Voilà, c’est fini, chantait Jean-Louis Aubert à la fin des années 1980 pour solder l’aventure du groupe Téléphone – c’était l’époque de la naissance du Théâtre de La Passerelle à Limoges. Aujourd’hui, la chanson pourrait accompagner la grande mélancolie qui nous gagne au moment où Michel Bruzat ferme définitivement le rideau de fer de son bel écrin non loin de la gare des Bénédictins… Dernier spectacle à voir absolument, qui exprime si bien l’esprit de ce lieu unique : Le retour aux souches du québécois Marc Favreau (1929-2005) dans lequel Marie Thomas interprète avec brio Sol, le clown clochard.
A deux pas, la fête foraine bat son plein : c’est la tradition, avant d’entrer assister au spectacle de fin d’année à La Passerelle, jeter un œil sur les manèges et les attractions multicolores, entendre se mêler musique, paroles racoleuses des bateleurs, les coups secs des tirs à la carabine, les cris aux voitures tamponneuses. Joie populaire, avant de s’engouffrer dans l’étroit couloir où s’entassent recueils de poésie, livres, affiches, photos, objets divers, coups de cœur du maître des lieux accumulés depuis 37 années (et il y en a d‘autres en coulisses qui participent à donner une âme si particulière au théâtre). A l’accueil, Michel Bruzat, à la caisse, les indispensables Evelyne ou Dolores (qui signa tant de beaux costumes), au placement Franck Roncière, toujours pertinent éclairagiste-créateur de lumières, souvent en marinière et la casquette vissée sur la tête. On trouve son siège, plus ou moins confortable, on regarde l’étoile de sciure en espérant qu’aucun spectateur ne viendra la déranger – et pourtant si ! Dans la salle, de nouvelles têtes, des habitués déjà nostalgiques, des comédiens vus sur ces planches : Philippe Lavaud, Yann Karaquillo ou Gilles Favreau…
Et c’est parti pour un Retour aux souches plein de poésie et de profondeur, interprété par une comédienne exceptionnelle de force et de justesse : Marie Thomas, que Bruzat a mis en scène ici une vingtaine de fois. La langue de Sol, le clown clochard de Marc Favreau, c’est la quintessence du jeu avec les mots (ah ! la carte de crédule…), c’est le mot pour un autre cher à Jean Tardieu, le triomphe du lapsus révélateur, le libre cours au néologisme à la Michaux, c’est un texte fourmillant d’inventivité lexicale, que l’on imagine difficile à dire – une véritable prouesse pour l’actrice qui excelle dans cet exercice et sait si bien dialoguer avec une simple fleur de tournesol. On sourit et rit en permanence de ces acrobaties verbales qui, sans peser, offrent une critique presque radicale de la société de consommation, des petits ou grands travers humains, évoquent l’amour, le monde à hauteur d’enfant (soumis aux injonctions contradictoires des adultes), s’apitoient du sort réservé à la nature asphyxiée d’engrais chimiques et de pesticides. Suivre, écouter Sol, avec son petit chapeau de rien du tout, c’est aspirer à l’émerveillement, à l’humanité, et même à la simplicité, c’est se dire que le monde pourrait être tellement plus beau si on le voulait vraiment. Mise en scène par Michel Bruzat, Marie Thomas est parfaite dans le rôle, avec sa voix de petite fille, sa logique en apparence illogique, et l’amour des mots d’une langue française en perdition pour cause – entre autres raisons – d’univocité et de perte du second (troisième ?) degré.
On repart heureux – il n’y a rien d’autre à dire. Et l’on s’illusionne à croire que l’on reviendra encore 37 ans.