01 Fév

Un humour limousin et limougeaud

Photo de droite: à Saint-Just-le-Martel (c) L. Bourdelas

 

Il y a peu, le ministre de la culture a émis l’idée de mettre en place quelque part en France une structure dédiée au dessin satirique et d’humour. En fait, cela existe depuis plusieurs décennies tout près de Limoges, à Saint-Just-le-Martel. Les Limousins, les Limougeauds, savent en effet fort bien utiliser leurs zygomatiques.

Il est vrai que l’autodérision a parfois été de mise, bien aidée par les torrents de moqueries qui se déversèrent sur notre province des siècles durant. Yannick Beaubatie s’en amusa en publiant chez Fanlac, en 1999, Comment peut-on être limousin ?, une anthologie de citations diverses sur le Limousin, arguant « comment mieux blesser notre vanité, dégonfler nos baudruches, qu’en nous efforçant d’en rire ? ».

Longtemps, l’indigène a apprécié la gnorle – de l’occitan nhòrla –, blague ou histoire drôle souvent pleine d’esprit, parfois crue, se moquant des petits travers de chacun, en prose ou en vers. Edouard Cholet (1833-1917), banquier à Limoges de son état, inaugura, à l’âge de 47 ans, une carrière d’auteur et de conteur de gnorles sous le nom de plume de Lingamiau (« langue à miel »), dans la langue du peuple de Limoges et des campagnes limousines. Autre conteur et nhorlaire, André Dexet (1924-1997), dit Panazô, dont les parents étaient métayers à Panazol. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il intégra la Résistance et, après-guerre, il fut journaliste à l’Écho du Centre en tenant les chroniques Lu Bouéradour din lu toupi. Elles furent si populaires que Panazô intervint sur Radio Limoges pour les raconter, battant des records d’audience ; il publia également plusieurs livres, notamment chez Fayard. Jan dau Melhau sait pratiquer un humour fin et poétique, comme dans Au rier-lutz dau silenci (« A l’ombre du silence »), où on peut lire des sortes de « fusées » ou de sentences ironiques : « Les papillons, on dirait toujours qu’ils ont la maladie de Parkinson » ou « ses coussins se gonflent de l’air de son cul, de l’air de sa tête. »

Françoise Etay a montré qu’au sein de l’important corpus de chansons recueillies en Limousin, on remarque un très grand nombre de textes relevant de la critique politique ou sociale, ainsi qu’une profusion de chansons moqueuses, jusqu’à se demander si la façon dont le faible se moque du puissant en le brocardant en chansons ne serait pas un trait spécifiquement local.

On lira aussi avec intérêt et amusement le poète Georges Fourest.

Pierre Desproges se proclama un jour comme le « seul dépositaire de l’humour limousin. » Ses grands-parents étaient commerçants à Châlus, il aimait beaucoup la région. Pour preuve son unique roman Des femmes qui tombent, sorte de polar déjanté dont l’intrigue se déroule dans un petit hameau Limousin dénommé Cérillac. Il y décrit avec sagacité la vie rurale qui pourrait être celle qu’il a connue à Châlus, et colore les lieux de son humour si particulier. Citation : « nous avons notre sensibilité limousine. Nous avons bien sur notre humour limousin qui n’appartient qu’à nous. Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine peu perméable aux Chouans. Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre. »

0n ne dira pas que tout natif de la région est un banturle, un « glandeur » – un dilettante –, un flagorneur, qui passe son temps à le perdre, mais il en est un qui revendiqua le titre : Yves Désautard (1943-2015), descendant de maçons creusois, ancien du Petit conservatoire de Mireille dans les années 60. Musicien fou d’accordéon, chansonnier, comédien un temps parisien, il participa à la naissance de Radio France Creuse et lança sa légendaire émission Le café des Banturles. Ses chroniques racontaient ce Limousin qu’il connaissait si bien et ses spectacles avec Christophe Dupuis et Jean-François Julien, comme Dernier bistrot avant la Creuse, enchantaient les spectateurs.

Saint-Just-le-Martel devient chaque automne, depuis 1982, l’une des capitales de l’humour en accueillant le Salon international du dessin de presse et d’humour créé par l’ancien maire Gérard Vandenbroucke. Chaque année, il décerne un très prisé « Grand prix de l’humour vache » dans une ambiance bon enfant et son succès a contribué à faire sortir de terre un actif Centre International de la Caricature, du Dessin de Presse et d’Humour. Loup, Cabu, Wolinski, Plantu, Wiaz, Mofrey et beaucoup d’autres, venus du monde entier, ont participé à l’aventure. Après que des terroristes islamistes s’en sont pris à Charlie Hebdo en janvier 2015, Maryse Wolinski a choisi de faire don du contenu du bureau de son mari au Salon où il a été reconstitué avec ses étagères, livres, table à dessin, bureau, jusqu’à la cheminée et aux bibelots. Le découvrir derrière des murs vitrés procure une grande émotion. Il n’est pas anodin que face à la barbarie, un grand rire parte du Limousin chaque mois d’octobre…

(Texte paru également dans Le Populaire du Centre)