30 Jan

Avec Expression 7

                           par Laurent Bourdelas[1]

 

Comme l’a si bien dit Hassane Kassi Kouyaté, directeur du Festival des Francophonies, lors du rassemblement de soutien au Théâtre Expression 7 – menacé d’expulsion et de démolition – ce lieu appartient à l’histoire culturelle limougeaude et, pour aller de l’avant, il faut connaître l’histoire. J’ai en partie raconté celle de cette attachante compagnie et de son directeur, le metteur en scène, écrivain-poète et peintre Max Eyrolle[2]. Celui-ci créa Expression 7 en 1977, déclarant alors : «nous nous intéressons particulièrement aux nouvelles orientations que prend l’expression artistique en général (notamment aux Etats-Unis) dans les domaines aussi variés que la danse, la musique, le théâtre. Cet intérêt se traduit, pour l’instant, par une recherche théorique qui, je pense, pourra déboucher au cours de l’année sur une réalisation théâtrale… ». A l’origine du projet, avec Max : Daniel Gillet, Dominique Basset-Chercot et Philippe Brzezanski.

Expression 7 s’installe au 20 rue de la Réforme en 1981, explore avec constance et cohérence deux voies créatives : l’une autour de l’écriture de Max Eyrolle, auteur d’environ 25 pièces – dont Les nouvelles d’Inadieu ou La mélancolie des fous de Bassan ; l’autre en adaptant les grands textes du répertoire classique et contemporain, avec notamment tendresse et passion pour les auteurs russes et Steinbeck. Les mises en scène s’appuient sur un espace travaillé en collaboration avec des plasticiens, sur la continuité du mouvement des comédiens, avec une attention particulière à la danse contemporaine – Eyrolle étant d’ailleurs l’un des initiateurs de « Danse Emoi » en 1987 et accueillant régulièrement des chorégraphies. La recherche d’une émotion est aussi une base du travail. Durant de nombreuses années, des ateliers théâtraux sont animés à Expression 7 par Andrée Eyrolle, Denis Lepage, Gérard Pailler, Jean-Paul Daniel. Des interventions ont également lieu à destination des scolaires et des personnes handicapées. Parfois, les comédiens partent sur les routes, les parvis ou au pied des châteaux médiévaux, inspirés par Dario Fo pour leurs Jongleurs de juillet.

Max Eyrolle, qui s’est toujours souvenu avoir été accueilli par Charles Caunant à L’Echappée Belle, a lui-même ouvert son théâtre à de nombreux artistes et compagnies ainsi qu’à divers festivals, en particulier Les Francophonies. Il a également accordé une place importante à la poésie, avec, par exemple: une performance de Michèle Métail (OULIPO) en 1985 ; « Poésie en liberté » (choix de textes contemporains avec la Limousine) ; Romans courts de Jean Mazeaufroid ; la venue d’Alain Borer pour évoquer Arthur Rimbaud ; « Eloge de la pleine lune » : chaque soir de pleine lune, un poète contemporain venant, en 1987, lire ses textes ; des lectures de poètes d’Amérique Latine ; en 2008, le collectif Wild Shores y a proposé La Calobra, d’après mon recueil. La musique a également trouvé sa place sur la scène d’Expression 7 avec divers concerts (je crois bien y avoir vu mon premier de musique baroque). Des rencontres et débats divers y ont été organisés, de Pasolini aux rythmes scolaires. Des films projetés. Des photographies et des toiles exposées. Tout ceci fait d’Expression 7 un lieu culturel à la fois essentiel, vivant et très plaisant.

Longtemps, ce lieu – sur un ancien site industriel et commercial – fut voisin du collectif artistique « Mélusine », animé par Andrée Eyrolle (disparue en 2017), la sœur de Max, elle-même comédienne, créatrice du festival Urbaka, et du « Zèbre », café-concert du Festival des Francophonies. Mais aujourd’hui, les bulldozers de « Limoges habitat »[3] (propriétaire depuis 2010) menacent et l’expulsion semble proche car un projet immobilier réalisé semble-t-il avec Eiffage se précise, les travaux devant commencer en juillet 2021. En 2015, un article du Populaire du Centre indiquait que la municipalité du maire socialiste Alain Rodet avait envisagé d’y « ouvrir une voie de circulation, un cheminement vers la caserne Marceau supposée devenir une gare d’accueil LGV. Mais exit l’équipe d’alors, quant à la ligne à grande vitesse, elle semble bien en stand-by », remarquait la journaliste Maryline Rogerie, qui ajoutait : « Aujourd’hui, il s’agit d’un site dangereux, explique-t-on à Limoges Habitat. Certaines parties risquent s’effondrer ; on a dû faire face à des intrusions répétées et ce, malgré un système de sécurisation. » Seul le théâtre Expression 7 semblait alors en sursis. Catherine Mauguien-Sicard, la présidente de Limoges Habitat, nouvelle adjointe (LR) au maire, semblait en quelque sorte plus ou moins sur la même ligne que ses prédécesseurs.

L’article 2 du Chapitre II de l’ Ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles stipulant qu’ « aucune salle de spectacles publics spécialement aménagée de façon permanente pour y donner des concerts, des spectacles de variétés ou des représentations d’art dramatique, lyrique ou chorégraphique ne peut recevoir une autre affectation ni être démolie sans que le propriétaire ou l’usager ait obtenu l’autorisation du ministre chargé de la culture », on ne peut qu’espérer que la Direction Régionale des Affaires Culturelles – la conseillère chargée de la Haute-Vienne étant Marion Limeuil – sera plus qu’attentive à la situation. On attend aussi des collectivités locales (Région – dont la présidence est bien loin de Limoges depuis la réforme territoriale de François Hollande –, Département, Métropole, Ville) qu’elles fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour aider Expression 7. L’idéal étant que le théâtre soit intégré dans le projet immobilier. Le soutien qui s’est manifesté publiquement le 30 janvier devant le théâtre, réunissant compagnies, artistes divers et spectateurs, a non seulement témoigné de la solidarité envers la compagnie et le metteur en scène de la rue de la Réforme, mais aussi, d’une manière générale, au moment où tous les lieux de spectacle sont fermés pour raisons sanitaires, de la demande d’une large mobilisation, d’une grande concertation, par exemple sous formes d’états généraux, entre les acteurs du monde culturel, l’Etat – et singulièrement le Ministère de la Culture – et les différentes collectivités, pour envisager l’avenir. Cela semble en effet être une évidence et une nécessité, tant la culture est plus que jamais essentielle

[1] Ecrivain, critique littéraire et théâtral, historien spécialiste de la culture, de la littérature et du Limousin.

[2] Histoire de Limoges, La Geste Editions, 2014 et 2019.

[3] Son conseil d’administration comprend des  élus désignés par la Communauté Urbaine de Limoges Métropole, des « personnalités qualifiées », dont d’autres élus, des syndicalistes, des représentants de locataires (…).