08 Déc

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (33): La Ligue d’Improvisation Théâtrale du Limousin et la Balise

En 1987 est créée la Ligue d’Improvisation du Limousin, constituée à partir des ateliers hebdomadaires d’improvisation d’Influence, confiés à Damien O’Doul. Peu de temps après, la « LILI » devient indépendante et j’ai la chance d’en être le vice-président. Elle se produit dans des ambiances survoltées, notamment au Centre culturel Jean Moulin de Limoges, affrontant des équipes venues de la France entière. La tradition voulait que le public puisse jeter des pantoufles sur les comédiens qu’il ne jugeait pas assez performants !

Damien O’Doul en 1986 (c) L.Bourdelas

La luxuriante Lili se donne en spectacle pour la 1ère fois en mai 1987

            Damien O’Doul est un acteur heureux et complet : auteur, comédien de la Cie Fivet-Paliès, il vient d’organiser la 1ère manifestation de la Lili (traduisez : Ligue d’Improvisation du Limousin). Il avait bénéficié d’un stage spécialisé à Paris avec Michel Lopez et le rutilant Rufus il y a quelques mois. Il s’est lancé pour son propre compte dans l’arène il y a peu. La cérémonie de baptême de la Lili a eu lieu un mardi de mai au C.C.S.M. de Beaubreuil. Il s’agissait d’un impromatch… d’une forme d’improvisation théâtrale particulière : deux équipes d’acteurs (à Limoges, les verts : I. Tauran, C. Givois, J.J. Marthon, B. Moreigne, F. Perrez et M.F. Richard-Eliet) s’affrontent sur des thèmes qui laissent une grande part à l’imaginaire… Ces équipes ont l’apparence d’équipes sportives : il y a les équipiers, et leur coach (à Limoges : Damien O’Doul), ainsi que leur capitaine (Isabelle Tauran)…

Les sujets et la durée des impros sont tirés au sort ; les arbitres sanctionnent l’anti-jeu, l’obstruction, le hors-sujet, etc. Le public vote à la suite de chaque impro, pour attribuer un point à l’équipe gagnante. Ceci dans une ambiance généralement plus ou moins folle. Malheureusement, la bonne habitude qui consistait autrefois à distribuer aux spectateurs des chaussures pour les lancer sur les acteurs dont ils n’étaient pas contents est abolie. Le public de ce premier impromatch était assez jeune, et l’on ne peut que déplorer l’absence des habitués des théâtres. Il faudra qu’ils franchissent le fossé qui les sépare encore de cette forme de spectacle. Les efforts d’O’Doul les y aideront manifestement. C’est une question d’habitude.

L’impromatch est fort populaire au Québec, et une ligue nationale française existe. Gil Galliot est le coach de celle-ci. Autour de lui, parrain officiel de la Lili, s’est constitué un comité de soutien qui rassemble Alain Guéraud, la divine Fanny Ardant, Nathalie Baye et Jean Lefèvre. « Sport, théâtre, même combat », notait il y a peu Jacques Morlaud[1] ; cette réflexion est totalement juste. On retrouve peut-être ici une forme de spectacle remontant à l’antiquité et l’on repense au cirque (sans les lions). Et puis avez-vous déjà bien observé les joueurs de tennis sur un court ? Théâtre, impro, match, un intelligent mariage. La porte est ouverte à Limoges comme ailleurs en France ; il faut désormais transformer l’essai. Analogie n°10, été 1987.

 

La Balise (initialement la Valise…) est une association théâtrale universitaire créée en 1980 à Limoges par Guy Lavigerie, assisté de Didier Simon qui reprit sa direction par la suite. Parmi les premiers spectacles, La bataille de Saint-Pansard[2] à l’encontre de Carême, tiré d’un fabliau médiéval, présenté place Saint-Pierre (ce type de spectacle était initialement joué sur les places publiques, vraisemblablement le premier dimanche de Carême) puis à Poitiers (1981). Au Moyen Âge, il s’agissait d’un jeu-combat qui, au milieu de la liesse collective, opposait en une bataille rangée, à coups de victuailles, les deux personnifications du jour et se terminait par la victoire de Charnau (le carnaval) qui, magnanime accordait une trêve de quarante jours à son adversaire, le Carême[3]. Autres spectacles, Mort accidentelle d’un anarchiste de Dario Fo à Expression 7 et Oh my god, the death. Guy Lavigerie, après une formation initiale artistique et juridique au Conservatoire et à l’Université de Limoges (1er Prix d’Art Dramatique à l’unanimité; Maîtrise et DEA de Droit) a acquis une expérience pluridisciplinaire de la création en tant que comédien, metteur en scène, auteur, traducteur, réalisateur. En 1982 il rencontre, à Rabat, Abdellatif Laâbi[4] dont il adapte et représente en 1983 les Chroniques de la Citadelle d’Exil (écrits de prison) sous la forme d’un monodrame documentaire et poétique qu’il joua jusqu’en 1988. Il est aussi de l’aventure des Amants Magnifiques, de Molière et Lully, mis en scène par J.-Luc Paliès au Théâtre de l’Athénée à Paris, en 1988, ainsi qu’à Limoges. Il a poursuivi l’aventure théâtrale jusqu’à aujourd’hui – mais pas en Limousin. Les afficionados se souviennent avec émotion d’une lecture à la librairie Les Yeux dans les poches, rue de la Boucherie à Limoges, alors tenue par Bruno Larose. Par la suite, La Balise – portée par l’enthousiasme et l’énergie de Didier Simon jusqu’en 1989 – joue aussi Equarissage pour tous de Boris Vian, ainsi que Radiopital de C. Paottelo San Juan (pseudonyme d’un Limougeaud), qui rassemblent les faveurs d’un public plus populaire et notamment estudiantin, qui auparavant ne se déplaçait guère dans les salles de théâtre. La programmation évolue vers des spectacles de type café-théâtre puis d’improvisation. Il est à noter que nombre de représentations eurent lieu à la Crypte des Jésuites[5], l’un des lieux qui accueillit alors nombre de spectacles théâtraux ou musicaux. Parmi ceux qui intervinrent et signèrent des mises en scène, Mohamed Maach, aujourd’hui animateur d’ateliers théâtre dans le cadre des centres culturels municipaux.

