Dès le Xème siècle, l’abbaye limougeaude noue des liens avec l’abbaye bénédictine de Cluny (dirigée par Odon), symbole du renouveau monastique en Occident et centre culturel majeur. A Limoges, ce sont l’abbé Aymon et son frère l’évêque Turpion qui entretiennent ces liens vers le milieu du siècle.
A la fin de celui-ci, le Limousin est touché par le Mal des Ardents, ou « feu sacré », ou encore « feu Saint Antoine » – une gangrène provoquée par la consommation de grains contaminés par un champignon du groupe des ascomycètes se développant sur les épis de seigle, l’ergot de seigle (claviceps purpurea). En 994, de grandes pluies ravagent l’Aquitaine, l’ergot de seigle se développe, il est à l’origine d’une épidémie qui gagne tout le duché, la Touraine, jusqu’à la Bourgogne – le pain de seigle étant l’une des bases de l’alimentation. Le moine et chroniqueur Adémar de Chabannes (vers 988-1034) a relaté les évènements: « En ce temps-là, une peste de feu s’alluma parmi les Limousins. Les corps d’un nombre incalculable d’hommes et de femmes furent consumés d’un feu invisible, et de tous côtés une plainte emplissait la terre… » Les malades souffrent d’hallucinations, leurs membres sont agités de mouvements irrépressibles (une étrange danse), ils prononcent des paroles incompréhensibles, la bave aux lèvres. Les membres gangrénés finissent par se détacher et les malheureux meurent dans d’atroces souffrances, soupçonnés d’être possédés par le Diable – la maladie étant interprétée comme un châtiment divin. Adémar de Chabannes explique que Geoffroy, abbé de Saint-Martial, l’évêque Hilduin, avec l’assentiment du vicomte – ils sont tous les trois de la même famille… – et de Guillaume V, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, ordonnent alors un jeûne de trois jours en Limousin, une réunion épiscopale à Limoges, une ostension de reliques – dont celle du corps de saint Martial. Un grand rassemblement est organisé au Mont-Jovis et le « miracle » a lieu : l’épidémie cesse. Profitant de l’occasion, le duc et les évêques tentent d’imposer aux turbulents aristocrates un pacte de « paix et de justice ».
En 1031, après plusieurs années d’intense mobilisation, les moines de Saint Martial réussissent à faire reconnaître l’apostolicité de Martial, ce qui accroît le prestige de l’abbaye. Trente et un an plus tard, avec la complicité du vicomte, Cluny s’empare du monastère limougeaud à l’occasion d’un rocambolesque épisode au cours duquel Hugues le Grand et quelques moines clunisiens se cachent dans l’église Saint-Michel-des-Lions avant de forcer – manu militari grâce à l’aide du vicomte – la communauté monastique limougeaude de s’intégrer à l’ordre clunisien, malgré l’opposition de certains moines et d’une partie de la population limougeaude. Seule une menace d’excommunication permet de rétablir l’ordre, au profit de Cluny. Bernadette Barrière a montré combien l’abbaye était alors entrée dans une ère nouvelle, durant l’abbatiat d’Adémar notamment (1063-1114), devenant « prestigieuse, influente, riche et puissante», avec un important patrimoine et un réseau de dépendances, en Limousin et autour, mais aussi jusque dans le diocèse de Tarragone. Elle s’émancipe d’ailleurs même de Cluny dès la deuxième moitié du XIIème siècle. Au début du XIIIème siècle, elle compte un effectif de 70 moines.