04 Juil

Notices pour l’histoire du théâtre à Limoges et en Limousin (25): LES CENTRES CULTURELS MUNICIPAUX A LIMOGES

Henri-Louis Lacouchie et sa petite-fille Aurélie (c) A. Lacouchie

 

La Ville de Limoges propose, à partir de 1970, une programmation culturelle et des ateliers, avec ses centres culturels et sociaux : le principal étant avenue Jean Gagnant, les autres étant le Centre Jean-Macé et le Centre Jean-Le Bail ; c’est Henri-Louis Lacouchie qui en est le premier directeur, jusqu’en 1980. C’était un peintre, ancien instituteur détaché la Fédération des Œuvres Laïques, metteur-en-scène d’au moins 40 pièces, marqué par les spectacles vus à Paris avec les plus grands comédiens et par ses rencontres avec Jean Vilar au T.N.P. de Chaillot – et avec Jean-Paul Sartre, Jean-Louis Barrault, Roger Planchon, Laurent Terzieff, parmi d’autres – ou par la découverte du travail d’Ariane Mnouchkine à La Cartoucherie. Il n’est donc pas anodin que le sénateur-maire de Limoges ait sollicité cette personnalité, jusqu’à ce qu’il acceptât. Néanmoins, l’inauguration, à Jean Gagnant, tourna au cauchemar, comme il me l’a confié : « le jour de la réception des travaux, en présence des responsables de toutes les activités présentes sur le Centre, une voix s’élève : « Et la salle de spectacles ? » Effectivement, dans une telle maison, c’est le lieu central, le cœur des activités et cette visite était donc capitale. Le groupe des officiels se dirige donc vers la grande salle : au premier regard, elle est magnifique, impressionnante. C’est alors que le préfet Lambert (qui devait mesurer plus d’1m 80) a l’idée (saugrenue ?) de s’asseoir … Cette manœuvre lui étant impossible, car ses genoux ne rentrent pas entre les deux rangées de fauteuils, il pousse un cri d’indignation ! Scandale ! Le maire, l’architecte et quelques autres « personnalités » se précipitent et ne peuvent que constater le drame. Il y aura procès, bien sûr ; et travaux ! Deux ans de travaux afin de tout démolir et de tout reconstruire (avec une trentaine de places en moins), les gradins étant en ciment. Mais l’épilogue de cette histoire a été dramatique pour moi : comment, en effet, faire fonctionner un tel établissement sans cette salle, comment attirer du public dans ce lieu si nouveau et encore inconnu des Limougeauds ? La difficulté était majeure. »1 « Lors de l’ouverture du Centre Jean-Gagnant, le personnel était très réduit : un concierge, une secrétaire et moi, le directeur (…) Mais il fallait impérieusement, un animateur, un véritable animateur : après de nombreuses démarches, et grâce à l’aide efficace du secrétaire général (Monsieur Tourong), j’ai enfin obtenu la personne qu’il me fallait : Jacques Benaud. Avec lui, j’ai pu construire de vrais programmes – même si je me dois de préciser que, dès le départ, nos moyens étaient réduits au point que j’étais même obligé de réaliser les affiches et les prospectus, au sous-sol, en sérigraphie … avec l’aide du concierge ! » Progressivement, les activités se sont mises en place, sous la houlette d’Henri-Louis Lacouchie, qui raconte que les ateliers étaient le cœur du centre : « cinéma amateur, photo, modelage, émaux, tissage, gymnastique volontaire (gros succès !), karaté, langues étrangères (Allemand, italien, arabe, etc.) ». Un ciné-club fut créé, « nous avons pu entrer en possession d’un projecteur professionnel. Le programme était choisi, bien sûr, parmi les chefs d’œuvre du cinéma mondial. Avec, aussi, après le film, des discussions avec l’animateur. » Des expositions, dont certaines sont restées dans les mémoires limougeaudes, ont très vite été proposées au public : « le C.C.S.M. est un lieu de culture pour tous, d’éducation populaire. Il n’est pas un sanctuaire pour une élite « avertie ». Il doit absorber tous les domaines susceptibles d’informer ou divertir l’ensemble de la population. Les sujets des expositions ont donc été très variés : la peinture, la sculpture, les arts en général pont été la matière principale. Mais aussi des formes intéressantes de l’habileté et l’ingéniosité de quelques passionnés. Nous avons donc présenté, aussi, par exemple, des expositions sur les poissons ou sur … les trains. Mais les expositions les plus marquantes étaient des expos photos et, bien entendu, des expos de peinture : des expos personnelles d’artistes connus dont beaucoup d’artistes parisiens classiques ou d’avant-garde, expos qui permettaient de présenter au public un panorama aussi complet que possible. Et, en fin d’année, comme des graines prêtes à germer, étaient exposées les productions de la PAP, envahissant les deux salles de leurs œuvres originales et colorées, au grand plaisir des enfants… et à l’émerveillement des parents. » Après les deux ans de travaux pour réhabilitation de la salle, les activités s’y sont succédées très rapidement. « Le public a tout de suite été au rendez-vous. Il est vrai que les spectacles étaient très attrayants : musique classique avec des orchestre et des solistes (par exemple l’orchestre symphonique de Toulouse avec, en fond de scène, une immense tapisserie de Lurçat, une pièce qui faisait partie d’une exposition au Centre, en parallèle) ; Jacques Higelin ou Marianne Sergent… » Lacouchie a également créé une première troupe théâtrale : « par chance, j’ai eu le plaisir de constater le ralliement d’acteurs professionnels souvent issus de la radio. Par exemple, Jean Pellotier professeur d’art dramatique au Conservatoire de Limoges. Mais j’ai pensé qu’il me fallait conserver cette idée d’éducation populaire. Parallèlement à cette troupe, donc, j’ai créé deux autres groupes : Les Patarêves (pour un perfectionnement des acteurs amateurs) et Le Petit Chien (pour l’initiation). La gestion de ces trois troupes (qui s’ajoutait au travail ordinaire d’un directeur de centres culturels) demandait un énorme investissement. Je faisais, en effet, toute la mise en scène, les décors (conception et réalisation !), les costumes (conception) et, bien sûr j’assurais la direction des répétitions. Mais c’est un travail qui a payé. Nous avons présenté à Limoges et dans sa région quelques chefs d’œuvres qui ont marqué (Gogol, Molière, Brecht, Obaldia, Audiberti, Anouilh et combien d’autres !).» Des conférences assurées par une centaine de reporters-aventuriers qui sont venus personnellement présenter autant de pays constituent le Festival « image et voyage ». Henri-Louis Lacouchie crée aussi, inspiré par le travail de son épouse institutrice et par celui d’Arno Sters, la Petite Académie de Peinture destinée aux enfants, dans des locaux désaffectés de l’Ecole du Boulevard Saint-Maurice : « il y avait là des salles où on pouvait faire tomber de la peinture par terre, avec des murs recouverts de contreplaqué sur lesquels étaient accrochés des grandes feuilles de papier de toutes les couleurs. A la disposition des enfants, des couleurs à l’eau, des pinceaux, des éponges et … un tablier à toute épreuve pour chaque enfant. Pas de thème imposé, bien sûr. En général, ils produisent des souvenirs et des vues de la vie courante. L’ensemble produit était d’une variété surprenante : chaque enfant révélait ainsi sa propre personnalité grâce à ce moment de liberté créatrice. Au rythme d’une séance d’une heure trente par semaine, un nombre impressionnant d’enfants a pu ainsi s’exprimer (aidés, s’ils le demandaient, par des moniteurs – souvent des étudiants de l’école des Beaux-Arts ; aidés, pas dirigés). Les réunions mensuelles avec les parents ont montré la portée de cette initiative. Je n’ai qu’un regret, c’est que l’expérience si originale, populaire efficace ait été abandonnée. » Jean Gagnant accueillit dès le début des spectacles de jazz, d’abord en liaison avec Jean-Marie Masse et le Hot-Club, par exemple le Festi-Jazz. Tous les grands noms de ce style musical sont passés par le centre – comme Lionel Hampton, par exemple. « Une anecdote typique : pour une soirée, nous avions programmé Claude Bolling, alors au sommet de son art. Masse m’avait malicieusement glissé dans l’oreille que, ce jour-là, Claude Bolling aurait 41 ans. J’ai donc fait confectionner un magnifique piano en nougatine et, à la surprise générale, à l’entracte, je suis monté sur scène avec ma nougatine et je la lui ai offerte. Emotion générale : le secret avait été bien gardé ! Bolling, fou de joie et dans un moment d’euphorie a décidé d’assurer seul, au piano, toute la deuxième partie : quelle séance inoubliable ! » Henri-Louis Lacouchie conclue : « en fin d’année, c’était la fête des ateliers. Le Centre était alors transformé avec leurs productions. C’était la fête des adhérents, des enfants et de tous les parents. Il y avait une atmosphère indescriptible de kermesse. C’était un jour heureux. C’est ainsi qu’en quelques années seulement, avec imagination et travail, nous avons construit un centre culturel extrêmement complet répondant à un besoin de culture riche et simple à la portée de tous. L’abondance des adhérents et des visiteurs atteste de la réussite du projet du maire de Limoges. Le nombre de retraités assidus aux réunions atteste, lui aussi, de ce succès. Chaque semaine, plusieurs centaines d’aînés se retrouvaient au C.C.S.M. »

