Retour sur l’épisode de grêle du 2 août 2013. Un an après, que sont devenus ces vignerons touchés: 1600 impactés dont 500 à plus de 80% en Castillon, Côtes de Bordeaux, et dans l’Entre-Deux-Mers. Certains se relèvent et veulent tourner la page, d’autres sont encore dans de grosses difficultés économiques.
Que ce soit bien clair. Ils ne sont pas du genre à vouloir faire pleurer dans les chaumières. La plupart sont des battants, des hommes qui positivent et qui, quand ils prennent des coups, et notamment de grêle, se relèvent. Certains aujourd’hui sont debout, un peu sonnés, d’autres ont toujours un genou à terre, enfin il y a cette poignée qui n’a pas passé l’année et a arrêté !
La grêle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » Loïc de Roquefeuil, château de Castelneau.
Loîc de Roquefeuil nous redonne le contexte de ce début août 2013: « pendant 10 ans, les cours étaient largement à moins de 1000 euros du tonneau, longtemps à 850 (il y a même eu un instant 650), et notre prix de revient c’est 1300. L’an dernier le matin même de la grêle, je disais à ma femme, ça y est on va pouvoir s’en sortir », après 10 années difficiles à Bordeaux pour les petits viticulteurs, les cours avaient remonté (aujourd’hui le prix est à 1350 euros le tonneau) et patatras: la grêle.
Sur le moment, c’est…pff…un grand moment de solitude ! On voit les baies vitrées qui prennent des impacts, qui s’ébrèchent. Les enfants sont complètement effrayés, c’est un moment de panique. » Philippe Carille, propriétaire de château Poupille, à Sainte-Colombe en Gironde.
Le Vicomte Loïc de Roquefeuil, propriétaire de Castelneau à Saint-Léon dans l’Entre-Deux-Mers a du mal à ne pas y penser…Il est à la tête d’un vieux château de famille des XIVe et XVIe siècles, dont les plus vieux pieds de vigne remontent à 1888 et donnent encore de fabuleux vins blancs: « La grêle qui a grêlé 100% de la récolte a grêlé en fait 180%. Ce n’est pas seulement une année, c’est deux années de suite où on va être économiquement sur une sellette dangereuse. »
Et Loïc de Roquefeuil de nous confier ce coup au moral qu’il a reçu, alors que, précise-t-il « d’habitude, je positive tout le temps »: « quand on voit les bois déchiquetés qui pendouillent comme cela, c’est très étonnant, on arrive à s’identifier à son pied de vigne ! »
En 2013, il n’a pas eu de récolte, et en 2014, puisque ses bois ont été fortement meurtris, stressés, impactés, il estime sa récolte à 20 hectolitres à l’hectare.
Loïc de Roquefeuil a rejoint SOS Vignerons, l’association des vignerons sinistrés présidée par Florence Cardoso, touchée aussi très fortement en Castillon. Il en est même le vice-président. Il se souvient quand Stéphane Le Foll ministre de l’agriculture est venu le voir: « il a regardé vite fait, vous êtes impacté à 50% m’a-t-il dit, or je lui disais mais Monsieur le Ministre, il n’y a plus de raisin…et le raisin c’est ce qui nous sert à faire le vin ! » Le Ministre n’a pas vu ou pris conscience que ces vignerons étaient désespérés, impactés à 100 % ou 80% sur cette large bande entre l’Entre-Deux-Mers et Castillon.
SOS vignerons, nous a permis de tenir le coup entre nous, alors que nous sommes de milieux différents, ça nous a aidé à tenir moralement. » Loïc de Roquefeuil, château de Castelneau
Et en aparté, cette petite phrase: « il y a eu une aide psychologique de la mutualité sociale agricole, mais aux heures de bureau ! On a eu un ami qui a fait une tentative de suicide, l’aide psychologique, c’était à 2 heures du matin qu’il en avait besoin. »
Philippe Carille a aussi assisté aux réunions de soutien et de crise organisées par les différents organismes au début. Puis il a été victime d’une chute dans son chai qui l’a handicapé plusieurs mois, il s’en ai sorti quasiment tout seul (il ne fais pas partie de l’association SOS Vignerons): « je n’étais pas assuré, j’avais des stocks. Moi, mon assurance, c’était mes stocks. » Toutefois en 2014, il s’est assuré. Et de reparler de ce qu’ils ont touché environ 3000 à 4000 euros, et des reports de cotisations de la MSA…
« Ce qu’on a touché, ce n’est pas mirobolant, ça j’en suis parfaitement conscient, mais par contre c’est non négligeable au niveau des exploitations. Grâce aux achats de raisin et aux achats de vin (l’Etat et les douanes leur ont donné une permission exceptionnelle), on va pouvoir créer des marques et continuer à fournir nos clients principaux. »
Des clients que ces vignerons mettent parfois 2 à 5 ans à décrocher et qu’ils tiennent à garder. Philippe Carille travaille beaucoup à l’export avec notamment le Japon (environ 40 % de ses exportations en moyenne).
Mais tous n’ont pas acheté de vendange…pas les moyens pour certains. Alors il faut faire avec. Loïc de Roquefeuil a été obligé de vendre une maison qu’il venait de restaurer pour lourer et faire des petits compléments de revenus, car il ne faut pas s’imaginer que bien que Vicomte, ayant un vieux château, au quotidien, il vit sur de l’or. C’est difficile.
Heureusement son épouse et lui ont créé 5 chambres d’hôtes au château de Castelneau et sont bien référencés sur booking.com. Par ailleurs, il refait l’orangerie du château pour y donner des cours de cuisines, et y organiser des séminaires ou des banquets: car toujours volontaire, il essaie de continuer et d’avoir le moral.
Il philosophe aussi et aime à rappeler cette phrase de Nietzsche: » « je considère comme gaspillée toute journée où je n’ai pas dansé ! Alors, quand le moral est mauvais, je me dis voilà, il faut que je me mette à la danse. Alors, cette salle, ce sera une salle de danse aussi ! » Avec une superbe vue sur le vignoble.
Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl et Pascal Lécuyer