrita – entre autres élèves – un pensionnaire venu de fort loin : Lucien – surnommé Sarane par sa nourrice indienne – Alexandrian, né le 15 juin 1927 à Bagdad où son père avait été nommé stomatologiste du roi par Fayçal Ier. Alors que Sarane est enfant, il est atteint par la poliomyélite, et ses parents décident de l’envoyer se faire soigner en France. Il est accueilli à Paris par sa grand-mère maternelle, Sandrine Collin, et poursuit ses études au lycée Condorcet. L’été 1939, ils partent en vacances à Peyrat-le-Château, où la guerre les surprend. Et comme il faut bien continuer à étudier, Sarane devient pensionnaire au lycée de Limoges (qui compte un peu moins d’un millier de garçons) ce qui, à cette époque, n’est vraiment pas du luxe : les bâtiments sont anciens, humides, les dortoirs grands et mal chauffés, interminables avec leurs lits alignés côte à côte, les WC sont en plein air et à la turque, on se lave tant bien que mal, la nourriture n’est guère appétissante, ni abondante. Nul doute que, comme les autres internes, le jeune homme porte une blouse grise.

Le proviseur de l’établissement est alors Joseph Storck, dont un nom de salle rappelle aujourd’hui la mémoire – il est « Juste parmi les Nations ». Il est en poste de 1938 à 1944, et il sauve de nombreux pensionnaires juifs en leur donnant de fausses identités fabriquées dans son imprimerie clandestine. Il les cache lors des perquisitions de la Gestapo et de la Milice ; il place les jeunes en danger dans des familles d’accueil. Il veille à maintenir le calme au lycée. A la fin de l’année 42, alors que Sarane avait à peine quinze ans, une quarantaine de ses ainés participaient au réseau de résistance dit « 17ème Barreau ».

A l’été 1943, le jeune Sarane part en vacances à Peyrat, où il fait la connaissance de Raoul Hausmann, qui y est également réfugié, depuis trois ans, sur les conseils de son ancienne logeuse à Paris, originaire de la petite ville limousine. Pour survivre, menacé car apatride et considéré par les nazis comme un artiste dégénéré, proche de Guingouin et de la Résistance, il donne des leçons d’anglais, d’allemand et d’espagnol. Le jeune pensionnaire de Gay-Lussac ne peut qu’être intéressé par cet ancien membre du groupe des peintres expressionnistes berlinois Der Sturm, fondateur en 1917 de dada à Berlin, inventeur du photomontage, acteur chez Piscator durant la république spartakiste, ami de Bertolt Brecht, Kurt Schwitters, Hans Arp, Max Ernst, Alexandre Dovjenko, Moholy-Nagy et bien d’autres, qui vit à Peyrat avec sa femme Hedwig et entretient une relation avec une jeune fille rencontrée en Limousin, Marthe Prévot.

Sarane Alexandrian a confié : « Lors de nos promenades dans les châtaigneraies, Hausmann m’entretenait pêle-mêle, avec son accent germanique, de choses qu’on n’apprenait pas à l’école. Ce super-anarchiste (…) tournait sans cesse en dérision la dictature du prolétariat, à laquelle il opposait « la proctature du dilétariat », qui représentait l’état d’une société anarchique où tout est permis. »[1] L’élève de Gay-Lu participe à des actions des maquisards du Limousin, comme des opérations de réception d’armes parachutées.

A la Libération, le jeune homme publie des poèmes et un article sur Raoul Hausmann, dans le journal Unir – l’organe des jeunes du Mouvement de Libération Nationale – et dans un recueil collectif intitulé Couronne de vent. La direction d’Unir a été confiée à un « ancien de Gay-Lu », qui n’était guère assidu au lycée, FTP de vingt-trois ans, poète et futur écrivain du Vin des rues : Bob Giraud. Bientôt, celui-ci va partir avec son journal à Paname et en tomber amoureux. Bientôt aussi, Sarane Alexandrian regagne la capitale, où ilva suivre des cours à l’Ecole du Louvre et continuer à publier, avant de rencontrer André Breton en 1947 et devenir surréaliste, mais c’est une autre histoire…

 

[1]  http://www.sarane-alexandrian.com/

 

(Texte paru dans Le Populaire du Centre)

01 Fév

Un humour limousin et limougeaud

Photo de droite: à Saint-Just-le-Martel (c) L. Bourdelas

 

Il y a peu, le ministre de la culture a émis l’idée de mettre en place quelque part en France une structure dédiée au dessin satirique et d’humour. En fait, cela existe depuis plusieurs décennies tout près de Limoges, à Saint-Just-le-Martel. Les Limousins, les Limougeauds, savent en effet fort bien utiliser leurs zygomatiques.

Il est vrai que l’autodérision a parfois été de mise, bien aidée par les torrents de moqueries qui se déversèrent sur notre province des siècles durant. Yannick Beaubatie s’en amusa en publiant chez Fanlac, en 1999, Comment peut-on être limousin ?, une anthologie de citations diverses sur le Limousin, arguant « comment mieux blesser notre vanité, dégonfler nos baudruches, qu’en nous efforçant d’en rire ? ».

Longtemps, l’indigène a apprécié la gnorle – de l’occitan nhòrla –, blague ou histoire drôle souvent pleine d’esprit, parfois crue, se moquant des petits travers de chacun, en prose ou en vers. Edouard Cholet (1833-1917), banquier à Limoges de son état, inaugura, à l’âge de 47 ans, une carrière d’auteur et de conteur de gnorles sous le nom de plume de Lingamiau (« langue à miel »), dans la langue du peuple de Limoges et des campagnes limousines. Autre conteur et nhorlaire, André Dexet (1924-1997), dit Panazô, dont les parents étaient métayers à Panazol. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il intégra la Résistance et, après-guerre, il fut journaliste à l’Écho du Centre en tenant les chroniques Lu Bouéradour din lu toupi. Elles furent si populaires que Panazô intervint sur Radio Limoges pour les raconter, battant des records d’audience ; il publia également plusieurs livres, notamment chez Fayard. Jan dau Melhau sait pratiquer un humour fin et poétique, comme dans Au rier-lutz dau silenci (« A l’ombre du silence »), où on peut lire des sortes de « fusées » ou de sentences ironiques : « Les papillons, on dirait toujours qu’ils ont la maladie de Parkinson » ou « ses coussins se gonflent de l’air de son cul, de l’air de sa tête. »

Françoise Etay a montré qu’au sein de l’important corpus de chansons recueillies en Limousin, on remarque un très grand nombre de textes relevant de la critique politique ou sociale, ainsi qu’une profusion de chansons moqueuses, jusqu’à se demander si la façon dont le faible se moque du puissant en le brocardant en chansons ne serait pas un trait spécifiquement local.

