PARCOURS et FIGURES
Jean Pellotier, figure totémique du théâtre limougeaud
l’acteur limousin Jean Pellotier par C. Lagarde
Jean Pellotier a partagé sa carrière entre le théâtre où il fut comédien et metteur en scène, et la radio, notamment « Limoges-Centre-Ouest » où il jouait des dramatiques radiophoniques dans les années 50. Professeur d’art dramatique au conservatoire de Limoges entre 1966 et 1993, il a également présidé l’association du théâtre de la Passerelle à Limoges pendant 27 ans. Il est mort à l’âge de 88 ans, en 2014 et nous avons été un certain nombre de ses anciens élèves, amis, spectateurs, à assister à ses obsèques à l’église Saint-Pierre de Limoges.
Voici ce qu’il m’avait confié :
« Ainsi que nombre de comédiens, c’est en partie pour vaincre ma timidité et aussi parce que j’ai éprouvé très vite une passion pour la poésie, que je commençai à m’entraîner dans la chambre vide d’un très vaste appartement – pièce comportant une alcôve pouvant figurer un plateau. C’est donc sous l’Occupation que j’affrontai le public en des spectacles donnés au bénéfice des prisonniers de guerre. Encouragé par mes camarades collégiens auprès desquels, me semblait-il, j’avais gagné quelque estime, je montai à Paris, venant de Fontenay-le-Comte en Vendée, avec une insouciance totale vis-à-vis de la concurrence, cramponné à mon ego ! C’était l’automne 1945.
Je m’inscrivis au cours d’un certain Louis Blanche (le père de Francis), comédien au Théâtre de l’œuvre. Ces cours avaient lieu au Théâtre des Noctambules, à deux pas de la Sorbonne. Je n’y suis resté que quelques mois. Et ce furent des mois de petits boulots : spectacles de patronage, synchro, figuration… et théâtre de salon chez ma propriétaire, poétesse et hagiographe à la Bonne Presse… ambiance « Madame Verdurin ». Pour sortir de cette situation aléatoire, j’eus l’idée de me présenter à un concours de speaker en 1947, conjointement à une audition de comédiens à la Radio Diffusion Française. J’eus la joie d’être reçu, mon timbre de voix convenant au style très officiel propre à l’époque. Nommé à Tunis (1949-1955) puis à Toulouse (1955-56), je suis arrivé ensuite à Limoges, boulevard Victor Hugo, où j’ai exercé jusqu’à l’éclatement de l’Office – 26 ans de radio au cours desquels le métier de speaker s’effaçait sournoisement face à l’emprise grandissante des journalistes et animateurs plus ou moins déboutonnés… Dieu merci, les émissions dramatiques m’ont permis de tenir la tête au-dessus des ondes, sans parler des émissions littéraires et de plusieurs spectacles décentralisés ou de télévision régionale et nationale.
Et ce fut le Conservatoire de Limoges, où je suis resté aussi 26 ans, succédant à Jean Dorsannes, mon successeur étant Michel Bruzat. Vinrent ensuite nombre de participations avec J.P. Laruy, le Grand Théâtre, le Festival de Bellac, Michel Bruzat, des films avec Patrick Jeudy, la télévision avec Serge Danot… Verba volent ! »
La Dédée
par Marc Bruimaud
Andrée Eyrolle et Marc Bruimaud (c) SerGe
Lors d’un épisode d’X-Files (« Le retour de Tooms »), Mulder et Scully attendent depuis des heures dans une voiture, ils papotent gentiment et soudain, chose inédite, Scully, qui s’inquiète pour la santé de son partenaire, appelle Mulder « Fox » (c’est son prénom). Amusé, Mulder lui répond : « Même mes parents m’ont toujours appelé Mulder ! ». Dans la vie, mine de rien, c’est important, comment certaines personnes vous appellent… Par exemple, j’avais une amie qui m’appelait « Mon gros lapin », une autre « Le vilain Meussieu ». Andrée Eyrolle, elle, elle m’appelait toujours « Bruims » : « Ah, c’est toi, Bruims ? », « Comment tu vas, Bruims », ou, encore mieux : « Bruims… Tu m’emmerdes ! ». Vous n’imaginez pas à quel point ça me plaisait, venant de La Dédée.
Sinon, La Dédée, c’était la personne la plus chavirante (non, j’en ai connu une autre qui s’appelait Marguerite H., mais bon, c’est une autre histoire) de la théâtreuserie locale, un bloc de sentiments tellement maousse costo que les kilos s’y étaient agglutinés. Elle avait beau cacher ça sous sa charpente ossue (comme disent les cruciverbistes), le poids du romantisme brut lui collait aux sandales, celui de l’offrande universelle – c’est pour ça qu’elle avait créé « Urbaka » et permis gracieusement à nous, pauvres humains avides d’amour, de vibrer au butō ou d’assister Ilka Schönbein accouchant de la souffrance du Monde Place de la République, puis sur un terrain de foute à Beaubreuil, devant les gosses du quartier. Il y eut aussi, évidemment, « La Passe imaginaire », de mémoire limougeaude, on n’avait jamais maté comédienne relevant ses jupes aussi haut, telle une Déesse des Mirodromes. D’ailleurs, quand La Dédée et Grisélidis, l’autrice du texte (comme disent les féministes) posaient côte à côte au comptoir d’un bistrot, on se demandait vraiment qui était la putain… Enfin, je sais que ça n’a rien à voir, mais les mois d’été, on pouvait admirer, lovées dans des pliants, La Dédée et sa maman au bord du lac de Bournazel à Seilhac (Corrèze), ce qui vaut bien Fellini ou Kitano.
