06 Juin

L’éphémère école vétérinaire de l’intendant Turgot

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C’est le vétérinaire Pierre Desnoyers – ancien élève du Lycée Gay-Lussac – qui, dans
sa thèse de 1967, révéla que l’intendant Anne-Jacques-Robert Turgot était à l’origine de la
seconde Ecole vétérinaire de Limoges, dont l’existence fut malheureusement fort brève.

Dès son arrivée en Limousin, Turgot fut sensible au développement de l’art vétérinaire, nécessaire
dans cette région d’élevage. Dès 1763, il ne ménage pas ses efforts en faveur de l’ouverture
d’une Ecole vétérinaire à Limoges et surtout d’un financement royal qu’il espérait mais qu’il
n’obtint pas. L’établissement ouvrit pourtant en février 1766. Turgot avait informé la
population de cette création et proposé aux paroisses les plus riches de prendre sous tutelle
certains élèves afin de s’assurer le concours des futurs diplômés. Pour être admis, ceux-ci
devaient savoir lire et écrire et avoir entre quinze et vingt-cinq ans. Le professeur responsable
était Le Blois, assisté par Barjolin. L’effectif constant ne fut que de trois élèves. L’Ecole avait
pour but d’enseigner mais aussi de traiter les animaux malades. « Toutes les parties de la
médecine des animaux » étaient étudiées.
Le 5 novembre 1768, toutefois, l’Ecole ferma, faute de reconnaissance officielle, de
moyens et faute de candidats – peu de jeunes gens étant attirés par la médecine vétérinaire, la
majorité préférant étudier la chirurgie, plus lucrative. Cependant, écrit Pierre Desnoyers,
l’existence de l’Ecole fit connaître cette nouvelle profession. En 1786, il y avait trois
vétérinaires à Limoges : Persche, Sazerat et Mirat. En 1836, l’Administration préfectorale de
la Haute-Vienne émit des souhaits en faveur de la création d’une nouvelle Ecole vétérinaire à
Limoges mais, après étude, le projet fut abandonné.

21 Mai

André et Bernard Pécaud, architectes à Limoges

Vincent Pécaud (Galerie Pécaud rue Elie Berthet à Limoges) me signale avec juste raison la part importante prise par André et Bernard Pécaud, ses grand-père et père, dans l’architecture limougeaude, et le fait qu’il prépare un ouvrage à leur sujet (les Archives Municipales de Limoges sont détentrices de document les concernant). Il me précise qu’on leur doit par exemple:

Mas-Loubier 101-1 - Centre social PTT - extérieur - Photothèque Paul Colmar

Le Centre social des P.T.T. du Mas-Loubier (A. & B. Pécaud)

Parc sports Beaublanc 040-3 - piscine (circa 1970) - Photothèque Paul Colmar

La piscine d’été de Beaublanc (A. Pécaud)

ZZ - Limoges - parc sports Beaublanc - piscine hiver avant ouverture - 01.1966

La piscine d’hiver de Beaublanc (A. & B. Pécaud et Rauby)

Bel-Air (bd) 001-2 - lycée Auguste-Renoir - vue aérienne (circa 1975) (A 12 - Iris-Théojac) - Photothèque P. Colmar

Le lycée Auguste Renoir (A. & B. Pécaud)

Ces photographies sont issues de la photothèque de Paul Colmar et ont été publiées dans Limoges années 1950 1960 1970 (qui ne mentionne pas toujours les architectes des constructions).

11 Mai

La façade de l’ancien hôpital général et le monument-hommage à François Chénieux

Hôtel-de-Ville (pl de l') 008-20 - monument Chénieux (12.1983) - Photothèque Paul Colmar

Situé devant l’Hôtel-de-Ville et l’hôpital, le monument à François Chénieux, maire de la ville, qui a fondé la première clinique chirurgicale privée du Limousin en 1888. Si le bas-relief est aujourd’hui visible à la clinique Chénieux, la partie supérieure a mystérieusement disparu… mais les amoureux du patrimoine limougeaud ne désespèrent pas de la revoir un jour, comme la statue du Chêne et du Roseau.

(c) Photothèque Paul Colmar – Limoges années 1950 1960 1970, Geste Editions, 2015.

01 Mai

Des temps nouveaux à Limoges au XVIIIème siècle

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           Georges Vérynaud parlait d’ « une sorte de renaissance » pour Limoges sous le règne de Louis XV. Elle fut encouragée en partie par des intendants comme Tourny (1730-1743) et Turgot (1761-1774).

