Quand le plateau de Millevaches était nu… (c) collection particulière.
Le temps du reboisement du plateau de Millevaches
C’est à cette époque qu’ont lieu les premières tentatives de plantations, sur le Plateau de Millevaches notamment. Dès la fin du XIXème siècle, A. Bourotte écrivait : « Nous avons cru pouvoir parler (…) de la pépinière de reboisement de la Jonchère, parce que cet établissement est d’un grand intérêt au point de vue du reboisement du plateau de Millevaches, steppe encore peu connue, de 1 500 kilomètres carrés (le quart d’un grand département). Cette portion de la ligne de faîte qui sépare les bassins de la Loire et de la Gironde renferme les sources de la Creuse, de la Vienne, de la Diège, de la Luzège, de la Vézère, de la Corrèze, etc., et de leurs affluents supérieurs. Tous les cours d’eau y ont un régime torrentiel. Expansion des monts d’Auvergne, dont elle se détache près de Laqueuille, la chaîne des montagnes limousines court vers l’ouest par les altitudes de 9K0 à 800 qu’elle conserve longtemps en s’élargissant pour former le plateau de Millevaches, entre Felletin et Eymoutiers au nord, Ussel et Treignac au midi. A part quelques massifs d’une certaine importance auxquels, dans le pays, on donne le nom de forêts et qui sont Château vers, Mirambel, Bellechassagne, la Feuillade et Châteauneuf, mais dont aucun n’atteint 800 hectares, on ne trouve, dans cette étendue que de rares petits bois réfugiés dans les étroits vallons qui découpent profondément le plateau. Presque tous les plans horizontaux menés entre les altitudes citées plus haut tracent leurs courbes de niveau dans les vastes bruyères qui couvrent la contrée et où les cultures ne sont que des oasis. A certains endroits, l’aspect est saisissant et d’une tristesse pénétrante : on se croirait sur le théâtre et au lendemain d’une convulsion géologique. Pas une maison, pas un arbre. Partout la brande, composée d’un petit nombre de plantes (deux bruyères, le petit ajonc, le genêt de montagne, la fougère, le lycopode, quelques mousses et lichens, la fétuque ovine), recouvre les mamelons mica-schisteux semblables aux vagues énormes d’une mer subitement pétrifiée ; autour de ces mamelons, les eaux sauvages enfantent des marais tourbeux. Ces mamelons pourraient devenir des bois abritant des cultures ; ces marais pourraient devenir des prairies ou de bons pâturages. Et ce cap immense qui pénètre au milieu de contrées relativement riches et fertiles, pourrait, au lieu de leur envoyer des inondations et des orages, leur verser des eaux inoffensives et fécondantes et des effluves salubres, après avoir désarmé les nuées en leur soutirant l’électricité, tamisé les pluies, retardé leur écoulement et enrichi l’atmosphère d’un air purifié par les forêts. Il y aurait là, d’ailleurs, à réaliser sur place une plus-value qui, au chiffre modeste de 700 francs l’hectare, répondrait à près de 100 millions. Nous demandons pardon pour cette digression qui, des pépinières de la Jonchère, nous transporte au plateau de Millevaches. Mais, ayant eu l’honneur d’être des premiers à attaquer le monstre par le nord, nous espérons avoir quelques titres à lancer ce delenda Carthago : « il faut reboiser les monts du Limousin : il faut surtout restaurer le plateau de Millevaches par le reboisement et les améliorations pastorales. » C’est le vœu le plus cher des forestiers, officiels ou non, de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne. Puisse la génération qui nous suit prendre part à sa réalisation! L’espoir en est permis, car cette grande œuvre s’impose à un siècle de progrès. »
En 1906, dans le Bulletin de la Société d’horticulture et d’arboriculture, une réflexion est engagée par M.F. Taboury, vice-président, à propos du reboisement en Limousin[1]. Selon lui, il n’y a pas eu déboisement en Limousin, à proprement parler : « Si l’on considère les cartes de la région les plus anciennement établies, on remarque que les parties boisées alors le sont encore de nos jours. On retrouve partout les bois et forêts signalés dans les ouvrages traitant de la géographie du Limousin. Que des parties aient été arrachées et livrées à la culture, cela est certain. Mais cela ne saurait constituer un déboisement (…) on ne saurait révoquer en doute qu’il n’y ait eu, dans notre Limousin, comme probablement un peu partout, sinon déboisement général, sûrement déboisement partiel, et que ce mouvement continue régulièrement s’accusant de plus en plus à mesure que l’agriculture progresse et s’étend (…) Le mal fait par les arrachages n’est pas si considérable, et, d’ailleurs, le cas échéant, il n’est pas sans remède. Jusqu’à ce jour, on ne s’est attaqué qu’en bas ; nos sommets aux croupes arrondies si gracieuses n’ont pas été atteints. Seuls les points cultivables, d’accès facile et de culture sans grand effort se sont vu dévêtir, l’intérêt y poussant. » Il remarque : « Le reboisement, ou plutôt le boisement de ces mamelons s’impose. Il serait une source indiscutable de revenu