12 Fév

Sarane Alexandrian, pensionnaire au lycée Gay-Lussac en temps de guerre, dadaïste et résistant à la campagne

Photo extraite du site à visiter: http://www.sarane-alexandrian.com/SA_Fr/Presentation.html

 

Pendant la Seconde guerre mondiale, le lycée Gay-Lussac abrita – entre autres élèves – un pensionnaire venu de fort loin : Lucien – surnommé Sarane par sa nourrice indienne – Alexandrian, né le 15 juin 1927 à Bagdad où son père avait été nommé stomatologiste du roi par Fayçal Ier. Alors que Sarane est enfant, il est atteint par la poliomyélite, et ses parents décident de l’envoyer se faire soigner en France. Il est accueilli à Paris par sa grand-mère maternelle, Sandrine Collin, et poursuit ses études au lycée Condorcet. L’été 1939, ils partent en vacances à Peyrat-le-Château, où la guerre les surprend. Et comme il faut bien continuer à étudier, Sarane devient pensionnaire au lycée de Limoges (qui compte un peu moins d’un millier de garçons) ce qui, à cette époque, n’est vraiment pas du luxe : les bâtiments sont anciens, humides, les dortoirs grands et mal chauffés, interminables avec leurs lits alignés côte à côte, les WC sont en plein air et à la turque, on se lave tant bien que mal, la nourriture n’est guère appétissante, ni abondante. Nul doute que, comme les autres internes, le jeune homme porte une blouse grise.

Le proviseur de l’établissement est alors Joseph Storck, dont un nom de salle rappelle aujourd’hui la mémoire – il est « Juste parmi les Nations ». Il est en poste de 1938 à 1944, et il sauve de nombreux pensionnaires juifs en leur donnant de fausses identités fabriquées dans son imprimerie clandestine. Il les cache lors des perquisitions de la Gestapo et de la Milice ; il place les jeunes en danger dans des familles d’accueil. Il veille à maintenir le calme au lycée. A la fin de l’année 42, alors que Sarane avait à peine quinze ans, une quarantaine de ses ainés participaient au réseau de résistance dit « 17ème Barreau ».

A l’été 1943, le jeune Sarane part en vacances à Peyrat, où il fait la connaissance de Raoul Hausmann, qui y est également réfugié, depuis trois ans, sur les conseils de son ancienne logeuse à Paris, originaire de la petite ville limousine. Pour survivre, menacé car apatride et considéré par les nazis comme un artiste dégénéré, proche de Guingouin et de la Résistance, il donne des leçons d’anglais, d’allemand et d’espagnol. Le jeune pensionnaire de Gay-Lussac ne peut qu’être intéressé par cet ancien membre du groupe des peintres expressionnistes berlinois Der Sturm, fondateur en 1917 de dada à Berlin, inventeur du photomontage, acteur chez Piscator durant la république spartakiste, ami de Bertolt Brecht, Kurt Schwitters, Hans Arp, Max Ernst, Alexandre Dovjenko, Moholy-Nagy et bien d’autres, qui vit à Peyrat avec sa femme Hedwig et entretient une relation avec une jeune fille rencontrée en Limousin, Marthe Prévot.

Sarane Alexandrian a confié : « Lors de nos promenades dans les châtaigneraies, Hausmann m’entretenait pêle-mêle, avec son accent germanique, de choses qu’on n’apprenait pas à l’école. Ce super-anarchiste (…) tournait sans cesse en dérision la dictature du prolétariat, à laquelle il opposait « la proctature du dilétariat », qui représentait l’état d’une société anarchique où tout est permis. »[1] L’élève de Gay-Lu participe à des actions des maquisards du Limousin, comme des opérations de réception d’armes parachutées.

A la Libération, le jeune homme publie des poèmes et un article sur Raoul Hausmann, dans le journal Unir – l’organe des jeunes du Mouvement de Libération Nationale – et dans un recueil collectif intitulé Couronne de vent. La direction d’Unir a été confiée à un « ancien de Gay-Lu », qui n’était guère assidu au lycée, FTP de vingt-trois ans, poète et futur écrivain du Vin des rues : Bob Giraud. Bientôt, celui-ci va partir avec son journal à Paname et en tomber amoureux. Bientôt aussi, Sarane Alexandrian regagne la capitale, où ilva suivre des cours à l’Ecole du Louvre et continuer à publier, avant de rencontrer André Breton en 1947 et devenir surréaliste, mais c’est une autre histoire…

 

[1]  http://www.sarane-alexandrian.com/

 

(Texte paru dans Le Populaire du Centre)