Le conseil municipal de Limoges, dans sa séance du 21 février 1835, fixe définitivement la délimitation du terrain concédé pour l’édification d’un théâtre. « Voilà les dimensions du bâtiment : L’ensemble du bâtiment, sur une longueur de 217 pieds en façade, d’un côté sur la place Royale[1], et de l’autre sur la rue Saint-Martial, en alignement du mur de soutènement actuel, aura en largeur sur la partie occidentale 33 pieds, et sur celle orientale 14 pieds. Le théâtre, placé au centre, sur une longueur de 85 pieds, sera flanqué de deux ailes destinées aux constructions particulières. Dans l’une, celle à l’orient, seront : Au rez-de- chaussée, un vaste local pour café, ayant double salle sur la place et la rue, glacière et appartements aux entresols, et quatre grands magasins, ayant également logement aux entresols. Au premier étage, un local destiné au cercle. Ce local sera composé d’une salle de bal de 60 pieds sur 30, desservie par cinq grandes pièces de plain-pied, cabinets de service, vestiaire, etc. ; aux étages supérieurs, appartements particuliers. Dans l’autre aile, celle à l’occident, seront : Au rez-de-chaussée, huit grands magasins, dont quatre sur la place et quatre sur la rue, ayant tous logements aux entresols. Au premier étage et étages supérieurs, appartements particuliers ; Quant à la distribution intérieure de la salle, elle sera ainsi réglée: stalles d’orchestre, parterre assis, baignoires (loges grillées), première galerie, premières loges, loges des secondes, amphithéâtre des secondes, galeries des troisièmes. Les prix de ces différentes places et la séparation des loges par six et quatre places laisseront aux sociétés privées, comme aux familles, la possibilité d’être chez elles quoique au milieu d’un public nombreux. » Les Annales de la Haute-Vienne précisent le 3 juillet 1835 que « des couloirs spacieux et cinq issues, aboutissant à deux rues ou places différentes, facilitent l’entrée et la sortie du public, ce qui est un immense avantage pour les cas trop fréquents d’incendie ou de tumulte au spectacle qui font encombrer les issues par des spectateurs trop pressés de sortir. »
Le théâtre municipal (future salle Berlioz) – Photothèque Paul Colmar
Le 6 décembre 1836, le conseil municipal de la ville (le maire étant Jean-Juge Saint-Martin) précise qu’un théâtre sera construit par l’architecte du département, Boullé – Sechan s’occupant du décor intérieur. Celui-ci est inauguré le 29 mars 1840 et c’est la création de la première troupe sédentaire (les différents directeurs, d’origines diverses, sont souvent accompagnés par une troupe permanente). L’historien Jean-Marc Ferrer, qui a étudié le fonctionnement de ce théâtre, a noté que si l’on y donne des comédies, des tragédies et des drames romantiques, le public semble préférer le lyrique : l’opéra, l’opéra-comique et l’opérette. Le public, irrégulier, est surtout populaire (l’élite ouvrière des typographes et porcelainiers, commis, étudiants et même « lorettes »), la « bonne société » se répartissant les places de premières (deux belles grandes loges étant réservées au maire et au préfet) – la bourgeoisie étant cependant peu assidue. 803 places accueillent les spectateurs parmi lesquels, aussi, des militaires en garnison à Limoges. Les ouvriers fréquentent également les cafés-concerts durant la seconde moitié de l’Empire.
Le chanoine Arbellot indique qu’aux ostensions de 1820 et 1827, la corporation des bouchers donnait un spécimen de la Passion : le Christ portant, sa croix tombait sous les coups des bourreaux : Véronique s’approchait et essuyait avec un linge la face ensanglantée du Sauveur. Aux ostensions de 1849 et de 1854, fut représenté le drame en vers du martyre de sainte Félicité, où figuraient, avec l’empereur romain et l’impératrice, sainte Félicité et ses sept enfants.
Limoges appartenait au 13ème arrondissement théâtral. Deux troupes ambulantes s’y produisaient, à Angoulême, Poitiers, Châtellerault, Loudun, Cognac, Limoges et Tulle. L’ordonnance royale de décembre 1824 régissait l’activité théâtrale et la contrôlait très sévèrement – un contrôle assoupli à partir de 1864.
« Depuis longtemps, on voit avec plaisir l’artisan limousin chercher les amusements les moins bruyants et les plus capables de développer son intelligence. Au premier rang nous devons placer l’amour qu’il montre pour le théâtre. C’est avec une sorte de contentement qu’on a vu quelques-uns d’entre eux se réunir en société pour jouer la comédie, et parvenir à la jouer d’une manière très satisfaisante pour des amateurs (…) Nous n’oublierons pas que, si nous ne devons, dans leur salle, rien dire de capable de les décourager, nous leur devons des conseils au dehors ; et c’est pour cela que nous ne saurions trop leur recommander de profiter de leurs moments de loisir pour aller à ce théâtre [municipal], pourvu de plusieurs sujets distingués, y apprendre à jouer encore avec plus d’ensemble, à mieux dire la phrase, à ne pas confondre une sorte de hardiesse avec ce qu’on appelle aplomb dramatiquement parlant, et voir tout ce qui leur manque du côté de la tenue théâtrale.
