24 Sep

Les éditions Du Lérot (Tusson, Charente) éditent le poète limougeaud Georges Fourest

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Yannick Beaubatie – professeur de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages dont Comment peut-on être Limousin? – mériterait de recevoir, en grandes pompes, bien entendu, la médaille d’honneur de la ville de Limoges, tant il fait pour faire connaître l’oeuvre (et la vie) de l’un de ses enfants: le poète Georges Fourest (1864-1945). Beaubatie comme Fourest – et, dois-je ici le confesser ? comme moi – sont des ennemis acharnés des agélastes qui, par définition, nous ennuient. Formé sur les bancs du lycée Gay-Lussac à Limoges, étudiant en droit à Toulouse puis Paris, Georges Fourest n’exerça jamais sa profession d’avocat, se disant « « avocat… loin la Cour d’appel». Un homme donnant une pièce à son fils lorsqu’il avait une mauvaise note en mathématiques ne peut pas être complètement mauvais! Fourest fréquenta les cercles symbolistes et décadent, ainsi que le célèbre Chat Noir. Il est l’auteur d’une oeuvre poétique d’inspiration… rabelaisienne, où se distinguent La Négresse blonde (1909)et Le Géranium ovipare (1935), notamment édités par José Corti.

Yannick Beaubatie est incontestablement le meilleur connaisseur de Fourest – dont une rue de Limoges porte le nom. Il établit et présente l’édition d’un superbe recueil qui vient de paraître chez l’éditeur Du Lérot, à Tusson en Charente, que se doit de commander tout amateur de Fourest, de poésie, de littérature limousine et française, tout bibliophile: Vingt-deux épigrammes plaisantes imitées de M. V. Martial, chevalier romain par un humaniste facétieux (1912), remarqué dès sa parution par Pierre Mille dans le journal Le Temps. Les titres de quelques poèmes indiqueront assez bien de quoi il est question: « Sur un pédéraste qui masturbait ses mignons » ou « Sur Lesbia ». L’ensemble se poursuivant par Dix épigrammes nouvelles non moins gaillardes que les précédentes.

Pour tout dire, on aime autant – sinon plus – l’introduction de Yannick Beaubatie (Quand Georges Fourest instaurait la loi martiale) que les épigrammes coquins du Limougeaud qui préférait « le départ des champs » au Chant du départ. Son érudition est grande et son style particulièrement agréable. Il est intarissable et ne peut être pris à défaut sur la littérature et la poésie de la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Il connaît tout de l’étymologie fourestienne, sait éclairer son oeuvre par sa jeunesse et sa vie, nous livre une captivante analyse à propos du puritanisme dans l’art (servi par ceux qui n’hésitent pas à désigner Flaubert et Baudelaire aux foudres de la Justice) auquel s’opposent ceux qui veulent « Déchirer le voile ». On sort de là heureux d’avoir réfléchi et appris avec plaisir.

Quand au recueil en lui-même, dont il faut couper les pages à l’ancienne, il est particulièrement beau et agréable au toucher ce qui, finalement, le ramène au sujet des épigrammes.

17 Sep

Glaise, le nouveau roman de Franck Bouysse à La manufacture de livres

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Pierre Demarty, Franck Bouysse (wikipédia)

