Arboretum de La Jonchère (c) L. Bourdelas
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, au début du XXème siècle, la forêt limousine avait considérablement reculé. « Un guide de 1890 assure qu’entre Gentioux et Pigerolles, il n’y avait à cette époque qu’ « un seul arbre, un chêne très vieux et rabougri, dans toute la région. » Il était célèbre dans tout le pays, et connu sous le nom « d’arbre à cocu ». Mais elle a aujourd’hui regagné beaucoup de terrain perdu, notamment sur les hauteurs. Eliane Palluet, professeur à l’Ecole forestière de Meymac, indique que « si localement (Plateau de Millevaches, bordure nord-est du département de la Corrèze), les résineux dominent nettement le paysage, les deux tiers de la surface occupée par la forêt limousine sont composés de feuillus (hêtres, chênes, châtaigniers, etc.). »
Le châtaignier, jadis travaillé par les feuillardiers (activité ayant décliné après la dernière guerre mondiale) et recherché comme bois d’œuvre (cercueils, charpentes), occupe encore 13% de la surface boisée, généralement en dessous de 700 mètres d’altitude, abondant à l’ouest de la région, dans « la châtaigneraie limousine ». Le chêne pédonculé a progressé sur l’ensemble du Limousin en s’installant sur les terres abandonnées par l’agriculture – aidé par le magnifique et coloré geai des chênes, oiseau planteur friand de glands. La chênaie limousine représente environ 40% de la surface forestière régionale. Le hêtre apparaît au-dessus de 500 mètres, souvent associé au chêne ; mais n’étant plus vraiment utilisé comme combustible, il n’occupe que 6% à peu près de la forêt.
Au sud-est de la région essentiellement, le pin sylvestre couvrait, au début du XXIème siècle, 54 000 hectares. Dans les reboisements, on lui a préféré l’épicéa commun, en particulier dans les parties les plus élevées et fraîches. Mais à la fin du XXème siècle, c’est le douglas vert qui est devenu la première essence de reboisement – son bois est recherché pour la construction et la menuiserie.
Il est évident qu’aujourd’hui, la forêt et l’arbre participent de l’attractivité touristique de la région. Lorsque Christian Beynel, professeur d’histoire et géographie à Limoges, consacre une thèse à la forêt et à la société de la montagne limousine à la fin des années 1990, il cite, parmi ses exemples de valorisation, l’arboretum de La Jonchère, dont le succès « a donné aux responsables de cette municipalité l’idée de mettre en valeur ce massif à des fins touristiques. L’école forestière de Meymac a réalisé au printemps 1996 un parcours de découverte, les essences sont présentées par des panneaux. La signalétique est essentielle ainsi que la confection d’un guide, car reconnaître des essences rares, surtout d’arbres adultes n’est pas toujours aisé. »
Lorsqu’au milieu du XIXème siècle, Henri Alexandre Flour de Saint-Genis décrit la Haute-Vienne, il précise qu’ « à mesure que les montagnes s’abaissent et s’étendent vers l’ouest, elles se couvrent de forêts ; on voit sur leurs crêtes et les penchants les plus élevés le bouleau et le hêtre ; viennent ensuite le charme et le chêne qui demandent une exposition moyenne. Le châtaignier occupe ordinairement les coteaux. » Quant à Matthieu, le libraire parisien réfugié en Creuse dans le roman Une lointaine Arcadie de Jean-Marie Chevrier, lorsqu’il escalade Le Puy, près de La Faye, où « la forêt avait repris possession des lieux », il embrasse au sommet le Berry au nord, le Bourbonnais vers l’est, l’Auvergne au sud et vers l’ouest « la vue était arrêtée par une forêt immense qui se perdait dans les replis ombrageux ». Enfin, dans Miette de Pierre Bergounioux, cette description corrézienne : « L’arbre a conquis les vallons, gravi les pentes, coiffé les sommets. Les hauteurs ont perdu leur nuance gris-bleu – le noir épais des vieilles photographies. Elles portent le vaste manteau des forêts, d’un vert sombre, profond, immuable »
On pourrait multiplier les exemples littéraires qui montrent que depuis longtemps, la forêt, l’arbre, sont en partie constitutifs du paysage limousin. Ils sont sources d’inspiration des poètes et des écrivains du Limousin, dans leur riche diversité. A les lire, on pourrait presque écrire sans exagérer que ce sont même des marqueurs identitaires de cette littérature néanmoins ouverte sur l’universel. Ainsi, lorsque Jean-Pierre Thuillat concocte en 1980 un dossier sur les poètes d’Occitanie d’expression française et occitane pour la revue Poésie 1, il publie notamment un poème de Georges-Emmanuel Clancier intitulé « Arbre mon univers », dans lequel l’auteur du Pain noir écrit : « Arbre je crois en toi », un véritable manifeste. Dans le poème suivant, « Terre secrète », il poursuit : «Mon pays de crépuscule est là/Derrière l’arbre de tous les jours ». Un autre grand écrivain limousin, Alain Galan, a livré une possible clef du mystère limousin : autant que de bois, ce pays impossible où les chemins ne mènent nulle part, serait celui des lisières.
Je dois mentionner Jean Nesmy, de son vrai nom Henri Surchamp (1876-1959), qui fut un homme des bois et en nourrit son œuvre : il appartenait à une famille terrienne et accomplit ses études au collège de Brive, puis à l’Institut national agronomique, avant d’entrer à l’administration des Eaux et Forêts. Il fut un apôtre du retour à la terre. Connu dès avant la Première Guerre mondiale, collaborateur de revues littéraires, il est l’auteur de romans publiés chez Plon ou Grasset. Il publie à Paris en 1927 Les Quatre saisons de la forêt et La féérie des bois. Le premier ouvrage est superbe, avec 66 illustrations gravées sur bois de G. Dardaillon. Primé et salué par la critique, ce texte est poétique, beau et lyrique. En 1929, A l’ombre des châtaigniers met en scène des Limousins avec beaucoup de justesse. Dans les Contes limousins, Jean Nesmy rend hommage aux châtaigniers, qui « sont pour le promeneur le relais d’ombre après l’étape à la lumière ; pour le poète, le lieu le plus exquis pour y mener son rêve ; pour le paysan, l’arbre à pain qui toujours fait crédit, et jamais ne se lasse et jamais ne demande (…) Ce sont pourtant leurs bois qui font par-dessus tout la douceur limousine, la douceur limousine plus douce qu’aucune autre douceur. »