20 Déc

Fabrice Varieras, Corrèze, La Geste, 2019

 

Né en 1971 à Tulle en Corrèze, Fabrice Varieras est géographe de formation, CPE des classes préparatoires du vénérable lycée Gay-Lussac à Limoges, chroniqueur gastronomique de talent au Populaire du Centre et photographe doué, dont les clichés ont été publiés dans plusieurs livres chez divers éditeurs.

Placé sous les auspices de Julien Gracq et de Pierre Bergounioux, grands écrivains sensibles aux routes, aux cartes et aux paysages, mais aussi de la poète-paysanne Marcelle Delpastre, le nouvel ouvrage de Fabrice est tout entier dédié à sa Corrèze natale, dont il magnifie les couleurs, les atmosphères, les paysages et les villages avec beaucoup de maestria, tout en émaillant l’ensemble de notes poétiques bienvenues. Quiconque aime la nature et le Limousin trouve beaucoup de plaisir à parcourir ces pages grand format, en couleurs et en noir et blanc, souvent baignées des lumières matinales qu’apprécie le photographe et qu’il sait capter dans toute leur subtilité.

A la grandeur magnifique des paysages et des arbres du plateau de Millevaches, répondent les « sentinelles », crucifix, statues de la Vierge Marie, sculptures romanes des chapiteaux, monuments aux morts. Aux chemins bordés de prairies infinies où broutent doucement les bovins, répondent les routes départementales qui n’ont rien à envier à la route 66 américaine. Aux tourbières enchantées et aux pavés des villes répondent les serres, les sillons, les rails et les ponts.

L’apprenti (ou plutôt le maître) stoïcien qu’est Fabrice Varieras sait aussi photographier le détail incertain ou insolite, l’architecture surprenante, l’objet obsolète, les traces du passé comme celles de la modernité. Ainsi, même s’il se dégage de ce bel album comme un parfum tenace de nostalgie – au moment où le Limousin se fond dans la « Nouvelle Aquitaine » –, rien n’est oublié d’une certaine contemporanéité. Et puis il y a l’humour qui se dégage de certaines photographies, qui convoque immédiatement un sourire amusé mais bienveillant, lorsque l’on contemple un alignement de slips sur un fil à linge, ou les contrastes entre certains noms de boutiques et la banale réalité de leur environnement.

Il y a peu d’hommes et de femmes dans ce livre (mais il y a de beaux animaux…), mais leur trace sensible est partout présente, puisque en bon géographe, Fabrice Varieras sait qu’ils façonnent le paysage depuis des siècles en cette « petite patrie » ouverte sur l’universel qui est la sienne (il adopte le slogan « 100% corrézien ») et que j’aime aussi beaucoup. Il nous donne à voir le berceau d’une véritable civilisation, un pays qui inspira les troubadours médiévaux parmi les plus célèbres, qui fut peuplé de moines exceptionnels, comme ceux d’Aubazine, de seigneurs fougueux (jusqu’à Jacques Chirac), et de tout un peuple travailleur, opiniâtre et poète à ses heures.

On s’arrête à chaque page et l’on s’absorbe dans une contemplation d’une Corrèze que l’on préfère cette fois au Zambèze, le temps d’une lecture, et où s’affirme un peu plus l’œil photographique d’un capteur de fugitives impressions doué.

 

Laurent Bourdelas, Groupement des Radios Associatives Libres du Limousin, 20 décembre 2019.

18 Déc

Les auteurs dramatiques en Limousin (6)

Jean Giraudoux naît à Bellac en 1882 et meurt à Paris en 1944. Le visiteur peut découvrir sa maison natale au 4 de la rue Jean Jaurès où est apposée une plaque commémorative. Les travaux des giralduciens, comme Jacques Body, regroupés en une « Académie Giraudoux »[1], ont œuvré pour conserver la mémoire de l’homme de lettres et éclairer son œuvre. Normalien, il fut diplomate et écrivain mais aussi l’un des plus grands dramaturges de son temps.  En 1928 : Siegfried, en 1929 : Amphitryon 38, en 1933 : Judith et Intermezzo. Il fait aussi des conférences sur le théâtre à l’université des Annales. En 1935 : La guerre de Troie n’aura pas lieu et Supplément au voyage de Cook, en 1937 : Électre et L’Impromptu de Paris, en 1938 : Cantique des cantiques, en 1939 : Ondine, en 1943 : Sodome et Gomorrhe ; Puis ce sont les représentations posthumes de ses œuvres : La Folle de Chaillot (1ère représentation : 1945, par Jouvet rentré d’Amérique, donnée à l’occasion du « Gala des résistants de 1940 », en présence du général De Gaulle), Pour Lucrèce (1ère représentation : 1953). En préface au Théâtre complet paru en 1991 dans la collection La Pochothèque,        Guy Teissier parle justement d’un « théâtre classique du XXème siècle » et cite Giraudoux évoquant son plaisir de travailler au milieu d’éléments qui pénètrent l’auteur dramatique : « les décors, les voix, les interprètes. » Bellac apparaît à diverses reprises dans l’œuvre de l’écrivain et dramaturge. Dans Jean Giraudoux, la légende et le secret (P.U.F., 1986), Jacques Body écrit : « … faute de sang bleu et d’ancêtres, un diplomate très distingué, un écrivain choyé, une gloire du Tout-Paris, va mettre son point d’orgueil à rappeler qu’il est natif d’un bourg inconnu nommé Bellac et qu’il a appris à parler le français à l’école des Limousins. »

Edmond Blanc (Bujaleuf, 1889-1955), aéronaute, collaborateur de diverses revues, vit ses pièces jouées au Théâtre Marigny ou au Théâtre des Arts.

Le creusois Edmond Panet a écrit des romans limousins et des pièces en un acte, publiées pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que L’Idylle au hameau (1956). L’auteur illustrait lui-même ses œuvres.

[1] http://jeangiraudoux.org/institutions/

Son compatriote Michel Arnaud, traducteur et adaptateur de pièces ou de romans pour la télévision, vit sa pièce D’après nature ou presque,  pièce en 3 actes, jouée en 1942 au théâtre des Mathurins à Paris. Sept amis sont réunis dans un pavillon situé sur une petite île. Paul et Bilbo écrivent un feuilleton policier pour un grand quotidien. Au départ, un crime parfait, tellement parfait que les auteurs eux-mêmes n’arrivent pas à en trouver la solution. Alors qu’ils passent une soirée agréable avec leurs amis, le pavillon est, comme dans leur roman, isolé par une crue du fleuve et le meurtre imaginé par Paul et Bilbo est réellement commis. Le criminel est nécessairement l’un des six survivants. La pièce a été jouée à diverses reprises, par exemple au Vingtième théâtre à Paris en 2013 dans une mise en scène de Raphaëlle Dubois. La pièce a été diffusée le 15 octobre 1957 à l’O.R.T.F. par Marcel Cravenne avec Michel Piccoli, Malka Ribowska, Pierre Mondy, Anna Gaylor, Jean Muselli, Jean Pierre Kerien et Elisa Lamothe. On peut la voir sur le site de l’I.N.A[1].

Né à Tulle en 1889, mort à Bellac en 1948, l’écrivain Charles Silvestre, distingué notamment par le Prix Fémina en 1926, puis un prix de l’Académie Française dix ans plus tard, sut chanter avec beaucoup de talent sa terre limousine dans de beaux textes ouverts à l’universel. A sa mort, Georges-Emmanuel Clancier le compara avec justesse à Giono, Robert Margerit prononça un discours au nom de la Société des Gens de Lettres et on lui rendit hommage des Nouvelles littéraires au Figaro littéraire (Jean Blanzat). Il fut l’auteur – édité et joué – de plusieurs pièces de théâtre : L’aviateur (1912), Molière à Limoges (1913), Un maître émailleur (1914), La mort de Rouget de Lisle (1919), L’incomparable ami (à propos de Montaigne et La Boétie, 1920), Le soleil de Salamine 1920). L’aviateur fut joué au Val d’Enraud, joli manoir à Isle, non loin de Limoges.