Après Grossir le ciel et Plateau – ouvrage auquel va ma préférence –, beaux romans salués comme il se doit par la critique, les lecteurs, le monde du cinéma, et abondamment primés, l’écrivain limousin Franck Bouysse nous offre un nouvel opus qui, s’il ne clôt pas une « trilogie », s’inscrit dans une continuité, du moins d’inspiration et d’univers. La date de parution n’est pas anodine : 2017, c’est cent ans après « l’année terrible » de la Grande Guerre, qui marque par ailleurs un tournant dans le conflit, à la fois pour des raisons stratégiques et militaires, mais aussi parce que c’est celle de « la fatigue des peuples », pour reprendre l’expression si juste de Pierre Renouvin. On le sait, c’est aussi celle des mutineries. Mais la peur, la fatigue, l’incompréhension, les bouleversements provoqués par la guerre avaient commencé dès 1914. Cet horrible affrontement, au déclenchement absurde et fou, qui participe du « suicide » collectif européen raconté par le grand écrivain russe en exil Mark Aldanov, a déjà été le sujet de nombreux romans et recueils de poésie (sans parler des autres œuvres d’art). Certains ont fait le choix de l’aborder autrement qu’en racontant directement les combats, ce qui a été fait dès le début – à commencer par Le feu, d’Henri Barbusse, prix Goncourt 1916, ou les romans de Maurice Genevoix. Ainsi, en 2003, Philippe Claudel reçut-il le Prix Renaudot pour Les âmes grises (Stock). On se souvient que l’histoire se passe en décembre 1917 dans l’est de la France, dans un village à quelques kilomètres du front, sûrement près de Verdun, alors confronté au meurtre d’une fillette, Belle de Jour. Les personnages y sont des « âmes grises », partagées entre le bien et le mal.

Franck Bouysse place Glaise bien plus loin du front, en tout cas géographiquement, dans un endroit sauvage et beau du Cantal, dans la vallée de la Maronne : Saint-Paul (devenu aujourd’hui -de-Salers) – dominé par la Vierge sur un rocher –, le Puy Violent et leurs environs. Tout commence lors des dix-sept jours de la mobilisation qui se déroula en France du 2 au 18 août 1914. Beaucoup d’hommes dans la force de l’âge qui, jusqu’alors, vivaient et travaillaient la terre et élevaient les bêtes sur des bases établies depuis le néolithique, presque inchangées depuis lors (même si troublées, parfois, par d’autres guerres), à peine touchés par la révolution industrielle (ne voyant par exemple presque jamais d’automobile) sont violemment arrachés à leurs fermes et à leurs familles pour un acheminement par voie ferrée à destination de la frontière franco-allemande de l’époque. Chez les Lary, c’est Victor qui part, laissant son fils Joseph, sa femme Mathilde (épousée parce que c’était comme ça) et sa mère Marie, veuve déclinant, gardienne des titres de propriété enfermés dans un coffret qui ne la quitte pas depuis que son mari fut foudroyé. Dans la ferme d’à côté, Valette, mauvais homme à la main mutilée, rongé par l’alcool et l’ignominie, ne peut partir et le regrette, demeurant avec sa femme Irène, dure à la peine. C’est leur fils Eugène qui est mobilisé. Comme partout à travers l’Europe, cette société rurale totalement désorganisée doit survivre. Ce qui était difficile avec les hommes l’est encore plus sans eux. Les femmes prennent les rennes – c’est le début de leur véritable émancipation, comme le comprend Mathilde, qui enlève son alliance –, aidées par les plus jeunes, les vieux, les infirmes. Le vieux Léonard – mari d’une rebouteuse –, porteur lui-même d’un drame intime, soutient les Lary et participe à l’éducation à la vie du jeune Joseph, être lumineux qui fait de son mieux et tente d’échapper au fatum en sculptant des figurines dans la glaise – celle qui ailleurs sert de sépulture aux morts des tranchées. L’équilibre fragile qui recompose ce microcosme est dérangé par l’arrivée chez les Valette de la femme de son frère parti au combat, Hélène, bourgeoise citadine inapte à la vie à la ferme, et de sa fille – beauté solaire – Anna. Dès lors, tout est en place pour que Franck Bouysse noue le drame jusqu’au bout, maître d’œuvre de l’implacable (et haletante) tragédie, tel un Sophocle des temps modernes, utilisant jusqu’au foudre de Zeus, sa mortelle arme de poing, capable de lancer un serpent de feu, que lui avait confiée les fabuleux cyclopes. Les lieux dont il est ici question sont telluriques, l’orage menace en permanence (Stormy weather, chantera quelques années plus tard la chanteuse de blues Ethel Waters), la lave du volcan a migré dans le sang de certains personnages, souvent au bord de l’éruption. Ce que nous raconte l’écrivain semble de toute éternité, c’est ce qui nourrit l’humanité depuis toujours, la corrompt et la magnifie : le désir de possession, de domination, l’amour (tous les amours), la jalousie, les désillusions et les remords, le bien, le mal, la guerre. C’est aussi ce qui inspire ceux qui écrivent depuis les premiers temps, depuis la Bible. Le prêtre et Satan sont d’ailleurs bien présents dans le roman, même si c’est dans une scène cocasse.

