20 Jan

La disparition du poète Ivan Pavlovitch Nikitine, qui vint régulièrement à Limoges

Ivan Nikitine dans les années 1970

1988: la revue limougeaude ANALOGIE publie un recueil de Nikitine

L’artiste Frédéric Deprun, Laurent Bourdelas, Ivan Nikitine et sa fille à la librairie Page et Plume en 1988

 

Le poète agenais d’origine russe Ivan P. Nikitine fut le compagnon de route des revues limougeaudes ANALOGIE et L’INDICIBLE FRONTIERE et vint régulièrement participer à des manifestations culturelles à Limoges, où il fut aussi traducteur de russe pour l’Académie théâtrale du CDNL. Il vient de disparaître suite à une crise cardiaque. Voici le texte que j’ai écrit pour son enterrement le lundi 21 janvier.

 

до свидания, mon cher Ivan !

 

Au revoir, mon cher Ivan. Je ne suis pas là pour ton enterrement et ton envolée vers les étoiles, mais je viendrai bientôt te saluer et boire un verre sur ta tombe.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous aurons été compagnons de route poétique et amis. Tu m’avais téléphoné l’été dernier et nous allions certainement nous revoir.

Cela avait commencé en 1987, alors que je dirigeais depuis peu la revue d’art et de critique Analogie, à Limoges. Dans une lettre du 16 août de cette année-là, tu m’écrivais à propos de ta double culture russe et française : « si cela offre des avantages, parfois c’est très inconfortable, car cela donne l’impression d’être assis entre deux chaises. Mon engagement russe est très complexe… » Tu me disais aussi : « Quant à la poésie, elle est venue très tôt mais mal et n’est devenue vraiment consciente que dans les années 70 avec la découverte de René Char. J’ai alors compris combien cela représentait de travail, d’effort et de douleur. » Et tu poursuivais plus loin : « Je dois dire que je suis un personnage de passions soudaines et très fortes, qui peuvent durer de quelques jours à quelques années. » J’avais moi-même étudié la langue et la littérature russes et il me semble bien que c’est moi qui t’ai convaincu d’ajouter Pavlovitch entre Ivan et Nikitine.

Au printemps 1988, j’ai eu le plaisir d’éditer ton recueil Une nuit au bord des gouffres, accompagné par des encres du jeune artiste Frédéric Deprun, qui était venu de Limoges pour te rencontrer et préparer cette création. Ton texte s’achevait par « Et la nuit d’ivoire pour quelque silence grivois. » J’espère que ta nuit est désormais d’ivoire, mais aussi qu’elle est étoilée. J’ai encore publié ton recueil Eclats et, plus tard, ta sublime Petite neige dans mon autre revue, L’Indicible frontière.

Tu es venu plusieurs fois à Limoges, y compris avec tes filles, à l’occasion de signatures, de lectures ou de colloques. Je me souviens qu’en 1989, tu avais participé à celui que j’avais organisé à propos de « poésie et révolution » et que tu avais rendu hommage aux poètes victimes du goulag. Tu m’avais fait découvrir les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov. Je me souviens de nos conversations passionnées, des controverses poétiques, des rires, des repas au restaurant limougeaud Le Trolley et des verres de vodka, d’une soirée avec le musicien Alexis Litvine. Je me souviens du Passage, et de « Lectoure en poésie » où tu m’invitas. Et aussi de cette nouvelle de Nabokov pour ma revue dont je ne sus jamais si c’était un inédit ou une supercherie. Et puis il y avait eu tes séjours à Limoges comme traducteur de théâtre pour le Centre Dramatique National du Limousin.

Je me souviens qu’avec toi, la vie était vivante et passionnée. Et que son souvenir triomphe de la mort.

 

Comme l’écrivit Alexandre Blok en 1907 dans Le masque de neige :

 

« Au-dessus des neiges sans fin

Envolons-nous !

Par-delà les mers brumeuses,

Brûlons jusqu’au bout !

(…)

Que les braises de l’hiver

Calcinent la croix

Lointaine et menaçante ! »

 

 

Laurent Bourdelas