Deux mois après le douloureux épisode de gel qui a meurtri le bordelais, Côté Châteaux est retourné à Saint -Emilion, l’un des secteurs les plus touchés avec en moyenne 80% des parcelles de vignes gelées. Rencontre avec 3 propriétés fortement impactées, les châteaux Rozier, la Grave-Figeac et Grand Corbin-Despagne.
Dans la nuit du 26 au 27 avril et encore le lendemain, c’était branle-bas de combat dans les vignes de Saint-Emilion. Un balai d’hélicoptères brassaient de l’air, tandis que des centaines de bougies essayent de réchauffer l’atmosphère…souvent en vain.
Le froid s’était fortement installé, et même plus tôt que prévu dans la nuit, avant que les hélicos ne décollent. Si les coteaux et les plateaux ont été épargnés ou quasiment, tout ce qui était en contre-bas et dans les combes subissait des -4 à -6°C.
15 jours à trois semaines durant, le paysage était devenu marron, de quoi miner le moral à plus d’un vigneron… Depuis, c’est reparti mon kiki mais pas youpi car ce sont surtout des feuilles et des branches sorties en buisson, très peu de grappes : « sur 5 pieds, on n’en n’a pas trouvé une…et vous voyez ces pieds, en broussaille. Ces bois ont été à moitié gelés, la grappe a gelée et c’est reparti en buisson… » explique Jean-Christophe Saby.
Au château Rozier à Saint-Laurent-des-Combes, 90% des vignes ont été touchées. 20 hectares sur 30 quasiment rasés voilà 2 mois. La repousse et le vert partout a de quoi redonner du baume au coeur, mais les grapillons sont trop rares et dispercés. Le château n’était pas assuré contre le gel.
Saint-Emilion a été impacté au final à 80% pour les parcelles, toutefois il est difficile de dire si on aura la moitié d’une récolte ou nettement moins.
En face de Cheval Blanc, le château La Grace Figeac est pile poil dans cette moyenne. Seules 20% des vignes sont restées intactes, d’une belle homogénéité et exemptes de maladies, elles ont même 15 jours d’avance (avec ces alternances de soleil et de pluies). « C’est une des rares parcelles qui n’a pas gelé, ici c’est 100% intact, par contre sur la propriété on a perdu 80% de la récolte, donc cette parcelle pour nous est très très précieuse, » confie Laurent Clauzel.
La récolte s’annonçait terrible, si seulement il n’y avait pas eu ce gel !
Alors que tout s’était arrêté durant près de 3 semaines après le gel, la vigne a repris ses droits et a fortement repoussé d’où aujourd’hui un énorme travail d’épamprage et de levage, comme en témoigne François Despagne propriétaire de Grand Corbin Despagne, cru classé de Saint-Emilion :
« Il y a beaucoup de gens, des occasionnels, qui étaient présents pour faire les façons dans les vignes début mai, mais comme il n’y avait rien à faire ils sont repartis dans d’autres régions françaises pour trouver d’autres travaux, et maintenant nous aurions besoin de beaucoup de main d’oeuvre et on a de grande difficulté à la trouver. »
Gelé à 100%, François Despagne estime qu’il ne pourra pas commercialiser d’ici deux ans 200 000 bouteilles entre son 1er vin château Grand Corbin Despagne, son 2e le Petit Corbin Despagne, et ses vignes sur Castillon et un peu sur Pomerol.
Fort heureusement les 2015 actuellement sur le marché et les 2016 en barriques vont essayer de compenser ces pertes. Mais le mal est fait : bon nombre de viticulteurs n’étaient pas assurés et ceux qui n’auront plus rien à vendre, s’ils n’ont pas de stocks, risquent de perdre des marchés pour quelques années.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl, Christophe Brousseau et Corinne Berge :