Franck Bouysse dit avec un grand talent d’écriture la force des émotions et des sentiments, qui ne cesse de grandir tout au long du livre, surtout lorsqu’il est question de l’amour pur qui unit Anna et Joseph (même si un autre amour se développe en parallèle, plus énigmatique et poétique qui trouvera son cruel aboutissement à la fin). Il dit aussi la folie qui caractérise l’homme, au quotidien, jusqu’à la guerre. En cela, l’auteur de Glaise me fait penser à l’œuvre du cinéaste et philosophe Bruno Dumont – particulièrement lorsqu’il réalise P’tit Quinquin ou Ma Loute. Il n’est pas étonnant que les romans de Franck Bouysse intéressent les cinéastes – on espère que ceux qui l’adapteront sauront respecter à la fois sa subtilité et la poésie de ses écrits.

Car Bouysse, avec son écriture au cordeau, au lyrisme ici toujours affleurant mais contenu, est finalement un romancier-poète, au style très travaillé. S’il sait exprimer la vie et les sentiments des gens simples, il est encore un magnifique écrivain de la nature, entre David Vann, Pierre Bergounioux, l’autre briviste (pour les lignes sur la pêche, notamment), peut-être Giono (Deux cavaliers de l’orage, Gallimard, 1965), peut-être aussi Mark Twain, et le Cantal de Bouysse n’est sans doute pas si éloigné de la région de Yoknapatawpha inventée par Faulkner… Mais à trop chercher à comparer, on oublierait que Franck Bouysse est incomparable et que c’est cela qui fait de lui un véritable et très attachant écrivain. Sa vision de la nature n’est en rien idéalisée et les animaux de ce roman sont d’ailleurs souvent bêtes de somme et souffrantes, maltraitées, réquisitionnées et même empoisonnées, comme ce geai en cage dont on ne peut plus supporter qu’il crie le nom de l’absent. Seuls un chien et une mule bénéficient d’affection.

Une chose est certaine, lorsqu’on referme le livre, c’est que les 36 « enfants de Saint-Paul-de-Salers morts pour la France » à qui est dédié ce puissant roman et qui ont parfois inspiré le prénom ou le nom de l’un des personnages, bénéficient là d’un vrai monument, qui sait dire leurs souffrances et celles des leurs, dont les noms mériteraient aussi d’être mentionnés, comme cela est rarement le cas sur certains monuments aux morts de 14-18. Franck Bouysse leur rend d’une certaine manière – à sa manière d’écrivain – justice. Il a su les comprendre, au sens étymologique du mot, « saisir par l’intelligence, embrasser par la pensée ». Et livrer ainsi aux lecteurs un nouvel ouvrage qu’on n’oubliera pas de sitôt, qui dit comment, il y a un siècle, on assassina les jeunes hommes et détruisit un monde.

 

Laurent Bourdelas, 17/09/2017

16 Sep

Histoires de ballons

Parc sports Beaublanc 010-2 - terrain honneur - Photothèque Paul Colmar

Parc des sports de Beaublanc, terrain d’honneur

Limoges Football Club (LFC) 01-3 - équipe 1ère division (1960) (sn - Yvan)

Limoges Football Club, 1ère division, 1960

(c) L. Bourdelas & P. Colmar, Limoges années 1950 1960 1970 Geste Editions

C’est en 1943 que l’Union Sportive et Athlétique de Limoges est créée par les amateurs de ballon ovale. Les rugbymen locaux entrent alors dans l’une des périodes les plus glorieuses du club avec les qualifications successives en 1/8 de finale et ¼ de finale du championnat de France de Première Division pour les saisons 1948/1949 et 1949/1950. La deuxième partie du siècle verra l’U.S.A.L pérenniser ses structures avec des fortunes sportives diverses l’amenant à évoluer entre la première et la deuxième Division nationale. Après le passage à la direction sportive de Pierre Villepreux dans les années 1990, puis l’arrivée de nouveaux dirigeants, le club décroche un titre de Champions de France de Fédérale 1 et accède à la Pro D2, deuxième division professionnelle.