Les routes sont remises en état ou créées sur des tracés nouveaux. La ville devient un important centre textile : fabrique de siamoise (tissu de soie inspiré des mousselines du Siam) de Thévenin du Généty, Manufacture Royale Laforest, autres fabriques, bonneteries, filature à domicile (dès l’âge de 6 – 7 ans), teinturerie (Nieaud, Ruaud). La faïencerie apparaît. Sollicité par Turgot, Joseph Massié s’associe avec les frères Grellet et Nicolas Fournerat (chimiste) pour fabriquer de la porcelaine, suite à la découverte de kaolin à Saint-Yrieix-La-Perche, à un moment où la Manufacture royale de France à Sèvres est à la recherche de la précieuse argile à travers tout le royaume. Progressivement, malgré bien des vicissitudes, l’industrie de la porcelaine se fixe et se développe en Limousin. D’autres activités se maintiennent ou se développent ; parmi elles : une brasserie créée en 1765 au-delà du pont Saint-Martial, des papeteries, des tanneries.

Surtout, la ville se transforme. L’intendant Claude Boucher d’Orsay et Tourny agrémentent Limoges de promenades et de jardins. En 1730, le jardin d’Orsay prolonge la promenade du cimetière des Arènes, sur les ruines de l’amphithéâtre gallo-romain, ancien repaire mal famé. Tourny fait tracer une place (aujourd’hui place Jourdan), ouvrant sur les allées Tourny (aujourd’hui avenue des Bénédictins), et fait réaliser la porte Tourny (carrefour du même nom). Turgot, qui établit un plan d’urbanisme (et d’alignement) avec l’ingénieur Tréssaguet et le dessinateur Alluaud, mais ne peut en voir l’aboutissement, fait raser les remparts, en mauvais état, imagine des places à formes géométriques (place Magnine, où l’on songe à implanter un marché au vin), ceinture la ville de boulevards (déviant par ailleurs une partie de la circulation pour éviter l’engorgement de la ville) en 1770. L’intendant fait construire, rue des Anglais, la maison de force – on y enferme mendiants, fous, épileptiques, galeux, aveugles et muets –, et le nouveau collège : au fond du jardin, un grand bâtiment s’élève en bordure du nouveau boulevard (entrée principale du lycée Gay-Lussac aujourd’hui). Parfois, certains s’élèvent contre la disparition du vieux patrimoine ; ainsi l’abbé Legros qui regrette, en 1773, la destruction de la porte des Arènes, « fort belle […] la ville a perdu une belle antique. » Nicolas D’Aine (1775-1783) poursuit l’entreprise d’ouverture sur l’extérieur, même si l’intérieur même de la ville change finalement peu. Dans ses Travels in France (1792), Arthur Young, savant et agronome anglais, observe : « la ville est mal construite, avec des rues étroites et tortueuses, les maisons hautes et peu plaisantes. Elles sont bâties en granit et en bois, avec des lattes et du plâtre, pour éviter la chaux, article cher ici, car on la fait venir d’une distance de douze lieux ; les toits sont couverts de tuiles ; ils font saillie et sont presque plats, preuve évidente que nous avons quitté la région des neiges. » En 1781, une place ronde est aménagée : la place Montmailler, rebaptisée Dauphine à la naissance de l’héritier de la couronne (c’est l’actuelle place Denis-Dussoubs), bientôt décorée par une fontaine ornée de quatre dauphins de bronze vert-antique et deux écussons aux armes du Dauphin. On entreprend une politique nécessaire d’assainissement.

Les bourgeois de Limoges rénovent leurs maisons et de nouveaux bâtiments sont édifiés. Les plus riches – comme Jean-Baptiste Bourdeau et Naurissart – font bâtir de beaux hôtels particuliers. Le palais de l’intendance (architecte Joseph Brousseau) et le présidial, accolé à l’église Saint-Pierre, sont achevés en 1784-85 (lors des travaux de ce dernier, une grande quantité de tombes et d’ossements sont mis à jour, indiquant la présence d’un ancien cimetière). Louis Duplessis d’Argenté pose la première pierre du nouveau palais épiscopal – construit par Brousseau – en 1766 ; il en prend possession en décembre 1777. Les jardins en sont magnifiques. Arthur Young s’en réjouit : « l’évêque actuel a édifié un grand et beau palais, et son jardin est ce que l’on peut voir de plus beau à Limoges, car il domine un paysage dont la beauté peut difficilement être égalée ; il serait vain d’en donner une description plus développée que celle qui est strictement nécessaire pour pousser les voyageurs à le contempler. Une rivière serpente à travers la vallée, environnée par des collines qui présente l’ensemble le plus gai et le plus animé de villas, de fermes, de vignes, de prairies en pente et de châtaigniers, si harmonieusement mêlés qu’ils composent un tableau vraiment délicieux. » L’abbé de Saint-Martial, quant à lui, fait reconstruire son château de campagne à Beauvais (près de Landouge), des bâtiments religieux rénovés ou redécorés. Joseph Brousseau réalise la chapelle de La Visitation.