On lira aussi avec intérêt et amusement le poète Georges Fourest.

Pierre Desproges se proclama un jour comme le « seul dépositaire de l’humour limousin. » Ses grands-parents étaient commerçants à Châlus, il aimait beaucoup la région. Pour preuve son unique roman Des femmes qui tombent, sorte de polar déjanté dont l’intrigue se déroule dans un petit hameau Limousin dénommé Cérillac. Il y décrit avec sagacité la vie rurale qui pourrait être celle qu’il a connue à Châlus, et colore les lieux de son humour si particulier. Citation : « nous avons notre sensibilité limousine. Nous avons bien sur notre humour limousin qui n’appartient qu’à nous. Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine peu perméable aux Chouans. Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre. »

0n ne dira pas que tout natif de la région est un banturle, un « glandeur » – un dilettante –, un flagorneur, qui passe son temps à le perdre, mais il en est un qui revendiqua le titre : Yves Désautard (1943-2015), descendant de maçons creusois, ancien du Petit conservatoire de Mireille dans les années 60. Musicien fou d’accordéon, chansonnier, comédien un temps parisien, il participa à la naissance de Radio France Creuse et lança sa légendaire émission Le café des Banturles. Ses chroniques racontaient ce Limousin qu’il connaissait si bien et ses spectacles avec Christophe Dupuis et Jean-François Julien, comme Dernier bistrot avant la Creuse, enchantaient les spectateurs.

Saint-Just-le-Martel devient chaque automne, depuis 1982, l’une des capitales de l’humour en accueillant le Salon international du dessin de presse et d’humour créé par l’ancien maire Gérard Vandenbroucke. Chaque année, il décerne un très prisé « Grand prix de l’humour vache » dans une ambiance bon enfant et son succès a contribué à faire sortir de terre un actif Centre International de la Caricature, du Dessin de Presse et d’Humour. Loup, Cabu, Wolinski, Plantu, Wiaz, Mofrey et beaucoup d’autres, venus du monde entier, ont participé à l’aventure. Après que des terroristes islamistes s’en sont pris à Charlie Hebdo en janvier 2015, Maryse Wolinski a choisi de faire don du contenu du bureau de son mari au Salon où il a été reconstitué avec ses étagères, livres, table à dessin, bureau, jusqu’à la cheminée et aux bibelots. Le découvrir derrière des murs vitrés procure une grande émotion. Il n’est pas anodin que face à la barbarie, un grand rire parte du Limousin chaque mois d’octobre…

(Texte paru également dans Le Populaire du Centre)

15 Jan

Le clocher de la cathédrale Saint-Etienne de Limoges

(c) L. Bourdelas

Il me semble que depuis l’incendie de Notre-Dame de Paris, certains ont appris à mieux regarder ces grands et beaux monuments de pierre surgis d’une époque dont elles sont les fastueux témoins. Un temps où l’on voulait construire toujours plus haut et où la fabrication et la mise en place des rosaces, des verrières coloriées, permettait à la lumière – que l’on pensait divine – d’entrer à pleins flots dans l’édifice. Le temps des cathédrales, pour reprendre l’expression du grand médiéviste Georges Duby, dont les œuvres viennent d’entrer à La Pléiade, où il montra la nécessité de saisir l’art médiéval dans sa dimension sociale, idéologique et spirituelle.

Ces temps-ci, toutefois, un regret : lorsqu’on entre en ville, la nuit tombée, par les Casseaux (qui devraient être la plus belle porte de la ville) ou lorsqu’on essaie de l’apercevoir au bout de la Vienne, depuis le pont sur l’A20, on ne voit plus la cathédrale vraiment éclairée, en tout cas on ne distingue plus le clocher si caractéristique. Le grand vaisseau gothique est sombre, lui dont la voûte aspire à côtoyer les lumineuses étoiles. M. Didier Frank, du Service des Réseaux Urbains à Limoges, m’en a donné l’explication : « les éclairages de mise en valeur de la cathédrale ne fonctionnent plus du fait des travaux de réfection de l’étanchéité des terrasses et des garde-corps de la nef menés par la DRAC. En effet, les armoires de commande se situant sur ces terrasses ont dû être déposées. Les travaux sont prévus jusqu’en 2021. » Nous nous sentons un peu orphelins de cette mise en lumière, mais nécessité fait loi et la cathédrale datant du XIIIe siècle, nous aurons la patience d’attendre deux ans.

C’est le 1er juin 1273 que le doyen du chapitre cathédral, Hélie de Malemort, posa solennellement la première pierre de l’édifice, mais le chantier dura plusieurs siècles. Son clocher conserva sur trois niveaux la tour-porche du XIe siècle, l’entrée ouest de la précédente cathédrale romane. La flèche fut détruite une première fois en 1483 par la foudre, puis remplacée par une toiture pyramidale recouverte de plomb, foudroyée en 1571 ! Elle ne fut jamais refaite. Longtemps, clocher et nef furent séparés, la cathédrale n’étant pas achevée. Les peintures ou photographies d’époque montrent le clocher comme une vieille sentinelle écartée de ce qu’elle doit garder. Les travaux reprirent en 1875, grâce au volontarisme de Mgr Duquesnay. L’architecte Bailly décida de conserver la tour-porche, un projet de reconstruction d’une flèche fut envisagé mais non retenu. L’évêque Renouard consacra le bâtiment achevé le 12 août 1888.

Un siècle plus tard, l’anniversaire fut célébré en grandes pompes par Yann Kersalé, l’un des pionniers en France de la mise en lumière architecturale qui, avec « Mouvance de pierres » magnifia la cathédrale Saint-Etienne de ses éclairages colorés et magnifiques, recréant même la flèche. Nous fûmes de nombreux Limougeauds, cet été-là, à venir contempler ce spectacle magique. Trente ans plus tard, on attend donc avec impatience le moment où l’on pourra dire devant le monument la célèbre phrase de la Genèse : Fiat lux. Et la lumière sera.