En 1947 naquit le Limoges Football Club, qui passa professionnel en 1957. Pierre Flamion est nommé entraîneur ; sous sa direction, le club est promu en D1 dès 1958. Limoges parvient à se maintenir trois saisons au plus haut niveau avant de connaître la relégation. Le record d’affluence au stade municipal est porté à 17 592 spectateurs payants à l’occasion de la visite du Stade de Reims en 1960. Après bien des vicissitudes, le club a accédé en 2010/2011 à la C.F.A. 2.

Mais c’est surtout le basket qui a fait la renommée de la ville, avec son célèbre Cercle Saint-Pierre créé en 1929 – club le plus titré de France – qui a accédé à la 1ère division du Championnat de France en 1978. Il remporte sa première coupe de France en 1982, ainsi que, la même année, son premier titre européen, la coupe Korać. Il devient champion de France, pour la première fois de son histoire l’année suivante, en 1983. En 1988, il remporte le championnat de Pro A, organisé pour la première fois par la ligue nationale de basket. La même année, il renforce son palmarès européen en gagnant la coupe des Coupes. Le 15  avril 1993, il devient le premier club français de sport collectif à remporter une coupe d’Europe des clubs champions. Après quelques déboires, le C.S.P. accède de nouveau à la Pro A à partir du championnat 2012-2013. L’équipe évolue depuis 1981 dans le Palais des Sports de Beaublanc (qui accueille d’autres manifestations sportives et a servi de salle de concerts avant la construction du zénith – le premier concert étant donné par Angelo Branduardi, qui entraîna le public dans une folle ronde). Le public est très nombreux à chaque match et les supporters particulièrement enthousiastes.

Bien entendu, on pratique de nombreux sports à Limoges, qui compte 30.000 licenciés pour 310 clubs dont l’histoire est parfois liée à celle de quartiers et de paroisses, comme La Saint-Antoine près de la gare des Bénédictins.

Une carte postale de l’église Saint-Paul Saint-Louis, route d’Ambazac (rue Aristide Briand)

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L’église fut édifiée (mais sans clocher faute de moyens) en 1907, pour convertir les cheminots et autres employés du chemin de fer, nombreux dans le quartier. Elle est ornée de vitraux de Francis Chigot, comme le sera, 22 ans plus tard, la nouvelle gare de Limoges-Bénédictins.

Le club de la Saint-Antoine fit son apparition en liaison avec le patronage.

Limoges volontairement oubliée sur le chemin de Compostelle par le Liber Sancti Jacobi ?

Codex Calixtinus, 1ère page du Livre V, les quatre routes menant à Saint-Jacques (Archives de St-Jacques-de-Compostelle)

Première page du livre V du Liber Sancti Jacobi (Archives de Saint-Jacques-de-Compostelle), sans titre mais commençant par « Il y a quatre routes qui, menant à Saint-Jacques… » et mentionnant l’itinéraire Sainte-Marie-Madeleine-de-Vézelay, Saint-Léonard en Limousin et la ville de Périgueux.

Comme on le sait, Le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle – tel que l’appela en 1938 la médiéviste Jeanne Vieilliard qui le traduisit pour la première fois – n’a pas porté ce titre, mais il constituait le Vème livre du Liber Sancti Jacobi, ouvrage dédié à la gloire de l’apôtre saint Jacques le Majeur. Il avait été retrouvé dans les archives de la cathédrale de Compostelle au XIXème siècle par un jésuite. C’est un ouvrage qui se présente comme étant à l’usage des pèlerins, destiné à leur donner des conseils pratiques pour leur voyage, une sorte de guide touristique. D’ailleurs, A. Grenier avait déjà noté que « certains monastères étaient devenus comme des agences de voyage »[1]. Toutefois, il ne faut pas imaginer qu’il s’agit d’une sorte de Guide du Routard médiéval, que tout voyageur pourrait emporter avec lui. D’abord il est en latin, ensuite on en connaît qu’une douzaine d’exemplaires : onze produits dans la péninsule ibérique, un en Angleterre – aucun en France ou dans l’Empire germanique[2]. La réception du livre a donc été plutôt limitée, mais j’y reviendrai plus tard.

