28 Déc

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (34): expériences diverses

Urbaka

En 2019, le festival Urbaka a fêté ses 30 ans d’existence. Lors d’un voyage sur les bords du Congo, Andrée Eyrolle découvre les Akas, tribus pygmées qui inventent des fêtes du coucher au lever du soleil, « des fêtes de mutants », d’où le nom d’Urbaka, en hommage à la ville « urb » et à cette tribu d’Afrique les « Akas ». Avec 30 éditions à son actif, plus de 200 000 spectateurs et 4000 artistes venus de multiples horizons, Urbaka – festival entièrement gratuit – a lieu fin juin, pendant quatre jours dans les rues de Limoges. Mais, comme le disent ses animateurs,  « parler des Arts de la Rue n’est pas tout à fait juste… parlons d’art, de création et d’intervention dans l’espace public, rural et urbain, de réappropriation de l’espace public. Urbaka investit des lieux trop souvent ignorés, des lieux de passages, de vie, du quotidien… Urbaka réinvente les places, les rues, les squares, les pelouses, les jets d’eau, afin de faire circuler et se rencontrer les hommes. Plus qu’une programmation, Urbaka revendique une démarche politique et artistique, au-delà de son aspect marchand, un espace ludique et poétique. » Sur le programme de l’édition de 2019, le président, Jacques Reix, précisait encore : « Se retrouver au détour d’une rue, se rencontrer au début de l’été, se servir de la rue pour défendre la liberté d’expression, vivre ensemble le mariage de cultures et de disciplines artistiques, rester un indicateur de démocratie, écrire le temps du festivall’histoire d’instants poétiques et festifs, décalés et harmonieux, vivre des moments d’intimité intense et d’émotions partagées. Voilà ce qui caractérise Urbaka. » En 2019, le Festival a aussi organisé des ateliers aux Portes Ferrées – avec Brice Durand de la Compagnie Tac o Tac qui a formé des jeunes aux échasses – et à Beaubreuil. Et le 14 juillet, pour célébrer la naissance d’Auguste Renoir à Limoges, diverses animations ont eu lieu, dont une plongée dans Le Déjeuner des canotiers presque reconstitué par la Compagnie Impressionne-moi avec des saynètes théâtrales, des tableaux vivants de l’impressionnisme, des danses de l’époque.

René Bourdet (c) L. Bourdelas

 

René Bourdet à La Spouze

Dans les années 1980, René Bourdet revient s’installer à La Spouze, du côté de la Celle-Dunoise, en Creuse. Ses grands-parents y avaient acheté le manoir de Paul Gavarni (de son vrai nom Sulpice-Guillaume Chevalier), célèbre illustrateur et caricaturiste – collaborateur régulier du Charivari – de la Monarchie de Juillet. Ils y firent une ferme. Lui y créa un festival culturel pour lequel il se donna sans compter. « Monté » à Paris, René avait été formé par Pierre Debauche, et mena sa carrière sur les planches, ponctuée de régulières apparitions au cinéma et dans des fictions télé. Surtout, il vécut la grande aventure du théâtre populaire et de la décentralisation culturelle : « Avec ma troupe, nous jouions dans les municipalités communistes. Dans les années 1960, il n’y avait pas de théâtre en banlieue. » Au cours des années 1970, le grand producteur Jacques Canetti l’a envoyé, avec deux compères, chanter dans les écoles de France : « On mettait en musique des poèmes de Vian, Desnos, Tardieu ou Jacob. Pour les enfants, c’était nouveau. » A La Spouze, le « petit » festival a proposé, chaque été, à des milliers de spectateurs, des spectacles, des tours de chant et des expositions, mettant en valeur les grands auteurs du monde et de Creuse, les grands artistes locaux et nationaux, Prévert, Vian, Aragon, Césaire, Desproges mais aussi de Sand, Leroux, Nadaud, Marouzeau, Dayen ou encore Rollinat.