[1] https://www.ina.fr/video/CPF86608231

En juin 1910, le journal Limoges illustré se réjouissait de la création d’un théâtre de nature en ces lieux, que l’on pouvait rejoindre grâce au nouveau tramway départemental, « dans un décor idéal, fait d’arbres centenaires, de sources chantantes, de prés où bruissent les grillons et de parterres où saignent les roses ». Le directeur en était M. Cazautets, « aimable et intelligent », récompensé par les Palmes Académiques, ainsi salué par le journaliste : « quand, en définitive, un homme s’ingénie à élargir, à, épurer le goût public, ces efforts et cet homme doivent être encouragés. » Dès le mois de juillet, on y jouait Le Cid et L’Arlésienne. Dans Arts et Lettres de février-mars 1913, Edouard Michaud voit un peu de « l’âme de Corneille » dans les tirades du jeune Silvestre. Il salue Molière à Limoges de belle manière, dans un long article. La pièce brode sur le passage supposé de Poquelin dans la capitale limousine : « l’auteur [a] tiré le meilleur parti – et un excellent – d’un pareil sujet. » Dans La Brise, Jean Nesmy salue pour sa part Un maître émailleur, qui connaît le succès et met aux prises Léonard Champeaux, génial émailleur, et son ami Muller, un Allemand, qui le trahit au profit de son pays. Nous sommes à la veille de la grande déflagration mondiale. « Ce beau drame, très littérairement écrit, comporte au surplus une moralité sur les dangers que court notre art français. » Limoges illustré ou Le Courrier du Centre pensent de même. Edouard Michaud précise par ailleurs que la première a été « donnée dans des conditions déplorables, à onze heures et après trois actes d’opérette » mais a connu « un magnifique succès », l’auteur étant appelé sur scène et longuement acclamé. La mort de Rouget de l’Isle montre l’auteur de La Marseillaise atteint de pneumonie, assailli par les souvenirs : pauvreté, créanciers, exil, mais aussi les campagnes, Strasbourg, la création de ce qui est devenu l’hymne national. On croise le général Blein, Gindre ou Béranger. Au moment de l’agonie, tandis que l’orage gronde, le poète halluciné voit se présenter à lui « l’Ombre ardente », la Marseillaise. Selon Michaud toujours : « la langue est merveilleuse et les trouvailles abondent. »

René Farnier, majoral du Félibrige, auteur d’innombrables articles sur la région, sur sa langue, ses traditions, a fait jouer une douzaine de ses pièces entre 1923 et sa mort en 1953. A son adolescence, son père ayant pris sa retraite, la famille s’installa à Limoges, en haut du boulevard Gambetta, en face de chez ses oncle et tante Nivet, grainetiers. Il poursuit sa scolarité au lycée Gay-Lussac, en ce début de XXème siècle où l’histoire régionale et la langue d’oc étaient promues par de nombreux professeurs. René Farnier eut ainsi pour enseignant Franck Delage, il fréquenta entre autres Léon Delhoume, Evariste Mazeaud, Edmond Descubes, avec lesquels il publia une feuille littéraire au lycée. René Farnier part ensuite « faire son droit » à Paris. Il fut enrôlé dans l’armée où il vécut la terrible guerre des tranchées. Survivant, il installa son cabinet d’avocat rue Darnet, à Limoges. En 1920, il décida avec quelques amis, dont Léon Delhoume et Louis de Nussac, d’unifier les différentes écoles félibréennes du Haut-Limousin (Haute-Vienne, Creuse) et du Bas-Limousin (Corrèze) et que la revue régionaliste Lemouzi, créée une vingtaine d’années plus tôt, ferait le lien entre ces deux pays frères et assurerait la « propagande d’oc » dans tout le Limousin. Sa pièce Lou gru que leva (« Le grain qui lève ») fut créée pour la première fois par la troupe théâtrale de l’Eicola dau Barbichet, le 27 mai 1928 à la salle de l’Union, rue des Coopérateurs, à l’occasion de la sainte Estelle (grand congrès annuel du Félibrige) organisée cette année-là à Limoges. Véritable œuvre de propagande pour la défense de la langue d’oc limousine, la pièce confronte le monde paysan et Bidounet, qui a « réussi à la ville » et qui présente son fils, Arsène, qui ne parle pas occitan, à ses cousins et anciens voisins campagnards[1].

Marguerite Genes née à Marseille en 1868, arrive très jeune à Brive, berceau de sa famille maternelle. Elle ne quitte la Corrèze que le temps de ses études puis revient enseigner le français dans une institution privée. Reconnue localement pour ses qualités littéraires et sa connaissance de l’occitan, activement engagée dans le mouvement félibréen, elle est nommée « Mestresso en Gai-Sabé » (Maîtresse en Gai Savoir). Elle écrit de nombreux textes poétiques, des pièces de théâtre, des études littéraires et de folklore limousin. Son œuvre est peu diffusée en dehors de sa région. Seules trois de ses pièces sont publiées en monographie, Lou Francimans, Leis d’Amor et Quand même ! – texte inspiré par la guerre de 1870 en Alsace.

Mathylide Peyre co-écrit avec elle Quand même ! C’est une corrézienne, née en 1886 à Orliac de Bar. Egalement engagée dans le mouvement félibréen, elle reçoit « l’Eglantine d’Or » pour sa Légende limousine. Ses pièces, ses textes en prose ou en vers parlent des terres corréziennes essentiellement.

Henri Monjauze, né en 1865 à Objat et mort 1940 à Brive-la-Gaillarde, est un écrivain régionaliste, ancien notaire à Objat (Corrèze). C’est l’un des fondateurs de la Société Scientifique, Historique et Archéologique de la Corrèze en 1878. Il a écrit avec Pierre Verlhac, né en 1864 à Brive et mort en1934 à Souillac (Dordogne), imprimeur et homme de lettres à Brive, sous le pseudonyme Verlhac-Monjauze. La Question des eaux, poème héroïque, est représenté à Brive, sur la place de la Guierle, le 22 octobre 1893, à l’occasion des fêtes franco-russes, et à Paris (soirées de la Ruche corrézienne), le 18 novembre 1893, puis publié l’année suivante. En 1918 paraît également Pierrot aux Tranchées, comédie en un acte en vers.

Jean-Baptiste Chèze (né à Corrèze en 1870 et mort à Tulle en 1935), fils d’un marchand drapier, fonctionnaire à la préfecture de Seine trente années durant, écrit des niorlas (histoires plaisantes et malicieuses) et des pièces comme Tracassou (1912) et Las Prunas (1921)[2].

En 1926 est publiée à Paris, chez Choudens, éditeur, Bertrand de Born, pièce historique en quatre actes, en vers, de Raoul Charbonnel (poète, journaliste, auteur dramatique et librettiste), musique de Francis Casadesus (avec la partition d’orchestre). Il est précisé : Suite d’orchestre moyenâgeuse. Première partie : Introduction et Sirvente. Deuxième partie : Trois Préludes. On trouve aussi la pièce éditée par Arthème Fayard et Cie, éditeurs, en 1930. Né le 17 mai 1872 à Bort-les-Orgues et mort le 10 janvier 1946, Raoul Charbonnel était le fondateur et directeur de La Vie financière. La pièce inspirée par le troubadour fut créée le 12 décembre 1925 au Théâtre de Monaco, avec M. Albert Lambert dans le rôle du poète et Mme Colonna-Romano dans celui de Maheut – les deux comédiens étant sociétaires de la Comédie Française. Le 28 janvier 1931, la pièce fut aussi donnée à la Sorbonne.

L’écrivain Robert Margerit (1910-1988), Prix Théophraste Renaudot en 1951, grand prix du roman de l’Académie française pour La Révolution (selon moi son meilleur roman), est l’auteur de L’Amour et le temps (Comédie en trois actes – La pyramide, 1941), Un Singulier destin (Tragédie radiophonique, 1945), Les Loups-Garous (Comédie radiophonique, 1972), La Poule de luxe ou Ceux qui vivent (Pièce radiophonique, [s.d.]) ; Jacqueline Clancier a également signé l’adaptation radiophonique de son livre Le Château des Bois-Noirs.