Le 7 octobre 1776 et les jours suivants, on pose à l’extrémité de chaque rue et au milieu des plus longues des plaques sur lesquelles on inscrit leurs noms. Les propriétaires de voitures doivent indiquer sur celles-ci leur nom, surnom et adresse sous peine d’amende.

26 Avr

L’ordonnance de police publiée en 1723 à Limoges

 

Elle stipule :

qu’il est interdit de jurer ou de blasphémer ; les danses publiques, les jeux de paume, de boules, de billard, et autres sont interdits les dimanches et jours de fête ; les mêmes jours, les hôteliers et cabaretiers ne servent pas à boire ; viande et œufs ne peuvent être exposés aux jours défendus par l’Eglise ; le prix du pain et de la viande est réglementé ; les prostituées doivent quitter la ville sous peine de fouet ; nul ne doit « vaguer » la nuit ni causer du désordre ; le linge sale, pas plus que les tripes des bouchers, ne doivent être lavés aux fontaines publiques ; le ramonage des cheminées est obligatoire deux fois par an ; les écoliers et les enfants ne doivent plus se battre journellement à coups de pierres sur les remparts et places publiques, leurs parents étant responsables des accidents qui pourraient arriver ; latrines suspendues en dehors des maisons sont prohibées ; les eaux des éviers doivent être conduites par des canaux jusqu’au bas du pavé ; les ordures sont interdites à la porte des maisons ; des éboueurs doivent les ramasser ; les enfants ne doivent plus faire leurs besoins dans les ruisseaux des rues, ni autour des églises et places publiques ; il est interdit de jeter des eaux sales le jour et la nuit, sans avoir crié trois fois au préalable « gare à l’eau ! » ; on ne doit pas laisser vaquer les pourceaux dans les rues, tout animal rencontré sera saisi au profit de l’hôpital ; mesures et bouteilles des cabaretiers sont soumises à l’étalonnage ; balances, aunes et poids également ; nul ne peut exercer de commerce sans autorisation préalable.

21 Avr

Un moment historique à la chapelle St-Aurélien de Limoges

Le mercredi 20 avril, à l’occasion d’une rencontre privée entre les Confréries concernées et les Compagnons du Tour de France, pour la première fois dans l’histoire, les reliquaires de Saint Aurélien (ci-dessus) et de Saint Martial (ci-dessous) ont été mis en contact dans la magnifique chapelle de la rue des Bouchers.

Un moment tout à fait exceptionnel, au coeur des Ostensions limousines, alors que la Cité des Métiers et des Arts accueille l’exposition Ostendere.

Cliquer ici pour accéder au site présentant l’exposition…

12 Avr

Des photographies inédites du bombardement du Puy-Imbert par les Alliés en 1944

Dans la nuit du 23 au 24 juin 1944, grâce aux renseignements de la Résistance, les Alliés bombardent la gare de triage du Puy-Imbert à Limoges, empêchant la circulation des trains pendant plus d’une semaine. Dès le lendemain, les Allemands réquisitionnent la main-d’oeuvre disponible pour déblayer et déminer… sous un soleil de plomb.

M. Filloux, ex chef de gare à Limoges-Bénédictins, a remis ces photographies exceptionnelles à Jean-Marie Bourdelas. Nous les mettons en ligne ci-dessous (tous droits réservés).