Ce serait aussi avec peine que nous les verrions, se jetant dans les pièces à grands fracas, aller déterrer tous ces vieux mélodrames aussi mal digérés que mal pensés et mal écrits, capables enfin de corrompre le goût et de nuire à l’esprit : il existe tant de petites comédies, tant de petits vaudevilles pleins de sel et d’esprit qu’ils trouveront toujours à choisir.
(…)
Le conseil que nous donnons ici à nos artisans acteurs, nous nous le permettrons aussi à l’égard de nos acteurs militaires qui ont, de leur côté, établi un théâtre à la caserne.
(…)
Nous croyons devoir terminer cet article en rapportant le mieux qu’il nous sera possible les paroles d’un haut fonctionnaire qui a honoré l’un de ces théâtres de sa présence : J’aime à voir, disait cet homme respectable, j’aime à voir les ouvriers se délasser par de tels amusements : cela les détourne de ces jouissances grossières capables de nuire à leur santé et à leur intelligence ; et d’ailleurs ce sont des plaisirs desquels au moins leurs femmes et leurs jeunes enfants peuvent profiter. »
Annales de la Haute-Vienne, Journal administratif, politique, littéraire, commercial et agronomique, Feuille d’annonces et avis divers, vendredi 6 mars 1835.
En 1837, dans L’Arédien, journal littéraire et d’annonces de Saint-Yriex-La-Perche, on peut lire qu’il « a rempli ses engagements avec le passé, il est en mesure pour l’avenir. Mais ce n’était pas assez pour lui d’avoir ouvert une arène où pussent lutter les talents faits avec ceux qui ne demandaient qu’à naître. A côté des fruits du sol natal, il fallait mettre les riches productions du pays fertile par excellence, de cette terre promise où coulent tant de ruisseaux de lait et de miel ; l’ARÉDIEN en ne voulant plus que sa patrie fut traitée en paria de l’intelligence , n’a pas prétendu secouer le joug de la métropole où trônent les maîtres ; il a senti au contraire le besoin de se rapprocher d’eux, afin d’être réchauffé et vivifié par les rayons de leur gloire… » A côté des « récits qui charmeront, mais qui ne pourraient remplir les longues soirées d’hiver », il annonce « une suite de proverbes, artillerie légère dont la marche vive et le feu roulant, viendront égayer, on nous l’a promis de Paris, les réunions de nos jeunes filles, maintenant que la danse a cessé d’être une frénésie, et ne se mêle plus que dans une proportion raisonnable à des plaisirs plus vrais. Les auteurs de ces petits drames, choisiront autant que possible des données qui permettent, après une lecture amusante, de doubler la jouissance, par une représentation dont un parevant fera tous les frais. »
Alain Corbin a analysé l’activité théâtrale[2], notant que « de la fin de la Monarchie de Juillet jusqu’au triomphe de la IIIème République, l’activité théâtrale connut dans la région des fortunes diverses mais jamais elle ne fut très prospère. » A Guéret (salle de 470 spectateurs) et Aubusson (« théâtre exigu et défectueux » de 360 places), ce n’est guère brillant non plus, les troupes ne connaissant jamais un grand succès ni en Creuse ni en Corrèze. A Saint-Léonard et Rochechouart, en Haute-Vienne, des cafetiers possèdent deux salles (la première de 280 places). Dans la région de Bellac, les artistes de passage se produisent dans les salles de mairie ou de café. « Le personnel des troupes itinérantes est assez misérable, il se compose de six ou sept acteurs des deux sexes ; les directeurs eux-mêmes ne possèdent le plus souvent que peu de fortune ; il s’agit généralement d’anciens acteurs ou d’anciens régisseurs de théâtres parisiens (…) Les salaires sont très bas ; en fait les seuls directeurs qui réussissent à subsister sont ceux qui utilisent les membres de leur famille. » A Limoges, toutefois, les acteurs sont plus nombreux et mieux payés. D’une manière générale, le public des salles limousines est populaire, issue de la classe ouvrière – et c’est le lyrique que préfèrent les spectateurs. Alain Corbin cite un rapport du Conseil municipal de Limoges (1860) observant que le vaudeville, la comédie et le drame laissent le public complètement indifférent. Le répertoire présenté s’en ressent : si la programmation lyrique est de qualité, les pièces classiques ne sont pratiquement jamais jouées à Limoges. Le maire de Guéret écrit en 1861 que « la bourgeoisie boudera encore plus les salles régionales lorsque le chemin de fer permettra de se rendre rapidement dans la capitale. »
L’historien a également étudié le catalogue de l’année 1870 de la Bibliothèque populaire de Limoges. Il comprend 32 œuvres théâtrales de Corneille, Molière, Racine, Ponsard, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, E. Augier, C. Delavigne, V. Hugo et Scribe. Selon ses recherches, la Bibliothèque est fréquentée par environ 200 lecteurs mais le théâtre ne semble pas faire partie de leur lecture préférée. Il évoque encore l’apparition progressive d’autres bibliothèques en Limousin, mais ce n’est pas le théâtre qui prime pour ceux qui les fréquentent.
[1] Actuelle place de la République.
[2] Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, PULIM, 2 000, p.p. 409-417.