L’arboretum
Les fondateurs
Martial Henri Gérardin (1825-1907) était magistrat, grand propriétaire, secrétaire général de la Société d’Agriculture de la Haute Vienne, et fut maire (ou conseiller municipal) de La Jonchère-Saint- Maurice. Il était né à Limoges, place des Bancs, d’Antoine Henry Gérardin, avocat, conseiller préfectoral (1792-1858) et de Rose du Boys, fille de négociant (1796-1877). Léonard, son grand-père (1762-1828) était propriétaire, ancien notaire seigneurial puis maire ou adjoint de La Jonchère, de 1800 à sa mort – parfaite illustration, comme son fils, de cette « France des notables » étudiée par A. Jardin et A.J. Tudesq. En novembre 1846, Henri partit à Paris pour faire des études de Droit. Il obtint sa licence en 1848 et, le 28 août suivant, il prêtait, devant la Cour d’Appel de Limoges, le serment d’avocat. En 1865, il fut nommé juge suppléant à la Cour d’Appel de Limoges où il siégea pendant près de vingt-cinq ans. Les documents officiels font état d’abord de sa domiciliation à Limoges, puis au bourg de La Jonchère. Le 5 octobre 1852, il épousa Marie Herminie Morterol, fille de négociants (1831-1895) en l’église Saint-Pierre de Limoges. Ils eurent trois enfants, dont deux filles et Pierre Albert. Nommé premier édile en août 1852, suite au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte de décembre précédent, il prête serment le 17 février 1853 : « Je jure obéissance à la constitution et fidélité à l’empereur. » Il le demeure tout le Second Empire, jusqu’en 1871 ; avant d’être régulièrement élu conseiller municipal (il l’est encore en mai 1904). Il entre au Conseil général en 1867, comme élu du canton de Laurière. Sur le plan politique, c’est incontestablement un héritier de la droite conservatrice, qui doit sa nomination à un pouvoir arguant, avec Morny, que le coup d’Etat est une mesure préventive de sauvegarde de la société, se ralliant ainsi ces notables conservateurs[1]. A sa mort, sa propriété est composée de six domaines, d’une superficie totale de 241 hectares[2]. Incontestablement, comme l’a écrit l’historien Pascal Plas, c’est un avocat et agronome.
Son fils Albert (1856-1910), qu’il associa à ses affaires, marié à Jeanne-Marie Béraud-Dupalis (avec qui il eut quatre enfants), était avocat à Limoges et devint en juillet 1895 conseiller général conservateur du canton de Laurière, dès le 1er tour de scrutin (il obtint 250 voix sur 270 votants à La Jonchère). Il fut battu en 1901. Il fut conseiller municipal de La Jonchère de 1908 à 1910. Henri (1885-1956), fils d’Albert, avoué puis professeur à l’Ecole de droit, fut maire de 1935 à 1943 – date à laquelle il démissionna de son mandat. La famille Gérardin est mentionnée également jusqu’au XXème siècle pour son catholicisme : « Le jour de la fête Dieu, les cloches sonnaient (…) Devant chez les De Léobardy, les Gérardin, chez Madame De Sagazan, on s’arrêtait devant un autel brodé, qu’une lampe ou une bougie éclairait. Le plus riche des reposoirs, pour moi, se trouvait place de la mairie : devant chez Gérardin. » L’un des membres de la famille contribua à la création de l’école Ozanam.
On peut lire dans la Revue des Eaux et Forêts, en 1907, le texte suivant concernant Henri Gérardin: «…. A l’administration de ses propriétés de La Jonchère, de Pierrefiche et Puy Bonnieux, sur laquelle il marqua bien vite et profondément son empreinte d’éminent agriculteur, il joignit, tant était grande la fécondité de son esprit d’initiative, l’exploitation d’importants gisements de kaolin, et peu après, il créa et dirigea pendant plus de trente ans, les magnifiques pépinières de La Jonchère qui font chaque jour l’admiration des visiteurs. Le reboisement des terrains improductifs, soit qu’il fut opéré par des particuliers, soit qu’il dût être fait par les Communes, lui apparaissait comme une transformation susceptible d’augmenter la prospérité de son cher Limousin et l’embellissement de ses sites.» Et dans le Bulletin de la Société d’horticulture et d’arboriculture, au moment de sa disparition: «Longtemps l’associé et le collaborateur de M. André Laurent, dont la mort n’a précédé la sienne que de quelques jours, il a consacré pendant trente années la meilleure part d’une inlassable activité à la direction de ces magnifiques pépinières de La Jonchère qui font l’admiration de tous les visiteurs. Les travaux de reboisement qu’il a fait exécuter, l’ardeur qu’il a mise à sélectionner et à propager les meilleures essences, les remarquables résultats qu’il a obtenus, l’exemple salutaire qu’il a donné pour la mise en valeur de nos terrains incultes et l’embellissement de nos sites limousins, font de son œuvre une véritable œuvre d’utilité publique. » [3]
Le 22 juin 1907, les congressistes de l’Arbre et de l’Eau et les élèves de l’Ecole forestière de Nancy, sous la conduite de leur directeur, se rendirent à La Jonchère en vue d’inaugurer une plaque à la mémoire d’H. Gérardin : devant la maison, en présence de la famille et des élèves des écoles communales, M.M. Charles Henry et Pardé, inspecteur des forêts, lui rendirent hommage[4]. Le Dr Mercier, de Montluçon, remercia au nom de la famille. Suivit une excursion dans les pépinières à propos de laquelle le journaliste ne tarit pas d’éloges, parlant même de « nouvel Eden ».