 

L’Attraction à vent

En 1990 est créée le Théâtre de l’Attraction à Vent – présidé en 2019 par Jean-Louis  Roland, metteur en scène, et installé à Isle (Haute-Vienne) – qui propose de nombreux spectacles, dans les théâtres et les salles des fêtes du Limousin, parmi lesquels : Le Général inconnu (Obaldia), Rainbow pour Rimbaud (Teulé), Le Malade imaginaire (Molière), Oncle Vania (Tchekov) ou bien encore Le Barbier de Séville (Beaumarchais) ou L’Eau en Poudre d’après Les Diablogues (Dubillard). Tailleur pour dames (Feydeau) a reçu le Prix des jeunes et le Prix du jury de Festhéa d’Aixe-sur-Vienne (Haute-Vienne) en juin 2019. Parmi les nombreux comédiens associés : Nadine Droulas, Arnaud Rakitch, le regretté Alain Barreau, professeur de lettres apprécié et engagé, et Pascal Léonard, professeur de lettres mais aussi excellent critique théâtral et culturel jadis à Limousin Magazine et Radio Trouble-Fête sous le pseudonyme de Pascal Antoine… et tant d’autres. Il semble que cette troupe fasse siennes les paroles qu’elle utilise pour présenter son Tailleur pour dames d’après Feydeau : « Comique de mots, comique de situations, quiproquos, méprises, mensonges en cascade et rebondissements imprévus ».

 

Festhéa

Créée en 1985 par Alain Dessaigne, l’association Festhéa mentionnée plus haut a pour objectif majeur de valoriser les prestations du théâtre amateur. 2019 a vu sa 35ème édition (sélections régionales puis nationales). Parmi ses lauréats nationaux, des Limousins que je cite car ils le méritent et parce que cela permet de se remémorer certaines compagnies disparues : en 1989, elle a décerné son Tour d’ARGENT à L’Eveil du printemps de Frank Wedekind par le Théâtre de l’Ecale ; en 1991, Tour d’ARGENT : Je t’embrasse pour la vie, création par le Théâtre de l’Ecale ; en 1992, Tour d’ARGENT : Le Saperleau de Gildas Bourdet par l’Ouche Théâtre ; en 1995, Tour d’ARGENT : Madame de Sade de Yukio Mishima par le Théâtre de l’Ecale ; en 1997, Prix d’INTERPRETATION « féminine sénior » : Pascale Blanchet, Christianne Chaume et Ghislaine Pautard de la compagnie L’attraction à vent pour leur interprétation dans Inventaires (Minyana) ; en 1999, Tour d’OR : La Cerisaie d’Anton Tchekov par L’attraction à vent ; en 2000, Prix S.N.C.F., ex-æquo, prix spécial du Jury, Prix du public et prix des techniciens « gélatine d’or » : Petites pièces macabres de Noëlle Renaude, Louis Calaferte, Anna Nozière et Hervé Blutsch par la Compagnie Peer Gynt ; en 2001 : Le prix d’encouragement – Le prix de la S.N.C.F., prix du départ : Métaphysique et surgelés de Matthieu Provedi par la Compagnie Escogriffe ; en 2002, Le prix des techniciens « gélatine d’or » : l’équipe technique du Théâtre de la Baignoire pour le spectacle Les Bonnes de Jean Genet ; en 2005, prix d’interprétation masculine à Alberto Fernandes dans Cela pourrait durer le temps d’une vie  par Les Cueilleurs de Pluie ; en 2010 : Tour d’ARGENT : Souffler sur les cendres de Patrick Filleul – Théâtre de l’Ecale ; en 2011, prix d’interprétation féminine pour July Frauziol[1] pour son rôle de « la Fille » – spectacle L’Entretien – Compagnie Ni Une ni Deux ; en 2013, Le prix de l’affiche pour Poil de carotte de la Compagnie Théâtre de l’Ecale.