Né à Uzerche en 1920 (mort en 1998), Antoine Dubernard est un dramaturge dénommé aussi Bras-Merle. On lui doit huit pièces éditées au Chamin de Sent-Jaume, parmi lesquelles La vessa de la barja (1991), Les grelots de la débine (1990), L’Enclume et le fer chaud (1977), La Guigne aux joncs, Les Ramoneurs accrochés au ciel. Selon Miquèla Stenta, « la rareté des mises en scène sera due, sans doute, à l’extrême discrétion de cet auteur. » Quant à son éditeur Jan dau Melhau, il écrit notamment : « On est rarement allé aussi loin et avec une telle force, une telle noirceur, un esprit à la fois désenchanté et compatissant dans le traitement de l’humaine tragédie (…) Ces pièces, qui ont si peu, qui n’ont pas été jouées, reste maintenant à les sortir du livre, où elles ne sont que de passage, pour les rendre à leur vocation, à leur oralité, les mettre en scène. Qui l’osera ? ».

Ce n’est pas forcément le lieu d’écrire sur la grande poète Marcelle Delpastre, née le 2 septembre 1925 à Germont sur la commune de Chamberet en Corrèze, fille, petite-fille, arrière-petite-fille de paysans limousins. Paysanne elle-même. On lira avec profit le dossier qui lui fut consacré à l’automne 2 000 par Plein Chant (n°71-72), rassemblé et présenté par Jan dau Melhau. Il y est question des « poèmes dramatiques », suite de longs poèmes de quinze à trente pages inaugurée en 1967, « à une ou deux voix avec souvent un chœur à la façon antique », en occitan ou bilingues. Certains ont fait l’objet d’adaptations radiophoniques sur Radio-Limoges au début des années 1970, d’autres de lectures publiques ou de véritables spectacles comme Natanael jos lo figier en 1991 ou Lo Cocotin de l’arfuelh en 1999. Jan dau Melhau observe : « L’inspiration en est souvent biblique, le Verbe et le mythe y étant revisités, et avec quelle violence, par Hiroshima et Tchernobyl. »

Le poète Bernard Blot est né le 17 juillet 1932, à Château-du-Loir (72). En 1942, suite à la destruction de sa maison familiale, à Fleury-les-Aubrais, dans la banlieue d’Orléans, par les bombardements alliés, sa famille s’installe dans la Creuse. L’enfant s’attache à ce département, l’adulte lui restera fidèle. Il choisit une carrière d’enseignant. Il est très vite détaché à la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente, puis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud comme chargé de recherche en linguistique appliquée, dans le domaine du français langue étrangère. Après la rencontre d’A. Steiger, il crée un groupe théâtral au lycée Pierre Bourdan de Guéret (Les Fourberies de Scapin, 1952) puis monte diverses pièces dans les années 1950. Il crée à Guéret le « Groupe Grancher » (La Vie est un songe de Calderon, 1962, La Dame à la Licorne, 1965), joue Jules César au Festival de Foix en 62, aide à créer celui de Fresselines ; puis il donne à celui de St-Siméon-de-Bressieux sa première pièce, Hyperbole, en 1965, organise le premier Festival de Guéret l’année suivante, fait des recherches en atelier, inspirées par le Living theater[3], crée à la M.J.C. de Guéret un atelier de jeu dramatique[4], collabore au Théâtre d’animation culturelle de René Bourdet.

Né en 1937, médecin, Claude Broussouloux écrit ses premiers textes dans la mouvance du «Nouveau Roman»[5]. La publication des Autres aux éditions Gallimard en 1 971 lui permet de faire la connaissance de Georges Lambrichs (futur directeur de la NRF).Il vient au théâtre grâce à l’écriture radiophonique avec La Fête prisonnière, dont la diffusion sur France Culture en 1974 avec Alain Cuny dans le rôle principal, est l’occasion de rencontrer Georges Peyrou, réalisateur radio et également metteur en scène d’auteurs contemporains. La même vision du théâtre les amène à collaborer : Claude Broussouloux ne cesse alors d’écrire des pièces (publiées pour certaines aux éditions Galilée ou à L’avant-scène théâtre, et crées en France et à l’étranger) telles que Les Remplaçants (1976), La Salle d’attente (1979), L’Enfant (1982), Écoute de nuit (1984) Une étrange école (1985), ou encore Identification d’un homme (1987). En 1993, à la suite d’une commande de l’acteur italien Mario Maranzana, il écrit une pièce sur la rencontre fictive entre Voltaire et Goldoni intitulée L’Improbable Rencontre, jouée à Rome pour le bicentenaire de la mort de Goldoni. Claude Broussouloux est également l’auteur de quarante-cinq sketches à deux personnages traitant, sur le mode ironique, de problèmes de société, et publiés dans différentes revues de 1980 à 1994.

 

[1] http://www.bn-limousin.fr/items/show/3307#

[2] Œuvres complètes : Édition du Centenaire de Jean-Baptiste Chèze (1870-1935), Lemouzi, n° 36 bis, 1970.

[3] Troupe de théâtre expérimental libertaire créée en 1947 à New York par Judith Malina (1926-2015) et Julian Beck (1925-1985).

[4] Le Populaire du Centre, 16, 17, 18 février 1970.

[5] Catalogue de L’avant-scène théâtre.

06 Déc

Les auteurs dramatiques en Limousin (5)

Edmond Gondinet (atelier Nadar)

Jules Claretie

 

Les revues régionalistes fourmillent de petites pièces d’inégale qualité. On en trouve aussi à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges, comme celles écrites par Henri Baju à la fin du XIXème siècle, saynètes se déroulant dans la bonne société limousine et ne prêtant pas à conséquence, comme Le Veston de velours. Plus amusante (mais idéologiquement « chargée »), Le Préfet modèle, petite pièce destinée au Théâtre de l’Elysée, publiée en 1902 par l’historien limougeaud Louis Guibert, où il ironise notamment à propos des francs-maçons.

Chroniqueur au Figaro, Claude-Antoine-Jules Cairon choisit comme pseudonyme l’anagrame de son nom : Jules Noriac. Né à Limoges en 1827, mort à Paris en 1882, il est l’un des directeurs du Théâtre des Variétés puis des Bouffes-Parisiens avec Charles Comte, le beau-père d’Offenbach. Romancier, auteur d’un Dictionnaire des amoureux, il écrit des vaudevilles et divers livrets.

Fils du directeur de l’Administration des Domaines à Limoges, né en 1828 à Laurière (mort à Neuilly-sur-seine en 1888), Edmond Gondinet fit jouer sur les scènes parisiennes une quarantaine de ses pièces, dont certaines avec succès. Il collabora avec Labiche et Alphonse Daudet. Il écrivit aussi, avec Philippe Gille le livret de Lakmé, opéra en trois actes de Léo Delibes, d’après un roman de Pierre Loti. Celui où figure le si beau, si émouvant et proustien Duo des fleurs : « Dôme épais le jasmin à la rose s’assemble… ».

André Montaudon (1867-1951), natif de La Souterraine, homme de lettres (qui fut anobli par le shah d’Iran dont il était le précepteur des enfants), est l’auteur de Pas d’hommes, bouffonnerie en un acte (1909), Aux champs, saynète occitane en un acte (1911) et Yseult et Aubier, scène du Moyen Âge (1914). Notons au passage que parmi ses autres œuvres, on trouve la chanson Le petit vin gris du Berry. En 1991, l’une des légendes qu’il avait jadis consignée fit l’objet d’un sketch figurant en première partie du programme que « Les Saltimbanques » présentèrent notamment à Saint-Priest-La-Feuille (Creuse).

On le connaît sous son pseudonyme d’écrivain : Hemma-Prosbert. Pierre-Elie Halary est né à Janailhac (Bellevue) le  18 août 1840, fils de Jean Halary, propriétaire, et de Catherine Glandus. Il exerça la profession de notaire à Châlus. Il est décédé à Saint-Yrieix-La-Perche le 21 novembre 1916. Poète, écrivain, chroniqueur, il écrivit des pièces de théâtre. A la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges, on peut consulter cinq volumes de son Théâtre, paru chez E. Flammarion (1908-1910). Ils contiennent : Vol. I : L’école du divorce, L’artiste et le brocanteur, L’araignée et les moucherons, Les droits du mari, Le parvenu, L’homme bien-pensant ; Vol. II : Judith, Charlotte Corday, Jeanne Darc ; Vol. III : La revanche de monsieur de Pourceaugnac, L’embarras du choix, Le pauvre honteux, Particule et accidents, Le mariage libre, Nul n’est prophète dans son pays et Le dramaturge d’emprunts ; Vol. IV : Jean-sans-terre, Préface limousine (essai historique), L’étang ; Vol. 5 : Préface sur la décadence des lettres et du théâtre, le droit d’adaptation et mes débuts littéraires, La réclame précédée d’une Conférence sur la réclame et le paradoxe du conférencier mondain, Arthur de Bretagne.

