André Laurent
André Laurent est l’autre acteur de la création des pépinières. Dans les archives familiales Gérardin, une lettre du 6 novembre 1893 qu’il écrit à Henri Gérardin s’achève par cette formule : « je vous serre affectueusement la main et vous prie de bien croire votre tout dévoué… » L’adverbe affectueusement témoigne de sentiments sans doute plus profonds qu’une simple relation commerciale pourrait susciter. Nul doute que les deux hommes s’estimaient mutuellement. Né en 1825, André Laurent, ancien apprenti jardinier et paysagiste dans la région angevine, devenu le directeur de la maison d’horticulture Peyte à Limoges en 1848, puis pépiniériste (il est propriétaire des Grandes pépinières du Centre à Limoges, avec son gendre M. Goyer) régulièrement primé – en particulier pour ses conifères –, fondateur et directeur en 1860 de l’Ecole d’horticulture de Limoges, était le créateur de la Société d’horticulture et d’Arboriculture de la Haute-Vienne, membre du jury de l’exposition universelle de 1900, créateur d’une marque de graines « le semeur Laurent », de variétés comme la clématite « Ville de Limoges », blanche à fleurs doubles – on le qualifie aussi de « grand rosiériste limousin ». Il fut aussi à l’origine de fruits comme la « pêche André Laurent », très fine et juteuse, ou d’un lilas portant son nom, très floriflère[1]. En 1900, le Bulletin de la Société d’horticulture et d’arboriculture de la Haute-Vienne le salue ainsi : « Malgré son grand âge, M. Laurent a gardé la vigueur de ces beaux arbres qu’il aime tant ; il contemple, d’un œil satisfait, la route parcourue, et peut être, à bon droit, fier de son œuvre utile et féconde. »[2] Il créa de nombreux parcs[3] et participa à l’aménagement du Champ de Juillet à Limoges, à celui de Crochat, sur la commune de Limoges, de Valmath à Saint-Laurent-les Eglises[4], du parc de Plantadis situé sur la commune de Saint-Martin-Terressus, et à celui du parc du château de Mont-Méry à Ambazac. « Une facture des « Grandes pépinières du Centre, André Laurent et Compagnie dont le siège est avenue de Louyat à Limoges » adressée à Théodore Haviland au château de Mont-Méry et datée de juin 1890 témoigne de la participation de ce praticien comme fournisseur de végétaux et exécutant. Ce document récapitule différentes livraisons entre janvier et juin ainsi qu’un report de facture de décembre 1889 pour une livraison de « pierre pour rocher ». Cette date confirme le fait que château et parc forment un unique projet. » [5] D’ailleurs, le catalogue général (1898) d’A. Laurent, horticulteur-pépiniériste 4, rue Beyrand à Limoges, près du Champ-de-Juillet, précise : « tracés de parcs et jardins paysagers, plans et devis, transplantations de grands arbres à l’aide du chariot système à levier ».
Extraits de l’allocution prononcée par M. Taboury lors des obsèques d’André Laurent à Limoges, le 4 mars 1907
« MESDAMES, MESSIEURS,
Si chaque tombe qui s’ouvre ajoute une nouvelle page au grand livre vécu de l’humanité que le passé lègue à l’avenir, celle qu’apporte aujourd’hui la mort d’André Laurent est certainement une des mieux remplies, une des plus intéressantes, une des plus propres à donner en exemple aux générations futures, pour la pratique de toutes les vertus.
Homme bon, bienveillant et serviable, maître droit et équitable, père tendre et aimant, ami fidèle et dévoué, tel était ce noble vieillard, au regard si franc, à la figure si sympathique, le doyen des horticulteurs limousins, le fondateur de la première association horticole dans la Haute-Vienne, et vice-président de la Société d’horticulture et d’Arboriculture, au nom de laquelle je viens dire le dernier adieu. André Laurent n’était pas Limousin d’origine ; il l’est devenu par adoption : Les hasards de la vie l’y ont amené ; le charme de nos paysages ont séduit son tempérament d’artiste, et l’y ont arrêté ; il devait ne plus le quitter et en faire son pays d’adoption.