Le premier directeur a passé la main à Hubert Bonnefond sous la conduite duquel, pendant vingt-huit ans, les centres se développèrent et prirent leur rythme de croisière. Dans la revue Analogie, Maryse Benoît, spécialiste de l’aménagement du territoire, écrivait : « De 1978 à 1988, on a noté un accroissement de 130% du nombre des adhérents et des abonnés. Ces résultats sont un réel encouragement. Aussi, un effort réel et soutenu est fait dans le domaine de la programmation des séances de spectacle. Espérons que cet effet d’entraînement se maintiendra. »2

En 2008, c’est le directeur-adjoint, Michel Caessteker, qui succède à H. Bonnefond et poursuit la politique engagée. Puis, en 2015, Robert Seguin prend la direction, après celle du centre culturel du Guilvinec en Bretagne. Deux centres se sont ajoutés aux premiers : Jean Moulin, dans le quartier de Beaubreuil, et John Lennon – plus spécifiquement dédié au rock, au blues, au reggae. Aujourd’hui, les centres culturels municipaux accueillent près de 70 000 spectateurs chaque saison et organisent plus de 14  000 heures de cours chaque année. Une attention particulière est portée au jeune public avec des spectacles et animations adaptées. Leur programmation demeure d’une excellente qualité. Une des manifestations les plus importantes organisée par le Centre culturel Jean Gagnant est le festival Danse-Emoi, biennale de danse contemporaine réputée, qui propose au public de découvrir le travail de créateurs reconnus sur la scène internationale et de jeunes chorégraphes tout en soutenant des créations originales. Le centre accueille également, tout au long de l’année, des expositions d’art plutôt contemporain.

 

1 Témoignage de décembre 2013. Les citations entre guillemets en sont toutes issues.
2 « L’évolution de la politique culturelle et la ville de Limoges », Analogie n°20/21, 1990, p. 16-17.