 

Logo Paroles

 

            La Compagnie ParOles

En 1993, Martine Panardie et l’excellent comédien Denis Lepage créent à Limoges la Compagnie ParOles (avec par la suite Steeve Gonçalves, Angélique Pennetier, à l’administration, Jérémy Pain, Nathalie Flecchia, à la technique, Anne Vuaillat), « à l’écoute des différents publics – jeunes, adultes, marginaux, handicapés, tous «autres», tous riches de paroles et de présence, en demande d’un théâtre différent. » Les actions de la Compagnie s’adressent tout particulièrement aux publics d’origines, de cultures et de difficultés diverses, ceux qu’on dit «spécifiques» : tournées de créations professionnelles originales et de spectacles de théâtre – in[ter]vention, productions d’ateliers, formations de formateurs, accueils de compagnies complices et collaborations artistiques, sensibilisations au théâtre dans les quartiers, les établissements spécialisés, le milieu carcéral, le milieu de l’insertion des jeunes… Avec la connaissance et la pratique du terrain de ses comédiens – formateurs qui travaillent en équipe depuis plusieurs années, ParOles a acquis cette capacité d’intervenir sur la plupart des secteurs sensibles, de créer et de diffuser ses créations originales de théâtre contemporain en les rendant accessibles à tous. Les responsables de la compagnie définissent ainsi leur démarche : « notre travail de création se situe au cœur de toutes les mutations en cours, s’enrichissant sans cesse de ce que la norme repousse à la marge. L’envie de (se) dire naît de la force critique de rencontres, d’une nécessité d’échanges et de confrontation : c’est la pratique d’un droit de culture(s). Il s’expérimente en atelier de recherche et, si possible, intègre dans sa phase professionnelle de réalisation des comédiens «extra-ordinaires» (personnes handicapées, comédiens sourds, jeunes en insertion…). L’attention portée au processus de création est essentielle : elle garantit l’inventivité, l’originalité de la création, et son authenticité. Autant que traiter et questionner, notre démarche consiste à détourner les thèmes abordés : enfermement, maltraitance, parentalité, déviances, image de soi, exclusion, identités au féminin, vieillissement, santé… » ParOles, ce sont un festival annuel, des créations intéressantes et réussies, émouvantes et questionnantes tout au long de l’année, des interventions et des ateliers. Denis Lepage me précise pour ce livre : « ParOles s’est crée avec la volonté ferme d’aller vers et de travailler avec des publics généralement exclus de ce qu’on appelle la culture légitime, comme j’ai pu l’être à l’origine de par mon histoire personnelle. Ni le théâtre, ni l’art en général ne sont des choses qui m’étaient proches au départ compte tenu de mes origines ouvrières. C’est la curiosité de l’autre, le besoin de raconter autre chose et autrement du monde, l’envie d’échapper à tout formatage qui amène un jour à monter sur une scène, à tenter de la transformer en espace politique, en lieu de prise de parole, au service et en connivence avec le réel. Nous sommes Martine et moi, chacun à notre manière, de purs autodidactes qui ont modestement contribué au combat qui reste plus que tout d’actualité aujourd’hui de « démocratiser » l’accès aux œuvres et la pratique culturelle. Le passage par Expression 7 dans les années 80, perçu comme une caricature de l’avant-garde conception Jack Lang, nous a juste permis de vérifier au fil des expériences qu’il y avait pour nous un autre théâtre à faire. L’histoire de ParOles a alors pu se construire dans un mouvement général plus ou moins marginal qui pendant une vingtaine d’années a mobilisé des acteurs et des moyens (en train de s’effondrer aujourd’hui) autour d’une belle utopie pour rendre aux exclus une part publique de leur richesse et de leurs potentiels créatifs et une vraie prise en charge de leur destin et de leurs paroles. »

 

Naissance du Centre Jean-Pierre Fabrègue à Saint-Yrieix-la-Perche

En 1994 est inauguré le centre culturel Jean-Pierre Fabrègue (du nom de l’imprimeur) à Saint-Yrieix-la-Perche, dans le sud de la Haute-Vienne. L’un des architectes, Yves Le Jeune, est d’ailleurs lié au théâtre. Diplômé en 1981, il s’est notamment spécialisé dans la conception ou la rénovation de lieux culturels, comme le théâtre de L’Union à Limoges. Parallèlement, il crée des décors et costumes pour des chorégraphes et pour des metteurs en scène (Pierre Debauche, Robert Angebaud, René Loyon, Pierre Vial, Jean-Pierre Rossfelder, etc.) dans des scènes nationales ou à l’étranger. Il a participé à la création du Festival International des Francophonies. Le centre héberge une salle de spectacle et la bibliothèque municipale.

