Saint Eloi
Au début du Moyen Age, Limoges et l’Aquitaine, plongée dans une insécurité quasi permanente, sont sous l’autorité de peuples venus d’ailleurs – domination que les uns et les autres supportent mal (l’Aquitaine ayant des velléités d’indépendance). A la fin du Vème siècle, les Wisigoths occupent le Limousin et s’efforcent d’imposer à l’épiscopat local l’hérésie arienne condamnée au concile de Nicée en 325 – niant la consubstantialité du Fils avec le Père. Sous la domination des rois mérovingiens, le Limousin change constamment de « maîtres » et semble ébranlé par les rivalités qui opposent les Francs entre eux.
Un évêque est installé dans la Cité, ainsi qu’un comte qui représente le pouvoir royal en Limousin (le diocèse regroupe les actuels départements de la Haute-Vienne, de la Creuse et de la Corrèze, ainsi que le Confolentais et le Nontronnais). Des deux, c’est l’évêque qui semble le plus investi dans les affaires de la ville – y compris lorsqu’il tente de calmer les habitants révoltés contre les trop lourds impôts exigés par Chilpéric Ier qui brûlent les registres du fisc en place publique. La Cité dispose de deux ateliers monétaires, l’un épiscopal, l’autre sous contrôle du comte. Les chercheurs en nusmismatique apportent un précieux regard sur son existence : les ateliers monétaires possèdent selon eux un « faciès prototypique » : établissements éminents, organisateurs de la vie collective, sièges de pouvoirs publics, civils et/ou ecclésiastiques, lieux d’implantation du fisc – selon Jean-Pierre Chambon. Abbon fut l’un des orfèvres réputés officiant au sein de l’atelier limougeaud; c’est lui qui prit en apprentissage Eligius – le futur saint Eloi, né vers 588 à Chaptelat dans une famille peut-être détentrice de mines d’or. Orfèvre près de Clotaire II, Eloi en devient le conseiller, puis reçoit de Dagobert, vers 630, le domaine de Solignac où il fonde la prestigieuse abbaye de Saint-Pierre, soustraite à la juridiction de l’évêque, ne rendant de comptes qu’au roi. Sous Clovis II, enfin, il est sacré évêque de Noyon. Il meurt en 661 (la reine Bathilde vêt le corps de somptueux vêtements de soie). De la fin du IXème siècle à la fin du XIème, l’atelier monétaire de Limoges frappa un denier d’argent portant à l’avers la légende ODO GRACIA REX (Odo venant du nom du roi Eudes) et au revers une croix pattée entourée du nom de l’atelier émetteur : LIMOVICAS CIVIS.
Les sources ne disent pratiquement rien des incursions arabo-musulmanes finalement arrêtées à Poitiers en 732 par Charles-Martel. Le prestige ainsi gagné permet à son fils Pépin le Bref d’être couronné roi et d’inaugurer ainsi une nouvelle dynastie : celle des Carolingiens. Parmi les objectifs de celui-ci, reconquérir l’Aquitaine dissidente dirigée par le duc Waïfre, ce qui passe par neuf campagnes militaires particulièrement violentes ravageant la région, au terme desquelles, le 2 juin 768, le duc rebelle est exécuté par l’un des siens, sur ordre de Pépin. A l’occasion de ces guerres, l’enceinte de la Cité est démantelée à deux reprises : une fois par Pépin, l’autre par Waïfre. Le souverain franc, soucieux de se concilier ensuite les populations soumises, est généreux avec l’Eglise de Limoges, à qui il fait des dons. Par la suite, Charlemagne et Louis le Pieux consolident l’autorité franque en Aquitaine et en Limousin – le fils de l’empereur résidant parfois non loin de Limoges, à Jucundiacum devenu Le-Palais-sur-Vienne. En 848, soutenue par Charles le Chauve face à l’évêque Stodilon, la communauté de clercs établie à Saint-Martial obtient son érection en abbaye vivant sous la règle de saint Benoît et officiant dans la nouvelle église du Sauveur, où le fils du roi – Charles le Jeune – est couronné comme roi d’Aquitaine sept ans plus tard. Par la suite, les abbés édifient une enceinte urbaine.
Vers 888, la région est perturbée par les invasions normandes. On met alors à l’abri – semble-t-il – les restes de Martial au castrum de Turenne.
A partir de la fin du IXème siècle, il est attesté qu’un vicomte représente le comte de Poitiers ; il s’est installé à l’écart de la Cité épiscopale, sur un site de carrefour où il a établi une motte castrale faisant suite à une construction d’un bâtiment antérieur (mais postérieur à l’Antiquité). Le site a été fouillé en 1995. L’insula est alimentée en eau potable par un aqueduc antique (d’Aigoulêne), la motte est protégée par des fossés mis en eau de manière continue, où l’on a notamment retrouvé de la céramique, et par des palissades doubles. Une chapelle placée sous le vocable de saint Michel (dite des Lions) est construite dans la basse-cour du château. Après diverses vicissitudes, le vicomte doit faire allégeance à l’abbé. Il y avait plusieurs vicomtes en Limousin ; c’est la même famille qui se maintint dans cette fonction vicomtale de Limoges, du IXème au XIVème siècle.
Bernadette Barrière parlait de « la ville des trois pouvoirs » au Xème siècle : celui de l’évêque, sur la Cité ; celui du vicomte ; celui de l’abbaye Saint-Martial, protégée par sa propre enceinte – on parle alors de Castellum Sancti Martialis. C’est donc l’apparition d’une ville polycentrique (l’intégration dans une même enceinte de la tour du vicomte et du Château Saint Martial étant envisagée dès les temps carolingiens). Dans les parages de ces noyaux, l’église Saint-Augustin puis l’église Saint-Martin se transforment en abbayes (la première est le lieu de sépulture traditionnel des évêques, la deuxième – bénédictine – s’entoure d’un petit bourg); des lieux de cultes apparaissent ou se développent, notamment autour de la Cité ; des faubourgs s’étendent plus ou moins, aux alentours du pont Saint-Martial (sous la domination de l’évêque), du port des bois du Naveix, de Saint-Pierre-du-Queyroix, des Arènes (on imagine sans pouvoir le prouver que l’ancien grand amphithéâtre a sans doute connu l’installation d’habitations ; plus tard au Moyen Age, on s’y entraînait au maniement des armes). Progressivement, la bipolarisation urbaine se renforce, suscitant des rivalités entre la Cité et le Château Saint-Martial.