08 Déc

Notices sur l’histoire du théâtre en Limousin (32): La Compagnie Fievet-Paliès

A la suite de la venue de Pierre Debauche, une nouvelle compagnie est créée à Limoges par Claudine Fievet (nom de plume : Louise Doutreligne) et le metteur en scène Jean-Luc Paliès, en 1984. Parallèlement, ils fondent l’association culturelle L’Influence, qui organise et participe à des évènements pluridisciplinaires (expositions, rencontres, écritures, publications, par exemple avec la revue Analogie, ateliers d’improvisation, actions de formation). Les spectacles sont beaux, salués par la critique régionale et nationale, parmi lesquels : Teresada’, à la cathédrale de Limoges (en sept tableaux, la vie intérieure et extérieure de Teresa D’Avila), Petit’ Pièces Intérieures (les cheminements d’une femme vers l’amour) auxquelles répond Crocq’ d’amour à domicile, les Amants Magnifiques (Molière – Lully), superbe spectacle plus tard repris au Théâtre de l’Athénée, Saint-Just et l’invisible, dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution Française. Dans la salle de l’ancien tribunal de Limoges est joué un Voyage érotique en littérature française et Inquisitions. Dominique Basset-Chercot est aussi de cette aventure limougeaude, tout comme le musicien Alain Labarsouque – et également une costumière de grand talent : Jacqueline Brochet. Mais les Fievet-Paliès non plus n’ont pas de lieu et décident de quitter Limoges après huit années. Ils reviennent cependant jouer au C.D.N.L. : Don Juan d’origine, de Louise Doutreligne d’après Tirso de Molina, Jardins de France, et la magnifique Carmen la nouvelle, écrite aussi par Louise Doutreligne, d’après la vie et l’œuvre théâtrale, romanesque, épistolaire, archéologique et académique de Prosper Mérimée et ses doubles. Christine Rosmini y est excellente.

 

Années 1980, interventions de L’Influence à la Z.A.C. de Beaubreuil (Limoges) et ailleurs

La compagnie travaillait à Beaubreuil – Z.A.C. en partie H.L.M., le plus grand quartier extérieur de Limoges, où se côtoyaient des habitants de diverses origines – dans le cadre du Développement Social de Quartier. Christophe Givois a présenté le travail en cours.

            Pour connaître mieux le quartier, ses habitants, leurs manques, nous n’avons pas essayé de comprendre par les moyens parfois stériles de la « réunionite », mais présenté directement notre travail chez l’habitant. En octobre 1986, nous nous proposons donc de jouer gratuitement le spectacle à domicile « Croq’d’amour » de Louise Doutreligne dans 10 foyers qui le désireraient. Contact pris avec les personnes intéressées, nous arrivons chez chacun, notre valise sous le bras, prenant rapidement notre place dans les meubles. Pour beaucoup de spectateurs, c’est une découverte, la première fois qu’ils assistent à un spectacle de théâtre : cette histoire de couple se déroulant chez eux, comme si c’était eux, provoque les réactions : « Chacun peut tout à fait se reconnaître », « Ah ! moi, mon mari, s’il me disait ça ! », « Ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est de voir autant de femmes marocaines ; si cela s’était passé au théâtre, elles n’auraient jamais participé. On est resté à discuter jusqu’à six heures du matin. » « J’ai bien aimé leur spectacle, c’est ce que vivent les gens tous les jours. » Ces réactions immédiates que nous recherchions nous ont permis de sensibiliser un public tout neuf.

Après la première rencontre à domicile, L’Influence invite ce nouveau public à (re)découvrir la structure qui accueille les spectacles dans son quartier, le C.C.C.S.M. Jean Moulin. Nous proposons deux formes de théâtre adaptées à l’espace du lieu, que nous programmons 4 soirs de suite. Le thème de ces 4 représentations : le sommeil et la vie de coupleen milieu urbain avec « Quand Speedoux s’endort » de louise Doutreligne, et une nouvelle version à 6 personnages de la pièce qu’ils avaient déjà découverts dans leur intimité, « Croq’d’amour » (…) Le C.C.S.M. et L’Influence s’associent afin de faire venir des spectacles qu’ils apprécient en commun. Les habitants de Beaubreuil peuvent participer aux spectacles d’artistes qui pratiquent d’autres formes d’art : Léo Ferré, Didier Lockwood, et des troupes de théâtre qui travaillent ailleurs sous une forme aussi intéressante : Scarface ensemble, Beaux quartiers. L’Influence et le C.C.S.M. et le quartier s’acoquinent à regarder d’autres les divertir. Participant au D.S.Q., nous prenons plaisir à écouter des partenaires extérieurs, le développement ne se faisant que dans un élargissement et une diversification des rencontres.

L’Influence, c’est aussi un groupe de comédiens qui proposent, à partir d’un lieu et d’un texte, de raconter une histoire. Le choix fait, qui à la piscine, qui dans l’autobus, etc., les acteurs se rendent sur les lieux. Ils se saisissent de l’évènement du moment (explication avec un commerçant d’à côté ou avec le maître-nageur, arrêt de spectateurs improvisés, interventions inopinées…), composant avec ces paramètres qu’ils intègrent, digèrent pour nourrir leur travail. Par cette démarche, les habitants sont amenés à devenir les protagonistes d’une création. Le couple comédien-spectateur devient créateur d’une nouvelle approche du quartier. Après avoir investi appartements, C.C.S.M. et dépendances, L’Influence intervient dans une usine, Kabi-Vitrum, afin de poursuivre la rencontre et sa transformation en outil créatif. Là nous présentons « Croq’d’amour » itinérant, traversant atelier, cantine, couloir et hall d’entrée. Puis, nous proposons aux spectateurs de coucher par écrit leurs réactions pour que nous improvisions à partir de celles-ci. Dès le lendemain, nous renouvelons cette expérience dans un appartement. Le public devient alors auteur du spectacle, il saisit ce qu’il vient de voir pour écrire sa propre pièce. Analogie n°10, été 1987.

Le départ de Jean-Luc Paliès et Louise Doutreligne, caricature de Christophe Lagarde, 1990