 

Graines de rue à Bessines-sur-Gartempe

L’association Graines de rue est quant à elle implantée à Bessines-sur-Gartempe dans le Nord de la Haute Vienne, où elle a été créée en 1998,  avec une vocation culturelle et d’éducation populaire, œuvrant à promouvoir le spectacle vivant de proximité en favorisant la mise en place d’activités artistiques et l’émergence d’actions culturelles se déclinant autour de deux axes: la citoyenneté, en formant et en accompagnant des jeunes par la pratique artistique la volonté de démocratisation culturelle, en dynamisant le territoire par la diffusion de spectacles professionnels et amateurs. Cela passe par des ateliers théâtre, avec 200 jeunes touchés, six à huit résidences d’artistes dans l’année, l’accompagnement d’artistes en création, avec le réseau des Fabrique RéUnies, un festival d’Art de Rue durant quatre jours, le week-end de la Pentecôte et une compagnie associée et une action culturelle inédite chaque année.

 

Sur le plateau de Millevaches

Du côté du plateau de Millevaches, diverses initiatives ont permis ou permettent encore d’assister à des spectacles de qualité. Ainsi du festival des Souffleurs de Terre, créé à Eymoutiers en 2003 par la Compagnie 7AC, qui compte parmi ses membres Marc-Henri Lamande, musicien, écrivain et comédien de grand talent, né à Limoges en 1955, ancien élève de Jean Pellotier au conservatoire d’art dramatique. Il joue aux côtés de Jean-Pierre Laruy au C.T.L., fait partie de la troupe de théâtre du C.C.S.M. Jean Gagnant « Les Masques » dirigée par Henri-Louis Lacouchie, travaille un temps avec Michel Bruzat. Sa rencontre avec Andrée Eyrolle est décisive et il participe avec elle et d’autres à de nombreux événements et créations. Il crée ses propres textes dans des scénographies originales accompagnées par des musiciens tels que Michel Thouseau, le collectif Wild Shores, Cyriaque Bellot, Maja Eliott. Il a par ailleurs interprété/incarné Céline sur scène dans des prestations saluées par la presse nationale. En 2017, à Eymoutiers, Sylvain Creuzevault et sa compagnie se lancent dans la réhabilitation des abattoirs d’Eymoutiers pour s’y installer. L’année suivante, ils créent le « Festival du théâtre raté », en référence à Beckett, « rater encore, rater mieux ». Au printemps 2019, le directeur écrivait : « avec des amis, nous transformons d’anciens abattoirs en lieu de théâtre. Sur les bords de la Vienne, nous construisons aussi un paradis où nous faisons pousser fruits et légumes. J’aime mettre en scène, écrire, lire, jardiner (cette année, ça va être chaud !), vivre à la campagne, révolter les villes. J’imagine Les Abattoirs d’Eymoutiers comme un lieu de créations, d’hospitalités, de positions. »[2]

A Faux-la-Montagne, Serge Ternisien et ses amis ont créé « Folie les Mots » : « Ça pourrait s’intituler, paroles estivales, variations théâtrales… Une rencontre de l’Homme et de sa parole. Il y serait question de mots et d’usage de mots. Un univers festif avec comme toile de fond, un jardin, une forêt de feuillus, une grange… Des lieux insolites où il ferait bon se rencontrer, on prendrait le temps de distiller les mots de porteurs d’histoires venus d’ici et d’ailleurs. Sortir le théâtre et les mots des lieux convenus et permettre ainsi au plus grand nombre de se les approprier. » il s’agit d’un festival estival très convivial et agréable à la fois pour les spectateurs et les artistes (comédiens, écrivains, poètes) qui y participent, la plupart du temps en plein air, dans des jardins mis à disposition par leurs propriétaires.