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Georges-Emmanuel Clancier, Le temps d’apprendre à vivre Mémoires 1935-1947, Albin Michel, 2016

9782226324009m

Avec ce nouveau volume de ses Mémoires, l’écrivain limousin Georges-Emmanuel Clancier, né en 1914 (« L’Eternité plus un jour », pour reprendre le titre d’un roman paru en 1969), offre un ouvrage fort bien écrit et capital pour ceux qui s’intéressent à la vie et à l’œuvre du poète et romancier – qui nous propose ici des clefs pour comprendre l’élaboration de ses poèmes et romans –, mais aussi au Limousin et à Limoges à cette époque – et il apporte des informations passionnantes –, à la « Résistance littéraire », à l’histoire des revues – ici avec Les Cahiers du Sud, Fontaine puis Centres, fondée avec Robert Margerit et René Rougerie.

Après avoir traversé le XXème siècle avec ses espoirs et surtout ses tragédies, l’auteur du Pain noir a éprouvé le besoin de rédiger ces feuillets autobiographiques qui forment un livre de 550 pages dont le titre reprend un vers d’Aragon, qu’il croisa à diverses reprises : Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard. La première chose que dut apprendre le jeune homme, c’est à vaincre ses lésions pulmonaires, qui l’empêchent d’achever ses études au lycée de Limoges, où des professeurs lui ont donné le goût de la poésie, qu’il commence à écrire lui-même au début des années 1930. A propos de cette époque, il écrit : « Durant ces quatre ou cinq années depuis 1930-1931, je pourrais dire que pour moi vivre s’était quasiment identifié à livre. » Ce ne sont alors que dévorations de livres (romans, poèmes, essais), qui « contaminent » jusqu’à son entourage familial. Clancier appartient à cette étrange cohorte d’écrivains et poètes passés par la montagne magique – comme Eluard et Gala, pour ne citer qu’eux. Peut-être leur faut-il encore plus de souffle pour échapper à la maladie – de souffle poétique et littéraire ? Comme le note Clancier, il faut vaincre les forces de mort en soi au moment où elles obscurcissent l’Histoire (depuis 1932, les nazis ont gagné les élections législatives en Allemagne, depuis 1936, de l’autre côté des Pyrénées, Franco fait la guerre aux Républicains et, en Italie, Mussolini est au pouvoir). Car ce récit est avant tout celui de la vision de la guerre mondiale imposée par le nazisme au Monde, avec ses légions d’atrocités, de la destruction systématique des Juifs d’Europe à celle des civils japonais d’Hiroshima et Nagasaki ou même ceux de Royan. Mais, malgré ces évènements apocalyptiques (parfois « annoncés » par des poèmes prémonitoires), Le temps d’apprendre à vivre est aussi celui d’espérer en poésie, d’aimer Anne Marie Yvonne (étudiante en médecine rencontrée en 1935 épousée en 1939) et de devenir père – de Juliette, d’abord, de Sylvestre ensuite.

Dès le début du livre, un épisode met en lumière l’une des ambiguïtés du temps : Clancier croise une républicaine espagnole dans le train, qui lui lance : « Oui, vous, votre jeunesse se préoccupe de littérature pendant que nous nous battons… Vous ne voyez pas que nous combattons pour vous aussi, là-bas ? pour que, demain, vous puissiez continuer à lire, à vivre, libres ?… Et pourtant, si jamais nous étions vaincus, ce serait votre tour… », avant de proclamer : « No pasaran ! » Bien entendu, la militante a raison ; comme les jeunes qui s’intéressaient à la littérature aussi. Clancier est l’incarnation de la résistance par les lettres, lorsqu’il s’agit – au risque d’être arrêté et, peut-être, déporté – de faire passer des textes de poètes et écrivains de France métropolitaine vers Tanger, où s’est repliée la rédaction de la revue résistante Fontaine, animée par Max-Pol Fouchet. La résistance littéraire, la force des mots d’Aragon ou du Liberté de Paul Eluard, parachutés avec les armes, participe de la résistance en général, celle de De Gaulle et de Jean Moulin, celle de Georges Guingouin, « le préfet du maquis » limousin dont Clancier évoque la mémoire, celle aussi des faux-papiers et des actes administratifs protecteurs qu’accomplit également Georges-Emmanuel Clancier en truquant des listes professionnelles pour protéger des boulangers qui n’en sont peut-être pas ou en accueillant dans son service le frère de Jean Blanzat pour le faire échapper au S.T.O.