Le guide accrédite l’idée qu’il existerait quatre routes menant à Saint-Jacques en Galice – ce qui est improbable car il en existait beaucoup d’autres, y compris maritimes – et il indique notamment des sanctuaires à visiter et des reliques à vénérer ; il est utile pour la description des voies pèlerines en Espagne, de la ville de Saint-Jacques et de sa cathédrale. Il appartient à une compilation de textes remontant à des époques variées, également baptisée Codex Calixtinus – puisqu’il s’ouvre par une lettre apocryphe du pape Calixte II (… 1124). L’auteur en est un Français, sans doute Aymery Picaud, de Parthenay-le-Vieux, moine poitevin ou saintongeais, qui aurait fait le voyage à cheval. Selon Bernard Gicquel, « sur arrière-plan de schisme pontifical, le patriarche de Jérusalem, Guillaume de Messines, envoie le chanoine régulier de saint Augustin Aimeric Picaud à Compostelle par Cluny, pour rallier Diego Gelmirez à la cause du pape Innocent II. Aimeric est porteur de pièces liturgiques et de miracles composés par Guillaume de Messines en l’honneur de saint Jacques. Il accroîtra en cours de route sa collection de miracles italiens, de miracles de saint Gilles et de miracles rhodaniens en remontant vers Cluny, puis d’emprunts aux miracles de saint Léonard en redescendant vers Compostelle, où il recueillera enfin quelques miracles espagnols. Sa collection ne va pas au-delà de 1135. »[3] Dix ans après, à la fin du Codex Calixtinus, figure un poème d’Aimeric Picaud, qui n’est qu’une table des matières versifiée du recueil de miracles. Enfin, vers 1160, des textes satellites isolés tendent à se regrouper en un volume qui occupe la quatrième place et deviendra le Guide du Pèlerin.

Des historiens émettent également l’hypothèse de plusieurs chanoines compilateurs d’informations, dont l’un aurait été chanoine à Saint-Léonard-de-Noblat, puis aurait occupé un poste dans l’hôpital même de Saint-Jacques.

C’est un ouvrage qui n’est pas exempt de préjugés, comme l’a par exemple montré Emmanuel Filhol, écrivant ainsi : « le discours tenu au XIIe siècle par l’auteur du Guide sur le monde rural révèle les images stéréotypées que l’Église et les hommes de religion se font des paysans. Dans sa description des populations rurales du sud-ouest de la France et du nord de l’Espagne, Aimery Picaud accumule une série de poncifs et de préjugés aussi grotesques qu’humiliants. Le paysan y est dépeint sous des traits péjoratifs qui l’affublent de vices et de défauts : laid, méchant, inculte, barbare, luxurieux. »[4]

Dans les premières lignes, le Guide évoque le Bordelais, « où le vin est excellent, le poisson abondant, mais le langage rude. Les Saintongeais ont déjà un parler rude, mais celui des Bordelais l’est d’avantage. » Evidemment, pour un moine, la langue légitime est le latin, instrument de savoir réservé à l’élite, qui n’est pas la langue « vulgaire » utilisée par les populations croisées. Le langage paysan est qualifié de lingua rustica. Cette rusticité s’étend bien entendu aux locuteurs.