 

La mégisserie

A Saint-Junien, en Haute-Vienne, La Mégisserie (installée depuis novembre 2005 dans l’ancien abattoir très bien rénové, elle accueille une salle de spectacle de 350 places assises) est un théâtre ouvert douze mois sur douze qui propose une programmation artistique pluridisciplinaire : théâtre, cinéma, danse, musique, chanson, humour, conte, cirque, photographie. Une orientation forte est mise autour de la voix. Sont également programmées des expositions photographiques. Avec les « BIP » – Brigades d’Intervention Poétiques, la Mégisserie met en place un travail de proximité : petites formes de spectacle « hors les murs » chez les habitants, dans les quartiers, les écoles, les cafés, les commerces, les jardins, les bibliothèques, les fermes… La Mégisserie propose entre trente et quarante spectacles par saison. Des spectacles où souvent l’humour, l’humanité, l’émotion, la virtuosité et l’intelligence sont très présents. Elle propose également des ateliers, des rencontres, des résidences d’artistes et des projets artistiques avec les habitants.

 

Les Treize Arches

L’établissement public de coopération culturelle (EPCC) Les Treize Arches est né en 2009, avec huit collectivités adhérentes et une quinzaine d’entreprises mécènes. En mars 2011, il s’installa au Théâtre municipal de Brive. L’année suivante, les Treize Arches devinrent scène conventionnée sur le thème  « Arts croisés, écritures d’aujourd’hui». Une renaissance pour ce lieu du patrimoine briviste, construit en 1887, resté fermé pendant cinq ans. Le projet de rénovation du bâtiment, devenu obsolète, avait été lancé par l’ancienne municipalité, mais finalement revu et réalisé par la majorité de gauche. En 2013, Jean-Paul Dumas, le directeur, déclarait au Point: « On n’est ni dans le populisme ni dans la démagogie. On travaille avec les centres socio-culturels, les associations de quartier, les scolaires, dans un souci constant de mixité sociale. » Et d’avancer pour preuve les tarifs très abordables. Ainsi la version de La flûte enchantée par Peter Brook fit-elle salle comble, pour un prix maximal de 18 euros la place. Le public répondait présent : pour la 3ème saison, à la mi-octobre, 15 000 billets avaient déjà été achetés et le théâtre comptait 28 % d’abonnés de plus que l’année précédente. Un partenariat existait avec la très fréquentée Foire du Livre.

La structure avait choisi son nom en référence à l’histoire ancienne de Brive. Plus précisément à celle de la fin du Moyen âge lorsque les consuls de la cité décidèrent de construire un pont en pierre de treize arches reliant les deux rives de la Corrèze. A l’époque, la rivière passait en de multiples bras sinueux, ce qu’on appelait alors la Guierle, un secteur de la ville particulièrement insalubre. Ce nouveau pont s’étendait du bas de l’actuelle rue Toulzac pour s’étendre jusqu’à la moitié de l’avenue de Paris. En 1730, le marquis Aubert de Tourny, nouvel intendant de la province, décida d’assécher la Guierle en regroupant les différents bras de la Corrèze en un seul, le plus loin possible au nord de la ville. Un canal fut alors construit reliant le cours de la rivière, ainsi qu’un nouveau pont l’enjambant, le pont Cardinal. Le pont aux treize Arches fut détruit en 1832 lors du percement de la rue Toulzac. Etonnamment, il y a très exactement 13 fenêtres sur la façade du rez-de-chaussée du théâtre formant autant d’arches.