S’il éclaire de façon complémentaire à ce que l’on savait par ailleurs de la vie à Limoges et en Limousin sous l’Occupation – jusqu’au terrible massacre d’Oradour-sur-Glane (dont Clancier aurait pu être victime) et aux scènes sauvages de l’Epuration (mêlant étrangement beauté et obscénité lorsqu’il s’agit de fusiller une jeune fille nue sous sa robe légère) –, s’il est ponctué de « moments suspendus » presque en dehors du conflit lors d’échappées familiales ou littéraires, comme dans une ferme du côté de La Croisille-sur-Briance où il convient de se mettre à l’abri, s’il évoque aussi la famille Clancier – des grands-parents de l’auteur jusqu’à sa sœur et ses enfants –, Le temps d’apprendre à vivre propose aussi une magnifique galerie de poètes et écrivains que fréquente l’auteur devenu « poète reconnu ». C’est qu’il est vite accueilli par la revue Les Cahiers du Sud de Jean Ballard, grande revue intellectuelle et littéraire. Le récit commence d’ailleurs par les rencontres culturelles qu’organisent Clancier et ses jeunes amis à Limoges avant-guerre, constitués en « amis de la culture ». On voit fourmiller dans la capitale de la porcelaine tout un petit monde intellectuel et culturel, avec par exemple Georges Blampied, conservateur de la bibliothèque de l’Union des coopérateurs, ou Marc Labatut, jeune professeur d’espagnol, jusqu’au salon d’une Haviland férue de théâtre. Certains écrivent, comme François Dornic, jeune enseignant breton, d’autres vivent en poésie, comme le postier rimbaldien Alexandre Dumas. On croise encore l’un des critiques et auteurs limougeauds d’alors, Raymond d’Etiveaud, ou le peintre Eugène Alluaud, disciple de Guillaumin – l’une des scènes amusantes du livre. Et puis l’on rencontre tour à tour Joë Bousquet (vers la sombre ruelle duquel Clancier part en pèlerinage à Carcassonne), Jean Blanzat – résistant et écrivain d’origine limousine parfois oublié, malheureusement –, Aragon, René Daumal, Queneau (réfugié en Haute-Vienne où il parcourt la campagne en se faisant passer pour un voyant auprès des paysannes afin de récupérer un peu de nourriture…), Michel Leiris, également réfugié en Limousin, comme Kanhweiler (le célèbre marchand d’art), Claude Roy, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel, Max-Pol Fouchet, Marc Bernard, prix Goncourt 1942, et son épouse Else Reichmann, juive autrichienne, Jacques Prévert, Sartre et Beauvoir,le photographe Izis Bidermanas, et beaucoup d’autres, parmi lesquels des Limousins de grand talent, comme l’écrivain, peintre et journaliste Robert Margerit – qui semble vouloir vivre hors du temps –, le peintre Elie Lascaux ou l’écrivain Robert Giraud – auteur du Vin des rues. Clancier, qui évolue entre Limousin et Paris, brosse donc le tableau d’une vie littéraire et artistique en des temps plus que dangereux.

Clancier évoque également les premiers balbutiements de Radio-Limoges dont il est l’un des artisans après-guerre, et son entrée comme « grand reporter » au populaire du Centre, livrant même dans ce livre le texte de ses entretiens avec les écrivains Pham Van Ky –  Annamite –, Léopold Sédar Sengor – Sénégalais – et Jean Amrouche – Berbère. C’est une réflexion sur la création francophone – avant même que ce mot soit à la mode.

Ce que l’on voit aussi à travers ces Mémoires, c’est la naissance et l’affirmation d’un vrai poète et écrivain, qui nous raconte même le processus de sa création, par exemple l’écriture d’un poème inspiré par la rencontre avec une jeune vachère dans la campagne limousine ou l’origine du titre Le Pain noir pour sa célèbre saga. Il raconte comment se construit une œuvre importante, nourrie par les sensations quotidiennes et l’Histoire. Il témoigne également d’un humanisme constant, qui justifie l’engagement, éclairé par les trois valeurs essentielles à ne pas oublier en cette époque sombre : « Liberté Egalité Fraternité », qui sont celles de la République, qu’il partage aussi bien avec les écrivains résistants, les maquisards du plateau limousin ou un jeune instituteur croisé dans un bourg rural. Sans jamais être dupe de ceux qui voudraient les anéantir, de Pétain aux staliniens de la « guerre froide » ou aux défenseurs du colonialisme. Debout, toujours, camusien, finalement.

