18 Déc

Automne 1370 : le sac de la Cité … et Montaigne

 

Le 24 août 1370, vers neuf heures du matin, l’évêque et les consuls de la Cité abandonnent l’Angleterre et jurent fidélité au roi de France, devant le maréchal de Sancerre, son représentant – accueilli ensuite par les habitants et des manifestations d’allégresse. On crie « Montjoie et Saint-Denis » du haut du portail et des murs au passage de la bannière royale. Quelques chevaliers et quatre-vingt hommes d’armes s’installent à demeure. Le Château est alors encore fidèle aux Anglais. Un mois plus tard, le prince de Galles attaque la Cité. Le célèbre chroniqueur Jean Froissart a fait la relation vive du sac de la ville, avec toutefois quelque exagération : le prince de Galles, nous dit-il, « fut très courroucé […] Quand la plus grande partie de ses gens fut arrivée, on compta 1 200 lances, chevaliers et écuyers, 1 000 archers et 3 000 hommes de pied […] Avec le prince étaient ses deux frères, le duc de Lancastre, le comte de Cambridge et le comte de Pembroke qu’on appelait aussi leur frère […] Pendant près d’un mois, le prince de Galles assiégea la Cité de Limoges [puis, les mineurs firent leur œuvre et les Anglais entrèrent dans la ville] tout prêts à mal faire et courir la ville pour tuer hommes, femmes et enfants comme on leur avait commandé. Là, il y eut grand-pitié ; car hommes, femmes et enfants se jetaient à genoux devant le prince et criaient : « Grâce, noble sire, grâce !… » Mais il était si enflammé d’ardeur qu’il n’entendait pas, que personne n’était écouté, mais tous mis à l’épée, quand on les trouvait et rencontrait, ceux qui n’étaient pas coupables ; et je ne sais comment il n’avait pas pitié de ces pauvres gens qui n’étaient pas capables de trahison […] Il n’est si dur cœur se trouvant alors à Limoges et qui se souvînt de Dieu, qui ne pleurât tendrement de la grande infortune qui y était, car plus de 3 000 personnes, hommes, femmes et enfants furent tués et décapités pendant cette journée. Dieu en ait les âmes, car ils furent bien martyrs ! […] toute la Cité de Limoges fut parcourue, pillée et dévastée sans délai, puis brûlée entièrement et mise à destruction ; et puis repartirent les Anglais en emmenant leur butin et leurs prisonniers. »

Pour sa part, La Chronique de Saint-Martial évoque la mise à mort de 3 00 habitants, ce qui semble plus plausible. Les habitants du Château apportèrent tant bien que mal leur aide à ceux de la Cité, qui étaient parfois leurs parents ou amis et en 1378, un concile réuni à Paris accorda 40 jours d’indulgence à qui ferait des dons pour restaurer la cathédrale. La Cité ruinée servit un temps de repaire à des bandes de brigands, avant que les habitants du Château y mettent bon ordre.

Michel de Montaigne ouvre ses Essais par un épisode du sac qu’il tire de Froissart. Celui où Edouard, prince de Galles, « aperçut trois gentilshommes français qui, avec une hardiesse incroyable – écrit le penseur –, soutenaient seuls l’assaut de son armée victorieuse. La vue et la considération d’un courage aussi remarquable émoussa d’abord la pointe de sa colère, et il commença par ces trois-là à faire miséricorde à tous les autres habitants de la ville. » Le philosophe prend ce prétexte (et d’autres) pour réfléchir à propos du fait que « par divers moyens on arrive à pareille fin ».