 

(Publié dans Le Populaire du Centre)

09 Jan

Le quartier Aristide Briand

(c) L.Bourdelas

 

J’ai vécu dans le quartier de la rue Aristide Briand (Prix Nobel de la Paix) – autrefois la route d’Ambazac chère à mes amis l’écrivain Georges-Emmanuel Clancier et le poète Gérard Frugier – dans les années 1960 et 1970 ; mes parents y ont leur maison, avec sa façade en « nids d’abeille », derrière l’église Saint-Paul Saint-Louis, bâtie en 1907 pour tenter de christianiser les cheminots. Ses beaux vitraux sont de l’atelier de Francis Chigot, qui réalisa les verrières de la gare des Bénédictins, mais l’argent manqua pour édifier son clocher. Non loin, de l’autre côté des voies, il y avait les entrepôts frigorifiques STEF.

Comme la rue (qui est fort longue, jusqu’au bois de la Bastide) longe les voies de chemin de fer, elle était peuplée, comme tout le quartier, de familles de cheminots. Au-dessus des rails et du dépôt, une passerelle était pleine de promesses, puisqu’elle s’appelait Montplaisir. Les jardins de l’horticulteur Dubouis faisaient rêver de campagne. Longtemps, la rue fut le réceptacle des fumées des machines à vapeur, et l’on entendait leur bruit d’animal fougueux et leurs sifflets jusque dans la nuit. Plus tard, on entendait aussi les annonces faites en gare ou les turbines du turbotrain reliant Bordeaux à Lyon. Des impasses descendaient vers les voies : elles avaient pour nom Lelong ou, plus mystérieusement, de la Baleine – peut-être en souvenir des baleines de parapluie fabriquées à Limoges avec des fanons. De loin en loin, des bars étanchaient la soif. Rue Saint-Augustin, un foyer de réinsertion sociale faisait face aux déménagements Jeammet. Au bas de la rue du Bas-Chinchauvaud (actuelle du 19 mars 1962), se trouvait l’usine Perrier & Dardanne (décolletage). Il fallait éviter les copeaux de fer sur le goudron. Un petit bar-restaurant accueillait les ouvriers qui jouaient au foot pendant la pause.

On peut affirmer que le quartier formait comme une communauté ; les pères travaillaient ensemble, dans les trains, sur les voies ou dans les bureaux ; les mères élevaient les enfants ; ceux-ci fréquentaient les écoles du quartier – non mixtes – essentiellement celle de la Monnaie (les garçons) et celle du Grand Treuil (les filles). Plus tard, selon son adresse, on poursuivait au collège Guy de Maupassant ou au collège Pierre Donzelot, annexe du lycée Gay-Lussac. Certains allaient au catéchisme et au patronage, animés par des prêtres sympathiques et engagés : l’ancien prêtre-ouvrier André Villessot, les pères Gaston Dutertre ou Guy Daudet. D’autres se divertissaient au centre aéré de la S.N.C.F. La plupart se retrouvaient à la Saint-Antoine, club de sport rue Malesherbes, au grand portail blanc et bleu, où l’on pratiquait le basket ou le tennis-de-table – ce qui était mon cas, avec pour entraîneur Claude Gravouille, dont le fils Bruno, lui-même sportif, a repris l’entreprise de plomberie Moreau au bas de la rue.

Et puis, avant la construction d’un supermarché aux Casseaux, la rue était peuplée de commerces. « L’économat », où allaient les familles de cheminots, la pâtisserie Mériadec, des boucheries (Coussy, Demay), des épiceries, des charcuteries, une droguerie, poissonnerie, le garage Dautriat, des magasins de vêtements, etc. Je conserve le souvenir attendri de deux d’entre eux. Le salon de coiffure de René Juge (descendant d’une famille de bouchers), passionné d’histoire locale et de minéraux, qui réalisait des vitrines que nous allions admirer en sortant de classe, avec château et figurines, et qui s’occupait de nos cheveux la clope au bec. La librairie-papèterie de Mme Chaban, dont le plancher sentait bon l’encaustique, et où, à chaque rentrée, nous achetions rituellement nos livres et nos cahiers, nos porte-plume, nos crayons et nos gommes.

 

(Texte paru également dans Le Populaire du Centre)

Les auteurs dramatiques en Limousin (7 et fin)

(c) Luc de Goustine

Luc de Goustine est un écrivain, traducteur, journaliste, éditeur et acteur français, né à Paris le 9 janvier 1938 que j’ai eu la chance de rencontrer dans les années 1980 au pied du château médiéval de Ventadour où il avait décidé de vivre avec son épouse Françoise et dont il fut à l’origine de la sauvegarde lorsque moi-même j’œuvrais à celle de Châlucet. Entre 1996 et 2001, cet humaniste et  homme de grand talent aux multiples activités traduit et joue Hamlet puis Le Roi Lear, mis en scène par Philippe Adrien, et apparaît dans diverses fictions télévisées et films de cinéma. Il est aussi l’auteur de Nob, Cahiers Renault-Barrault, Gallimard, en avril 1967, Dix mai 68, au Seuil, en 1968 – « une date, me confiait-il, qu’on arrachera pas du calendrier de l’Esprit » –, et Cuadernos para el dialogo, paru à Madrid, en 1971.

Né à Mayrinhac-Lentour (Lot), Robert Birou vit à Brive-la-Gaillarde où il a enseigné les Lettres et pratiqué le théâtre en qualité de metteur en scène ou de comédien. Au Théâtre du cri depuis 1971, il a écrit plusieurs pièces créées par la troupe. Il est aussi l’auteur et l’interprète de spectacles en solitaire à l’humour parfois amer, dissonant et grinçant. Il écrit des poèmes, – des poésies depuis le collège. Il y mêle volontiers fantaisie et lyrisme, quand il ne s’abandonne pas à ses mélancoliques humeurs ou à ses humanistes colères[1].

 

Max Eyrolle (c) Expression 7

Max Eyrolle, corrézien de Port-Dieu, a écrit divers récits/romans, comme Les Nouvelles d’Inadieu (Editions Lucien Souny, 1994), Lucette Boyer pure Aubrac (Editions Le Bruit des Autres[2], 2006) ou Le voyage de Pierre Digan (Souny), qu’il a adaptés pour la scène, et du théâtre, comme La Mélancolie des fous de Bassan. Ayant une affection particulière pour les auteurs russes ou pour Steinbeck, cet écrivain marqué par la qualité de vie de son enfance en pleine nature, pêcheur « pour la beauté et le silence des matins », sait raconter de belles histoires d’humains, nourries par la poésie et le mythe, sans jamais dédaigner l’humour et le sens du dérisoire. Cet artiste est également un peintre de talent.

