Rencontre en présence de l’auteur et de l’historien Vincent Brousse, de l’éditeur Romain Naudin, du chanteur Dominique Desmons et de l’écrivain Marie-Noëlle Agniau.
Pourquoi écrire aujourd’hui à propos des Ponticauds ?
La première véritable raison est probablement que je suis le descendant d’habitants sur quelques générations de la rue du Pont-Saint-Martial (au n° 58, en face de l’usine à gaz), le premier à ne jamais y avoir vécu et donc peut-être le plus perméable au mythe, entretenu par mon grand-père Eugène et, d’une certaine manière, par mon père et certains de ses amis. Il paraît qu’à force de les écouter, j’eus même un temps le fameux accent qui caractérisait les gens du quartier ! C’est sans doute d’abord grâce à eux que je me suis intéressé à l’histoire de ma ville ; intérêt renforcé par les souvenirs du tournage du Pain noir de Georges-Emmanuel Clancier – dont Agnès, l’une des jeunes parentes était en classe avec moi – par Serge Moati, téléfilm diffusé en 1974 et 1975 sur la deuxième chaîne de l’O.R.T.F., qui faisait la part belle aux luttes des ouvriers porcelainiers, parmi lesquels des Ponticauds.
Depuis plusieurs années, les historiens travaillent sur ce qui a constitué l’identité du Limousin[1] et j’ai moi-même apporté ma pierre à l’édifice. Après avoir écrit un ouvrage sur Les Bouchers du Château de Limoges[2], population emblématique de la ville, installée dans son quartier bien circonscrit, jusqu’au milieu du XXe siècle, il m’a semblé intéressant de partir à la découverte des Ponticauds qui ont eux aussi très largement contribué à cette identité limougeaude, du Moyen Âge – et même avant – à nos jours, dans des paysages bien particuliers. Ils n’étaient pas représentatifs de toute la ville, plutôt des couches les plus populaires de la société, souvent frondeurs, solidaires, et engagés politiquement à gauche (de l’anarchisme au socialisme), syndicalistes actifs, puisque travaillant surtout dans l’artisanat puis l’industrie – en particulier de la porcelaine et de la chaussure. Un peuple des bords de Vienne parmi lequel les femmes, ouvrières, lavandières, ne s’en laissaient pas conter.
J’ai souhaité rassembler ici ce qui était épars à leur sujet, pour mieux les découvrir : archives, souvenirs et anecdotes, articles, recherches et publications diverses, notamment littéraires – puisque les bords de Vienne et leurs habitants ont depuis longtemps inspiré les écrivains et les poètes. Je propose ainsi, accompagnée de mes propres travaux, une déambulation d’amont en aval le long de la Vienne, des Casseaux au viaduc S.N.C.F., rive droite et rive gauche, à travers le temps, pour essayer de cerner les caractéristiques de ces Ponticauds dans leur diversité parfois mais surtout dans leur unité. Cette promenade s’enrichit d’illustrations issues de la photothèque de Paul Colmar, qui met volontiers ses collections à disposition des historiens et, à travers leurs publications, du plus grand nombre ; issues également de mes collections, y compris familiales.
Les quartiers des bords de Vienne et leurs habitants (les lavandières, les pêcheurs, des enfants) ont été constitutifs du pittoresque limougeaud, nourri par les écrivains, les artistes et parfois même certains politiques, soit qu’ils le revendiquent, soit qu’ils le dénoncent. Honoré de Balzac a lui-même utilisé le terme à propos de la ville[1] et l’on ne compte plus – comme on le verra ici même – les gravures et les cartes postales utilisant ce motif, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Les premiers tirages sur papier connus de vues de Limoges sont celles de Lassimonne (Pont Saint-Etienne, La Cathédrale de Limoges vue du boulevard du quai Saint-Etienne), commercialisés dès 1852 par deux marchands d’estampes de la ville[2]. Les photographes Jean-Baptiste Audiguet (1811-1897) et Hippolyte Blancard (1843-1924) sont par la suite de ceux qui immortalisent les bords de Vienne tout en forgeant son image symbolique. Des peintres amateurs ou professionnels adoptent la même démarche et « à partir de 1897, Limoges devient l’objet d’une fabrique d’images[3] » construite par eux. Mais on conviendra que le pittoresque n’est qu’une représentation de la réalité. Le Dictionnaire de la langue française abrégé de celui de Littré, en 1881, précise déjà que le pittoresque se dit de tout ce qui se prête à faire une peinture ou une œuvre littéraire bien caractérisée, et qui frappe et charme les yeux et l’esprit ; un site est pittoresque lorsque sa beauté ou son caractère le rend digne ou du moins susceptible d’être représenté en peinture. Cette vision des bords de Vienne alimente vraisemblablement la timide valorisation touristique des lieux. Dès lors, l’appréhension de cette accumulation d’images fausse sans doute en partie la connaissance que nous pouvons avoir de ces quartiers et participe d’une reconstruction identitaire[4], devenue nécessaire – parfois expiatoire –après la destruction des années 1970, sous le mandat du maire Louis Longequeue. Peut-être ce livre permettra-t-il de mieux connaître les quartiers des ponts et leurs habitants.
[1] Le Limousin, pays et identités Enquêtes d’histoire de l’Antiquité au XXIe siècle, sous la direction de Jean Tricard, Philippe Grandcoing et Robert Chanaud, PULIM, 2006.
[2] La La Geste, 2019.
[1] Le Curé de village, Editions Houssiaux, 1874, p. 131.
[2] J.-M. Ferrer, Etienne Rouziès, Une histoire de la photographie à Limoges 1839-1914, Les Ardents Editeurs, 2011, p. 35.
[3] Ibid. p. 38.
[4] L. Touchart, « La fontaine du Père Peigne à Limoges », Eaux et mœurs, du Berry et d’ailleurs,
CREDI éditions, 2016, [en ligne].