23 Déc

A l’abri des remparts

        

 

Au Moyen Âge, la fortification joue un rôle psychologique important : à la tombée du jour, le pont-levis relevé et les portes fermées, la ville est complètement isolée du monde extérieur. En même temps qu’une impression de sécurité, le sentiment d’une unité communautaire naît de cet isolement. L’enceinte protège : celle du Château de Limoges a 12 mètres de haut et 2 mètres de large, avec mâchicoulis et chemin de ronde ; les fossés, larges de 20 mètres, étaient à sec en haut de la ville, pleins d’eau et d’immondices dans le bas. Jusqu’en 1373 existent huit portes : la porte Montmailler est la plus ancienne ; elle se trouve à l’extrémité de la rue des Combes ; de là part le faubourg Montmailler qui conduit au Mont Jovis et se prolonge par la route de Poitiers et des pays du nord de la France. La porte des Arènes donne accès au faubourg des Arènes qui longe l’ancien amphithéâtre gallo-romain et se prolonge par la route de Saintes ; elle dispose d’un important service de guet. De la porte Manigne part le faubourg du même nom qui rejoint le faubourg du Pont-Saint-Martial et conduit, par le pont, à la route du Bas-Limousin et du Quercy. La porte Boucherie est tournée vers la Cité où conduit le faubourg du même nom. Il existait quatre autres portes qui furent murées après 1373 pour des raisons de sécurité : la porte Mireboeuf, la porte Vieille-Monnaie, la porte Pissevache et la porte Lansecot ou Saint-Esprit.

La Cité a quant à elle cinq portes : la porte Panet, à l’extrémité de la rue du même nom, qui ouvre sur le port du Naveix ; la porte du Rouveix ou du Chêne, au sud de la cathédrale ; la porte Saint-Maurice, la porte Escudière, la porte Traboreu, toutes les trois en face du Château. L’abbaye de la Règle est entourée de murailles. Il existe autour de la Cité des remparts et des fossés.

Entre le Château et la Cité s’étendent des faubourgs, les « barris ». Le roi avait pourtant décidé de faire détruire ces constructions qui, depuis la renaissance urbaine, enserraient les remparts, arrêtaient la vue de ceux qui les gardaient, et facilitaient l’approche des assaillants ; mais – c’est compréhensible – il s’était heurté à d’inévitables résistances, malgré les promesses de dédommagement convenable. C’est probablement ce qui explique la présence de maisons entre Cité et Château. En 1370, la destruction par l’Anglais démontra que le roi avait raison de vouloir les supprimer. Il y avait là des maisons, des jardins, des vignes et des vergers.

De temps à autre, des revues d’armes avaient lieu à Limoges, comme dans d’autres villes – par exemple au « creux des Arènes ». Il s’agissait d’inspecter les hommes et leurs armements.

On imagine bien à quoi ressemblait le Château, avec sa variété de population (qui aime se revendiquer « bourgeoise »), de quartiers, de rues et de ruelles, ses places (celle des bancs charniers était la plus importante, avec sa trentaine d’étals, et le pilori au sud), ses étangs près de la motte, ses fontaines, ses multiples cris et bruits, ses sons de cloches. Les maisons (« meygos ») avec parfois leurs jardins. Les différents métiers exercés : bouchers, boulangers, couteliers, ceinturiers, charpentiers, argentiers, maçons, manouvriers, couturiers, forgerons, orfèvres, émailleurs, juponiers, coiffeurs, fromagers, drapiers, cordonniers, cubertiers, valets… et puis les clercs, les chanoines, les notaires, écrivains publics et même, à la fin du Moyen Âge, un imprimeur, Jean Berton. Parmi la production locale des tisserands : la limogiature – une étoffe de luxe rayée soit d’or soit de rouge, vendue en partie à l’extérieur du Limousin. Il y a tous les petits marchands, aussi, comme Mariota Ourissona, vendeuse de châtaignes. Dans cette ville, les pauvres assistés s’occupent de l’entretien des vergers. Les consuls doivent agir pour le bien en écartant le mal, la haine, la malveillance et le favoritisme. Ils ont la garde de la ville, des droits de justice et police. Ils veillent à la conservation des finances publiques, protègent les veuves et les orphelins. Ils ont à s’occuper du bon état de la forteresse et des armes communes, du pavement des rues, de l’entretien des étangs, de l’installation des bancs sur les places et aux carrefours, de la plantation d’arbres et de la bonne qualité des produits fabriqués et vendus au Château. Ils doivent rendre des comptes à la fin de leur consulat.

L’affluence des pèlerins vers l’abbaye attire les marchands. Une colonie vénitienne établit très tôt un entrepôt dans la ville, que l’on imagine très odoriférant : les commerçants de la Sérénissime vendaient le poivre et les épices du Levant à travers toute l’Europe occidentale. Les clous de girofle, la noix de muscade, la cannelle imprégnaient les viandes et les poissons dans la plupart des recettes ; sans doute pour masquer la salinité de ces produits – le sel étant le conservateur – mais surtout parce que leur attractivité gustative et imaginaire était fort prisée par ceux qui avaient les moyens de les acheter.

Limoges, qui occupe un site de carrefour, est un important lieu de commerce et sa bourgeoisie marchande y tient une place influente et enviée. Les bourgeois sont propriétaires immobiliers et fonciers, placent leur argent, font prospérer leur patrimoine, font des dons à l’Eglise, pratiquent la charité.

Le noyau urbanisé du pont Saint-Martial s’est développé sur la rive droite de la Vienne, de part et d’autre d’un axe qui relie le Château au pont. D’un côté, vers le sud, il y a le chemin de Solignac, de l’autre, la « granda rua deu Pot ». Des maisons ont été construites, avec leurs solars, leurs jardins et leurs vergers, parfois fleuris de rosiers odorants, comme ceux de la Cossana, une propriétaire du XVème siècle – la fleur, venue d’Orient, avait été cultivée dans les monastères puis dans les résidences aristocratiques, avant d’apparaître dans les jardins des particuliers où, selon Albert le Grand, « elle excite l’admiration ». On rencontre des manouvriers et des prêtres parmi la population ; tanneurs et corroyeurs sont installés le long de la Vienne.

Les frères des Ordres mendiants se sont installés à Limoges : ils œuvrent pour la défense de la foi, luttent contre l’hérésie et leur prédication progresse avec l’urbanisation, le public étant plus nombreux – ils interviennent ainsi à l’emplacement des anciennes arènes, où une foire se déroule le 30 juin. Sous leur influence grandissante, les limougeaudes cachent leurs cheveux sous un chaperon. Le franciscain Saint Antoine de Padoue lui-même, excellent prédicateur, enseigne quelque temps dans la ville où il est custode.

Quant à la famille, qui compte environ sept personnes (parents et enfants vivants), elle est soumise à l’autorité du mari et père. Des dynasties bourgeoises se créent à la fin du Moyen Âge. La langue parlée et écrite, en dehors de l’Eglise, est l’occitan.