 

 

Collection L.Bourdelas

Catherine Fievet, née à Roubaix en 1948, est une dramaturge et metteur en scène française[3]. « Sa sœur aînée, dont elle avoue qu’elle jalousait un peu beaucoup les succès, s’inscrit au  Centre Dramatique du Nord, dirigé par André Reybaz. Elle   s’inscrit aussi. En fin  d’études, sa sœur remporte le 1er prix. Elle aussi, ex-æquo! »[4] Après des études de journalisme et d’art dramatique, elle commence une carrière de comédienne. En 1975, elle fonde avec Jean Paul Wenzel le Théâtre du Quotidien et co-écrit avec lui Marianne attend le mariage puis Dorénavant. Ce n’est qu’en 1981, que le premier texte de Louise Doutreligne, Détruire l’image est créé au Petit Odéon. En 1984, elle fonde La compagnie Influenscènes avec Jean Luc Palies. Plus de vingt-cinq de ses œuvres ont été éditées, jouées de l’Odéon au Théâtre National du Nord, et à Paris (Théâtre de l’Est Parisien, Théâtre du Rond-Point, Cartoucherie Epée de Bois…), et aussi Avignon, Anvers, Berlin, Limoges, Mayence, Tokyo, Almagro, Madrid, Valencia, dix-sept œuvres enregistrées par France Culture et France Inter. Elle contribua à la naissance et à l’essor des Ecrivains associés du théâtre (E.A.T.), exerça en tant que première vice-présidente élue une action énergique au sein de la S.A.C.D., organisa les lectures des mardis midi des textes libres au Rond-Point.

Jean Luc Paliès, né le 13 août 1954, d’origine andalouse, le compagnon de vie et de théâtre de Catherine Fievet, est metteur en scène, comédien, auteur, compositeur et scénographe. Il est également, entre autres choses,  directeur artistique de la Compagnie Influenscènes. Après une formation partagée entre la Sorbonne/Censier/Paris III (Dort, Ryngaert, Banu, Bezace, Lasalle, Demarcy, Herlic…) et le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (C.N.S.A.D.) dirigé par Jacques Rosner, avec Bluwal, Vitez, Roussillon et surtout Debauche), il commence sa carrière de comédien au T.G.P. de Saint Denis (dirigé par René Gonzalès) dans la mise en scène de Jacques Lasalle des Fausses Confidences puis immédiatement après, dans celle de Daniel  Mesguisch de Tête d’Or de Claudel… Et Monsieur de Pourceaugnac (avant de venir à Limoges !) à la Rose des Vents CAC de Villeneuve d’Ascq/Nord (direction P.E Heymann). En 1985 il crée la Compagnie Influenscènes avec Louise Doutreligne à Limoges. Il réalise plus de 7 spectacles en 4 ans (Teresada, Petites Pièces Intérieures, Croq d’ Amour à Domicile…). En 1988 il aborde l’Opéra et le musical avec l’Ensemble Baroque de Limoges (Succès des Amants Magnifiques au Théâtre de l’Athénée, de Didon et Enée à Sylvanès). En 1990 il est associé de la Coupole Scène Nationale de Sénart  qui co-produit notamment Don Juan d’Origine. A partir de 1994 il est Metteur en Scène Associé au Moulin du Roc/ Scène Nationale de Niort qui co-produit la suite des « Séductions Espagnoles» de Louise Doutreligne : Carmen, Faust, La Casa de Bernarda Alba reprise au TEP. Depuis 2000, parmi ses priorités, le retour aux premiers objectifs : se consacrer aux écritures et aux formes contemporaines (plastiques, vidéo, musicales…). Jean-Luc Paliès est en quelque sorte un « passeur d’œuvres » qui met en avant la transmission et les « mémoires » conjuguées au présent. Il fait partie des fondateurs du Théâtre d’Appartement en France. Il est l’inventeur de Scènes de Ménage à Domicile. Mais il est également l’inventeur d’autres concepts culturels comme les Cinédit à Cannes (entre 1997 et 1999), Vidéo-théâtre, La Lettre au Théâtre, Improvenance… J’ai eu la chance de rencontrer et même de travailler un peu avec Catherine et Jean-Luc lorsqu’ils étaient à Limoges, ce fut pour moi un vrai bonheur. J’ai aimé leurs recherches approfondies, leurs écritures, leur travail.

Daniel Soulier, né en 1950 à Bellac, fut ajusteur mécanicien, conducteur de locomotives à la S.N.C.F. (1965-70) – une expérience qui l’a fortement marqué –, acteur à partir de 1972 ; il a notamment travaillé avec Antoine Vitez, rencontré au Parti Communiste. Auteur de plusieurs pièces éditées par Le Bruit des autres, metteur en scène, marionnettiste, il a signé la féroce Après l’amour, très souvent jouée (Paris, Avignon, Limoges…), traduite, filmée, saluée par la critique, où un couple se déchire, patiemment, avec constance et opiniâtreté. Avec Clownesque, il s’est aussi intéressé au sort difficile des comédiens – une pièce que l’auteur offre, libre de droits, à toute compagnie qui veut la jouer. Grand lecteur de Maupassant, il a adapté avec bonheur quatre de ses contes et les a joués « seul en scène ».

Né en 1950, Eugène Durif dirigea en Limousin, la compagnie créée en 1991 avec Catherine Beau puis animée avec Karelle Prugnaud, « L’envers du décor ». Il poursuivait alors une œuvre originale. Après des études de philosophie, ce Lyonnais s’exerça à l’écriture dans des revues (Actuel) tout en étant secrétaire de rédaction dans des journaux (Le Progrès de Lyon, Le Matin de Paris). Il  fit du théâtre avec Bruno Boeglin, le Lazard dramatique, a adapté Ulysse, de Joyce, pour le metteur en scène Bruno Carlucci, puis de l’adaptation il passa à l’écriture théâtrale. Boursier du CNL en 1988 et 1996 et de la Fondation Beaumarchais en 1991, il a, parallèlement à ses activités d’écrivain, créé la collection «L’acte même» aux Éditions Comp’Act et participé à la revue Les Cahiers de Prospéro. Il a par la suite beaucoup écrit pour le théâtre, été édité (par exemple par Actes Sud papiers) et joué sur de nombreuses scènes, dont celle de L’Union (Filons vers les îles marquises) ou de l’Odéon. Dans La Croix, Didier Mereuze a écrit à son propos : « Son univers est celui des petites gens, de la mémoire intime prise dans le maelström des évènements et des souvenirs qu’on occulte ; celui encore du temps suspendu entre l’âge adulte et cette adolescence qu’on voudrait retenir, mais en vain… A la fois pudique et fragile, poétique et en tension permanente avec la parole, son écriture est celle de l’émotion directe. »

