En Toscane, on fait du vin depuis des siècles dans un décor de collines, cyprès, oliviers et villages plusieurs fois centenaires, et les choses semblent immuables. Mais dans la région du Chianti, où la première appellation contrôlée a vu le jour il y a 300 ans, des producteurs veulent changer la donne…
Le 24 septembre 1716, Cosimo III, grand-duc de Toscane, décide par décret que le vin de Chianti devra uniquement provenir d’une zone délimitée entre Florence et Sienne. La toute première appellation contrôlée pour un vin est née.
Aujourd’hui, cette région de 70.000 hectares produit 35 millions de bouteilles par an de chianti classico, l’un des vins les plus connus de la planète.
Environ 80% de cette production est exportée vers une centaine de pays et la réputation de cette région toscane n’a cessé de se renforcer pour en faire l’un des lieux cultes des amateurs de vin.
Diya Khanna, Canadienne installée à Berlin, a fait le voyage jusqu’à Greve in Chianti, et ne le regrette pas. « Au Canada, on pense que le chianti est un seul et unique vin, mais quand on vient ici on comprend vraiment ce qu’il en est. Il y a tellement de styles différents », se réjouit-elle, un verre à la main. « Les classicos que nous avons goûtés ont tous cette touche veloutée sur la fin, comme une chanson qui finit en douceur », explique-t-elle.
Bouteille entourée de paille
Pourtant, le chianti n’a pas toujours été associé avec cette douceur et du chianti ordinaire est aujourd’hui produit dans toute la Toscane, au-delà de l’appellation d’origine « chianti classico ». Car depuis 2010, il n’est plus possible d’en produire dans le « classico », où les grands producteurs ont obtenu gain de cause pour protéger leur appellation.
Généralement moins cher, plus léger et moins contraignant à produire, le chianti ordinaire reste associé pour beaucoup à la bouteille entourée de paille que des centaines de trattorias dans le monde utilisaient dans le passé comme bougeoirs. L’idée à l’origine du décret pris en 1716 était de garantir un style et une qualité liés à une combinaison bien précise: la terre de Toscane, son climat et le savoir-faire local. Trois siècles plus tard, cette idée perdure, mais l’accent est également mis sur certains micro « terroirs »: la nature de certains sols, leur exposition, leur altitude…
Changer les règles
A Querciabella, non loin de Greve in Chianti, Manfred Ing, originaire d’Afrique du Sud, considère avec satisfaction les grappes de sangiovese – le principal cépage rouge du chianti – qui promettent une belle récolte et un bon cru. Querciabella est à l’avant-garde d’une volonté de certains producteurs de chianti classico de changer les règles afin de leur permettre de « labelliser » leurs vins selon des micro-zones, sur le modèle de ce qui se fait en Bourgogne où pas moins de 84 appellations d’origine contrôlée cohabitent.
Comme beaucoup de grands crus de Bourgogne, les vins de Querciabella sont produits sans engrais artificiels ou pesticides et selon des principes biodynamiques. « Si nous voulons être en mesure de faire encore du chianti ici dans 300 ans, c’est la route qu’il faut prendre », assure Manfred Ing, tout en expliquant par exemple que des récoltes en hiver de moutarde sauvage aident à reconstituer les sols sans avoir recours aux engrais.
Dans la Toscane viticole, il y a autre chose qui a changé: l’arrivée des femmes dans ce petit monde fermé. « Nous sommes un petit club, mais en pleine expansion », assure Susanna Grassi, qui a renoncé en 2000 à son poste dans une entreprise de lingerie pour sauver une exploitation familiale vieille de quatre siècles. Son domaine, « I Fabbri » (les forgerons), couvre neuf hectares de collines et met l’accent sur la finesse et l’élégance. « Les femmes ont une sensibilité différente quand il s’agit de faire du vin », estime-t-elle. « Peut-être est-ce à cause de la grossesse qui nous enseigne la patience, sachant que le résultat final sera « bello »!
AFP