Né en 1840 à Limoges (mort en 1913), auteur prolixe, romancier, historien de la Révolution française, chroniqueur au Figaro et au Temps, Jules Claretie consacra une grande partie de son existence au théâtre : il fit la critique théâtrale à L’Opinion nationale, au Soir, à La Presse ; auteur dramatique lui-même, président de la Société des Gens de Lettres et de la Société des Auteurs Dramatiques, il fut administrateur du Théâtre-Français à partir de 1885. En 1903, Les Affaires sont les affaires d’Octave Mirbeau remportèrent un véritable triomphe à la Comédie-Française, après avoir été en partie cause de la suppression du Comité de lecture par Jules Claretie en 1901[1]. Après ce premier succès, il est prêt à recevoir une autre pièce de Mirbeau, Le Foyer, satire mettant en scène un sénateur académicien, qui pratique la philanthropie dans son propre intérêt et en détourne les effets. Jules Claretie hésita toutefois à porter la pièce à la scène. Après un va-et-vient de la pièce de la Comédie-Française au Théâtre de la Renaissance, les auteurs gagnèrent le procès intenté à Claretie, qui parvint, avec sa diplomatie habituelle, à monter Le Foyer réduit à trois actes, en décembre 1908. Les premières représentations furent troublées par les manifestations des représentants de l’Action Française[2]. Dans sa pièce Bouddah (1888), Claretie faisait dire à l’un de ses personnages, revenant des colonies et contemplant des affiches de théâtre : « quand on a été sevré des acteurs de Paris, si tu savais ce que ces bouts d’affiches contiennent de promesses et d’allèchements !… » Elu à l’Académie Française le 26 janvier 1888, Claretie a été reçu le 21 février 1889 par Ernest Renan. Il avait coutume de dire : « Vous aimez les livres ? Vous voici heureux pour la vie. »

Le Corrézien André Chadourne (1859-1910) est un polygraphe, qui se fait connaître comme homme de théâtre, auteur de pièces (tragédies comme comédies), de livrets d’ouvrages lyriques et de poésie. Connu et apprécié à Montmartre, ses amis ont pour noms Jules Renard, Massenet, Paul Delmet, etc. À Brive, il crée et anime pendant de nombreuses années Le tout Brive. À Paris, André Chadourne, cofondateur de la Société des gens de Lettres, est une personnalité éminente de la vie parisienne de l’avant-guerre 1914-1918.

L’écrivain limougeaud Edouard Michaud écrivit également du théâtre : en décembre 1925 fut joué au Théâtre municipal de Limoges sa Province qui fit rire le public par son comique de situation mais constituait, d’après la critique, une condamnation impitoyable de la vie provinciale.

En 1919, l’abbé Charles Chalmette, connu à Limoges pour ses recueils de poésie très classiques, publie une pièce en un acte : Au Jardin de Versailles, où il fait revenir Corneille le jour du traité de paix de 1919. L’auteur du Cid explique ainsi la chose :

… Je méditais un poème inédit

Lorsque je vis Charron ; souriant, il me dit :

Une guerre a soudain fait tressaillir ta race ;

Des Rodrigues partout et partout des Horaces,

Et l’Amante immolant son amour au devoir.

Désirerais-tu voir ? – Je désirerais voir –

La page des héros n’est pas encore finie,

Il en est par milliers dignes de ton génie.

– Je voudrais voir cela. Monte, me dit Charron.

Nous passâmes le Styx en neuf coups d’aviron…

 

Et, à la fin, ce dialogue entre deux personnages :

 

– Pourquoi, Monsieur, tous ces clairons, tous ces tambours ?

 

– C’est que les Allemands ne sont plus à Strasbourg.

 

La pièce fut jouée pour la première fois par les élèves de l’Ecole Montalembert, le 6 février

 

1929 – on était ambitieux, à l’époque !

 

[1] En 1995, Pierre Meyrand, co-directeur du C.D.N.L. La Limousine, obtint le Molière du comédien pour son excellente interprétation d’Isodore Lechat dans Les Affaires sont les affaires. La pièce, nominée sept fois, eut aussi le Molière du théâtre public et celui du décor. Voir plus loin.

[2] Mouvement royaliste et nationaliste de Charles Maurras.

29 Nov

La disparition de Michel Laguionie, humaniste, syndicaliste (F.O.) et historien de la franc-maçonnerie limousine

Né en 1939 à Limoges, Michel Laguionie appartient au Grand Orient de France depuis 1966. Reçu franc-maçon par la loge « Les Artistes réunis », à l’Orient de Limoges, il fut l’un de ceux qui réactivèrent « Les Frères unis », loge créée en 1767, mais éteinte depuis près de deux siècles. Passionné d’histoire, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la vie sociale et politique de la capitale de la porcelaine. On lui doit la première étude d’ensemble consacrée à la Franc-Maçonnerie limougeaude : Histoire des francs-maçons à Limoges, parue en 1986, puis : La Franc-Maçonnerie en questions (en collaboration avec Serge Beucler) en 1993, Maçonnerie et antimaçonnisme en Limousin (en collaboration avec Louis Pérouas et Roger Mériglier) en 2000, et un Petit dictionnaire des rues maçonniques du Limousin, en 2011. Il a également rédigé, pour le Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, les biographies de quelques personnalités maçonniques de la région. Plongeant une fois encore dans le passé, il présente, avec Loges et Chapitres du Grand Orient de France en Limousin du XVIIIe au XXIe siècle, l’activité, depuis 1750, des foyers maçonniques (loges symboliques et chapitres Rose+Croix) affiliés au Grand Orient dans les départements de Creuse, Corrèze et Haute-Vienne.

Il est décédé le 28 novembre 2019.

19 Nov

Les auteurs dramatiques en Limousin (4): Eusèbe Bombal

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Eusèbe Bombal, né à Argentat en 1827 (mort en 1915), fut initié à la culture limousine par sa tante. Instituteur à Lafage-sur-Sombre (Corrèze), il fut secrétaire de la mairie de sa ville natale. Archéologue amateur, érudit, ce fut aussi un homme de lettres – en français et en occitan. Il  a écrit des drames, parmi lesquels on peut citer : Bernard Palissy, drame en 3 actes, écrit en collaboration avec un autre écrivain d’Argentat, Auguste Lestourgie, ou bien Lou Drac, « pessa fantastica en tres ates ».

 

Eusèbe Bombal et le théâtre par Joseph Nouaillac

 