 

31 Mar

Des années noires à Limoges

L’hôpital général de Limoges (Bfm Limoges)

Les années 1690 – 1714 sont terribles pour le Limousin. Les problèmes graves s’y succèdent : gelées fortes et tardives, pluies continuelles, entraînent des crises agricoles et donc alimentaires. Ainsi, l’hiver 1709-1710, dix-sept jours d’une froid extrême font éclater les arbres, cause la mort des pauvres, des oiseaux, du gibier que l’on voit gisant sur le sol durci ; on se réfugie dans les caves pour avoir moins froid. Disettes et épidémies s’accroissent. L’intendant Bernage écrit : « plus j’ai approché de Limoges plus j’ai trouvé de misère et de disette… J’ai été effrayé en abordant ici de la prodigieuse foule de pauvres. » De nombreux mendiants gagnent la ville. Ils y meurent parfois de froid et de faim. Les bourgeois s’inquiètent, on limite les aumônes pour pallier aux risques d’abandons des terres, de sédition et d’épidémie.

L’activité économique décline, le commerce souffre de plus du mauvais état des routes. La crise financière menace et pourtant la fiscalité est forte. La contestation gagne la province, des incidents ont lieu à Limoges on s’en prend à l’intendant, les commerçants font parfois la « grève des boutiques ». En 1702, suite à des rumeurs à propos d’un nouvel impôt, des émeutes éclatent à Limoges : on y voit des paysans, des pauvres, des femmes et même des enfants. Mais les compagnies bourgeoises matent la révolte ; un émeutier est pendu, une femme est fouettée au pilori, marquée au fer, certains sont bannis. Trois ans plus tard, on appelle à se rassembler contre la gabelle. Paysans et pauvres de Limoges se regroupent, armés de pistolets, fusils et autres armes. La maison du fermier de l’octroi est incendiée, le feu gagnant quatorze autres maisons du faubourg Montmailler. La bourgeoisie, elle-même surchargée d’impôts, n’intervient pas.

C’est aussi le temps où l’on pratique certes la charité (les consuls mettent parfois à la charge des habitants un certain nombre d’indigents), mais où l’on « renferme » les mendiants à l’hôpital général (ainsi le 5 décembre 1661, les sergents de police arrêtent les mendiants qu’ils rencontrent dans les rues et les y conduisent). Au milieu du XVIIème siècle, le prêtre Martial Maldent de Savignac est à l’origine de celui-ci, ayant fait entreprendre des travaux de réfection de la partie de l’hôpital Saint-Gérald à conserver et la construction de deux ailes nouvelles. Les sœurs hospitalières de Saint-Alexis, communauté fondée par Marie de Petiot, et les Prêtres de la Mission gèrent le lieu. On fait travailler les enfermés misérables, on veille à leur « salut », il est interdit de se parler entre hommes et femmes, de blasphémer, de s’aviner, de chanter des chansons profanes, de circuler librement, sous peine du fouet, du carcan ou de la prison. Les prostituées ou les femmes infidèles peuvent aussi être enfermées au Refuge, près de l’hôpital ; parmi les humiliations subies, indique Georges Vérynaud : « se mettre à genoux, demander pardon en public, lécher la terre, porter des habits salis, aller en cellule au pain sec et à l’eau, avoir les cheveux rasés. » L’hôpital reçoit aussi les enfants abandonnés, dont la vie est souvent bien courte. Ici, c’est bien « surveiller et punir », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Michel Foucault et il faut attendre la fin du XIXème siècle pour que l’hôpital se consacre exclusivement aux soins des malades.

La population se serre à l’intérieur des remparts. Des logements ont été construits partout où c’était possible, les maisons sont en bois et torchis (ce qui facilite les incendies), on élève des animaux dans les cours. Certes, il y a des andeix (des places où se tiennent des marchés) mais la ville est obscure et sale, l’équipement sanitaire insuffisant, on fait ses besoins dans la rue. Les eaux usées, envoyées directement dans les rues, aboutissent dans des ruisseaux et canaux collecteurs. De temps à autre, on ouvre les étangs de la Motte (eux-mêmes remplis d’immondices) pour un grand nettoyage à travers les rues en pente. L’ensevelissement du corps des notables dans les églises rend malsaine l’atmosphère de celles-ci. Des épidémies dysentériques surviennent régulièrement et tuent les plus faibles, comme les enfants. La démographie stagne. Même la maison communale menace ruine : en décembre 1695, les consuls en font dresser l’état des lieux, elle est inhabitable et trop obscure pour y travailler. En 1710, son mur de clôture s’écroule, ce qui provoque enfin des travaux de réfection et de décoration. En février 1715, un incendie ravage le quartier des Combes.