Romane Bohringer a Limoges dans la peau
Née le 14 août 1973 à Pont-Sainte-Maxence (Oise), Romane Bohringer, fille du comédien Richard Bohringer, est une actrice qui a commencé très jeune sa carrière aux côtés de son père. En 1992, elle est consacrée par le succès du film Les Nuits fauves de Cyril Collard, qui lui vaut le César du meilleur espoir féminin et le prix Georges de Beauregard. Elle joue par la suite dans plusieurs films, au cinéma et à la télévision. A partir de 1991, elle monte aussi sur les planches, dirigée par des metteurs en scène comme Peter Brook ou Jacques Weber. Pierre Pradinas la met en scène à plusieurs reprises. Sur sa manière de travailler, elle a confié à La Vie : « Je suis quelqu’un de timide, je connais des premières semaines pleines de doute, avec l’impression que je monte sur scène pour la première fois et qu’une autre comédienne le ferait mieux que moi. Mais tout d’un coup, ça bascule dans l’autre sens, personne ne pourrait prendre mon rôle et je le défends comme un animal défendrait son os. Je n’ai plus peur de rien et j’y vais ! »1
Attachée au théâtre de L’Union (et appréciée par son public) et à la ville, elle s’est fait tatouer « Limoges » sur son avant-bras droit à l’occasion de ses quarante ans.
En novembre 2006, Monsieur de Pourceaugnac (comédie ballet de Molière et Lully) est de retour dans sa bonne ville de Limoges (à l’Opéra-Théâtre puis à L’Union), dans une création et une mise en scène de Sandrine Anglade, avec une chorégraphie de Pascaline Verrier et de magnifiques costumes signés Claude Chestier. Un travail de troupe, où certains des comédiens sont aussi chanteurs et musiciens de grand talent. Pourceaugnac est interprété par Nathalie Nerval, née en 1926 (disparue en 2012), qui joua avec Jean Vilar puis à la Comédie-Française. Sandrine Anglade justifiait ainsi ce parti-pris : « Le seul choix que fait Monsieur de Pourceaugnac, à qui pendant plus d’une heure est retiré son libre-arbitre, est de s’habiller en femme pour fuir ses assaillants. Travestissement ? J’y ai vu plutôt un dévoilement : du personnage à la personne. Je lis cette histoire comme une métaphore de l’acteur tout comme la pièce joue du théâtre dans le théâtre (…) Nathalie portera sur scène cette immense culture de théâtre qui est la sienne (…) Seule en costume de scène elle est le théâtre. Venant d’ailleurs, de Limoges, ou du XVIIème siècle, elle regarde, avec toute sa générosité, le monde comme il court, trop élégant pour être honnête. » Et plus loin : « Au-delà du prétexte à rire du bourgeois limousin débarquant à Paris, la pièce renvoie à un enjeu qui peut paraître simple : transformer un homme en un personnage de pièce de théâtre. » Une pièce qu’il ne connaît pas. Ceux qui, comme moi, eurent la chance d’assister à l’une des représentations en éprouvèrent beaucoup de plaisir.
Jean Lambert-wild (c) Tristan Jeanne-Valès
En juillet 2014, Jean Lambert-wild est nommé pour succéder à Pierre Pradinas le 1er janvier 2015. Le communiqué du Ministère de la Culture indiquant : « Jean Lambert-wild, metteur en scène, auteur, acteur, performer, scénographe dirige le Centre dramatique national de Caen depuis 2007. Il présente pour le Centre dramatique du Limousin un projet novateur et fédérateur, réunissant auprès de lui Marcel Bozonnet, Lucie Berelowitsch, David Gauchard et Nathalie Fillion en tant qu’« artistes-coopérateurs » aux esthétiques et aux parcours complémentaires. En témoigne la multiplication des propositions de collaborations sur des projets innovants et des ambitions à partager avec le Festival des Francophonies en Limousin, l’Opéra ou le Pôle National des Arts du Cirque de Nexon, mais également des collaborations inédites.
L’originalité et l’intérêt du travail artistique personnel de Jean Lambert-wild est l’invention de Gramblanc, personnage qui revêt l’aspect d’un clown blanc, vêtu d’un pyjama rayé, blanc et bleu. C’est lui qui apparaît dans la plupart de ses spectacles ; il y intrigue, interroge, inquiète et amuse. Dans des spectacles qui rejoignent la performance, baptisés « Calentures » (Jean Lambert-wild ambitionne d’en créer 326 en tout), il est confronté à des situations de jeu extrêmes, jusqu’au fond d’une piscine…
La programmation de l’Union est ambitieuse, rythmée par de belles créations du directeur, comme Richard III – Loyaulté Me Lie, d’après Richard III de William Shakespeare, ou Dom Juan ou le Festin de pierre d’après Molière. Au printemps 2020, le « confinement » lié à l’épidémie du COVID 19 a empêché les représentations de La Chanson de Roland. Des rencontres ont été initiées avec des écrivains, des poètes, des artistes, sous le nom de « Capitainerie des langues ».
