19 Nov

Des baleines à Limoges

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(Ambroise Paré)

Je me suis toujours demandé pourquoi il y avait une « impasse de la baleine » proche des voies de chemin de fer et ouvrant sur la rue Aristide Briand – l’ancienne route d’Ambazac chère à Georges-Emmanuel Clancier – à Limoges. Il n’était pas de notoriété publique, en effet, que l’une d’elle ait bouché le port du Naveix, au bas de la cathédrale. Alors ? Ouvrons le second volume de l’Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques, dédiés et présentés à Monsieur Lenoir, Conseiller d’Etat, Lieutenant Général de Police, &c., par une société de gens de lettres, de savants et d’artistes, imprimé chez Panckoucke, libraire, Hôtel de Thou, rue des Poitevins, à Paris, en 1783, avec approbation et privilège du Roi, et feuilletons cet ouvrage rare jusqu’à la page 503, pour lire avec intérêt l’article intitulé « Fanons de baleine. (Art de couper les) ». L’article V est consacré aux « Ustensiles du coupeur de baleine ». On est légitimement surpris par la mention d’un travail des fanons dans des ateliers de Limoges, en provenance des pêches des mers du Nord ou du Brésil : « on met à tremper dans l’eau les fanons[1] pendant dix à douze heures, pour les disposer à la cuisson par un commencement de ramollissement. » L’ouvrier fixe ensuite le fanon grâce à un étau et utilise un couteau spécial, à deux manches, précisément décrit dans l’article. « Pour peu que l’ouvrier ait d’adresse et d’habitude, le coupage des fanons s’expédie assez vite (…) il suit exactement les fibres longitudinales et coupe jusqu’à deux mille et deux mille cinq cents brins par jour ; c’est dans cette exactitude à suivre invariablement le fil de chaque fibre, que consiste l’habileté d’un coupeur de baleine. S’il s’en détourne par un mouvement faux, la coupe du brin est gâtée, et le brin n’a plus la même solidité et la même souplesse. » Ensuite, il faut laisser durcir à nouveau, et racler les restes d’épiderme. « A Limoges, les raclures se vendent pour garnir les couchettes des enfants. » Avec les brins coupés, on fait des paniers, on monte des parapluies. Précision qui a son importance : « on coupe la baleine à Paris, à Limoges et à Rouen. » Messieurs Ardent, Pétiniaud et Grelet font à Limoges « un commerce considérable de baleine. » Il est d’ailleurs signalé que l’on vend à la livre, selon un tarif particulier, les brins ou la baleine. Doit-on en conclure qu’il s’agit ici de leur chair et de leur graisse ? Et que l’on transportait jusqu’à Limoges, en sus des fanons, des morceaux de baleine venus de littoral ?

Je reçois cette précision de Michel Laguionie: « J’ai une autre version, que je tiens de quelques vieux habitants de la rue A.B. : Il paraît qu’au début du XXe s. (avant ou juste après la Grande Guerre) la dépouille d’un gros cétacé fut exposée sur la plate-forme d’un wagon, sur la voie, juste en bas de l’impasse et livrée pendant une dizaine de jours à la curiosité publique. L’odeur des chairs en putréfaction mit brutalement un terme à ce. spectacle. Je crois me souvenir que le fait avait été confirmé par un articulet, publié au début des années 60 dans Limoges-Magazine (la première version de Limousin-Magazine). »

 

[1] Lames cornées qui garnissent la mâchoire supérieure.