[Avant d’être instituteur, le jeune Bombal avait été envoyé à Paris comme apprenti, pour apprendre le métier familial de réparateur de parapluies – NdA]. Ces après-midi si bien remplis étaient couronnés par des soirées de belles émotions. Les apprentis se payaient le poulailler dans quelque théâtre de faubourg. Ils virent tous les mélodrames célèbres du temps. « La Grâce de Dieu, la Tour de Nesle, nous contait Bombal, me procuraient des émotions intenses. J’en oubliais huit jours de misère! » Pouvait-il s’imaginer alors qu’un jour viendrait où l’on applaudirait ses mélos à lui, des mélos patois, non pas à la lueur des chandelles, mais au grand jour chaud et tamisé des théâtres de verdure ? Il est certain qu’il admirait, pleurait et riait pour le seul plaisir et que l’abracadabrant contenu dans les scénarios populaires ne l’avertissait en aucune façon de l’imprévu de sa propre destinée. [Bien plus tard, le voici membre d’un « Cénacle » à Argentat] Bombal était une plante délicate ; il lui fallait une serre chaude, ce fut le Cénacle. Le point de départ, c’est encore l’Institution Plaze autour de laquelle se groupèrent peu à peu ceux qui, par l’esprit et par les lettres, auraient eu le droit de s’appeler les véritables « gens de qualité » d’Argentat. Ils formèrent, sans arrière-pensée de réclame, sans le moindre désir de fonder une école ou une académie, presque sans y penser, l’on peut dire, une manière de Société sans statuts qu’ils se plurent à appeler un « cénacle ». A l’occasion des distributions de prix, on montait des pièces ; on jouait parfois du classique. (Dans Le Malade Imaginaire, Bombal, en Argan, donnait la réplique à Lestourgie, en Toinette très réussie). Mais le plus souvent, chaque partie de divertissement était tirée du cru, comme le drap des anciens texiers, comme le vin clairet des côtes : costumes, décors brossés par Charles Plaze, compositions dramatiques ou comiques de Lestourgie et de Bombal. La fête durait au-delà d’une après-midi d’été, car on continuait à jouer jusqu’à épuisement du succès, au profit des pauvres (…) Dans cette société qui fit d’Argentat, sous l’Empire, une ville bénie entre toutes les villes limousines, Bombal se « limousina » avec délices. Dès 1854, il écrivait, en collaboration avec Lestourgie, un drame en trois actes qui ne fut jamais publié. Deux ans après, ils donnèrent un Bernard Palissy, en trois actes aussi et en prose, qui fut imprimé dans L’Union Corrézienne et tiré à cinquante exemplaires. La pièce remaniée fut jouée à Saintes en 1864 au profit de l’érection d’une statue du célèbre émailleur. Bombal était principalement le conteur de la bande (…) Nous ayons déjà dit qu’il avait borné sa vie au cercle des collines natales. Je ne crois pas qu’il ait jamais eu l’obsession des grands modèles, ni même la pensée d’attirer sur lui les regards des demi-dieux de la haute littérature. Ne lui demandons que ce qu’il nous a donné, d’agréables esquisses de mœurs locales, des scènes bien observées, décrites avec une fine et malicieuse bonhomie, une verve saine et populaire (…) Il ne se lança pas dans les « grandes machines », les reconstitutions historiques, les drames avec grands personnages. Il borne son ambition à composer les pessotas en un ou deux actes, avec cinq ou six rôles, faciles à monter par une petite troupe d’amateurs. (Le Drac fait exception avec ses groupes de gabariers, de marchands, de bourgeois, de chabretaires, de garçons et de filles). Ce n’est ni drame ni comédie : ce sont des tableaux de vie familière, des scènes de genre, simples, gaies, saines. Tout y est purement limousin, campagnard ou de bourgade ayant gardé l’empreinte de la vie rurale. La plus haute classe représentée est celle des mieg-bourgeis du vieil Argentat, hôteliers ou marchands. Les saints eux-mêmes déposent leur auréole. Saint Eloi porte le tablier de cuir et tire la bimbarda de la forge, à l’enseigne du Mestre sur toutz Ions mestres et Saint Pierre qui vient lui donner une leçon d’humilité prend la figure de l’apprenti forgeron Pierota. Le fantastique lui-même est bon enfant : c’est l’écho d’une veillée joyeuse ou le déroulement d’une force. Le Drac est très limousin ; il est plein de malice et non de méchanceté. Il joue de mauvais tours et parfois de bons, puisqu’il assiste dans ses amours son ami Jaquet, le valet d’écurie, contre le vieux, riche et laid Bartoula qui prétend à la main de la Catis.

Dans ces théâtres rustiques, un écueil se dresse très souvent : la tentation de sertir sur un front quelconque les légendes, les chansons et les danses les plus caractéristiques du pays ; toute la province y passe et repasse, et cela ne coûte à l’auteur qu’une liaison insignifiante. Bombal l’a fait une fois, non sans habileté, parce qu’on le lui demandait pour le public parisien ; mais il avait trop de finesse et de conscience pour continuer ce jeu facile. Il a donc évité les rengaines. Il a traité des sujets amusants et vivants par eux-mêmes, et ses personnages ne passent pas les trois quarts de leur temps à danser des bourrées ou à conter des histoires de revenants. La belle humeur et le bon sens circulent à travers cet aimable théâtre. Bombal qui observait la vie de chaque jour dans des milieux honnêtes n’a peint ni en noir ni en rose. Ses paysans ne ressemblent ni à ceux des naturalistes ni à ceux des poètes de bergeries. Ils sont de bonne et saine race, et s’il faut absolument les comparer à d’autres, ils font songer à ceux de la bonne dame de Nohant[1].

 

Lemouzi, organe mensuel de l’Ecole limousine félibréenne, n° 203, novembre 1917.

[1] George Sand.

11 Nov

Limoges et le Limousin, terre d’auteurs dramatiques (3)

Jules Sandeau – l’un des premiers compagnons de George Sand à qui elle emprunta la moitié du nom –, natif d’Aubusson (1811-1883), écrivain, académicien, conservateur de la Bibliothèque Mazarine, écrivit quelques pièces en collaboration avec Emile Augier, poète et dramaturge. A la Comédie Française, l’adaptation théâtrale de son roman Mademoiselle de la Seiglière – comédie en 4 actes et en prose – fut créée le 4 novembre 1851 et jouée assez longtemps. Elle fut aussi présentée en 1851 au Théâtre de La Monnaie à Bruxelles. En 1920, André Antoine l’adapta joliment au cinéma, avec les acteurs  Léon Malavier, Romuald Joubé, Huguette Duflos, Catherine Fonteney, Maurice Escande, Charles Lamy, Félix Huguenet, Charles Granval, Saturnin Fabre[1]. Au début de la Révolution, le marquis de la Seiglière émigre. Quand, de longues années après, devenu veuf, il rentre en France avec sa fille, son château et ses terres sont devenus la propriété d’un de ses anciens fermiers, Stamply. Celui-ci, veuf également, vit seul, mélancolique, au château de la Seiglière. Son fils unique, Bernard, officier dans les armées de l’Empereur, est tombé, croit-on, à la Moskova… L’action se passe dans la région d’Aubusson.

En 1847 est publié à l’Imprimerie de Pradier fils (Limoges) Lion et ouvrier : drame en deux actes et en vers, une pièce anonyme en alexandrin, drame de l’amour impossible entre Marcel Levy ouvrier menuisier poète et Isadora fille d’un capitaine. C’est un peu Romeo et Juliette (avec le suicide des deux amants) transposé dans le Paris ouvrier du XIXe siècle des indignations sociales. Trois ans plus tard, dans un autre registre, Antoine Laubie (1810-1865) publie à l’Imprimerie de Chapoulaud frères (Limoges) Marie Stuart à l’école, drame historique, « drame historique en trois actes mêlé de couplets et spécialement destiné au pensionnat de jeunes demoiselles pour les exercices publics d’une distribution des prix »[2] .

Le 18 février 1817 est représentée pour la première fois, au théâtre du Vaudeville à Paris, la pièce en un acte de MM. Scribe et Delestre-Poirson, Le Nouveau Pourceaugnac (éditée aussi sous le titre Encore un Pourceaugnac). La scène se passe dans une petite ville voisine de la capitale, dans laquelle est caserné le régiment de M. de Verneuil. Charles-Gaspard Delestre-Poirson fut directeur du Gymnase dramatique, de 1820 à 1844. Il est l’auteur d’un grand nombre de comédies, écrites seul ou en collaboration avec Eugène Scribe, Mélesville, Nicolas Brazier et beaucoup d’autres. On lui doit également, à nouveau avec Scribe, le livret de l’opéra de Rossini, Le Comte Ory, ainsi qu’un roman, Un Ladre, récit d’un vieux professeur émérite. Dans ce Nouveau Pourceaugnac, l’un des personnages est Ernest de Roufignac, jeune officier de cavalerie, « prétendu[1] de Limoges » de la jeune Nina, que ses rivaux hussards veulent écarter et moquent en constatant que son nom rime avec Pourceaugnac. Ailleurs, on rit de « cet imbécile qui arrive de Limoges » ou de ce jeune homme dont « il est impossible qu’il ait du mérite parce qu’il est de Limoges ». Quand on lui propose de jouer le rôle de Pourceaugnac, il observe : « Allons, le sort en est jeté, et je vois que c’est à moi de soutenir l’honneur des habitants de Limoges. » Il saura bien circonvenir les moqueurs, affirmant à la fin : « Ah ! nous avons aussi à Limoges quelques plaisanteries originales pour les jours gras. »