La Balise était en sommeil lorsque des élèves de la dernière promotion de Jean Pellotier au conservatoire d’art dramatique de Limoges décident de le raviver[6]. La dynamique ainsi insufflée mène ces jeunes gens, pour la plupart étudiants, à demander au directeur du C.R.O.U.S. M. Gainant un lieu privé pour faire vivre leur art. Celui-ci leur propose bien mieux : un ancien local à vélo situé sur le parking du campus la Borie, à condition de créer un petit endroit de représentations de type café-théâtre. Le projet du « café- théâtre universitaire», puisqu’il allait s’appeler ainsi dans un premier temps, prend peu à peu forme dans l’émulation de ces comédiens en herbe, au fil des réunions pour les choix de la décoration et pour faire les plans, les rendez-vous avec l’entrepreneur pour établir un devis, et la croisade auprès des institutions pour obtenir les fonds nécessaires. C’est en 1996 que le CAF’TEUR, baptisé ainsi après d’âpres discussions, ouvre ses portes au public. Il est doté d’un bureau – régie, un bar, une scène avec éclairages et sonorisation, et des loges derrière le mur du fond. Une association indépendante est créée pour administrer le lieu, car les entrées sont payantes, et il faut gérer les stocks du bar. Les spectacles ont lieu le jeudi soir, et se partagent entre théâtre, musique, improvisation. Le reste de la semaine le lieu est disponible pour le travail théâtral de la Balise. Parmi l’équipe : Frédérique Meissonnier, Arnaud Delage, Jean-Philippe Villaret (qui avait même mis son père à contribution pour construire le bar !), Philippe Lars, Jan Luc Delage, Gilles St Bonnet, Pascal Le Goaper, Carole Bedouet, et d’autres.

Après plus de 30 ans d’activité, La Balise est aujourd’hui entièrement tournée vers l’improvisation, avec la participation aux matches. Elle invente aussi le concept des « naufragés de l’imaginaire », pour permettre la pratique de l’improvisation dans un contexte différent de celui du match, en offrant davantage de liberté aux joueurs. Les thèmes des improvisations sont écrits par les membres du public au moment où ils entrent dans la salle. Tous les thèmes sont ensuite disposés dans une boîte. Six joueurs se présentent sur scène. Le maître de cérémonie tire au sort un thème et chaque joueur propose un début d’improvisation de quelques secondes. L’auteur du thème choisit quel début sera continué. Les autres joueurs se greffent alors sur l’histoire choisie, pouvant se servir d’accessoires sans contrainte. Le maître du temps décide arbitrairement de la fin de l’improvisation[7].

 

[1] Jacques Morlaud fut longtemps critique/journaliste culturel à Limoges, notamment à L’Echo du Centre.

[2] On désignait ainsi le carnaval. C’est la figuration allégorique de l’allégresse que procure l’abondance et la bonne chère.

[3] Jean-Claude Aubailly. « Théâtre médiéval et fêtes calendaires », Bulletin de l’Association d’étude sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, n°11/1, 1980. La littérature populaire aux XVème et XVIème siècles. Actes du deuxieme colloque de Goutelas (21-23 septembre 1979) sous la direction de Henri Weber, Claude Longeon et Claude Mont. pp. 5-12.

[4] Né à Fès en 1942, c’est un poète, écrivain et traducteur marocain. Il a fondé en 1966 la revue Souffles qui jouera un rôle considérable dans le renouvellement culturel au Maghreb. Son combat lui vaut d’être emprisonné de 1972 à 1980. Il s’est exilé en France en 1985. Il reçoit le prix Goncourt de la poésie le 1er décembre 2009 et le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française en 2011.

[5] Futur Espace Noriac quand elle fut racheté par le Conseil général de la Haute-Vienne.

[6] Témoignage de Jean-Philippe Villaret, 30 juillet 2019.

[7] http://www.la-balise.com/nos-spectacles/