Et votre présence ici, autour de cette tombe, montre à tous que ses lettres de naturalisation lui ont été franchement accordées par ses compatriotes d’adoption, qui viennent ainsi apporter à cette heure suprême le témoignage de l’estime que lui accordaient tous ceux qui l’ont connu, –comme aussi ces fleurs qu’il aimait tant et qu’il a si longtemps cultivées avec passion, –ces fleurs que des mains amies ont déposées sur son cercueil témoignent grandement le souvenir, l’amitié, la reconnaissance de ceux qu’il a élevés et préparés aux luttes de la vie, ou ceux, plus rares, mais plus heureux encore, qu’il a honorés de son amitié si profonde, si sincère, si paternelle (…)
Dès l’âge de 12 ans, André Laurent entrait en apprentissage, et tour à tour les maîtres ès-horticulture de l’époque, les Moiret, les Templier, les Cachet, les Félix Gautier, les Printemps lui enseignèrent les secrets de leur art. Attentif à leurs leçons, ardent au travail, soigneux et délicat, il devint bientôt habile dans l’art de la multiplication des plantes, et mérita ainsi le gracieux et flatteur surnom de « La main d’or », sous lequel il fut longtemps connu dans toute la région angevine.
Mais son habileté pratique ne formait pas seule le fonds de son éducation professionnelle. Son attention, ses études se portaient sur tout ce qui touche à l’Horticulture, et il menait de front la floriculture, la multiplication, l’hybridation, la pépinière, le tracé et la plantation des parcs et jardins.
Aussi, lorsque vers 1846 un horticulteur limousin vint demander à la maison Leroy d’Angers un homme jeune, sérieux, actif, intelligent, capable de rénover son établissement en l’organisant à la façon angevine, André Laurent fut mis en première ligne. Et c’est ainsi que ce jeune horticulteur vint en Limousin, qu’il connut notre pays, qu’il l’aima, l’adopta et s’y créa une famille.
Tout d’abord il créa pour la maison Peyte, qui l’avait appelé, une importante pépinière, sur le type de celles de la Touraine et de l’Anjou. Il y introduisit les nouveaux procédés de culture, et aussi les nouvelles plantes ou variétés, rares ou peu connues alors dans nos contrées du centre de la France. Et pendant longtemps cette pépinière jouit d’une juste réputation et rendit de grands services à la région, fournissant en quantité et à des conditions avantageuses les produits que précédemment il fallait faire venir de loin, avec difficultés, et à des prix plus élevés.
C’est que le jeune et intelligent directeur avait su tirer parti des ressources que lui offrait le Limousin, avec son sol profond et fertile des vallées, ses eaux claires et abondantes et son climat sain et salubre, toutes conditions heureuses pour le succès de son entreprise. Quelques années plus tard, André Laurent se fixait au pays par le mariage, et, sans autres ressources que sa jeunesse, son activité, son intelligence des choses horticoles, sa foi en l’avenir assise sur la confiance et le concours que lui accordaient ses anciens maîtres, les pépiniéristes angevins, fonda son premier établissement de l’avenue des Bénédictins, qui devint le rendez-vous de tous ceux qui aimaient les fleurs, les belles collections, les plantes rares, les cultures intéressantes, les arbres soignés et bien conduits. Mais bientôt à l’étroit, serres et plantations furent transportées au Clos-la-Chatte, puis enfin à l’avenue de Louyat, pendant que les pépinières, qui prenaient de plus en plus de l’extension, se créaient à Fargeas, à Aixe et à La Jonchère. La réputation du Maître allait grandissant, ses produits étaient recherchés, ses avis sur les plantations toujours écoutés, et les travaux prenaient de plus en plus d’importance.
Car ce n’est pas seulement comme horticulteur-pépiniériste qu’André Laurent s’était imposé à l’attention de ses nouveaux concitoyens. C’est aussi comme architecte-paysagiste et comme professeur. Comme architecte-paysagiste, la région lui doit ses plus beaux parcs et ses plus belles plantations. Dès 1848, presque à son arrivée, il se faisait connaître par le tracé et l’exécution du parc de M. Cruveilher à Châteauneuf, qui fut une sorte de révélation, et jusqu’en ces dernières années, pendant plus de 50 ans, sa main dessina les jardins de nos plus belles habitations. Plantadis, Crochat, Le Reynou, MontMéry, etc., etc., resteront des modèles dans cet art des Jardins, et attestent le savoir, le goût, le sentiment du paysage et de la ligne chez celui que M. Ed. André, le grand paysagiste français, a nommé son collègue limousin, et que d’autres déclaraient avoir sa place aux côtés de M. Alphand (…)
Lors de la création de l’Ecole normale d’instituteurs de Limoges, André Laurent fut appelé pour ordonner les terres et jardins de cet établissement. Il traça le tout, exécuta les travaux, planta la pépinière, les vergers, et, devenu maître des conférences horticoles à l’ouverture des cours, il eut à enseigner à ces jeunes instituteurs les principes de l’horticulture et la pratique de l’arboriculture fruitière. Là, comme à son Ecole pratique, il se dévoua complètement et se donna tout entier.
