19 Nov

Les auteurs dramatiques en Limousin (4): Eusèbe Bombal

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Eusèbe Bombal, né à Argentat en 1827 (mort en 1915), fut initié à la culture limousine par sa tante. Instituteur à Lafage-sur-Sombre (Corrèze), il fut secrétaire de la mairie de sa ville natale. Archéologue amateur, érudit, ce fut aussi un homme de lettres – en français et en occitan. Il  a écrit des drames, parmi lesquels on peut citer : Bernard Palissy, drame en 3 actes, écrit en collaboration avec un autre écrivain d’Argentat, Auguste Lestourgie, ou bien Lou Drac, « pessa fantastica en tres ates ».

 

Eusèbe Bombal et le théâtre par Joseph Nouaillac

 

[Avant d’être instituteur, le jeune Bombal avait été envoyé à Paris comme apprenti, pour apprendre le métier familial de réparateur de parapluies – NdA]. Ces après-midi si bien remplis étaient couronnés par des soirées de belles émotions. Les apprentis se payaient le poulailler dans quelque théâtre de faubourg. Ils virent tous les mélodrames célèbres du temps. « La Grâce de Dieu, la Tour de Nesle, nous contait Bombal, me procuraient des émotions intenses. J’en oubliais huit jours de misère! » Pouvait-il s’imaginer alors qu’un jour viendrait où l’on applaudirait ses mélos à lui, des mélos patois, non pas à la lueur des chandelles, mais au grand jour chaud et tamisé des théâtres de verdure ? Il est certain qu’il admirait, pleurait et riait pour le seul plaisir et que l’abracadabrant contenu dans les scénarios populaires ne l’avertissait en aucune façon de l’imprévu de sa propre destinée. [Bien plus tard, le voici membre d’un « Cénacle » à Argentat] Bombal était une plante délicate ; il lui fallait une serre chaude, ce fut le Cénacle. Le point de départ, c’est encore l’Institution Plaze autour de laquelle se groupèrent peu à peu ceux qui, par l’esprit et par les lettres, auraient eu le droit de s’appeler les véritables « gens de qualité » d’Argentat. Ils formèrent, sans arrière-pensée de réclame, sans le moindre désir de fonder une école ou une académie, presque sans y penser, l’on peut dire, une manière de Société sans statuts qu’ils se plurent à appeler un « cénacle ». A l’occasion des distributions de prix, on montait des pièces ; on jouait parfois du classique. (Dans Le Malade Imaginaire, Bombal, en Argan, donnait la réplique à Lestourgie, en Toinette très réussie). Mais le plus souvent, chaque partie de divertissement était tirée du cru, comme le drap des anciens texiers, comme le vin clairet des côtes : costumes, décors brossés par Charles Plaze, compositions dramatiques ou comiques de Lestourgie et de Bombal. La fête durait au-delà d’une après-midi d’été, car on continuait à jouer jusqu’à épuisement du succès, au profit des pauvres (…) Dans cette société qui fit d’Argentat, sous l’Empire, une ville bénie entre toutes les villes limousines, Bombal se « limousina » avec délices. Dès 1854, il écrivait, en collaboration avec Lestourgie, un drame en trois actes qui ne fut jamais publié. Deux ans après, ils donnèrent un Bernard Palissy, en trois actes aussi et en prose, qui fut imprimé dans L’Union Corrézienne et tiré à cinquante exemplaires. La pièce remaniée fut jouée à Saintes en 1864 au profit de l’érection d’une statue du célèbre émailleur. Bombal était principalement le conteur de la bande (…) Nous ayons déjà dit qu’il avait borné sa vie au cercle des collines natales. Je ne crois pas qu’il ait jamais eu l’obsession des grands modèles, ni même la pensée d’attirer sur lui les regards des demi-dieux de la haute littérature. Ne lui demandons que ce qu’il nous a donné, d’agréables esquisses de mœurs locales, des scènes bien observées, décrites avec une fine et malicieuse bonhomie, une verve saine et populaire (…) Il ne se lança pas dans les « grandes machines », les reconstitutions historiques, les drames avec grands personnages. Il borne son ambition à composer les pessotas en un ou deux actes, avec cinq ou six rôles, faciles à monter par une petite troupe d’amateurs. (Le Drac fait exception avec ses groupes de gabariers, de marchands, de bourgeois, de chabretaires, de garçons et de filles). Ce n’est ni drame ni comédie : ce sont des tableaux de vie familière, des scènes de genre, simples, gaies, saines. Tout y est purement limousin, campagnard ou de bourgade ayant gardé l’empreinte de la vie rurale. La plus haute classe représentée est celle des mieg-bourgeis du vieil Argentat, hôteliers ou marchands. Les saints eux-mêmes déposent leur auréole. Saint Eloi porte le tablier de cuir et tire la bimbarda de la forge, à l’enseigne du Mestre sur toutz Ions mestres et Saint Pierre qui vient lui donner une leçon d’humilité prend la figure de l’apprenti forgeron Pierota. Le fantastique lui-même est bon enfant : c’est l’écho d’une veillée joyeuse ou le déroulement d’une force. Le Drac est très limousin ; il est plein de malice et non de méchanceté. Il joue de mauvais tours et parfois de bons, puisqu’il assiste dans ses amours son ami Jaquet, le valet d’écurie, contre le vieux, riche et laid Bartoula qui prétend à la main de la Catis.

Dans ces théâtres rustiques, un écueil se dresse très souvent : la tentation de sertir sur un front quelconque les légendes, les chansons et les danses les plus caractéristiques du pays ; toute la province y passe et repasse, et cela ne coûte à l’auteur qu’une liaison insignifiante. Bombal l’a fait une fois, non sans habileté, parce qu’on le lui demandait pour le public parisien ; mais il avait trop de finesse et de conscience pour continuer ce jeu facile. Il a donc évité les rengaines. Il a traité des sujets amusants et vivants par eux-mêmes, et ses personnages ne passent pas les trois quarts de leur temps à danser des bourrées ou à conter des histoires de revenants. La belle humeur et le bon sens circulent à travers cet aimable théâtre. Bombal qui observait la vie de chaque jour dans des milieux honnêtes n’a peint ni en noir ni en rose. Ses paysans ne ressemblent ni à ceux des naturalistes ni à ceux des poètes de bergeries. Ils sont de bonne et saine race, et s’il faut absolument les comparer à d’autres, ils font songer à ceux de la bonne dame de Nohant[1].

 

Lemouzi, organe mensuel de l’Ecole limousine félibréenne, n° 203, novembre 1917.

[1] George Sand.