Joël Nivard, né très précisément le 22 juillet 1951 au 93 du faubourg Montjovis à Limoges, romancier (Denoël, Albin Michel…), est auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre – dont certaines, tendres et drôles, inspirées par le trolley, mode de transport collectif emblématique de Limoges –, créées par la Compagnie Asphodèle. Son objectif est de « produire un théâtre populaire et vivant, accessible au plus grand nombre, qui soit le reflet d’une réalité sociale et économique contemporaine. » J’ai particulièrement aimé son Limoges, avril 1905 (Le Bruit des autres, 2005) qui rapporte, par l’intermédiaire des gens du peuple, les célèbres « troubles de Limoges », en fait la grève générale contre des patrons exploiteurs.

Né en 1957 à Barbezieux, Christian Rullier, figure de dandy que j’avais croisé jadis à Limoges où il disait avoir « végété » pendant son adolescence, avant de s’en aller à Paris, où il fit de brillantes études de lettres jusqu’au doctorat, est mort en Thaïlande, âgé de 61 ans, en 2018. Comme l’a écrit Gilles Costaz, « il a été beaucoup joué, mais pas toujours apprécié à son exacte valeur, en raison de son goût des mots qui crépitent sans souci du bon et du mauvais goût. L’un de ses romans s’intitule Dernières Outrances. Tout Rullier est dans ce titre. Du moins tout son masque car, derrière ce grand rire féroce, il y a des souffrances, des brûlures, une tendresse, une sensibilité à vif qui est celle de notre temps et des écrivains les plus « modernes ». Ses pièces ont été traduites, lues et jouées dans bien des endroits du monde. Parmi elles : Le Fils, Annabelle et Zina, Football et autres réflexions, L’Orphelinat, Sur tout ce qui bouge, Sur Glane… Il a écrit également une vingtaine de films pour le cinéma et la télévision, des adaptations de Giono, Simenon et de Léo Malet, avec Nestor Burma, et co-écrit le scénario du film Outremer, qui a obtenu le prix de la critique au festival de Cannes 1990. En 2007, souhaitant poursuivre son apprentissage, il renoue avec sa passion de toujours du voyage (jeune homme, il avait déjà fait le tour d’Europe en solitaire et en vélomoteur Peugeot). Il décide d’explorer l’Asie et se fixe en Thaïlande. Jusqu’à ses derniers jours, il a travaillé à un roman.

François Cervantès, né à Tours en 1959, a suivi une formation d’ingénieur, puis a étudié le théâtre à l’Espace Acteur de Paris et à Montréal avec Eugène Lion. Il est auteur, metteur en scène et a créé en 1986 à Limoges la compagnie de théâtre L’Entreprise. En 2004, elle s’est installée à Marseille, à la Friche La Belle de Mai, « pour tenter l’aventure d’une troupe, d’un répertoire et d’une relation régulière avec le public. » En 1993, la rencontre avec Didier Mouturat, facteur de masques, a marqué le début de nombreuses années de recherches et de créations autour du masque. La collaboration entre François Cervantès et Catherine Germain, depuis plus de vingt ans, a donné lieu à une recherche approfondie sur le travail de l’acteur, notamment dans le domaine du clown et du masque. Il est également auteur de nouvelles, romans, et de textes critiques.

Patrick Filleul est le metteur en scène du Théâtre de L’Ecale, une compagnie fondée à Limoges en 1975, ce qui en fait la plus ancienne troupe de théâtre amateur de la région. Il est devenu auteur par la suite. Parmi ses écrits : On allait au bord de la mer, l’histoire d’une plage de la côte normande (mais ce pourrait être toutes celles qui nous sont familières) où, entre 1913 et 1999, se croisent les trois générations de deux familles, ballottées par les grandes crises et les petits bouleversements de l’histoire. Filleul disait qu’il avait voulu écrire « une chronique intimiste qui tente de capter l’air du temps. C’est une saga minuscule, un roman-feuilleton miniature, un album de photos à feuilleter les larmes aux yeux ou le rire aux coins des lèvres. »

Philippe Labonne, né en 1963, fonde en 1988 sa compagnie, Le Théâtre en Diagonale et signe en 1989, sa première mise en scène : Cabaret Berlioz ou la vie Privée d’un Romantique, fantaisie dramatique en un prologue et huit parties, que je publie aux Editions Analogie. Comme l’écrit alors l’auteur : « Berlioz, l’Europe entière vénère l’homme et le musicien, la France ignore l’un, et fait à l’autre l’aumône de quelques concerts commémoratifs. Nous rendons hommage à celui qui fut l’un des chantres du Romantisme français et qui bouleversa l’univers musical du XIXème. Il hurle à tout vent et à qui veut l’entendre, depuis près de deux siècles, que sa vie est un roman. Donnons-lui ce plaisir – que risquons-nous ? – Croyons-le ! ». Le spectacle est créé en février 1989 au Théâtre de La Passerelle (Limoges) puis repris au Théâtre Montorgueil à Paris, en mars-avril 1990. C’est un succès. Labonne n’est pas qu’un auteur, c’est aussi un excellent comédien et un metteur en scène. Après des études de Droit et d’Histoire, après avoir été animateur sur la radio HPS Diffusion et bassiste  du remarqué groupe limougeaud punk-rock Raff (inspiré par les Sex Pistols, The Clash ou The Who) avec Stef Teff, futur leader des Ejectés, il entre en 1985 aux Ateliers du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis dirigés par Daniel Mesguich et animés par Philippe Duclos. C’est sans doute ce qui en fait l’un des comédiens limousins à la plus belle diction. De 1985 à 2014, il travaille en tant que comédien sous la direction de Mesguich (Hamlet, Boulevard du Boulevard, Don Juan), Michel Bruzat – à mon avis ses plus beaux moments de comédien – (L’Arlésienne, Le Misanthrope, La Cerisaie, Décadence, Candide, Ubu, Les Caprices de Marianne, Le neveu de Rameau, Scènes de la vie Conjugale, La Pluie d’Eté, Lettre au père, Antigone…), Philippe Duclos, Max Eyrolle, Geneviève Schwoebel, Antoine Régent, Guy Lavigerie, Jean-Jacques Etcheverry, Daniel Ogier, Pascale Lemée, David Gauchard, Gérald Dumont. Depuis 1990, il a réalisé de nombreuses mises en scène comme Paroles d’Hommes[5], George Dandin, Les Instants Giraudoux, Pique-Nique, Jean l’Enchanteur ou le Cancre Inspiré, Nous les petits, Les sans-grade, A la gauche de Dieu, L’Échange, A l’heure où l’on s’embrasse, La Cerisaie, La Station Champbaudet, Le Coeur à Rire, Victor ou les Enfants au Pouvoir, Orion le Tueur, Le Système Ribadier, Nestor Burma, détective de choc, Drôle(s) de Dame(s), Le dernier jour d’un condamné, Lucrèce Borgia. Pour la compagnie Méli Mélo Fabrique, il met en scène plusieurs spectacles jeune public. Il conçoit et réalise pour le Festival National de Bellac le documentaire : Un Impromptu à Bellac, émission fictive tournée en public et en direct autour d’une interview de Jean Giraudoux. Il s’est également investi dans des projets lyriques.