 

La Marmaille

De 2008 à 2016, à Limoges, le Théâtre de la Marmaille, associé à la Compagnie Onavio d’Alban Coulaud, programme des spectacles destinés au jeune public. La Marmaille organise également des ateliers parents-enfants préparés par les artistes invités et en lien avec leurs spectacles, des ateliers hebdomadaires de théâtre pour enfants, adolescents et adultes, des expositions… La Compagnie Onavio « articule son travail autour de deux formes théâtrales : le théâtre du langage et de la pensée et celui de la « sensorialité » qui joue sur l’affect et les sensations du spectateur. À chaque création, l’équipe tente de questionner quelques-uns des fondements universels à partir de situations particulières, poétiques et politiques, tentant de mettre à jour une certaine absurdité du monde, une certaine vanité des hommes. Les spectacles sont entretissés de thématiques récurrentes : le passage de l’enfance à l’âge adulte, la vérité et le mensonge, la mémoire, la guerre et le conflit… »[3] Mais en mai 2016, France Bleu Limousin annonce que les salariés et les bénévoles de La Marmaille sont obligés de fermer les portes « pour une durée indéterminée. L’association fait face à de fortes difficultés financières, entraînant le licenciement de ses quatre salariés permanents. A l’origine du problème : des réductions budgétaires subies par la Compagnie O’navio ».

 

L’éphémère Comédie de Limoges et le P’tit Bidule à Saint Junien

Autre lieu disparu : La Comédie de Limoges, ouverte en 2014 par Corinne Labourel et Didier Oliviero, 1 rue de la cité. Un café-théâtre dans la lignée de celui qu’il avaient lancé à Nancy, quelques années auparavant. Situé dans un ancien entrepôt du quartier historique de la Cité, la Comédie de Limoges pouvait accueillir une cinquantaine de personnes. Corinne et Didier étaient à la fois directeurs, acteurs, auteurs et assuraient également toute la logistique de ce lieu façon « Café de la Gare » ou même « Echappée belle ». A l’affiche, des one man show, des vaudevilles… Une aventure qui se prolongea jusqu’au printemps 2019.

A Saint-Junien, Robert Rousselle ouvre Le P’tit bidule – qui porte bien son nom avec ses cinquante places dans un ancien magasin-atelier – au printemps 2018. Il déclare au journaliste Laurent Borderie : « J’aime le rapport au spectacle. J’ai toujours été fasciné par le silence qui précède le début d’une projection au cinéma ou d’un spectacle de théâtre. Je suis pianiste classique, comédien, metteur en scène et j’ai toujours voulu avoir un outil comme celui-ci pour proposer des spectacles, des performances, des créations, un vrai lieu de résidence pour les artistes aussi. »[4] Dès l’ouverture, c’est le fondateur qui signe la mise en scène, le texte et les lumières d’Antonio S., avec Philippe Cailleton, qui montre un Salieri aigri, à la veille de sa mort. Des soirées d’improvisation sont également programmées ou des spectacles pour enfants comme celui de Sandrine Canou, inspiré des livres de Nicolas Gouny sur la musique du Carnaval des animaux de Camille Saint Saëns.

 

 Horace par la Compagnie Thomas Visonneau (c) T. Visonneau

 

La Compagnie Thomas Visonneau

En septembre 2014 est fondée la Compagnie Thomas Visonneau qui commence à travailler à la Scène Conventionnée de Brive, avant Aubusson ou Expression 7. Divers spectacles sont montés, des interventions auprès de jeunes proposées, des « brigades de lecture » sont mises en place, des interventions en prison. Sur le site de la Compagnie, Visonneau écrit : « j’aime beaucoup la région de Limoges. Il y a des villes charmantes avec de très beaux théâtres et une campagne magnifique avec de très belles salles des fêtes. Et des établissements scolaires pour y faire des ateliers et transmettre notre passion. Et des cafés où faire des lectures. Et beaucoup de rêveurs à rencontrer. » Il entraîne dans son aventure Frédéric Périgaud, Arnaud Agnel, Julie Lalande, Laure Coignard, Léa Lecointe et Philippe Laurençon[5].

Pour sa sixième saison (2019-2020), la Compagnie s’installe à Agen, au magnifique et chaleureux Théâtre Ducourneau, aux côtés de sa nouvelle directrice Stéphanie Waldt et de sa fabuleuse équipe, où la troupe est invitée, associée, attendue, avec, notamment, la création d’un spectacle, Lettres à plus tard, et la programmation de 6 spectacles du répertoire tout au long de la saison.