En 1812 parait à l’imprimerie de Dondey-Dupré (Paris) Anecdote trouvée dans le porte-feuille d’Innocent Poulot, « court roman qui se veut une suite de la comédie de Molière Monsieur de Pourceaugnac : Innocent Poulot serait un petit-fils de Pourceaugnac, décrit comme d’origine limousine par Molière. L’auteur raconte les aventures rocambolesques d’un jeune homme maladroit et naif, qui se clonclut par le retour de cet aïeul de Pourceaugnac à Limoges pour célébrer son mariage. »[2] Camille Jouhanneaud l’attribue à un certain Dorvigny et en fait la présentation dans Le Bibliophile limousin : « Avant de mettre en scène son Innocent Poulot, Dorvigny nous avait fait assister au retour de Paris à Limoges de son aïeul, du vrai, du grand Pourceaugnac, à son mariage dans notre bonne ville et aux dernières péripéties de son existence et c’était là sans nul doute la partie de l’ouvrage qui pouvait le mieux exciter notre curiosité. On y voit le héros, à son retour, mystifié dans sa ville natale comme il l’avait été dans la capitale, berné par ses concitoyens, par ses amis et même par sa fiancée, Mlle de Persiflac, fille d’un subdélégué des finances, qui finit toutefois par l’épouser, en considération de sa fortune. Puis le bonhomme vieilli, devenu de plus en plus le jouet de sa femme et de son entourage, se retire à la campagne et meurt d’une façon grotesque, en pêchant à la ligne, après avoir, en haine des Parisiens et des citadins en général, marié son fils à une paysanne qui fut la mère d’Innocent Poulot. En somme ce Pourceaugnac à son déclin n’est qu’un pastiche très faible, fort pâle de celui que tout le monde connaît. On chercherait ainsi vainement dans l’œuvre de Dorvigny une note d’intérêt local ; s’il place à Limoges la dynastie des Pourceaugnac ainsi que leurs faits et gestes, c’est que l’ancêtre en était déjà mais il parle de la ville et de ses habitants comme il le ferait de toute autre localité. Dans sa narration, il y a pénurie complète de couleur locale on n’y rencontre aucune péripétie, aucun trait caractéristique, pas le moindre détail piquant »[3]

En 1922, Léon-Georges Delhoume est l’auteur de La Vengeance de M. de Pourceaugnac : Comédie en un acte, éditée par l’Imprimerie Guillemot et de Lamothe (Limoges). Rentré dans ses terres limousines, Monsieur de Pourceaugnac, sauve d’un mariage arrangé les deux jeunes amants. Une suite revisitée à la pièce de Molière qui dépeignait un idiot et rustre limousin[4]. En 1883, René Fage (1848-1929), dans un ouvrage paru chez Ducourtieux[5], avait tenté de trouver les raisons biographiques réelles et supposées de ce mépris de Molière qui nuisit à la réputation des Limousins. Il y revenait sur la tradition locale – reprise par divers auteurs dont Jules Clarétie, qui brodèrent largement – qui affirmait que Poquelin aurait souffert du mauvais accueil des Limougeauds à l’époque de ses pérégrinations à travers le royaume. Remarquant qu’aucun document n’attestait du passage de Molière à Limoges, il notait toutefois que la tradition de sa venue et de son logement dans une auberge de la place Sainte-Félicité, tout près du pont Saint-Martial à Limoges, n’était peut-être pas à rejeter, puisque la ville était un carrefour routier d’importance. René Fage écrivait que c’est dans la pièce même qu’il fallait chercher les indices du séjour. Ainsi le dramaturge y cite-t-il Petit-Jean, un fameux restaurateur de la Cité qui exista vraiment. De même évoque-t-il le cimetière et la promenade des Arènes et fait-il allusion à un chanoine de Saint-Etienne. Fage se risque à une datation du possible passage de Molière entre fin 1648 et début 1649. Selon lui, en écrivant Monsieur de Pourceaugnac sur l’ordre du roi, l’auteur fait œuvre de courtisan et, plutôt que des Limousins, se moque surtout du gentilhomme de province, de ceux qui frondaient durant la jeunesse royale. Indiquons également qu’en 1912, l’érudit René Fage a montré dans un autre opuscule[6] qu’Etienne Baluze, le bibliothécaire tulliste de Colbert, juriste très bon connaisseur du droit canonique, rédigea en 1668 un mémoire visant à exonérer Tartuffe des foudres ecclésiastiques aux yeux de Louis XIV qui finit par en autoriser les représentations. Ce serait donc un Limousin qui aurait contribué à sauver la pièce.

[1] Prétendant.

[2] http://www.bn-limousin.fr/items/show/3356#

[3] Le Bibliophile limousin, Ducourtieux et Goût (Limoges), 1905, p. 6.

[4] http://www.bn-limousin.fr/items/show/3111#

[5] http://www.bn-limousin.fr/items/show/3110#

[6] http://www.bn-limousin.fr/items/show/3109#

[1] https://www.avoir-alire.com/mademoiselle-de-la-seigliere-la-critique

[2] http://www.bn-limousin.fr/items/show/3117#

03 Nov

Limoges et le Limousin, terre d’auteurs dramatiques (2)

Originaire du Grand-Bourg en Creuse, fils unique d’un baron capitaine de mousquetaires, Augustin de Piis (1755-1832) – ci-dessus – écrivit des comédies mêlant parodies et couplets à la mode, jouées au théâtre des Italiens et au théâtre du Vaudeville sous Louis XVI. Haut fonctionnaire, secrétaire et interprète de Charles X, il fut secrétaire général de la préfecture de police de Paris sous Napoléon. Parmi ses nombreuses pièces, Les Limousins (1791) appartient à une série sur les habitants de différentes provinces françaises. Par ailleurs, sa chanson La Liberté des nègres (1794) a fait date[1]. Une partie de son œuvre est lisible sur le site Gallica.

Si Antoine Rochon de La Valette (17..?-1758?), d’origine creusoise, écrivit composa essentiellement des opéras comiques[2], son frère Marc-Antoine Rochon de Chabannes (1730-1800) fut l’auteur de plusieurs comédies[3] dont L’Amour français, jouée en 1779 à la Comédie Française et Heureusement (1762), qui inspira à Beaumarchais la scène du chérubin dans Le Mariage de Figaro.

Claude-Louis-Marie de Rochefort-Luçay, est plus connu sous le nom d’Edmond Rochefort (Évaux-les-Bains, 1790 – Paris, où il mourut dans la misère en avril 1871), et fut écrivain, dramaturge vaudevilliste et auteur de chansons françaises. La pièce où il eut le plus de succès est Jocko, créée au théâtre de la Porte Saint Martin à Paris le 16 mars 1825, mais il écrivit une cinquantaine de vaudevilles et de mélodrames. Celle-là inspira même à Balzac le personnage du Brésilien qui surgit à la fin de La Cousine Bette[4]. Il est l’auteur de Mémoires d’un vaudevilliste, dans lequel il raconte ses péripéties à La Réunion et les relations littéraires qu’il eut avec quelques auteurs de son temps. C’est le père du journaliste et polémiste Henri Rochefort.

Ecrivant à propos du théâtre en Limousin, on ne saurait ignorer George Sand, née à Paris en 1804, qui certes s’installa à Nohant dans l’Indre, mais qui connaissait intimement la Creuse, si proche, et fréquentait assidument Pierre Leroux, à Boussac. Leisha Ashdown-Lecointre a consacré un intéressant article à propos de « George Sand et le Théâtre de Nohant », où elle écrit notamment : « Tout au long de sa vie, George Sand s’intéresse au théâtre sous toutes ses formes et en particulier à ses formes marginales, notamment le théâtre improvisé et le théâtre des marionnettes. Pour elle, le théâtre signifie un lieu d’apprentissage du jeu de l’acteur et une plate-forme pédagogique ; il forme et instruit l’acteur comme le spectateur. L’aspect privé voire intime du théâtre joué au sein de sa famille à Nohant s’oppose à l’aspect publique de ses pièces jouées dans les théâtres parisiens pendant une trentaine d’années. A Nohant les notions de la commedia dell’arte, le théâtre italien, connaissent leur plein essor. Selon Linowitz Wentz, écrivant en 1978, « (l)e théâtre de Nohant évolua rapidement d’un amusement de famille à une réponse aux questions esthétiques, philosophiques et psychologiques que s’est posées George Sand pendant toute sa vie»[5]. La dame de Nohant écrivit une trentaine de pièces de théâtre. Un thème largement abordé par l’association des Amis de George Sand dont on consultera le bulletin et le site avec profit[6].

[1] https://revolution-francaise.net/2010/09/01/395-la-liberte-des-negres-par-le-citoyen-piis

[2] https://data.bnf.fr/fr/13006408/rochon_de_la_vallette/

[3] https://data.bnf.fr/fr/12006130/marc-antoine-jacques_rochon_de_chabannes/

[4] N. Billot, Creuse, Christine Bonneton, 2007,  p. 204.