Muriel Mingau, née en 1961 à Nontron, en Dordogne, a passé 30 ans de sa vie à Paris. Son parcours éclectique l’a conduite à faire des études de lettres, du théâtre et de la gestion-comptabilité. Depuis les années 90, elle a choisi de se consacrer uniquement à l’écriture. Elle est journaliste au Populaire du Centre pour lequel elle couvre régulièrement le théâtre. D’origine haïtienne par son père, elle a déclaré se sentir touchée par la littérature francophone et celle née des froidures belges, québécoises, etc. Elle se sent aussi interpellée par la problématique Nord/Sud. Parmi ses publications, La Fête est finie, lu au Centre dramatique de Limoges, un texte inventif et fantaisiste, entre monologue sur le deuil, dialogue familial et poésie prévertienne. Dans Paradis à perdre, présenté au Centre culturel Jean Gagnant, il est question de l’ « écume d’humanité », de rencontres, d’interrogations incessantes, de souffrances, d’incompréhensions mutuelles, depuis l’esclavage, depuis la colonisation, depuis toujours peut-être (on l’a dit, le paradis est perdu…) ; parfois même il s’agit de ceux qui sont étrangers sur leur propre terre. Les dépossédés, les proscrits, voilà ceux à qui l’auteur prête sa voix empathique. Les Noirs, les Amérindiens, les Polynésiens, et tous les autres. Soumis par la force et pour l’argent[6].

Né le 1er décembre 1963 à Paris, c’est à Limoges que Xavier Durringer créa sa compagnie (sa tribu), La Lézarde. Surfeurs, un spectacle créé en 1998 au théâtre de l’Union poursuivit son chemin jusqu’au festival d’Avignon (avec vingt minutes en moins). Il avait alors déjà dix pièces et deux longs métrages à son actif, La Nage indienne et J’irai au paradis parce que l’enfer est ici. Surfeurs, c’est l’histoire « d’un homme politique qui en remplace un autre et part dans un combat plein de bonne volonté contre le chaos. Mais il se trouve très vite plongé dans un monde qu’il ne connaît pas, où l’on ne sait qui dirige qui et quoi. Tous surfent à la surface de la réalité. Interchangeables, tous attendent la grande vague fabuleuse. Une pièce sur les combats, les utopies et le pouvoir, une histoire de tous les fascismes ordinaires. » En 2011, son film La conquête, avec Denis Podalydès, évoquait à la manière d’un thriller l’ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy, de sa nomination au poste de ministre de l’Intérieur en 2002 à son élection à la tête de l’État français en 2007. En 2019 est sorti sur les écrans Paradise Beach. Durringer travaille aussi pour la télévision (Ne m’abandonne pas, un téléfilm à propos de la déradicalisation qu’il a réalisé pour France 2 a été récompensé en 2017 à New-York par un International Emmy Award) et ses œuvres ont été publiées pour la plupart aux Editions théâtrales.

Filip Forgeau, né en 1967 («arrivé à Limoges à 4 ans, j’en suis reparti à 17 dans les années 80, car c’était une ville morte»), est auteur de théâtre – une trentaine de pièces –, de cinéma, metteur en scène, directeur de la Compagnie du désordre qui a voyagé de région en région, auteur de récits/romans. Sa troupe, aussi bien que lui-même, ont bénéficié de nombreuses aides, en particulier de l’Etat. De 2002 à 2012, il met en place dans le Limousin un rendez-vous institutionnel des écritures contemporaines théâtrales et littéraires : « Les Auteurs vivants ne sont pas tous morts » et en 2006, il prend la direction de « La Fabrique/Saison culturelle de la Ville de Guéret » qui devient « Scène Conventionnée pour les écritures du monde et les musiques » en 2009. Viande, chair et langue sont ses obsessions thématiques de création littéraire (avec L’Etal par exemple) et théâtrale (Pas de quartier pour ma viande – un siècle avant lui, André Antoine avait pendu des quartiers de viande sur scène). Auteur parfois controversé, il appartient à ce courant théâtral démonstratif (Hôtel des sacrifiés, Platonov) et plein d’humeurs (sang, sperme, sueur et rage…).

Né à Limoges en 1971, Franck Villemaud y réside depuis. Après une maîtrise de lettres modernes consacrée à la littérature populaire, il s’oriente vers l’animation culturelle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et d’une dizaine de pièces de théâtre. Ses textes s’articulent principalement autour du thème de la nature humaine et de tout ce qui se cache derrière ce que chacun décide de montrer de lui. Il s’est intéressé au polar, au roman policier, que ce soit avec le roman Palissade, ou des publications aux éditions Geste ; il a monté sur scène des polars théâtraux avec sa Compagnie Untel et Celui-là. J’avais beaucoup aimé son livre Comme si elle n’était pas là, suite de courts textes sensibles autour de la disparition de sa mère (2006) et Le petit cirque des mots, entre poésie et théâtre, ayant donné lieu à une mise en scène de Kamel Abdelli.

Thomas Gornet, né en 1976, a mis en scène des textes de Lagarce et Lerch. Il a été comédien et/ou assistant pour Silviu Purcarete, Emilie Valantin, Bertrand Bossard, Les Brigands, Jorge Lavelli, François Gérard (La Manivelle), Johanny Bert. Avec sa compagnie, le Dagor, il crée des spectacles pour le jeune public dont Tout contre Léo de Christophe Honoré, Lapin d’après Malika Doray ou encore Culotte et Crotte de Nez d’après Alan Mets. Il est auteur à L’École des Loisirs depuis 2006.