Désormais, la classe préparatoire intégrée de L’Académie de l’Union fait partie d’une plateforme conçue par L’Académie de l’Union et le Théâtre de l’Union en collaboration avec le Centre Dramatique National de l’Océan Indien à la Réunion pour favoriser le développement et la circulation d’artistes dramatiques ultra-marins. La formation dispensée à L’Académie de l’Union propose – après un processus de sélection mené de concert avec les référents des trois zones géographiques (Zone Caraïbe & Atlantique, Zone Océan Indien, Zone Pacifique) et les institutions territoriales concernées – de constituer, tous les deux ans, une classe préparatoire intégrée destinée à favoriser la réussite des élèves comédiens ultra-marins aux concours des écoles nationales d’art dramatique (et éventuellement, aux grandes écoles francophones de Suisse, de Belgique ou du Québec)2.
Entretien avec Jean Lambert-wild, juillet 2019
Qu’a signifié pour toi d’être nommé à Limoges (à la fois ce théâtre et Limoges, le Limousin)?
Une grande joie et une grande responsabilité.
Roland Giraud avait déclaré que si on voulait du public au théâtre, c’est la ville où il ne faut pas aller…
Je n’aime pas cette idée. Pour ma part, chaque lieu et chaque moment sont propices à rencontrer du public. Il faut juste ne jamais oublier pourquoi on joue et à qui on s’adresse.
L’Union, son histoire, tes prédécesseurs (Laruy, Debauche, Purcarete, Pradinas…), les Francophonies… Cela t’était déjà en partie/entièrement connu… Quel était ton sentiment?
Je connaissais bien l’histoire du Théâtre de l’Union car son nom et l’origine de son bâtiment correspondent aux valeurs qui sont les miennes. Mon sentiment, et celui-ci n’a pas changé, est qu’il faut travailler pour faire grandir cet idéal avec l’aplomb joyeux d’une confiance en l’avenir.
Dans ta pratique, il y a la collaboration avec d’autres formes d’art et même d’artisanat – d’art en Limousin. Qu’est-ce que cela ajoute, selon toi, à ta démarche et à tes créations?
Cela élargit l’esprit de coopération, mais avant tout me rappelle que le théâtre est un artisanat ou l’art n’existe que dans l’instant fugace d’une rencontre avec un public.
Il semble que tu t’intéresses à d’autres structures, d’autres metteurs en scène, comme Michel Bruzat, en Limousin. C’est important? (Tout le monde ne l’a pas fait avant toi).
C’est le principe premier de l’esprit des coopérateurs. Michel Bruzat fait un travail d’excellence qui accroit l’empire des mots du théâtre. Je lui dois une forêt de verbe imaginaire.
Ton « limogeage » a-t-il modifié/apporté quelque chose à ton travail, tes créations?
Je suis plus calme et je crois plus pointu.
Et toi, que penses-tu avoir déjà apporté à L’Union?
Il m’est impossible de répondre à cette question. Je peux juste murmurer ce que Le Théâtre de l’Union me donne: De l’amour et de la conscience.
Dans la rue des Coopérateurs, très chargée d’histoire, il y a une église, un théâtre, et la plus vieille loge franc-maçonne de Limoges, de même qu’un parking qui porte le nom d’un résistant, Lucien Berdasé. Est-ce que cela est signifiant pour toi?
Que la conviction laïque est un rituel qui libère le langage lorsque l’on remonte la rue des coopérateurs en prenant le trottoir de droite.
Selon toi, quel est l’avenir du théâtre décentralisé en France?
Je n’ai aucun talent d’aruspice. Tout dépendra donc de la volonté, au présent, de chacun, public comme artiste, à défendre son histoire, sa mémoire et ses valeurs de résistance.
Et quels sont les projets à la fois limousins et plus généraux de Jean Lambert-wild… Où en sont les Calentures?
Je n’ai pas de projet. J’ai des rencontres à faire. Elles sont le tronc et la sève qui me permettent d’être une feuille heureuse de voir s’écrire sur ma peau le vent, la pluie et le soleil et le temps.
Jean Lambert-wild dans Richard III (c) Tristan Jeanne-Valès
C’est Aurélie Van Den Daele, qui a succédé à Jean Lambert-wild comme directrice.
1 Le 16/02/2010.
2 Site de L’Académie de l’Union.