Pierre Mazeaud – le jeune loup qui ne prit pas Limoges – le 21 mars 1965
Faisons un saut dans le temps, jusqu’au milieu des années 60. Dans la région traditionnellement à gauche, un gaulliste avait été élu député de Corrèze en novembre 1962. Jean Charbonnel, jeune magistrat à la Cour des Comptes, confirma ce succès en emportant la mairie de Brive-la-Gaillarde lors d’une élection partielle en septembre 1966. Depuis son entrée au Gouvernement en janvier 1966, il était considéré comme un espoir du gaullisme. C’est sans doute à son initiative que fut imaginée une présentation commune des candidats UNR en Limousin et dans le Quercy pour les législatives de mars 1967. Le 4 décembre 1966, les dix candidats investis par le Comité d’action pour la Vème République dans la Creuse, la Corrèze, le Lot et la Haute Vienne se réunirent à Solignac – parmi eux : Jacques Chirac et Pierre Mazeaud. Comme l’a écrit David Valence, « le lieu [l’abbaye médiévale fondée par Eloi] avait de quoi frapper les imaginations. Des journalistes assistèrent à ce « conseil de guerre » aux allures de conjuration. Leur récit donna naissance à un véritable événement médiatique : c’est la presse qui créa le phénomène des «jeunes loups ». « Nous jurons de rester unis jusqu’à ce que nous ayons mené à bien notre combat qui est celui de la relance économique, de la justice sociale » déclara Charbonnel aux journalistes. Signe que l’enjeu était d’importance, François Mitterrand effectua au moins deux déplacements dans le Limousin au cours de la campagne des législatives pour soutenir les candidats de la FGDS – Roland Dumas et Robert Mitterrand – contre la droite. Finalement, en mars 1967, l’alpiniste Pierre Mazeaud fut défait par Louis Longequeue, le maire de Limoges, mais Jacques Chirac – le « bulldozer » – fut élu en Haute-Corrèze, dans la circonscription d’Ussel, avec l’aide du Dr Henri Belcour. De même que Limoges a donné – bien malgré elle – le mot limogeage, les candidats à la députation de 67 ont inauguré l’expression jeunes loups promise à un bel avenir. Plus encore, un bastion de la droite s’est constitué en Limousin, où il a pris le nom de Chiraquie – plus tard étendu à d’autres sphères. Sarran est devenu le fief des Chirac en Corrèze, Bernadette étant élue conseillère municipale en 1971 puis conseillère générale en 1979 – c’est elle qui fut à l’origine de l’acquisition du château de Bity, reconstruit par Pierre Dupuy, conseiller au Présidial de Tulle, après avoir été brûlé par les protestants. En 1999, Jacques Chirac y reçut le président chinois Jiang Zemin en visite privée. C’est dans la même commune qu’a été implanté le musée du président, qui abrite la collection des objets offerts au président dans l’exercice de ses fonctions. La vocation du musée est avant tout de proposer, autour de 150 cadeaux présentés en permanence, un regard sur le monde d’aujourd’hui. Ces objets constituent en effet autant de traces, tangibles et symboliques, des rencontres et des événements internationaux qui ont marqué les deux mandats. C’est dans un cadre résolument contemporain que le musée ouvre ses portes : un ensemble de bâtiments aux lignes pures, imaginé par un des maîtres de l’architecture contemporaine, Jean-Michel Wilmotte. En 2016, les éditions De Borée ont publié un très beau livre du photographe Christian Vioujard, Chirac instantané(s). Tout le monde connaît à la fois l’intelligence politique, au service de son ambition personnelle et de la France, et la grande culture de l’ancien président ; ce que l’on vérifie aussi dans cet ouvrage, c’est son humanité – son humanisme – et cette manière implacable d’arpenter la Corrèze (« Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents »). Comme il l’a déclaré : « la Corrèze, pour moi, c’est le berceau de tous mes ancêtres, le terreau des valeurs essentielles sans lesquelles je ne serais pas devenu moi-même. » Il est vrai que ses deux parents étaient de familles corréziennes, laïques et républicaines, ses deux grands-pères des instituteurs devenus directeurs d’école: à Brive-la-Gaillarde pour son grand-père paternel, Louis Chirac, également vénérable de la loge de la Fidélité du Grand Orient, et à Sainte-Féréole pour son aïeul maternel.
L. Bourdelas, Le Grand dictionnaire du Limousin.