Né en 1977, Alexandre Josse dirige le Théâtre des Gavroches à Brive. Il est l’auteur de 8 pièces de théâtre. (La nuit des Gavroches, Intérimeurtre, Contrat de vie à durée déterminée, Azaîs la dernière fée de Bougaya, Atalaya, sorcière de Bougaya, Aristide le faune fou de Bougaya, L’odyssée d’AL et Lâche ma Zappette). Certaines de ses pièces ont été éditées par Black-Out (dirigées par Fabrice Garcia-Carpintero), parfois jouées au festival d’Avignon.

Après avoir suivi l’enseignement de Michel Bruzat (qui l’a mis en scène à plusieurs reprises à La Passerelle dans de beaux spectacles) au sein des ateliers du théâtre de la Passerelle et du conservatoire dramatique de Limoges, Yann Karaquillo – comédien de talent, souvent dans le registre de « l’écorché », à fleur de peau et de verbe – a travaillé avec Philippe Duclos. Il a également été mis en scène par Philippe Labonne et d’autres. En 1995, il crée la compagnie « La Corde verte » (réactivée en février 2017 à Limoges) pour laquelle il met en scène entre autres Roberto Zucco, Dans la solitude des champs de coton de B.M Koltes, Mort à crédit de L.F. Céline, ou Zoo Story d’E Albee. Les comédiens Nadine Béchade, Mathias Aubrun, Marie Thomas, Elsa Dourdet, Flavie Avargues, Claude Gélébart, Juliette Farout, Franck Roncière, Christophe Chataignon ont participé à cette aventure. Sur Facebook, Yann écrit : « Nous jouons Albee, Durif, Koltès, Brizon, Céline, Cendrars, Federman, Dagerman, Gary. Mais aussi des textes de notre cru, traversant les écritures de textes contemporains, les « écritures de plateaux », empruntant aux « performances » de plasticiens si interrogeantes sur la place de l’objet, du regard… L’acteur au centre. Nous jouons du « répertoire »  dans la rue c’est-à-dire que nous nous frottons longtemps non pas au « théâtre de rue » mais au théâtre dans la rue… » En 2019, au Théâtre des Carmes d’Avignon, Denis Lavant a lu L’Acte d’amour de Karaquillo, une pièce pour 13 personnages.

Dans la continuité de sa formation en philosophie et de comédienne au Conservatoire National d’Art Dramatique de Région du Limousin, Elsa Dourdet est diplômée de la FEMIS, département scénario. Auteur, elle écrit Poisson d’avril (prix du scénario au Festival de Clermont-Ferrand), Petite miss (sélection au 8e Festival International des Scénaristes) et en tant que scénariste, Chicanes (de Lucia Sanchez), Darling (de Christine Carrière), etc. Elle a joué sous la direction de Xavier Durringer, Silviu Purcarete, Philippe Awat, Michel Bruzat. Elle a collaboré à diverses compagnies, comme Les Apostrophés. On l’a aimée en 1999 dans le film Qui plume la lune de Christine Carrière, avec Jean-Pierre Darroussin et Garance Clavel.

 

Pierre Michon et le théâtre

Le grand écrivain français Pierre Michon est né le 28 mars 1945, aux Cards, dans la Creuse où ses parents étaient instituteurs. Lycéen à Guéret, il étudie ensuite les lettres à l’université de Clermont-Ferrand (où il prépare une maîtrise sur le théâtre d’Artaud). Son premier texte paraît lorsqu’il a trente-sept ans, après quelques années consacrées aux études littéraires et au théâtre.

Sur le site de sa galerie d’Aix-en-Provence[7], Alain Paire a livré un témoignage particulièrement intéressant à propos de Michon et du théâtre à la fin des années soixante, à Clermont : « Survint la rentrée de 1966 (…) Marcel Col retrouvait pour ce moment de rentrée un ami proche, Jean-Gil Grandet qui s’était chargé de recruter parmi les étudiants de la Faculté des Lettres des apprentis-comédiens. Jean-Gil avait été élève au lycée de Guéret ; cet acteur-musicien-chanteur, ce barbu gentiment moqueur entraînait avec lui le Creusois Pierre Michon. » On joue Les Bas-fonds de Gorki : « Marcel Col assumait simultanément le rôle du metteur en scène et du personnage majeur de la pièce : chez Gorki, il serait « Le vieux ». Bernard Maume était « L’Acteur », Pierre Michon devint « Le Baron »… » Le spectacle fut présenté deux fois à Riom, le 13 et le 14 mai 1967, quelques jours plus tard à Clermont-Ferrand, sur la petite scène de L’Essai, rue Torrilhon. « En ce temps-là, Pierre était étonnamment généreux, il ne se satisfaisait jamais de ce qui pouvait arriver ; il venait chercher autrui, il allait à la rencontre de ses amis. Il me semble qu’entre autres raisons le théâtre le requérait parce qu’il lui permettait de pratiquer des essais de voix (…) Ce qui n’était jamais lassant dans sa conversation, ce qui ouvrait soudainement des tas de perspectives, c’étaient les innombrables citations dont il gratifiait ses interlocuteurs, les assonances des anecdotes qu’il nous livrait (…) Bien qu’il n’ait rien publié, Pierre Michon était foncièrement, à mes yeux, »un écrivain », tout au moins un extraordinaire éclaireur, un aventurier qu’il fallait spontanément situer du côté de la littérature. » Il faut aller lire la suite de cet incomparable témoignage.

En 1969, Michon, maoïste, s’engage dans la troupe de théâtre Kersaki avec laquelle il investit les usines, la rue. Le propos est révolutionnaire. Vivant en communauté, dans une maison prêtée par la municipalité de Clermont-Ferrand, avec un salaire constitué de tickets de resto-U, Pierre Michon s’essaie à jouer les acteurs-décorateurs-agitateurs jusqu’en 1971. Et puis le mouvement se décompose, la communauté se délite. « Quand l’expérience théâtrale s’est effondrée, si j’avais rencontré un réseau terroriste, je m’y serais engagé. C’était la seule issue pour ne pas entrer dans la société civile. » L’échec du mouvement de 68 devient alors un nouveau deuil à porter. Toute sa négativité, qui avait trouvé un moyen d’expression, un lieu de communion avec la masse, avec les frères, toute cette révolte, se retrouve renvoyée à elle-même. C’est l’ère du chaos qui s’ouvre, pour un Pierre Michon au bord de la clochardisation[8]

L’œuvre de Michon a été adapté sur scène, par exemple par la compagnie du Théâtre de l’Argile (Mainvilliers), de Jean-Christophe Cochard, qui a proposé les Vies minuscules – une performance théâtrale hors du commun, de plus de six heures, pour donner à entendre l’intégralité du texte.