Pour conclure « à la Perec », je me souviendrai longtemps d’elle devant les locaux perpétuellement en friche de « Mais…L’Usine », sa « factory in progress », me disant : « Bordel, Bruims, t’as vu à quoi on ressemble ?! ». Et puis, elle rigolait (son fameux rire à la fois cristallin et guttural) en ajoutant : « Pourtant, on continue ». Alors, c’est vrai, les matins où j’ai un peu de mal à me lever, je me dis : « Bordel, Bruims, fais pas ta chochotte ! » – et je me lève.
« Oh lala, lala, lala ! »
le témoignage de Robert Birou du Théâtre du Cri à Brive
Oh lala, lala, lala ! s’écrie Lulu devant la cheminée où, lui a-t-on dit, doit bientôt descendre le Père Noël. Il écarte les bras et lâche les souliers – bien cirés ! – qu’il tenait à la main. Et puis… Rideau ! Voilà. C’est tout. La scène se passe à l’école publique de Mayrinhac-Lentour, dans la classe des petits. L’interprète de Lulu se prénomme Robert. Il a six ans… peut-être sept… ou huit, pas plus! Nous sommes tout au début des années 50.
Aujourd’hui, Robert a oublié les raisons de cette exclamation et de ce geste. Par contre, la sensation forte qu’ils lui ont procurée est restée dans sa mémoire : une impression d’ouverture, d’élargissement, d’épanouissement. Avec ce geste qui, chez le personnage de Lulu, exprimait peut-être un sentiment d’impuissance, il aura l’impression de s’être projeté d’un coup dans un espace nouveau, d’avoir fait craquer les coutures du quotidien, de s’être risqué sur des territoires inconnus. Et l’exclamation d’un Lulu, sans doute catastrophé, résonne en lui comme un cri de jouissance et d’espérance à la perspective d’une liberté à conquérir.
Était-il passé dans la classe des grands, quand il a entendu pour la première fois : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » Probablement. Mais il n’a gardé en mémoire que la découverte de cette réplique fameuse. A ce moment-là, il ignorait que quelques années plus tard, sur une scène de théâtre, il exhorterait le Rodrigue en question à se battre pour l’honneur et pour l’amour : « Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix. » Eh oui ! A quinze ans, au petit séminaire dont il était l’élève, à Gourdon, il a interprété Chimène!
A la question : « Pourquoi faites-vous du théâtre ? », j’ai envie de répondre par cette exclamation venue du fond de mon enfance. Après tout, il suffit de la lâcher avec le ton qui convient! De lui donner l’inflexion qui traduira l’embarras éprouvé devant une pareille interrogation ! Sans prétendre fournir vraiment des explications, on pourra ensuite égrener quelques souvenirs plus ou moins flous que l’on chargera de placer ce choix sous le signe d’un certain déterminisme. C’est une façon de se tirer d’affaire qui en vaut d’autres, me semble-t-il. Et ça ne mange pas de pain, comme dit l’autre !
Les Tréteaux de l’Alzou ! A Mayrinhac-Lentour (Lot), au cours de l’été 1965, un groupe, qui va bientôt prendre ce nom, se constitue pour faire du théâtre. Au départ, il y a mon souhait de mettre sur les planches une pièce que j’ai écrite, sorte de vaudeville scolaire. Alors, pour cela, je mobilise : les copains, les copines, les cousins, les cousines, les frangins… Et nous nous retrouvons, souvent nombreux (plus de 20 parfois), à répéter pendant l’été. Notre répertoire ne manque pas d’ambition ni d’éclectisme : Le médecin malgré lui de Molière, Je veux voir Mioussov de Kataiev, le Revizor de Gogol, On purge bébé de Feydeau, Black Comedy de Shaffer…
Le 17 mai 1972, au Centre Raoul Dautry des Chapélies, à Brive-la-Gaillarde, le Théâtre du Cri donne sa première représentation: Devant la porte de Borchert, devant un public constitué pour l’essentiel d’amis et de membres des familles. Le groupe s’est constitué quelques mois plus tôt, à l’automne 1971. Son noyau est formé de jeunes enseignants du collège et du lycée Bossuet où je participe, auprès de mon collègue Bernard Lacombe, à l’animation du club d’art dramatique. Tous les deux, nous éprouvons l’envie “d’aller plus loin” dans la pratique théâtrale. C’est de cette envie que va naître Le Théâtre du Cri que je continue d’animer avec Michèle, mon épouse.