Les derniers établissements créés par André Laurent ont achevé son œuvre, et il suffisait de visiter les admirables plantations des pépinières de La Jonchère, les plus vastes et les plus importantes de la région, établies avec le concours de M. Gérardin, un de ses admirateurs et son ami ; son établissement modèle de l’avenue de Louyat ; et ses champs de la Villa des Roses, près d’Aixe-sur-Vienne, pour se rendre compte de tout ce qu’a fait cet habile horticulteur pour le progrès des méthodes, la diffusion et la propagation des espèces les plus recommandables et les plus rémunératrices, devenant ainsi utile à chacun et bienfaisant à tous.
Mais tant de labeur ne pouvait rester sans récompense, et après les nombreuses médailles obtenues dans les expositions et concours, les prix d’honneur et les objets d’art, André Laurent obtenait la Prime d’honneur de l’Horticulture en 1886 ; il était fait Chevalier du Mérite agricole en 1889 ; il devenait Lauréat de la Société Pomologique en 1890; et il était élevé au grade d’officier du Mérite agricole en 1890.
Depuis peu il s’était retiré dans sa Villa des Roses, joli nid qu’il s’était construit, et où il espérait trouver le repos dû à ses 60 années de travail, le bonheur au sein de sa famille aimée, recevant avec joie ce qui restait de ses vieux amis, et cultivant encore les Roses, ses fleurs de prédilection. »
Bulletin trimestriel de la Société d’horticulture & d’arboriculture de la Haute-Vienne, n°45, 1907, p.p. 9-12.
[1] « Ses fleurs sont simples, incomparablement grandes, fraîches et délicates, s’ouvrant parfaitement, d’un coloris exquis et séduisant à la fois ; — en boutons, elles possèdent une teinte rubis violine, unique, qui persiste au revers de la corolle, pendant la floraison, — épanouies, elles prennent une couleur lilacée changeante, bien distincte, auréolée au centre d’un soupçon héliotrope blanc et où le rose, le bleu agréablement nuancés sur le fond, produisent des reflets d’irisation du plus merveilleux effet, rappelant à s’y méprendre celles de l’Hortensia cultivé. » Bulletin de la Société d’horticulture et d’arboriculture de la Haute-Vienne, 1905, t. 38, p. 15. Dans son Catalogue général (1898), on peut lire : « spécialités de bouquets montés, bouquets de noces ».
[2] N° 17, 1900, p.15.
[3] Ainsi le n° 48 (1907) du Bulletin de la Société d’horticulture et d’arboriculture de la Haute-Vienne décrit-il très précisément celui qu’il aménagea à Valroses (près de Couzeix-Chaptelat), pour M. Taboury, ex directeur d’école primaire supérieure, vice-président de la Société.
[4] Construit à la fin du Second Empire par Jean Baptiste Mignon, ingénieur et célèbre dépositaire d’une centaine de brevets d’invention, collaborateur d’Eiffel, le château de Walmath se cache dans un magnifique parc à l’anglaise. Ce château bénéficie d’un magnifique parc paysager possédant des pièces architecturales originales, dont une copie impressionnante de l’escalier de la Légion d’honneur de Paris. On y admire aussi des serres superbes, ainsi qu’une orangeraie et un étang aux ponts de rocaille, où fleurissent des rhododendrons. Ce parc à l’anglaise, créé en collaboration avec le paysagiste André Laurent a conservé des arbres d’origine. D’autres essences importées d’Amérique proviennent peut-être des pépinières de La Jonchère ( ?). Le château a été entièrement pillé en décembre 1993 avant d’être racheté.
[5] Colette Chabrely, « Les parcs des porcelainiers Haviland », In Situ [En ligne], 6 | 2005, URL : http://insitu.revues.org/8376 ; DOI : 10.4000/insitu.8376