par l’utilisation intelligente d’une étendue considérable improductive. » S’interrogeant à propos des modalités pratiques de ce reboisement, il observe : « Cela suppose donc l’existence d’établissements privés ou de pépinières départementales préparant les plants en vue du reboisement. C’est dans ce but que vers 1884 furent créées les grandes Pépinières de La Jonchère par MM. A. Laurent, le distingué pépiniériste, et Gérardin, grand propriétaire terrien et reboiseur émérite, aujourd’hui seul propriétaire de cette pépinière (…) les essais tentés par MM. Gérardin et Laurent sur les sommets des monts de Laurière ont été couronnés de succès. Outre les essences propres à la région, Chêne, Châtaignier, Hêtre, Bouleau, ces pépiniéristes ont planté en toute réussite les conifères les plus rustiques, Pin sylvestre, Pin de Riga, Pin de lord Weymouth, plusieurs variétés de cèdres et d’épicéas. Il y a là un exemple à suivre, et aussi un enseignement pour ceux qui veulent tenter et mener à bien l’œuvre gigantesque du reboisement en Limousin. »
En 1912, une monographie de J. Pedon à propos du plateau de Millevaches évoque son « état de dénudation », ses gazons et, sur les hauteurs, les bruyères.[2] Les arbres alors mentionnés sont le hêtre, le bouleau, le chêne, les aulnes, les saules et les frênes. L’auteur note que les 987 grands propriétaires terriens, qui disposent de suffisamment de ressources pour vivre paisiblement, ne sont pas intéressés par une quelconque reforestation. Et cela datait d’un certain temps : « la capacité d’inertie limousine allait conduire les propriétaires terriens à résister longtemps aux appels successifs en faveur du reboisement, lancés à la Révolution (par le conventionnel Vergniaud), puis sous l’Empire, et encore au début de ce siècle. »[3]
En 1914 les landes sèches couvrent environ 107 000 ha soit 68 % de la surface du plateau. Les marécages, la bruyère, les zones mouillées, souvent tourbeux représentent environ 16 000 ha. Au total, ce sont 123 000 ha de landes soit 78 % de la surface qui le composent. Les 33 000 ha restant sont occupés par les prés, les champs et quelques bois (taillis, futaies de hêtres, bosquets de chênes et pins sylvestre)[4]. C’est surtout à partir de la fin du premier conflit mondial que le reboisement commença, sans suivre malheureusement les préconisations du Garde général des Eaux et Forêts du plateau de Millevaches, à la tête en Corrèze du jeune Parti Communiste, Marius Vazeilles (mêler à la fois – dans l’intérêt des paysans – la forêt définitive, le développement des résineux, la préservation et le développement des feuillus, les prés-bois et les pâturages boisés, l’élevage[5]), pour privilégier essentiellement la plantation de résineux (pins sylvestres, pins douglas, épicéas, mélèzes), souvent au profit de gros propriétaires. Après avoir essayé de mobiliser les instituteurs, Vazeilles, qui gêne politiquement, obtient sa mise en disponibilité en août 1919 et devient « simplement pépiniériste et expert forestier, sans attache avec l’Administration, un travailleur indépendant. »[6] En 1931, il écrivait pourtant encore : « Pour ce qui nous intéresse, travaillons à refaire la forêt détruite par les siècles passés. C’est nécessaire pour la planète, pour le pays, pour le village, pour le champ. C’est urgent pour le climat, pour la source et pour le fleuve. L’arbre est l’un des plus grands amis de l’homme (…) On reboise, mais il faut lutter contre trois défauts : (…) seuls reboisent activement les grands propriétaires. Camarades paysans du Plateau, l’avenir agricole de notre pays n’est pas dans l’éreintement pour faire pousser de tout, mais la production la plus intense du bois et de l’herbe. Reboisez donc et améliorez vos gazons (…) L’Administration n’apporte pas assez de soins à la culture et à la délivrance en nature des plants, ni à la direction effective des travaux. Pour le choix des plants, elle ne pense qu’à économiser. »[7]
En 1946, la création du Fonds Forestier National a donné une impulsion décisive au boisement résineux (épicéa commun puis douglas vert) sur Millevaches mais aussi sur les autres plateaux limousins : « un enrésinement très important présenté comme une solution miracle, peu coûteuse dans l’immédiat, porteuse d’avenir »[8]. Les pins et les épicéas plantés dans les années 50 fournirent des bois de peu de valeur mais les essais de douglas menés entre les deux guerres furent mis à profit avec plus de bonheur.
[1] T. 42, p. 4.
[2] Millevaches, Ducourtieux et Gout, 1912, p. 7.
[3] D. Foury, « Le culte de la forêt », in Le Limousin terre sensible et rebelle, Autrement, 1995, p. 107.
[4] Site de l’association SOS Millevaches.
[5] M. Vazeilles, Mise en valeur du plateau de Millevaches, Editions G. Eyboulet et Fils, 1931.
[6] P. Estrade, Marius Vazeilles Ecrits politiques, Editions Les Monédières, 2013, p.22.
[7] M. Vazeilles, Mise en valeur du plateau de Millevaches, déjà cité.
[8] C. Beynel, Forêt et société de la montagne limousine, PULIM, 1998, p. 84.