Oraison funèbre d’Henri Gérardin prononcée par M. Teisserenc de Bort, sénateur de la Haute-Vienne, au nom de la Société d’Agriculture de ce département
« Messieurs, c’est le cœur étreint par la plus douloureuse émotion que je viens adresser ce dernier adieu, au nom de la Société d’agriculture, à celui qui en était le plus ancien membre, en même temps qu’un des plus fidèles et des plus dévoués collaborateurs.
Indulgent pour tous, mais dur pour lui-même, se plaisant à faire le bien, entouré de l’affection de sa nombreuse famille qu’il était si heureux de grouper autour de lui dans sa patriarcale demeure de la Jonchère, il laisse à tous ceux qui ont eu le bonheur de l’approcher le souvenir et l’exemple d’une existence chrétienne utilement remplie qui aura, jusqu’à la dernière heure, ignoré le repos.
A l’administration de ses propriétés de la Jonchère, de Pierrefiche et de PuyBonnieux, sur laquelle il marqua bien vite et profondément son empreinte d’éminent agriculteur, il joignit, tant était grande la fécondité de son esprit d’initiative, l’exploitation d’importants gisements de kaolin, et peu après, et ce fut bien là son œuvre de prédilection il créa, et dirigea pendant plus de 3o ans, les magnifiques pépinières de la Jonchère qui font chaque jour l’admiration des visiteurs.
Le reboisement des terrains improductifs, soit qu’il dût être opéré par les particuliers, soit qu’il dût être fait par les communes, lui apparaissait comme une transformation susceptible d’augmenter la prospérité de son cher Limousin et l’embellissement de ses sites. Sa longue expérience était là pour l’en convaincre.
Aussi notre ami regretté a-t-il consacré une bonne part de sa laborieuse vie à nous faire connaître et apprécier les essences forestières les plus recommandables. Son nom restera attaché à cette œuvre de rénovation forestière et son souvenir sera certainement rappelé dans notre prochain congrès de l’arbre et de l’eau auquel il s’était empressé de donner son entière adhésion avec promesse de nous diriger lui-même, dans ces plantations qu’il avait si merveilleusement réussies. Cette idée de la mise en valeur des terrains de montagne par le reboisement était une de celles qu’il aimait à développer au cours de ses conversations familières dont ses amis n’oublieront pas le bon sens pratique et le tour délicat que ce fin lettré savait leur donner.
Arrivé à un âge qui eût imposé le repos à tout autre qu’à lui, il n’hésitait pas, il y a trois semaines encore, à braver les risques d’une température rigoureuse, pour surveiller sur les belles collines de la Jonchère, qui lui doivent leur verte frondaison, le repeuplement des boisements communaux entrepris sous sa direction, il y a une trentaine d’années. Il est tombé sur la brèche, dans toute la force de sa vive intelligence, et en pleine exécution de l’œuvre d’utilité publique à laquelle il a employé le meilleur de sa vie. Il ressentait les premières atteintes du mal qui l’a terrassé, quand une dépêche vint lui annoncer que sa magnifique exposition d’arbres verts qu’il avait organisée, mais qu’il lui avait été impossible d’aller installer lui-même à Paris, venait d’obtenir la médaille d’or au dernier concours général agricole. Il avait consacré une bonne partie de son existence aux arbres et c’est à eux qu’il a donné ses derniers moments.
Jurisconsulte distingué, magistrat au tribunal civil de Limoges, maire, membre du conseil général, secrétaire général de la Société d’agriculture de ce département, quelle que fût la situation qu’il occupât, sa grande activité, tout entière mise au service de ses concitoyens, n’a eu d’égal que son inépuisable bonté. »
Revue des Eaux et Forêts, t. 46, 1907, p.p. 390-391.
Un discours fut également prononcé par M. de Léobardy, maire de La Jonchère et vice-président de la Société d’agriculture : « je viens saluer une dernière fois un de ses enfants [à la commune] les plus dévoués et les plus fidèles (…) La commune n’oubliera pas les services rendus et la mémoire de cet homme de bien lui sera toujours chère. »
[1] J.-F. Sirinelli (dir.), Les droites françaises de la Révolution à nos jours, Folio Histoire Gallimard, 1995, p. 222.
[2] Cette information est donnée par G. Dumont.
[3] T. 46, p. 3.
[4] Limoges illustré, 1er juillet 1907.