[5] Leisha Ashdown-Lecointre. « George Sand et le Théâtre de Nohant », 2012,  ffhalshs-00697830f

[6] https://www.amisdegeorgesand.info/

25 Oct

Limoges et le Limousin, terre d’auteurs dramatiques (1)

Description de cette image, également commentée ci-après

Tristan L’Hermite en 1648, portrait gravé par Pierre Daret pour l’édition originale des Vers héroïques

Le Limousin est une terre d’écrivains et de poètes depuis toujours – j’ai contribué à le montrer dans d’autres ouvrages. C’est aussi un pays d’auteurs dramatiques nombreux, d’importance variable, parmi lesquels des figures notables. J’ai essayé ici de rassembler nombre d’entre elles. En 1999, Richard Madjarev, conseiller pour le théâtre à la D.R.A.C. du Limousin, observait avec raison : « plus que le nombre de compagnies existantes dans une région aussi peu peuplée, la singularité de cette région, sa richesse, son dynamisme viennent du fait que les principales compagnies ont à leur tête des auteurs-metteurs en scène. » Il parlait pour son époque, mais c’est une remarque pertinente que l’on peut étendre à d’autres. Ce que je propose ici n’est pas une analyse critique, plutôt une recension la plus complète possible, pour donner envie de partir à la découverte de ces auteurs et – qui sait ? – de les mettre en scène ?

François dit Tristan l’Hermite (1601-1655), né au château de Soliers en Marche, gentilhomme du Duc d’Orléans, académicien (1649), poète, auteur d’ouvrages en prose, fut réputé pour ses pièces ; on le considère comme le précurseur de Racine. Sa vie débuta tragiquement puisqu’il se battit en duel à l’âge de treize ans avec un garde du corps qu’il blessa mortellement et fut contraint à l’exil en Angleterre. Il rejoignit par la suite la cour du roi et demeura attaché à Monsieur – Gaston d’Orléans –, frère du souverain pendant une vingtaine d’années. Sa Marianne (1636), soutenue par Scarron et le comédien Mondory, jouée au Marais, connut un succès comparable à celui du Cid. Ses contemporains le considéraient d’ailleurs comme un rival de Corneille. C’est le rôle d’Epicharis dans sa Mort de Sénèque qui valut à Madeleine Béjart sa réputation de très grande comédienne. Selon Nicole Billot, « Le théâtre lui permet d’exprimer son respect des règles classiques naissantes, et les représentations des sentiments obéissent aux préceptes aristotéliciens. La lutte entre la passion et une forme de stoïcisme se retrouve dans les adieux du philosophe Sénèque à son épouse Pauline »[1].

Le frère cadet de Tristan, Jean-Baptiste (1610-1688) épousa une comédienne, cousine de Madeleine Béjart. Il écrivit une tragédie, La Chute de Phaëton et fréquenta les acteurs du Marais. Il joua aux côtés de Molière lors des tournées de l’Illustre Théâtre, mais finit par délaisser l’écriture et le théâtre pour devenir généalogiste.

Signalons que la revue des Amis de Tristan L’Hermite fondée en 1979, les Cahiers Tristan L’Hermite a pour vocation d’éclairer l’œuvre de cet auteur et plus largement la culture du premier XVIIème siècle.

[1] Creuse, Christine Bonneton, 2007, p. 202.

Description de l'image François Hédelin.jpg.

François Hédelin

François Hédelin, plus connu sous le nom d’abbé d’Aubignac, petit-fils d’Ambroise Paré né à Paris en 1604, fut un Limousin d’adoption, puisqu’il fut un temps pourvu de l’abbaye de Meymac. Il écrivit quelques romans et tragédies (La Pucelle d’Orléans, Zénobie, Sainte Catherine, Erixène, Palène, Térence justifié), mais il est surtout connu pour avoir élaboré la règle des trois unités (unité de temps, unité de lieu, unité d’action) pour le théâtre classique. Il attaqua par ailleurs les tragédies de Pierre Corneille, et se querella avec l’historien et grammairien Ménage. De part et d’autre, on publia des épigrammes et des brochures, comme c’était la mode à l’époque.

L’Ancien Régime vit aussi fleurir quelques auteurs de langue limousine : Mathieu Morel, médecin à Limoges, composa de nombreuses pièces et mourut en 1704 ; à Tulle, vers 1780, l’abbé Sage écrit Las Ursulinas, dialogue où il rapporte les commérages du couvent !

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Versailles MV 2985.jpg

En 1706 (ou 1709 ?) est jouée par une compagnie amateur à Limoges la comédie en un acte et en vers Le père prudent et équitable ou Crispin l’heureux fourbe, sans mention de son auteur. Elle est imprimée à Limoges de manière anonyme (M***) puis à Paris en 1712 avec le nom du dramaturge : Marivaux – dont le père Nicolas Carlet, appartenant à la noblesse de robe, s’était installé en Limousin. Le jeune homme, d’abord élève chez les Oratoriens, latiniste émérite, fréquentait les salons littéraires de la bonne ville où il affirmait que Molière était dépassé. Il releva même un défi[1] : écrire une pièce en une semaine, qu’il ne renia jamais. Résumons la pièce : Crispin, valet de Cléandre, essaie d’éconduire divers prétendants à la main de la jeune Philine pour la conserver à Cléandre qu’elle aime. Ceux-ci sont au nombre de trois : Ariste, un propriétaire campagnard, un chevalier riche de son épée, et un financier. À l’un, Crispin présente, comme étant la demoiselle à marier, Toinette, sa femme de chambre, qui le scandalise par la hardiesse de ses propos. Puis il se présente lui-même à la jeune fille comme étant le propriétaire campagnard ; il la trouve trop parée et l’avertit que lorsqu’elle sera sa femme, il lui faudra prendre des sabots et des habits de ménage. Au financier, Crispin confie, sous le sceau du secret, que le père et la fille sont épileptiques. Il se déguise ensuite en femme et prétend être la femme légitime du chevalier, qui n’a pas le droit, dès lors, d’aspirer à la main de la jeune fille. Mais il est surpris et forcé d’avouer ses fourberies. Il n’en triomphe pas moins, car l’amoureux a gagné un procès qui le rend plus riche que ses rivaux, et Démocrite, le père prudent et équitable, n’hésite plus à lui donner sa fille. Pierre de Marivaux, âgé de dix-huit ans, dédie son œuvre à M. Rogier, seigneur du Buisson, conseiller du roi, lieutenant général civil et de police en la sénéchaussée et siège présidial de Limoges ; anonyme, il écrit : « le hasard m’ayant fait tomber entre les mains cette pièce comique, je prends la liberté de vous la présenter, dans l’espérance qu’elle pourra, pour quelques moments, vous délasser des grands soins qui vous occupent et qui font l’avantage du public (…) ».

 

[1] Selon l’imprimeur limougeaud de la pièce.

 

18 Oct

1973:Sauver le quartier de la Boucherie à Limoges

En août 1969, dans Le Populaire du Centre, un article (signé par Chris Dussuchaud ?) évoque la diminution du nombre de boucheries dans la rue de cinquante au début du siècle à quatre. « Certes, à côté de ces quatre boutiques, il reste de nombreux ateliers, dépôts et laboratoires qui fournissent les tripiers et les charcutiers, notamment ceux des Halles Centrales toutes voisines. Mais les « anciens » vous confieront – l’air un peu dépité – que cela n’a rien de commun avec ce qu’ils ont connu jadis. Après la totale disparition des boucheries qui faisaient jusqu’alors l’intérêt historique de la rue, peu à peu, ces authentiques vestiges du passé se sont transformés et adaptés, disons-le, à des nécessités exigées par les temps modernes (…) Le vieux Limoges disparaît donc sans que personne s’en rende compte ou ne s’en préoccupe. Et puis la rue a vu ses pavés laminés recouverts d’asphalte, ce qui a précipité sa perte d’intérêt. Une politique en faveur du tourisme devrait permettre d’offrir au touriste (souvent blasé) « quelques beaux restes », sinon on risque tout simplement l’échec. C’est regrettable, car la capitale des Arts du Feu possède, comme beaucoup de villes d’importance et d’ancienneté égales, un patrimoine de richesses qui mérite d’être mis en valeur et non enterré. »