Sur l’itinéraire venu de Vézelay, le Guide indique qu’ « il faut aussi rendre visite au corps du bienheureux Léonard, confesseur, qui, issu d’une très noble famille franque et élevé à la cour royale, renonça par amour du Dieu suprême, au monde criminel et mena longtemps à Noblat, en Limousin, la vie érémitique, jeûnant fréquemment, veillant souvent dans le froid, la nudité et des souffrances inouïes. Enfin, sur le terrain qui lui appartenait, il reposa après une sainte mort ; ses restes sacrés ne quittèrent pas ces lieux. »[5] Il précise encore que « la clémence divine a donc déjà répandu au loin à travers le monde entier la gloire du bienheureux confesseur Léonard du Limousin et sa puissante intercession a fait sortir de prison d’innombrables milliers de captifs ; leurs chaînes de fer, plus barbares qu’on ne peut le dire, réunies par milliers, ont été suspendues tout autour de sa basilique, à droite et à gauche, au-dedans et au dehors, en témoignage de si grands miracles. On est surpris plus qu’on ne peut l’exprimer en voyant les mâts qui s’y trouvent chargés de tant et de si grandes ferrures barbares. Là en effet sont suspendus des menottes de fer, des carcans, des chaînes, des entraves, des engins variés, des pièges, des cadenas, des jougs, des casques, des faux et des instruments divers dont le très puissant confesseur du Christ a, par sa puissance, délivré les captifs. Ce qui est remarquable en lui, c’est que, sous une forme humaine visible, il a coutume d’apparaître à ceux qui sont enchaînés dans les ergastules, même au-delà des mers, comme en témoignent ceux que par la puissance divine il a délivrés. »[6] Le Guide poursuit encore quelques lignes ainsi et son auteur fustige les moines de Corbigny, dans la Nièvre, qui prétendent avoir les reliques du saint – « les fidèles qui vont là-bas croient trouver le corps de saint Léonard du Limousin qu’ils aiment, et, sans le savoir, c’est un autre qu’ils trouvent à sa place. »[7]

En fait, c’est partir du XIe siècle que le pèlerinage à Saint-Léonard en Limousin se développe. En 1105, pour veiller sur les reliques du bienheureux saint Léonard et accueillir les pèlerins, les clercs s’organisent pour former un collège. Au XIIème siècle, un chœur permettant la circulation et la dévotion des pèlerins, par le moyen d’un déambulatoire ouvrant sur des chapelles rayonnantes, fut réalisé[8].

Ce qui est inexplicable dans le Guide – entre autres oublis importants –, c’est qu’il ne parle pas de Limoges, distante de Saint-Léonard de cinq lieues seulement. C’est d’autant plus étonnant que le parcours de Noblat jusqu’à Limoges est facile et conforme à la géographie, au fil de la Vienne[9]. Limoges – en particulier la Ville du château – était pourtant bien dotée de tout ce qui peut attirer le pèlerin : selon Grégoire de Tours, en effet, Saint Martial aurait été l’un des sept évêques envoyés de Rome au IIIe siècle pour évangéliser la Gaule. Il fut inhumé, avec deux compagnons, Austriclinien et Alpinien, dans une crypte surmontée d’une petite basilique. Le sanctuaire — future église Saint-Pierre-du-Sépulcre — était desservi par des clercs, qui s’organisèrent en communauté canoniale puis adoptèrent en 848 la règle de saint Benoît. La renommée de l’abbaye ne cessa par la suite de s’accroître, notamment lors de l’épisode du « mal des ardents » de 994, qui vit la plupart des évêques d’Aquitaine se rassembler à Limoges ; la guérison des malades fut obtenue, dit-on alors, par l’intercession de saint Martial, dont les reliques firent l’objet d’une ostension. En 1031, pour accroître la renommée de saint Martial qui connaît alors la concurrence de l’invention des reliques de saint Jean-Baptiste (et peut être celles de saint Jacques à Compostelle), les moines défendent son apostolicité. Ils sont aidés par le chroniqueur Adémar de Chabannes. Un concile tenu à Limoges en cette même année proclama saint Martial apôtre du Christ. L’abbaye était un haut lieu de pèlerinage, abritant plusieurs confréries et constituant également un très important foyer culturel et artistique. Son scriptorium était particulièrement réputé, tout comme son école musicale. Son influence se fit également sentir dans la production d’orfèvrerie et d’émaillerie limousines[10]. On peut penser que la ferveur des pèlerins était toujours forte lorsqu’Aimery Picaud ou d’autres auteurs écrivirent le Guide.

En tout cas, après avoir évoqué Saint Léonard, il conseille : « il faut rendre visite dans la ville de Périgueux au corps du bienheureux Front, évêque et confesseur qui, sacré évêque à Rome par l’apôtre saint Pierre fut envoyé avec un prêtre du nom de Georges pour prêcher dans cette ville. » C’en est donc fini du Limousin.

