18 Oct

1973:Sauver le quartier de la Boucherie à Limoges

En août 1969, dans Le Populaire du Centre, un article (signé par Chris Dussuchaud ?) évoque la diminution du nombre de boucheries dans la rue de cinquante au début du siècle à quatre. « Certes, à côté de ces quatre boutiques, il reste de nombreux ateliers, dépôts et laboratoires qui fournissent les tripiers et les charcutiers, notamment ceux des Halles Centrales toutes voisines. Mais les « anciens » vous confieront – l’air un peu dépité – que cela n’a rien de commun avec ce qu’ils ont connu jadis. Après la totale disparition des boucheries qui faisaient jusqu’alors l’intérêt historique de la rue, peu à peu, ces authentiques vestiges du passé se sont transformés et adaptés, disons-le, à des nécessités exigées par les temps modernes (…) Le vieux Limoges disparaît donc sans que personne s’en rende compte ou ne s’en préoccupe. Et puis la rue a vu ses pavés laminés recouverts d’asphalte, ce qui a précipité sa perte d’intérêt. Une politique en faveur du tourisme devrait permettre d’offrir au touriste (souvent blasé) « quelques beaux restes », sinon on risque tout simplement l’échec. C’est regrettable, car la capitale des Arts du Feu possède, comme beaucoup de villes d’importance et d’ancienneté égales, un patrimoine de richesses qui mérite d’être mis en valeur et non enterré. »

La volonté modernisatrice de Louis Longequeue passe parfois par la destruction de bâtiments anciens qui auraient mérité conservation et mise en valeur[1]. Lorsqu’il a l’idée surprenante de détruire le quartier séculaire de la Boucherie, début 1973, pour y construire des immeubles modernes, des Limougeauds (prévenus par l’adjoint Gilbert Font), emmenés par Jean Levet – fonctionnaire aux Impôts, très attaché à sa ville depuis son enfance dans le quartier du Chinchauvaud, auteur de nombreux travaux historiques – créent l’association Renaissance du Vieux Limoges pour résister. Avec le groupe traditionnel L’Eicolo dau Barbichet et d’autres partenaires, ils décident de ressusciter, le 19 octobre, la fête traditionnelle des Petits Ventres, qui voyait chaque année les dames bouchères recommencer à fabriquer des produits tripiers après une interruption de deux mois due aux chaleurs estivales. Dans le même temps, des adhérents restaurent de vieilles façades pour montrer à quoi pourrait ressembler le quartier remis en valeur – le 43 et le 45, appartenant à Mme Mausset. Le maire abandonne son projet : le quartier est sauvé, restauré et devient l’un des lieux touristiques principaux de Limoges, tout comme la Frairie des Petits Ventres un rendez-vous essentiel de l’automne, où l’on vient manger et trinquer dans la bonne humeur. Le succès de la sauvegarde du quartier de la Boucherie (avec l’ouverture d’une maison traditionnelle de la boucherie qui se visite), entraîna d’autres quartiers anciens à se préoccuper de la conservation de leur patrimoine. Renaissance du Vieux Limoges les aida de son expérience. Ainsi furent sauvés de la pioche des démolisseurs, dans le quartier de l’Abbessaille, les maisons de la Règle, dans la partie de la ville appelée la Cité.

Le 7 novembre 1973, le bureau de la confrérie note : « Autre bilan positif : la Frairie des petits ventres qui a connu un succès aussi exceptionnel qu’inattendu. » Le 15 avril 1982, Jean Levet est admis comme membre de la confrérie ; plus tard, ce sera son fils Jean-Pierre, universitaire. En octobre 1983, il est question du « Musée de la Boucherie » qui entre maintenant dans sa phase effective. Les travaux de réfection vont se poursuivre rapidement et il devrait être inauguré dans le courant de 1984. » Mais en mars 1985, on lit dans le registre : « [le musée] doit être installé dans l’immeuble dit des « Petits Frères » au 36 rue de la Boucherie. Cette maison ayant été achetée et rénovée par la municipalité, attend pour être ouverte au public, tout l’ensemble des objets et matériels qui faisaient autrefois partie des boucheries : billots, outils, soufflets, bassines, etc. Il est prévu un aménagement des pièces et des écuries. On peut déplorer que tout ça traine beaucoup. » En mars 1989 : « cela n’avance pas vite ! » Enfin, le compte-rendu de la réunion du bureau du 12 décembre 1989 indique : « Diverses dispositions sont prises pour l’inauguration, oh combien tardive !, de la Maison de la Boucherie. La mairie de Limoges, le syndicat parisien de la Boucherie, Renaissance du Vieux Limoges, et bien évidemment la confrérie de Saint-Aurélien participeront à cette inauguration et à toutes les réalisations qu’elle comporte (…) Les manifestations dureront 2 jours (…) Il se trouve que cette inauguration coïncide avec le Bimillénaire de la ville de Limoges et le 1060ème anniversaire de la création de la corporation des bouchers de Limoges. Il va sans dire que le plus grand nombre des membres de la confrérie aura à cœur d’y participer. » M. Marich, secrétaire général de la Confédération Nationale de la Boucherie Française assiste à cette journée durant laquelle, entre autres animations, est reconstitué un étal traditionnel de triperie, et inaugurée la place de l’Andeix.

En février 1985, la presse a annoncé : « la rue de la Boucherie ne mérite plus son nom », « Limoges : plus un seul boucher rue de la Boucherie ». En effet, au n° 6, la boucherie « Au Mouton Couronné » a fermé ses portes, remplacée par une librairie, « Les Yeux dans les Poches ». Demeurent alors deux tripiers (Plainemaison et Tramont) et deux salaisonniers (Roger Eustache et « La Limousine »). Joseph Parot, propriétaire, déclarait : « Je suis né dans cette maison. Elle a été achetée en 1899 par mon grand-père Malinvaud à un autre boucher, un Pouret. Mon père lui a succédé, puis moi-même en 1942. » Il cessa ses activités en 1981. Le successeur, Jean Mazeau, baissa son rideau de fer quatre ans plus tard. Le nom du commerce provenait d’un concours organisé pour les animaux gras le 3 février 1861 (au moment du carnaval), dont le mouton de François Malinvaud dit Chagrin, avait obtenu le premier prix.

En février 2006, une délégation de la Confrérie assiste aux obsèques de Jean Levet.

 

[1] L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.