 

Le témoignage de Thomas Visonneau

 

Que faire et comment… telle est la question. Shakespeare un jour m’a chuchoté que le monde entier est un théâtre alors j’ai dit : chiche ! J’ai lu quelque part que le théâtre c’est la poésie qui sort dans la rue : alors je suis sorti ! Plus tard j’ai appris que cette phase était de Lorca et j’en suis devenu dingue. Tout comme Brecht qui disait : un théâtre où on ne rit pas est un théâtre dont on doit en rire. Je me suis lancé dans l’aventure. A corps et cœur perdus. Comédien pour finir derrière la rampe je me répétais, comme Faust bien avant moi : qui peut penser une idée sotte ou sage que le monde avant lui n’ai déjà pensée ? J’étais rassuré. Je rêvais d’un théâtre simple et vrai, profond et clair. Les langues ont toujours du venin à répandre… Molière avait raison : c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. Je ne voulais pas tirer mon épingle du jeu mais au contraire : me mettre dans le jeu ! Car on ne se bat pas dans l’espoir du succès, déclare Cyrano, non, non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile. Alors jouons ! Je me sentais prêt ! Saute et le filet apparaitra me disait un professeur. Je saute. « Une pièce de théâtre doit être une sorte de personne : cela doit penser, cela doit agir, cela doit vivre ». Le grand Victor reste toujours de bon conseil. J’ai voulu m’implanter à Limoges parce que mon école y était et que c’est grâce à elle que j’ai appris le courage de choisir la vie, comme Norma dans la maison de poupée. Ibsen est comme Hugo, une montagne sur laquelle j’aime me reposer. Et puis j’aime beaucoup la région de Limoges. Il y a des villes charmantes avec de très beaux théâtres et une campagne magnifique avec de très belles salles des fêtes. Et des établissements scolaires pour y faire des ateliers et transmettre notre passion. Et des cafés où faire des lectures. Et beaucoup de rêveurs à rencontrer. La Nouvelle Aquitaine se créée et nos spectacles commencent à voyager. Oh oui cher Jean-Paul Sartre : la vie, c’est une panique dans un théâtre en feu. Le feu, il est dans les mots que nous déclamons et les limites des possibles que nous voulons repousser. Je veux d’un théâtre qui fait le pari des gens, qui peut être populaire sans y perdre en exigence. Une aventure territoriale, humaine, vitale, sans cesse au contact. Essayer toujours de faire comme Fernando Pessoa : donner à chaque sentiment une émotion et à chaque état d’âme… une âme ! Parler aux jeunes dans leurs bahuts. Parler aux sceptiques, leur rappeler : le monde entier est un théâtre ! Oui : parler aux amoureux des mots et à ceux qui voudront bien le devenir. Parler yeux dans les yeux, cœurs à cœurs, en proposant des sujets intéressants et paradoxaux. Et cela avec des comédiens de talents qui portent la compagnie, qui l’élèvent, lui donnent sens, chair, réalité. En un mot faire du théâtre parce qu’on ne sait faire que cela et pour nous souvenir sans cesse, comme Tchekhov, que la haine n’est pas aussi sujette à l’oubli que l’amour. Le théâtre que nous rêvons est une parfaite réconciliation entre hier et demain : un temps présent qui n’attend rien d’autre que d’y rester.

[1] J’avais eu la chance de la mettre en scène en 2000 dans Une luciole dans la nuit, une adaptation de textes amérindiens réalisée par mes soins avec l’aide de Pascale Cala ; interprétation aussi par Albane de Chalain, Sandrine Canou, Jean-Paul Daniel, à la galerie Res Reï à Limoges.

[2] http://www.13vents.fr/au-desert/

[3] http://onaviotheatre.free.fr/wp/

[4] Le Populaire du Centre, 6 mars 2018.

[5] Voir le site de la Compagnie à propos de ces comédiens.