Alors pourquoi ce silence à propos de Limoges ? Je rappelle d’abord qu’il oublie, volontairement ou non, d’autres sanctuaires, et pas les moindres, Saint-Benoît-sur-Loire ou Saint-Denis, par exemple. Mais l’oubli de Limoges est, pour reprendre les propos de Raymond Oursel, une « énormité »[11]. Sans doute ne pourra-t-on pas trouver de réponse certaine, mais on peut se poser la question. Avec Raymond Oursel, que je vais citer, on peut écarter une explication « anachronique », l’argument « qui consisterait à créditer le clerc Aymery Picaud d’un discernement critique inouï, s’il avait passé sous silence ce siège d’un pèlerinage roman très fameux, et celui-là seulement, sous le prétexte que, rejoignant avec huit cents ans d’avance les incertitudes de l’érudition moderne, il aurait pu émettre quelque doute intellectuel, sinon sur la réalité même d’un premier évêque de Limoges nommé Martial, du moins sur l’authenticité de la carrière que la pieuse hagiographie lui avait prêtée et, spécialement, de sa relation avec le collège des Apôtres. »

En fait, il y a un personnage très important à la fois pour Compostelle et le Liber Sancti Jacobi : Diego Gelmirez, évêque, puis archevêque de Saint-Jacques-de-Compostelle, né vers 1060 dans une famille noble de Galice, mort en 1140. Je ne vais pas faire ici sa biographie, mais il a déployé une intense activité pour le sanctuaire : travaux, recherche de nouvelles reliques, contacts divers en France, voyage passant d’ailleurs par l’abbaye de Saint-Martial dont il s’est par la suite inspiré de la liturgie, plusieurs entretiens à Cluny avec le vénérable Hugues de Semur, jusqu’à être élevé par le pape Calixte II à la dignité archiépiscopale. Il se préoccupe de la sécurité des pèlerins, embellit toujours la ville et la cathédrale, fait édifier un nouveau palais épiscopal, fait édifier un nouvel ensemble hospitalier pour les pèlerins. Mais par ailleurs, il consolide la promotion du sanctuaire par l’écrit et l’enluminure[12]. C’est lui qui initie la réalisation du Liber Sancti Jacobi vers 1130 ; il sera achevé vers 1150-1160. Comme se l’est demandé l’historienne américaine Alison Stones, on peut légitimement se demander qui a eu vraiment connaissance du Guide ? Il n’a sans doute été lu que par les abbés et les moines qui eurent accès à l’original ou à ses quelques copies, soit qu’ils résident dans les abbayes dont les bibliothèques en disposaient, soit qu’ils soient de passage. Peut-être a-t-il été commenté, peut-être a-t-il fait l’objet de conversations, peut-être son contenu a-t-il été plus ou moins diffusé à l’extérieur de manière orale, mais tout cela de manière modeste. En 2005, une étudiante, Florence Viant, a consacré son master 2 Option Réseaux d’information et Document électronique à ce Livre de Saint Jacques a rappellé que c’est une  « obra  de  propaganda »,  dont  le  but  est  de  célébrer  saint  Jacques  et  son  pèlerinage en interne, au sein de l’Eglise. On peut toutefois supposer que l’auteur ou les auteurs n’eurent pas spécialement à cœur d’évoquer le sanctuaire de Limoges construit sur le tombeau d’un saint également proclamé apôtre par les Limougeauds, c’est-à-dire, en fait, un concurrent.

Il faut enfin aussi ajouter, par rapport au tracé des chemins mentionnés dans le Liber Sancti Jacobi, que l’historienne Denise Péricard-Méa a remarqué qu’il coïncidait en partie avec ceux des sanctuaires favoris des seigneurs aquitains conviés, en 1135, au couronnement d’Alphonse VII comme empereur.

En tout cas, lorsque parut le Guide des chemins de France et des fleuves du royaume au milieu du XVIème siècle, chez l’imprimeur parisien Charles Etienne, Limoges figurait bien sur l’itinéraire mythique allant de Vézelay à Compostelle, via Saint-Léonard-de-Noblat. Et les diverses cartes des chemins indiquent par la suite toujours Limoges comme point obligé de passage.