L’écrivain est par ailleurs l’une des chevilles ouvrières des Rencontres de Chaminadour à Guéret, qui accueillent chaque année, à l’automne, des conférences et tables rondes littéraires mais aussi des spectacles théâtraux.

IvanP. Nikitine et Alexis Litvine àune soirée organisée par Analogie au Café de laplage à Limoges,années 90 (c) L.Bourdelas

On aura donc découvert ici un panorama assez large – et peut-être insoupçonné – des auteurs dramatiques limousins ou passés par cette région décidément bien inspirante. J’en oublie très certainement. Et je ne voudrais pas achever cette partie sans citer mon ami poète Ivan Pavlovitch Nikitine, vieux compagnon de route, né en 1947 à Agen, disparu en 2019. Il a traduit de nombreuses pièces de théâtre de Gogol, Ostrovski, Tchékhov, Boulgakov, Nabokov, ainsi que plusieurs dramaturges russes contemporains. Il était l’un des interprètes des plus grands metteurs en scène russes de théâtre et avait assuré des traductions dans le cadre de sessions de l’Académie théâtrale de L’Union[9]. En 1996, il apporta à ma revue Analogie la pièce inédite et traduite La Mort de Vladimir Nabokov, découverte par Alexis Litvine.

 

 

[1] Site Babelio.

[2] Fondée en 1991 par Jean-Louis Escarfail, ancien cheminot, militant C.G.T., ancien de Radio Luttes à Limoges, il s’agissait d’une maison d’édition installée en Limousin et publiant essentiellement du théâtre, des récits, une certaine poésie. Elle a notamment publié des auteurs liés au Festival des francophonies. Elle a cessé ses activités au bout de 25 ans.

[3] Son père, prisonnier dans un stalag  pendant la guerre, disait qu’il avait été sauvé en voyant une représentation de Labiche.

[4] Claude Brûlé, discours de remise de l’Ordre national du mérite à Claudine, en octobre 2011.

[5] D’après mes textes et ceux de l’écrivain Bernard Cubertafond, avec la comédienne Patricia Clément.

[6] Ma critique complète ici : http://lecarnetderoutedelaurentbourdelas.blogspot.com/2012/12/paradis-perdre-de-muriel-mingau.html?m=0

[7] http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=165:1967-1968-pierre-michon-et-latelier-theatral-riomois&catid=7:choses-lues-choses-vues&Itemid=6

[8] T. Guichard, Le Matricule des Anges, Numéro 05 de décembre 1993 – janvier 1994.

[9] Et avait aussi collaboré, hors Limousin, avec ARTA, Association de Recherche des Traditions de l’Acteur (La Cartoucherie).

20 Déc

Fabrice Varieras, Corrèze, La Geste, 2019

 

Né en 1971 à Tulle en Corrèze, Fabrice Varieras est géographe de formation, CPE des classes préparatoires du vénérable lycée Gay-Lussac à Limoges, chroniqueur gastronomique de talent au Populaire du Centre et photographe doué, dont les clichés ont été publiés dans plusieurs livres chez divers éditeurs.

Placé sous les auspices de Julien Gracq et de Pierre Bergounioux, grands écrivains sensibles aux routes, aux cartes et aux paysages, mais aussi de la poète-paysanne Marcelle Delpastre, le nouvel ouvrage de Fabrice est tout entier dédié à sa Corrèze natale, dont il magnifie les couleurs, les atmosphères, les paysages et les villages avec beaucoup de maestria, tout en émaillant l’ensemble de notes poétiques bienvenues. Quiconque aime la nature et le Limousin trouve beaucoup de plaisir à parcourir ces pages grand format, en couleurs et en noir et blanc, souvent baignées des lumières matinales qu’apprécie le photographe et qu’il sait capter dans toute leur subtilité.

A la grandeur magnifique des paysages et des arbres du plateau de Millevaches, répondent les « sentinelles », crucifix, statues de la Vierge Marie, sculptures romanes des chapiteaux, monuments aux morts. Aux chemins bordés de prairies infinies où broutent doucement les bovins, répondent les routes départementales qui n’ont rien à envier à la route 66 américaine. Aux tourbières enchantées et aux pavés des villes répondent les serres, les sillons, les rails et les ponts.

L’apprenti (ou plutôt le maître) stoïcien qu’est Fabrice Varieras sait aussi photographier le détail incertain ou insolite, l’architecture surprenante, l’objet obsolète, les traces du passé comme celles de la modernité. Ainsi, même s’il se dégage de ce bel album comme un parfum tenace de nostalgie – au moment où le Limousin se fond dans la « Nouvelle Aquitaine » –, rien n’est oublié d’une certaine contemporanéité. Et puis il y a l’humour qui se dégage de certaines photographies, qui convoque immédiatement un sourire amusé mais bienveillant, lorsque l’on contemple un alignement de slips sur un fil à linge, ou les contrastes entre certains noms de boutiques et la banale réalité de leur environnement.

Il y a peu d’hommes et de femmes dans ce livre (mais il y a de beaux animaux…), mais leur trace sensible est partout présente, puisque en bon géographe, Fabrice Varieras sait qu’ils façonnent le paysage depuis des siècles en cette « petite patrie » ouverte sur l’universel qui est la sienne (il adopte le slogan « 100% corrézien ») et que j’aime aussi beaucoup. Il nous donne à voir le berceau d’une véritable civilisation, un pays qui inspira les troubadours médiévaux parmi les plus célèbres, qui fut peuplé de moines exceptionnels, comme ceux d’Aubazine, de seigneurs fougueux (jusqu’à Jacques Chirac), et de tout un peuple travailleur, opiniâtre et poète à ses heures.

On s’arrête à chaque page et l’on s’absorbe dans une contemplation d’une Corrèze que l’on préfère cette fois au Zambèze, le temps d’une lecture, et où s’affirme un peu plus l’œil photographique d’un capteur de fugitives impressions doué.

 

Laurent Bourdelas, Groupement des Radios Associatives Libres du Limousin, 20 décembre 2019.

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