La volonté modernisatrice de Louis Longequeue passe parfois par la destruction de bâtiments anciens qui auraient mérité conservation et mise en valeur[1]. Lorsqu’il a l’idée surprenante de détruire le quartier séculaire de la Boucherie, début 1973, pour y construire des immeubles modernes, des Limougeauds (prévenus par l’adjoint Gilbert Font), emmenés par Jean Levet – fonctionnaire aux Impôts, très attaché à sa ville depuis son enfance dans le quartier du Chinchauvaud, auteur de nombreux travaux historiques – créent l’association Renaissance du Vieux Limoges pour résister. Avec le groupe traditionnel L’Eicolo dau Barbichet et d’autres partenaires, ils décident de ressusciter, le 19 octobre, la fête traditionnelle des Petits Ventres, qui voyait chaque année les dames bouchères recommencer à fabriquer des produits tripiers après une interruption de deux mois due aux chaleurs estivales. Dans le même temps, des adhérents restaurent de vieilles façades pour montrer à quoi pourrait ressembler le quartier remis en valeur – le 43 et le 45, appartenant à Mme Mausset. Le maire abandonne son projet : le quartier est sauvé, restauré et devient l’un des lieux touristiques principaux de Limoges, tout comme la Frairie des Petits Ventres un rendez-vous essentiel de l’automne, où l’on vient manger et trinquer dans la bonne humeur. Le succès de la sauvegarde du quartier de la Boucherie (avec l’ouverture d’une maison traditionnelle de la boucherie qui se visite), entraîna d’autres quartiers anciens à se préoccuper de la conservation de leur patrimoine. Renaissance du Vieux Limoges les aida de son expérience. Ainsi furent sauvés de la pioche des démolisseurs, dans le quartier de l’Abbessaille, les maisons de la Règle, dans la partie de la ville appelée la Cité.

Le 7 novembre 1973, le bureau de la confrérie note : « Autre bilan positif : la Frairie des petits ventres qui a connu un succès aussi exceptionnel qu’inattendu. » Le 15 avril 1982, Jean Levet est admis comme membre de la confrérie ; plus tard, ce sera son fils Jean-Pierre, universitaire. En octobre 1983, il est question du « Musée de la Boucherie » qui entre maintenant dans sa phase effective. Les travaux de réfection vont se poursuivre rapidement et il devrait être inauguré dans le courant de 1984. » Mais en mars 1985, on lit dans le registre : « [le musée] doit être installé dans l’immeuble dit des « Petits Frères » au 36 rue de la Boucherie. Cette maison ayant été achetée et rénovée par la municipalité, attend pour être ouverte au public, tout l’ensemble des objets et matériels qui faisaient autrefois partie des boucheries : billots, outils, soufflets, bassines, etc. Il est prévu un aménagement des pièces et des écuries. On peut déplorer que tout ça traine beaucoup. » En mars 1989 : « cela n’avance pas vite ! » Enfin, le compte-rendu de la réunion du bureau du 12 décembre 1989 indique : « Diverses dispositions sont prises pour l’inauguration, oh combien tardive !, de la Maison de la Boucherie. La mairie de Limoges, le syndicat parisien de la Boucherie, Renaissance du Vieux Limoges, et bien évidemment la confrérie de Saint-Aurélien participeront à cette inauguration et à toutes les réalisations qu’elle comporte (…) Les manifestations dureront 2 jours (…) Il se trouve que cette inauguration coïncide avec le Bimillénaire de la ville de Limoges et le 1060ème anniversaire de la création de la corporation des bouchers de Limoges. Il va sans dire que le plus grand nombre des membres de la confrérie aura à cœur d’y participer. » M. Marich, secrétaire général de la Confédération Nationale de la Boucherie Française assiste à cette journée durant laquelle, entre autres animations, est reconstitué un étal traditionnel de triperie, et inaugurée la place de l’Andeix.

En février 1985, la presse a annoncé : « la rue de la Boucherie ne mérite plus son nom », « Limoges : plus un seul boucher rue de la Boucherie ». En effet, au n° 6, la boucherie « Au Mouton Couronné » a fermé ses portes, remplacée par une librairie, « Les Yeux dans les Poches ». Demeurent alors deux tripiers (Plainemaison et Tramont) et deux salaisonniers (Roger Eustache et « La Limousine »). Joseph Parot, propriétaire, déclarait : « Je suis né dans cette maison. Elle a été achetée en 1899 par mon grand-père Malinvaud à un autre boucher, un Pouret. Mon père lui a succédé, puis moi-même en 1942. » Il cessa ses activités en 1981. Le successeur, Jean Mazeau, baissa son rideau de fer quatre ans plus tard. Le nom du commerce provenait d’un concours organisé pour les animaux gras le 3 février 1861 (au moment du carnaval), dont le mouton de François Malinvaud dit Chagrin, avait obtenu le premier prix.

En février 2006, une délégation de la Confrérie assiste aux obsèques de Jean Levet.

 

[1] L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.

12 Oct

La céramique Lecomte-Chaulet à Limoges

A gauche: Edouard Lecomte-Chaulet (avec, à droite, ma grand-mère et ma mère)

J’aime bien me promener place des Bancs, au cœur de Limoges, je m’y sens comme au cœur d’un village, avec le marché et les boutiques, le souvenir, aussi, des Caves du Centre que tinrent mes grands-parents maternels – magasin de vin devenu boulangerie d’un Breton qui connaît les secrets du kouign aman –, et de l’ancien Café des Girondins jadis propriété de M. Lazare, avocat n’ayant jamais plaidé. Il y a aussi la fromagerie alléchante de Marion Lachaise, l’une de mes anciennes élèves.

Mais, ces derniers temps, je suis un peu chagriné de voir que la magnifique céramique « Lecomte-Chaulet », située au n° 19, sur le trottoir de l’enseigne indépendante de vêtements Manhattan (installée là depuis 27 ans), se détériore plus ou moins. C’est imperceptible, mais pourrait devenir irrémédiable. Ce serait dommage, car ce nom est porteur d’une véritable mémoire limougeaude.

D’abord parce que, m’a appris Paul Colmar, l’origine des tissus Chaulet remonte au moins à 1903, puisque l’almanach-annuaire Ducourtieux signale ce commerce dans son édition de 1904. J. Chaulet  succède à Mme veuve H. Taillefer, marchande de tissus. La boutique n’occupait alors que le rez-de-chaussée du 19 place des Bancs, elle s’agrandit par la suite avec l’annexion de locaux voisins.

Et sous l’Occupation, le mouvement de résistance Franc-Tireur s’est organisé sous la direction d’Edgar-Eugène Lecomte-Chaulet, marchand de tissus en ces lieux, avec l’aide de son fils Robert-Jean. Parmi les membres du réseau, Arsène Bonneaud, professeur à l’Ecole de médecine de Limoges révoqué par Vichy (mort en déportation à Buchenwald), secondé par Maurice Rougerie, instituteur – père de René, lui-même résistant et futur célèbre éditeur de poésie. Pierre Lavaurs, entrepreneur, gérait la réception du journal Franc-Tireur (2 000 exemplaires distribués en 1943) – ses fils Robert et Georges le rejoignirent dans la Résistance.

Pendant la guerre, mon grand-père Marcel Vinoy, en liaison avec Lecomte-Chaulet, imprimait des faux papiers dans les caves de la place, avec lesquelles son magasin de vin communiquait… Il lui arrivait même de tirer à la mitraillette sur les rats, ce qui ne s’entendait pas à la surface mais perça un jour une canalisation d’eau. Il fut même une fois effrayé par l’arrivée de la gestapo, s’enfuit par les toits, mais l’Occupant voulait… acheter du vin !

Ce n’est pas si fréquent, à Limoges, de telles céramiques colorées sur le trottoir, qu’on finirait presque par ne plus voir tellement on y habitué depuis l’enfance. Et pourtant, si flâner à travers une ville, c’est lever les yeux, il faut parfois savoir aussi les baisser. Et puis la céramique du trottoir se prolonge jusqu’à l’entrée de la boutique, dotée d’une superbe façade et d’une magnifique voûte. Continuer à préserver l’ensemble, c’est donc maintenir à la fois des souvenirs essentiels et l’un des bijoux architecturaux qui donnent tout son charme à notre ville.

(Article paru dans Le Populaire du Centre)