 

 

[1] J. Vieilliard, Le guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, édition de 1997, note 1, p. XI.

[2] P. Huchet, Les pèlerins de Compostelle, Mille ans d’histoire, Ouest-France, 2010, p. 48.

[3] La légende de Compostelle, Tallandier, 2003, résumé sur le site SaintJacquesInfo.

[4] « L’image de l’autre au Moyen Age. La représentation du monde rural dans le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle », Cahiers d’histoire [En ligne], 45-3 | 2000, mis en ligne le 13 mai 2009, consulté le 23 juillet 2017. URL : http://ch.revues.org/285

[5] J. Vieilliard, op. cit ., p. 53.

[6] Ibid., p. 57.

[7] Ibid, p. 55.

[8] http://www.limousin-medieval.com/saint-leonard-de-noblat

[9] R. Oursel, Routes romanes 1 La route aux saints, Zodiaque, 1982, p. 261.

[10] L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.

[11] R. Oursel, Routes romanes 1. La route aux saints, Zodiaque, 1982, p. 261.

[12] P. Huchet, Les pèlerins de Compostelle, Mille ans d’histoire, Ouest-France, 2010, p. 44.

06 Sep

13, rue de Genève

 

  • Et maintenant, essayez de vous rappeler.
  • La ville ? C’était, je crois, une ville grise, au cœur de la France. Il pleuvait souvent…
  • Une ville grise ?
  • Oui… D’anciennes manufactures, des quartiers en forme de faubourgs, une gare désaffectée de laquelle, autrefois, on partait vers les Charentes…
  • Mais n’était-ce pas au début des années 70 ?
  • La première fois que je suis venu à Limoges, c’était à l’automne 1973…
  • Mais vous parlez de cette première rencontre comme si elle s’était déroulée à la fin des années 1930…
  • Aujourd’hui encore, quelquefois…
  • Pourtant, une sorte de géographie sentimentale, de nostalgie…
  • Oui, à cause d’un lieu. La magie d’un lieu…
  • Essayez encore… Avez-vous des bribes d’adresse, un nom ?
  • Attendez… Je me rappelle un petit manoir, entouré d’arbres, à peine visible entre les immeubles… Il y avait non loin, une voie de chemin de fer…
  • Où vous avez habité ?
  • Non, pas vraiment… C’était une sorte de no man’s land, un autre pays… La Suisse, peut-être… Un paysage tranquille dans lequel se promenaient des jeunes gens convalescents…
  • Un souvenir de maladie ?
  • L’enfance… Oui, je me rappelle, l’enfance. Ils essayaient de soigner leur enfance. Il y avait un Professeur, Sorenno, Soriano, oui, c’est cela, Soriano… Je crois qu’il s’appelait ainsi… C’était un éminent spécialiste qui avait bien connu Riquet à la Houppe et le Petit Poucet, Cendrillon et le Chat Botté… C’est pour cela, sans doute, qu’il habitait ce château singulier avec son parc peuplé de chevêches… Mais il n’est pas resté longtemps. L’année suivante, il est parti. Une vilaine histoire. On lui prêtait des… contes en Suisse, au 13 de la rue de Genève.

 

Alain Galan, écrivain, se souvint ainsi de son passage à la Faculté des Lettres de Limoges, naissante (Analogie, n°20-21, 1990).

02 Août

Jack Lang au Festival international des francophonies de Limoges

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Photos (c) L. Bourdelas

Je ne retrouve pas la date de ces photographies (1988 ?). Jack Lang arrive au chapiteau du Festival des Francophonies, au Jardin d’Orsay, accompagné par Robert Savy, président du Conseil régional du Limousin, 1er adjoint au maire de Limoges – Louis Longequeue, également sur les photos. Le ministre de la culture prononce un vibrant discours auquel répond Pierre Debauche, fondateur du festival en 1984. A sa droite sur la photo, derrière la plante, Monique Blin, cofondatrice, puis directrice, du festival.